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LE MAGAZINE DES LIVRES

  • JEAN-MICHEL ESPITALLIER ❘ HYBRIDE, INCLASSABLE, TRANSFRONTALIER

     

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    Jean-Michel Espitallier ❘ Photographie Hannah Assouline


    Expérimentateur d’un genre nouveau, l’essai en miettes, Jean-Michel Espitallier contemple le monde spectaculaire avec les yeux de l’ironie. Son dernier sujet d’étude, la pipolisation galopante, l’omniprésence des idoles, suggère une intéressante conclusion. Il se pourrait que l’anonymat devienne bientôt l’ultime refuge de la célébrité.

     

    PROPOS RECUEILLIS PAR GUY DAROL

     

    — Comment vous est venue l’idée d’écrire sur la célébrité ?

    Je ne sais répondre à cette question pour aucun de mes livres. Mais, face à l’évolution du phénomène de la célébrité, la question serait plutôt : comment ne pas s’interroger sur cette omniprésence des idoles dans nos vies quotidiennes et sur la pipolisation galopante des mœurs ? Près d’un demi-siècle après La Société du spectacle, le phénomène a pris un tour absolument vertigineux. J’interroge cette société contemporaine littéralement infectée par les stars, les idoles, les people et tout ce qui va avec comme légendes, mythes, rituels, cultes, etc. Une religion profane. Dans le même temps, l’anonymat est devenu comme une tare, un exil, le marqueur de notre ultramoderne solitude qui sera corrigée, pour les plus chanceux, par les fameuses « 15 minutes de célébrités » warholiennes. Par voie de conséquence, la société ne sait plus offrir comme divertissement que du banal et du médiocre. Cette contamination est aussi celle de l’image. Promenez-vous dans n’importe quelle manifestation littéraire. Qui signe le plus de livres sur les stands des éditeurs ? Des écrivains ? Non, c’est Jean-Pierre Coffe ou Julien Lepers, parce qu’ils sont « vus à la télé ». Mais il ne faut pas gâcher son plaisir : nos idoles nous aident aussi à vivre, se sont de puissantes machines de rêve, de consolation, des modèles, et ce livre est aussi construit autour de cette utopie d’un monde meilleur, quelque part du côté du star system, et de la mémoire collective forgée sur ces fascinations générationnelles. Sans être dupe sur la validité du narcotique, bien sûr. L’histoire d’une illusion. « L’homme admet qu’on lui mente […] lorsqu’il rêve, et son sens moral n’essaie même pas d’empêcher cela », nous dit Nietzsche. L’un des paradoxes de cette affaire réside dans le fait qu’on adule nos stars en même temps qu’on adore les prendre à défaut, on les divinise en même temps qu’on traque la faille qui les fera redescendre sur terre. C’est ça, l’aliénation.

     

    — Pourquoi avoir sous-titré votre livre Théorie & Pratique ?

    J’ai voulu faire sonner mon titre, par autodérision, comme s’il s’agissait d’un traité philosophique, un peu désuet, un peu poseur. Or il faut le lire pour ce qu’il annonce : une théorie qui propose donc de dégager des généralités de phénomènes multiples et divers, et une pratique, fruit d’expériences personnelles, puisque nous nous sommes tous livrés un jour ou l’autre à cet exercice d’admiration, et que nous vivons tous, selon des positions différentes, ce phénomène envahissant. Je donne aussi quelques conseils pour devenir célèbre !

     

    — La mise en page de l’ouvrage est aussi une mise en images. On y trouve de nombreuses variations typographiques. Comment expliquez-vous ce parti pris visuel ?

    Il s’agit d’un essai en miettes, en fragments dont l’articulation passe par des moments graphiques différents, une mise en page qui est mise en scène avec accélérations, travellings avant, zooms, syncopes, etc. Ce type de dispositif est aussi un moyen de désamorcer le monopole de la pensée construite, cursive, articulée, impropre à se saisir d’un objet labile, flou, fragmenté justement. Le spectacle du star system se dit aussi par la mise en spectacle de ce qui le raconte. J’ai voulu explorer ce moment historique et paradoxal où l’image de la société se floute et se diffracte en même temps que nous vivons dans ce fantasme d’une transparence totale et d’un monde sans zone d’ombre. La collision de deux illusions.

     

    — Vous appartenez au monde de la poésie, mais, chez vous, ce monde est étroitement en rapport avec celui de la pensée. Peut-on dire, en paraphrasant Nietzsche, que vous maniez la poésie à coup de marteau ?

    « Je pense en fait avec la plume », nous dit Wittgenstein. En réalité, je n’appartiens qu’aux livres que j’écris, reste à savoir s’ils peuvent se réclamer du « monde de la poésie », et pour au moins la moitié d’entre eux je n’en suis pas si sûr. Je me suis beaucoup exprimé sur cette question d’un genre qui se définit désormais par une somme d’écritures orphelines, hybrides, transfrontalières. Ce livre est donc, comme la plupart de mes autres livres, formellement inclassable, entre chien et loup, un cauchemar des libraires (le livre est classé en « sociologie » à la FNAC !) ! J’y poursuis mon expérience d’une écriture libre d’aller où elle veut comme elle le veut.

     

    — La célébrité est un mot vaste appelant un livre vaste. En traitant de ce mot illustre qui renvoie au temps spectaculaire analysé par Guy Debord, avez-vous cherché à montrer que l’image, autrement dit une pellicule d’air, est devenue le seul moyen pour le créateur de faire exister sa création ?

