Curzio Malaparte à Capri
Il faut un ciel bleu, un soleil comme une forge et l’oisiveté en traversin pour goûter pleinement au récit de Raymond Guérin. Une aventure à peu près immobile mais vécue en altitude, à hauteur de Curzio Malaparte et de sa casa « Come Me », voici ce que nous conte l’auteur de L’Apprenti, le mirifique inventeur de La Confession de Diogène. On nous le réveilla en même temps que Bove, Calet, Forton, Gadenne, Hyvernaud, Paroutaud. C’était au temps des années 80, celui de la new wave mais aussi de la revue Les Grandes Largeurs qu’emmenaient Dominique Gaultier et Guy Ponsard et ils nous emmenaient loin. De cette époque où l’on ressuscitait des morts, nous ne sommes guère descendus de la hune où se voit très bien chaque réapparition de Raymond Guérin.
Alors qu’il vient de publier Parmi tant d’autres feux…, l’écrivain qui sans cesse se dérobe à la sanction d’une étiquette – son style est celui d’un Protée – se rend à Capri, pour trois semaines, à l’invitation du solitaire capriote. Solitaire mais fort entouré, Curzio Malaparte est l’homme de la Technique du coup d’État qui se fit bâtir en 1937 un palais céleste sur la pointe de Massullo où viennent se détendre ou se ressourcer Churchill, Rossellini, Moravia ou encore Le Corbusier. Ce dernier ne trouvera jamais de mots assez exclamatifs pour décrire l’impression que lui fait cette villa en forme de parallélépipède que Jean-Luc Godard nous a permis de visiter et de revisiter dans son film Le Mépris.
En mars 1950, Raymond Guérin franchit le seuil de la villa gratte-ciel muni de carnets et de crayons valant une caméra légère. Tout nous est montré et d’abord chacune des pièces sans miroirs et les murs où sont accrochés Matisse et Chirico, Zadkine et Delaunay. Surtout, deux écrivains se rencontrent qui livrent des points de vue sur l’écriture et sur les hommes. À 52 ans, Malaparte avoue sa préférence pour « la société des bêtes » et L’Âne d’Or d’Apulée. Il explique que ses maîtres sont ceux « qui battirent en brèche tous les illuminismes : Montaigne, Voltaire, Montesquieu, Stendhal. » L’éblouissant auteur de Kaputt et de La Peau se fait admirateur qui dit envier Guérin d’avoir écrit ses livres dans un « style dru et fruité. » Tout est fondant dans ce récit, juteux à souhait, solaire, et l’on se croit à chaque page l’hôte d’un magicien qui nous persuade que l’Italie est « féodale, familiale, fétichiste et fasciste. » Pour Guérin, il s’agit de crever un abcès de mensonges afin que Malaparte nous devienne transparent. Ce livre, en effet, s’élabore alors que le romancier et polémiste capriote est perçu comme un satrape vivant au milieu de ses bayadères, si possible vêtu de culottes de velours pivoine et chaussé de sandales vertes. Du côté de chez Malaparte a pour vertu de nous présenter un habitant du ciel sous l’aspect d’un simple. Et c’est ainsi que Guérin est grand ! Guy Darol
DU CÔTÉ DE CHEZ MALAPARTE, Raymond Guérin, Éditions Finitude, 124 p., 13,50 €