    Je ne veux rien démontrer, mais en effet, le créateur qui s’exclurait du système médiatique aurait sans doute aujourd’hui bien du mal à faire exister son œuvre ; ceci n’est pas nouveau. Une œuvre est toujours constituée de son essence et de la force singulière de sa proposition d’une part, et d’autre part de son mode de production, de réception, de médiation, comme l’a bien montré Pierre Bourdieu. Ce qui choque c’est que le pouvoir médiatique est aujourd’hui considérablement vorace, ultradominant. Si vous n’êtes pas médiatisé, vous n’êtes pas crédible, et pire, vous n’existez pas. Avec la télé-réalité et ce besoin frénétique de ne pas louper une miette de ce qui se passe, partout et tout le temps - bande continue (basse continue) des quidams qui traversent le livre -, le banal et le médiocre ont pareillement droit aux ors de la reproduction, donc de l’exhibition qualifiante. Mais, en réalité, la question de la médiatisation des œuvres d’art est un tout autre sujet.

     

    — Vous montrez que la célébrité est susceptible de devenir la règle, au point que l’anonymat deviendra l’exception. Vous dites que « les gens célèbres seront ceux qui ne l’ont jamais été. » Est-ce une formule ou une vision ?

    C’est la formule d’une vision. Un raisonnement par l’absurde. Pour dire que le phénomène se tarira de lui-même ! C’est le ressort du fantasme, lequel doit demeurer conquête, utopie, projection. Ce qui tient la société contemporaine, la console de tous ses maux c’est la possibilité pour chacun de passer à la télévision.

     

    — Selon Guy Debord, « les images existantes ne prouvent que les mensonges existants. » La célébrité, outre qu’elle appartient au monde fictif des images, est-elle selon vous un complot contre la vérité ?

    Un complot sans comploteur puisque nous sommes tous les artisans de notre propre aliénation. Quant à la vérité… On peut dire que le réel ne vaut aujourd’hui que représenté. Si vous n’êtes pas représenté, vous n’existez pas. L’illusion du réel est beaucoup plus pertinente que le réel, lequel n’existe désormais que dans la représentation qui en est faite. On est là au cœur des thèses debordiennes.

     

    — Il fut un temps où la littérature s’érigeait en valeur contre le spectacle. Songeons par exemple à Julien Gracq ou à Maurice Blanchot. Ces écrivains se tenaient vertueusement à l’abri. Ils refusaient, autant que possible, de se prêter à la ferveur médiatique. Et cependant, ils étaient parfaitement en mesure de se mettre en exposition. Cette éthique est-elle de nos jours définitivement compromise ?

    On pourrait ajouter Guy Debord, justement, à ces écrivains qui se sont sciemment protégés des médias. Je ne sais s’il s’agissait d’une vertu. En tout cas, les modes de représentations de l’écrivain ont beaucoup évolué depuis une vingtaine d’année ; par exemple la disparition, sans doute éphémère, de Michel Houellebecq ne vaut que par sa surmédiatisation et la surmédiatisation de sa disparition.

     

    — Peut-on dire que vous avez fait le constat d’une époque vouée à la consommation ? Quelle est la part de raillerie dans ce livre ?

    Le star system ne pouvait advenir que dans la société capitaliste à son apogée, pour des raisons historiques, économiques, politiques et parce que ses modes de fonctionnement sont indissociables des modes de fonctionnement du libéralisme : circulation et prolifération, omniscience des médias comme stimulant du marché, marchandisation généralisée. Les stars se présentent de plus en plus comme des produits (marketing, plan média et tête de gondole). Je ne fais que montrer et décrire des situations qui sont tellement absurdes, vides de sens, pathétiques, que la seule issue est d’en rire. Le rire est la politesse du désespoir !

     

    — Si De la célébrité est un ouvrage de genre, est-ce un essai, un pamphlet, un recueil de fragments ?

    Les trois à la fois! Au minimum ! Il est la restitution par fragments de ce qui fut donné par fragments : vortex médiatique, infos stroboscopiques, vision lacunaire de la vie de nos idoles, miroitement glamour, flashs des chroniques people, brasillement des rumeurs, etc.

     

    — Quelle est la part autobiographique dans ce livre à thèse ?

    Elle a été le déclencheur de ce livre, comme spectateur du monde qui m’entoure mais aussi par ma propre expérience, de fan notamment. A douze ans je voulais être Eddy Merckx ; à seize ans c’est à mon poster des Beatles que je confiais mon mal de vivre adolescent ; à quarante-six ans je traquais Syd Barrett à Cambridge !

     

    DE LA CÉLÉBRITÉ, THÉORIE & PRATIQUE, Jean-Michel Espitallier, Éditions 10/18, 187 p., 7,50 €


    Entretien publié dans le Magazine des Livres n°35,  mai 2012


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    BIBLIOGRAPHIE

    Ponts de frappe, Fourbis, 1995

    Limite de manœuvres (avec illustrations de Tristan Bastit), Du sel & Couëdic Réunis, 1995

    Gasoil : prises de guerre, Flammarion, 2000

    Pièces détachées : une anthologie de la poésie française aujourd’hui, Pocket, 2000 (nouvelle édition, 2011)

    Fantaisie bouchère (grotesque), Derrière la salle de bains, coll. « Poésies Mécaniques », 2001 

    Le Théorème d’Espitallier, Flammarion, 2003 

    Tanger / Marseille : Un échange de poésie contemporaine, (avec : Yassin Adnan, Mehdi Akhrif, Emmanuel Hocquard, Claude Royet Journoud, Abdallah zrika), coll. « Import/Export », cipM, 2004

    En Guerre, Inventaire/Invention, 2004

    Où va-t-on ?, Le Bleu du ciel, coll. « L’Affiche », 2004

    Toujours jamais pareil (avec Pierre Mabille), Le Bleu du ciel, 2005

    Caisse à outils : un panorama de la poésie française aujourd’hui, éditions Press-Pocket        n°11891, 2006 

    Tractatus logo mecanicus, Al Dante, 2006

    Army, Al Dante, 2008

    Syd Barrett, le rock et autres trucs, Editions Philippe Rey, 2009

    Cent quarante-huit propositions sur la vie et la mort & autres petits traités, Al Dante, 2011

    En guerre (remixé par François Bon), publie.net, 2011

    Z5 - "Dans la carrière" (photos: Lisa Ricciotti), Al Dante, 2011


    A PARAITRE

     

    L'invention de la course à pieds, Al Dante, 2013


    JEAN-MICHEL ESPITALLIER AUX EDITIONS AL DANTE

     


  • JEAN-PIERRE FAYE ❘ UNE PENSEE EN MOUVEMENT

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    Jean-Pierre Faye


    Prix Renaudot, en 1964, Jean-Pierre Faye est à la fois le créateur de la revue Change (1968-1985) et le co-fondateur du Collège international de philosophie. Son nom accompagne les transformations de la poésie à partir des années 1960. Il est par ailleurs celui qui continue d’éclairer, depuis la publication de Langages Totalitaires, le système du discours des idéologies fascistes. Ses poésies et fictions sont aujourd’hui rééditées. Elles sont l’occasion d’une réflexion sur la place de l’écrivain dans un monde où l’invention littéraire semble subordonnée à l’impératif économique.

     

    PROPOS RECUEILLIS PAR GUY DAROL

     

    De la poésie d’un côté, de l’autre des fictions et au milieu – mais est-ce bien au milieu ? – des essais sur les langages totalitaires, l’économie narrative, le nihilisme. Quel est le dénominateur commun à cette simultanéité de pratiques ?

    — La virulence du langage se fait manifeste par la langue de poésie – et à l'autre bord, par les fictions narratives – mais dans un entre deux qui est lui-même un extrême bord, par la fureur du réel de l'Histoire, la crise, et cette étrange économique qui entraîne les langages dans la folie délatrice du nazisme et du stalinisme, mais déjà dans mille recoins ou Winkel de l'Histoire, pour parler comme Nietzsche.

    Vous débutez, par la publication, en 1958, d’Entre les rues. Cette fiction est le premier élément d’un ensemble que vous nommez L’Hexagramme. Comment s’est imposé ce jeu de construction ?

    — L'ensemble s'est imposé narrativement... Non pas comme jeu de construction, mais comme entraînement narratif où le tissu se liait à lui-même d'un paysage à l'autre – Amérique des guerres vietnamiennes, Paris des contre révolutions coloniales, Munich de la Main Rouge emboîtée dans celle du nazisme, Berlin divisé cruellement, Troie et Troyes : cités de la toute première narration... premières prises de guerre. 

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    L’Écluse, l’un des éléments de cet Hexagramme, est couronné en 1964 par le prix Renaudot. Comment vous est venu ce livre ?

    — Soudain, le Berlin du journalisme s'est mué en sa propre mythique, le Mur qui se refusait à parler de lui-même, mais qui tramait chaque moment du corps des hommes et des femmes, en venant clore l'Après-guerre mondial dans une guerre totale immobile. La chute du Mur, comme il se devait, attendait l'anniversaire de la Révolution en 1989, le stalinisme s'écroulait à Berlin sur les ruines du nazisme, pour resurgir, mais le Mur immobile s'effaçait sur un seul mot prononcé par hasard : sofort, « tout de suite »...

    La bataille de Léda, votre treizième roman, fut publié en 2008. Didjla, le Tigre, ouvrage publié en 1994, est de nouveau réédité. Ces deux fictions ne sont rattachées ni au cycle de l’Hexagramme ni à celui regroupé sous le titre Infernovale. S’agit-il de narrations errantes et de quelle façon s’incluent-elles dans votre entreprise romanesque ?

    La bataille de Léda surgit sans précaution comme sur le quai de la Gare, et elle vient clore le moment où les enchaînements se rompent. Mais Didjla le Tigre est survenu comme un accomplissement logique des deux « Mésopotamie », celle de Bagdad, mais aussi celle de Buenos Aires, entre deux fleuves là aussi, là où ont également régné des dictatures violentes, inégalement cruelles. A l'entrée de ce lacis de fleuves qui entrelace la vallée, surgit devant mes yeux cette ville d'Argentine, Tigré (ainsi se prononce-t-elle), et je voyais se déployer les deux fleuves enlacés, là comme à Bagdad le Tigre, le Didjla aux eaux profondes.

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    Un Choix de poèmes lus par l’auteur a été récemment publié. Il enveloppe cinquante ans d’écriture poétique. La poésie est-elle venue à vous par la poésie et ses recueils ou plutôt par le dehors et certains événements ? 

    Poièma, ou Poièsis, commence dans la fureur du calme et peut tourner à la plus grande violence, quand elle tient tête au furieux : ainsi Neruda mourant, aux moments mêmes où se déchaînait la dictature violente qu'il avait d'avance affrontée, et ses obsèques déployées dans le calme sous le contrôle des furieux armés qu'il combattait...

    Poésie et fictions narratives renvoient souvent à une géographie liquide : fleuve, mer, sang. Peut-on dire que l’écriture constate chez vous des paysages menacés, des réalités intranquilles ?

    — « L'intranquillité » est ce grand poème en prose surgi au Portugal qui lui aussi a émergé des grandes violences de la péninsule portugaise-espagnole, où ce mot même est né, et par-delà ce qui faisait frémir alors le subcontinent latino-américain tout entier, dont j'ai tant aimé entendre le frémissement, dans la Gran Sabana, à l'heure où le soleil tombe comme un sac de plomb.

    Vous écrivez : « poème est rançon de l’éclat ». Le mot éclat peut être diversement compris. Désigne-t-il une brisure, un bruit, une lueur ?

    — Oui, c'est la brisure interne qui fait lumière, éclairement - et la lumière use, terriblement, notre univers - je souhaite que la poésie – aussi.

     Votre nom est lié à la création de la revue Change en 1968. Il s’agissait en vérité de quelque chose de beaucoup plus ample qu’une revue. Avec Maurice Roche et Jacques Roubaud vous avez initié le mouvement du change des formes. Cette aventure s’est-elle véritablement terminée en 1985 ? Est-ce que le change lui-même bouge encore ?

    — Oui, c'était un moment très beau, et très âpre, à la fin de l’été 68, mais aussi le moment horrible de l'invasion russe à Prague, accompagnée des armées des quatre autres États esclaves, exactement quand surgit le premier numéro de Change, entièrement et étrangement composé dès février 68, y compris les descriptions des combats de rue et des assauts policiers du fameux Printemps 68... Change surgit alors, à l'automne... Les premiers livres de Roche et de Roubaud, aussi. Et Paris avait été bel et bien la Ville des Troyens, assiégée et racontée, aux mêmes moments.

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    Cette aventure a contribué à faire davantage connaître en France Chomsky et la grammaire générative, mais aussi le militant opposé à la guerre du Vietnam. L’invention littéraire et l’action politique étaient indissociables, alors. Y a-t-il eu un effondrement simultané de ces deux fronts ?

    — Oui, Chomsky était notre héros, l'explorateur des langages sur lequel travaillaient Jacques Roubaud et Mitsou Ronat, et aussi le héros de la guerre... à la guerre, au Vietnam... Puis soudain... il allait préfacer Robert Faurisson, le stupide et fort  pervers négationniste, qui affirmait devoir nier le massacre de la Shoah, du Kurbrn, cet étrange mot hébreu qui signifie dévastation, et qui désignait sur place Auschwitz, Belzec, Sobibor, Treblinka pour les survivants mêmes. Mais il était impossible de convaincre Chomsky de désavouer sa préface désastreuse au livre de Faurisson, ce désastreux démenti qui le démentait lui-même, lui, Chomsky.

    Pour en évoquer d'autres, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Félix Guattari sont des noms étroitement liés à votre parcours. Quels étaient vos points de jonction ?

    — Les grands livres des trois surgissaient aux mêmes moments, et comme à nos côtés, car nous avions avec eux trois des moments de convergence inouïe, y compris pour se faire arrêter ensemble ou matraquer, du même geste, et dans cette intense attention au drame et à l'énigme des prisons. Foucault était saisi profondément en soutenant avec nous la grève de la faim de Geneviève Clancy, en symphonie avec celle qui faisait éclater soudain le choc des prisons, et même si Foucault lui-même avait manqué la manifestation sur les prisons, à Nancy, car aux mêmes moments il s'était fait arrêter soudain, en prenant la défense d'un immigré dans un métro, à Paris.

    Vous avez mené le combat du côté de la fiction, des narrations nouvelles. Ce combat s’est-il déplacé aujourd’hui dans l’espace de la philosophie ?

    — Je pense que la philosophie aujourd'hui porte enfin son regard sur le pire qui eut lieu : le siècle qui précède, et qui a fabriqué les machines-monstres les pires de l'Histoire. Je tente en ce moment même de saisir ce qui se passe en fin novembre de l'an 32, quand un grand juriste,  un philosophe du droit nommé Carl Schmitt donne une conférence dans un lieu élégant  nommé  le « Club des Messieurs », le  Herrenklub, à Berlin, où il annonce la création très prochaine de « l'État total », le  totale Staat, précédé dès 1925 à Rome du Stato totalitario... Deux mois plus tard, en janvier 33, la chose même est là : nouée par celui dont il est le conseiller et l'avocat, le dérisoire von Papen, devenu le vice-chancelier d'un chancelier nommé Adolf H. Tout avance dans une fiction risible, et curieusement proche. 

    Y a-t-il une chance pour la transformation, y compris au sein des pratiques d’écriture, ou faut-il admettre que tout a été bel et bien transformé ?

    — Mais l'écriture est cela même qui tient en main ce qui transforme, ou peut à tout instant déformer la diction, à partir d'un point levier, et par lui tout est sur le point de devenir cela même qui va être ce qui change.

    Il y a un peu plus de trente ans, vous déploriez avec Philippe Boyer « la pulvérisation des communautés de pensée ». La régression était désignée comme un moteur de ce dangereux éclatement. Où en sommes-nous de la pensée et de la régression ?

    — L'éclatement se poursuit, mais n'est souvent qu'une façon d'en revenir à la déformisation, la mise en cliché identique, quand cet en-cliché est triomphe du pareil où pourtant va  commencer à se vaincre le retour.

    Le formidable élan que vous avez donné à la littérature en la nourrissant de voix venues d’ailleurs, en nous faisant entendre sa polyphonie mappemondiale, vous semble-t-il repris, amplifié, ou tout au contraire anéanti par cette autre circulation qui est le flux permanent des marchandises ?

    — Le flux étouffe, éteint le flux, marchandise contre élan, mais le monde poursuit sa Grande Nap, qui fut projet sans pareil peut-être, capable du monde, et parti au revers de ce qui a été dit, mais parcourant l'espace jamais décrit.

     Peut-on encore changer quelque chose qui ne soit pas une passation d’armes, équipe de gouvernement succédant à un autre, compromis entre économie de la richesse et réalité de la misère ?

     — Ce qui change l'est malgré nous, mais soudain cela peut se saisir, et soudain devenir regard qui fait être ce qui eut lieu, comme cela qui est prise de soi.

    Comment Jean-Pierre Faye voit-il ce monde où s’indigner est comme s’insurger ?

    — L'indigné n'est pas l'insurgé, mais tous deux font que le second ne va pas se dresser en vain.

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     Votre considérable bibliographie – plus de soixante titres – associe toutes sortes d’aventures personnelles et collectives. Vous avez exploré roman, poésie, essai, théâtre. Qu’avez-vous cherché, au fond ? Et qu’est-ce qui motive en vous, définitivement sans doute, le goût de la recherche ?

    — Chaque note en vue du projet est commencement de quelque chose qui n'aura nulle fin, et  vient vers un front de mer en mouvement, dont le choc provient de plus loin, mais avance, dans ce souffle sans relai qui a l'horizon au-devant de soi.

                                                                                                    

    DIDJLA, LE TIGRE, Jean-Pierre Faye, coédition L’Harmattan et Notes de Nuit (+ DVD avec version lue par Bérangère Bonvoisin et entretien filmé entre l’auteur et la comédienne), 149 p., 15,50 €

    CHOIX DE POÈMES LUS PAR L’AUTEUR, Jean-Pierre Faye (livre + DVD avec film-portrait de Jean-Pierre Faye), coédition L’Harmattan et Notes de Nuit, 147 p., 25 €


    Entretien publié dans le Magazine des Livres n°35,  mai 2012

     

     

    BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

     

    Yumi, Lieu Commun, 1983 ; L’Harmattan/Notes de Nuit (livre + DVD avec version lue par Aurore Clément), 2012

    Paul de Tarse et les Juifs, Germina, 2012

    L’Expérience narrative et ses transformations, Hermann, 2010

    L’Écluse, Le Seuil, 1964 ; Hermann, 2009

    La bataille de Léda, Hermann, 2008

    L’histoire cachée du nihilisme (avec Michèle Cohen-Halimi), La Fabrique, 2008

    Langages totalitaires, Hermann, 2004

    La philosophie désormais, Armand Colin, 2004

    Le siècle des idéologies, Armand Colin, 1996 ; Pocket, 2002

    Le vrai Nietzsche, Guerre à la guerre, Hermann, 1998


    LE SITE DE JEAN-PIERRE FAYE


    NOTES DE NUIT EDITIONS

     

     

     

               

     

  • MARC BERNARD A SARCELLES

    Marc Bernard.JPGIl n’est pas remonté de l’oubli aussi durablement qu’Emmanuel Bove, Henri Calet ou Raymond Guérin mais l’opiniâtreté de Stéphane Bonnefoi et l’enthousiasme d’éditeurs comme Le Dilettante et Finitude parviennent à nous le rendre vivant. Marc Bernard (1900-1983) qui mourut chez le docteur Paradis est un écrivain forgé à l’optimisme qui se fit lui-même dans un monde où l’on est garçon de course à douze ans, fraiseur à quinze. Il se fait remarquer en 1929 avec la publication de Zig-Zag, chez Gallimard, puis enchaîne les succès en obtenant le Prix Interallié pour Anny (1934) puis le Goncourt (1942) avec Pareils à des enfants …, récit bien émouvant d’une enfance marquée par « le drame réel ». Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, Marc Bernard fut aussi journaliste, et d’abord à Monde, hebdomadaire d’information littéraire, artistique, scientifique, économique et sociale, qui aligne dans son comité directeur les noms d’Albert Einstein, Maxime Gorki et Upton Sinclair. D’obédience communiste, le journal réunit des écrivains parmi lesquels Henry Poulaille. Dans les colonnes de Monde, Marc Bernard déclare qu’il existe un art prolétarien. Il défendra cette position en fondant, en 1932, avec Poulaille et Tristan Rémy, le Groupe des écrivains prolétariens.

     

    Mais c’est le romancier ayant exploré chaque centimètre de la ville de Nîmes (il y est né) dont on se souvient de façon plus nette. Dans son Histoire de la littérature française, Jacques Brenner le présente comme celui qui fit de Nîmes « le personnage principal d’un triptyque romanesque, Les Vivants et les Morts. » Comme il est dit par ce fin connaisseur des Lettres, Marc Bernard « n’a pas choisi un personnage conducteur pour la promenade à laquelle il nous invite. » Nîmes en est le centre et la circonférence. Marc Bernard est fait d’encre et de sang nîmois. On ne se doutait pas qu’un enfant du pays puisse un jour explorer, avec autant de science et d’humanité, Sarcelles, ville nouvelle.

     

    À la demande de Jean Duché, son éditeur, il s’installe trois mois durant dans ce grand ensemble, alors coruscant, et rédige un livre publié en 1963 selon la seule méthode qui est la sienne, celle de l’immersion fraternelle. « Je ne voulais rien affirmer que je n’aie connu personnellement », souligne-t-il dans sa préface. Il habite allée Jacques-Rivière, à côté de voies urbaines portant les noms de Paul Claudel, Marcel Proust et Paul Valéry. André Gide y a sa place. Tout est impeccable dans ce paysage tracé au cordeau et qui embaume la campagne voisine où pousse le froment, le seigle et des arbres fruitiers. Il semble que le bonheur y soit possible. Le logement est une divinité où l’ouvrier « se déchausse sur le seuil comme s’il entrait dans une mosquée. » C’est une ville pilote où l’on flâne et où l’on s’initie, aux heures perdues, à la reliure, au tissage et à la vannerie. « Le pain sarcellois a une légèreté, un croustillant, un doré qui en font un délice, une invention moderne. » Tout est bon au goût et sublime aux yeux.

     

    Aux abords de la ville nouvelle, le vieux Sarcelles, avec ses murs croûteux et ses cours délabrées, dégage une impression de basse-fosse. On ne regrette pas de quitter ses ruelles méandreuses pour rejoindre la cité « rigoureusement ordonnée, hérissée de tours. » La culture y est invitée qui permet aux Sarcellois d’aller à la rencontre de Henry de Monfreid, de Christiane Rochefort, de Pierre Gascar, d’entendre Jean Vilar parler théâtre. On y organise des expositions consacrées à Van Gogh et à Albert Camus. La ville nouvelle est l’emblème de la culture qui vient au peuple. « On se prend à rêver que ceux qui s’en écartaient parce qu’elle leur semblait inaccessible, en la trouvant à leur porte, au bout de la rue, au centre de la cité, seront tentés de la mieux connaître. » L’architecte Labourdette prévoit même, parmi ses constructions à venir, la création d’un laboratoire afin de faire naître des vocations scientifiques.

     

    Mais la ville blanche n’est pas tout à fait le Jardin d’Éden et Marc Bernard ne manque pas d’en montrer les aspects boiteux. Un chapitre sur la délinquance expose des faits qui coïncident avec ceux d’aujourd’hui. Son enquête lui fait découvrir qu’on y brise des lampadaires, des vitres de voitures, des fenêtres, des étalages. « On lance la pierre et l’on file sur des semelles de vent, dans la nuit. » Des bandes s’affrontent, surin au poing. Une jeune caissière est violée par quatre garçons, puis rançonnée. La vie n’est pas toujours belle à Sarcelles et Marc Bernard prévoit les lézardes et le chaos dans cette prose chaleureuse, une prose de proximité, qui fait de ce témoin suprême, un voyant au grand cœur. Guy Darol

    SARCELLOPOLIS, Marc Bernard, Éditions Finitude, 221 p., 17 €


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  • RAYMOND GUERIN ET CURZIO MALAPARTE


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    Curzio Malaparte à Capri


    raymond-guerin.jpgIl faut un ciel bleu, un soleil comme une forge et l’oisiveté en traversin pour goûter pleinement au récit de Raymond Guérin. Une aventure à peu près immobile mais vécue en altitude, à hauteur de Curzio Malaparte et de sa casa « Come Me », voici ce que nous conte l’auteur de L’Apprenti, le mirifique inventeur de La Confession de Diogène. On nous le réveilla en même temps que Bove, Calet, Forton, Gadenne, Hyvernaud, Paroutaud. C’était au temps des années 80, celui de la new wave mais aussi de la revue Les Grandes Largeurs qu’emmenaient Dominique Gaultier et Guy Ponsard et ils nous emmenaient loin. De cette époque où l’on ressuscitait des morts, nous ne sommes guère descendus de la hune où se voit très bien chaque réapparition de Raymond Guérin.

    Alors qu’il vient de publier Parmi tant d’autres feux…, l’écrivain qui sans cesse se dérobe à la sanction d’une étiquette – son style est celui d’un Protée – se rend à Capri, pour trois semaines, à l’invitation du solitaire capriote. Solitaire mais fort entouré, Curzio Malaparte est l’homme de la Technique du coup d’État qui se fit bâtir en 1937 un palais céleste sur la pointe de Massullo où viennent se détendre ou se ressourcer Churchill, Rossellini, Moravia ou encore Le Corbusier. Ce dernier ne trouvera jamais de mots assez exclamatifs pour décrire l’impression que lui fait cette villa en forme de parallélépipède que Jean-Luc Godard nous a permis de visiter et de revisiter dans son film Le Mépris.

    En mars 1950, Raymond Guérin franchit le seuil de la villa gratte-ciel muni de carnets et de crayons valant une caméra légère. Tout nous est montré et d’abord chacune des pièces sans miroirs et les murs où sont accrochés Matisse et Chirico, Zadkine et Delaunay. Surtout, deux écrivains se rencontrent qui livrent des points de vue sur l’écriture et sur les hommes. À 52 ans, Malaparte avoue sa préférence pour « la société des bêtes » et L’Âne d’Or d’Apulée. Il explique que ses maîtres sont ceux « qui battirent en brèche tous les illuminismes : Montaigne, Voltaire, Montesquieu, Stendhal. » L’éblouissant auteur de Kaputt et de La Peau se fait admirateur qui dit envier Guérin d’avoir écrit ses livres dans un « style dru et fruité. » Tout est fondant dans ce récit, juteux à souhait, solaire, et l’on se croit à chaque page l’hôte d’un magicien qui nous persuade que l’Italie est « féodale, familiale, fétichiste et fasciste. » Pour Guérin, il s’agit de crever un abcès de mensonges afin que Malaparte nous devienne transparent. Ce livre, en effet, s’élabore alors que le romancier et polémiste capriote est perçu comme un satrape vivant au milieu de ses bayadères, si possible vêtu de culottes de velours pivoine et chaussé de sandales vertes. Du côté de chez Malaparte a pour vertu de nous présenter un habitant du ciel sous l’aspect d’un simple. Et c’est ainsi que Guérin est grand ! Guy Darol


    DU CÔTÉ DE CHEZ MALAPARTE, Raymond Guérin, Éditions Finitude, 124 p., 13,50 €


     

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  • LE CINEMA DE GUY DEBORD

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    img-1-small450.jpgEst-il possible que Guy Debord ait pu faire du cinéma ? L’expression faire du cinéma est évidemment incongrue s’agissant d’un indésirable ayant œuvré contre le spectacle dont le cinéma est la forme la plus tautologique puisqu’il est « comme les messes ou les parties de football », une répétition à l’infini. On l’a constaté, désormais Guy Debord fascine, tout intégré qu’il est au système qu’il voulait à toute force pulvériser. Il est, à l’instar d’Antonin Artaud, un objet de dissection sur diverses paillasses. On veut en faire un cadavre.

     

    Quelques précis ont tenté de le rapporter à l’échelle d’une vie, mesurant sa pensée à l’étalon de l’anecdote. C’est un peu la tendance aujourd’hui comme de banaliser l’extraordinaire, d’assassiner l’imaginaire, de ne plus prononcer le mot poésie. Maintenant que Guy Debord n’est plus, la réification est désormais reine au pays (qui est le monde) du décervelage. Penser la négation et la vraie vie n’est plus l’obsession que de quelques-uns. Mais au fond, c’était le cas en juillet 1957 lorsque l’Internationale Situationniste fut fondée. Tous les espoirs sont permis !

     

    S’intéresser à Guy Debord, au sens où l’on publie des livres sur l’œuvre et le personnage, est depuis toujours une activité suspecte. Il convient d’aller directement aux documents et de se forger un point de vue personnel. S’agissant de son cinéma, il suffit par exemple de voir et lire les Œuvres cinématographiques complètes. Tout est disponible. Merci Gallimard, merci Gaumont. C’est sans compter avec l’épistémophilie de tout un chacun, le désir de connaissance en profondeur, ce dont nous prive la vie courante et l’on est bienheureux que quelques sapientaux de bon aloi se livrent à de grands exercices.

     

    Comme ceux pratiqués par Fabien Danesi lorsqu’il porte à notre ignorance Le mythe brisé de l’internationale situationniste – L’aventure d’une avant-garde au cœur de la culture de masse, 1945-2008 (Éditions Les Presses du Réel, 2008) ou Le cinéma de Guy Debord, son dernier sujet d’étude qui ressemble à un sujet d’étude à vie. Fabien Danesi nous met à l’aise par la densité de son propos et la constance de ses publications. Il est bien réellement dévoué à la vérité sur l’entreprise de démolition qu’emmena Guy Debord à travers les numéros d’Internationale Situationniste, ses livres et ses films. Fabien Danesi est profond, méticuleux, passionnant comme le prouve sa dernière ouvrage qui annule toute autre tentative de vouloir penser l’auteur de six œuvres pour les écrans dont on aura pu remarqué ici et là l’influence … au cinéma new wave principalement.

     

    img-2-small450.jpgL’analyse de Fabien Danesi vaut pour la ligne qu’elle trace à partir de la rencontre de Guy Debord avec le lettrisme jusqu’à Brigitte Cornand. Elle est une mise à jour de ce qui fut « un inconvénient » plus qu’ « un plaisir », un carrefour où il est prudent de se perdre dès lors que la dérive psychogéographique est le sésame pour passer hâtivement « à travers des ambiances variées ». Les familiers du projet/objet se plairont à retrouver, au fil du livre, plaques tournantes et figures considérables. En conclusion, cette étude sérieuse est le film des films, une lecture commentée (mais passionnante) des actes cinématographiques de Debord depuis Hurlements en faveur de Sade (1952) jusqu’à Guy Debord, son art et son temps (1994). Il est jouissif d’avancer lentement, comme en flânant, dans cet essai érudit tout en ayant à portée de main cette rareté de Maurice Lemaître intitulée Le film est déjà commencé ? (Éditions André Bonne, collection Encyclopédie du cinéma dirigée par André Fraigneau, préface de Jean Isidore Isou, avril 1952). Oui, tout cela est bien jouissif. Tout cela nous indique le meilleur à venir. Guy Darol

     

    LE CINÉMA DE GUY DEBORD OU LA NÉGATIVITÉ À L’ŒUVRE (1952-1994), Fabien Danesi, Éditions Paris Expérimental, 233 p., 25 € 


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  • BERNARD NOEL ❘ ALAIN MARC

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    Bernard Noël



    Selon mes critères (lesquels valent la superficie de mon être), Bernard Noël est l’écrivain. Selon ces mêmes critères, il y a Charles Juliet, il y eut Louis Calaferte, Maurice Blanchot, André Hardellet. Julien Gracq serait en quelque sorte la figure drapée, une icône à contresens. Bernard Noël, il y a si longtemps, je le vois à la librairie-galerie Obliques, rue de l’Hôtel de Ville, en ces temps où la littérature était un rendez-vous de la vie quotidienne. L’écrivain ne se surmontre pas, aucune exhibition, seul vous parle l’homme et encore timidement.

    La littérature comme la vie, cette équation valut quelque malheur à Bernard Noël, qui connut en 1969 un procès pour outrage aux bonnes mœurs à la parution du Château de Cène. Bernard Noël n’est pas un provocateur, il est plutôt un hypnotique si l’on en croit Alain Marc, auteur d’un brillant essai sur cet écrivain à la bibliographie profuse. Poète principalement mais empruntant plusieurs aspects pour être successivement et simultanément essayiste (en art et en politique), prosateur (diversement), épistolier, auteur d’un dictionnaire de la Commune de référence. Et c’est réduire que de le considérer parmi ces branches. Bernard Noël est vaste, d’où l’intérêt de l’essai d’Alain Marc qui est plutôt une suite de regards, d’entrées dans l’œuvre, tout cela composé sur une longue période et complété de précieux entretiens.

    Alain Marc indique la voie qui mène de Bernard Noël à Georges Bataille et à Raymond Abellio – ou inversement. Il observe l’œuvre à travers bien des fenêtres qui donnent souvent sur le flou. C’est dire l’incomparable de l’œuvre, sa chair unique, son intérêt immensurable. Cette œuvre « qui constamment questionne » appartient encore aujourd’hui, mais pour combien de temps, au domaine des marges, ce pays que l’Université n’a pas encore découvert. Bernard Noël est vivant. On ne dissèque pas un poète vivant. Dans son approche intime, Alain Marc nous préserve de toute opération chirurgicale, il éclaire seulement. Il prévient d’une œuvre qu’il est urgent de prendre en compte si toutefois on s’est égaré autour. Guy Darol

     

    BERNARD NOËL, LE MONDE À VIF, Alain Marc, Éditions Le Temps des Cerises, 133 p., 12 €


     

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  • CATULLE MENDES

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    Catulle Mendès


    Médiocre poète selon les uns, polygraphe plagiaire selon les autres, Catulle Mendès (1841-1909) a disparu dans les fourrés de l’oubli. Exerçant tous les genres, y compris le polisson, l’époux de Judith Gautier (splendeur notoire et fille de Théophile) fit connaître le Parnasse et ses nourrissons qu’il publia dans La Revue fantaisiste dont il était le rédacteur en chef. Technicien du vers, vulgarisateur wagnérien, dramaturge, conférencier, conteur et « romancier subtil, opprimant » d’après Jules Huret qui l’interrogeait en 1891 dans le cadre de son Enquête sur l’évolution littéraire, voici l’homme. Conteur opprimant aurait été bien pour décrire la suite de textes présentés avec érudition par Éric Vauthier. Ces contes placés sous le signe des « ténèbres fantastiques » (Jean-Baptiste Baronian) ont particulièrement à voir avec les lois de l’étrange et de l’occulte que mirent en vogue Élémir Bourges, Adrien Remacle, Jean-Louis Talon, Camille Mauclair, Maurice Rollinat. Remarquez que si la vogue n’a pas complètement passé, ces écrivains qui en furent les soutiers n’ont guère tenu dans les mémoires. On songera plutôt à Octave Mirbeau ou Villiers de l’Isle-Adam, ce dernier avait de près connu les Compagnons de la Hiérophanie et le martinisme issu de Paracelse et de Jakob Böhme. Villiers illuminé illumine Mendès qui nous fait passer de bons moments (l’occulte a depuis modulé des effrois plus grands) au contact de neuf contes cruels. Exigence de l’ombre, par exemple, nous rappelle (et cela aide à nous laisser embarquer) Adalbert Von Chamisso et son Histoire merveilleuse de Pierre Schlemihl ou l’homme qui a perdu son ombre (1814). Sont-ce ces réminiscences qui accusent Mendès d’avoir beaucoup copié, y compris « l’art d’Apollon » (Pierre Cheymol l’affirme dans Les aventures de la poésie, José Corti, 1988) ? Tout accablé qu’il fut (mais Stéphane Mallarmé l’adorait), Camille Mendès demeure plaisant à lire et l’on se régale de son style net et de ses intrigues miragineuses. Guy Darol

     

    EXIGENCE DE L’OMBRE, Catulle Mendès, Éditions L’Arbre Vengeur, 135 p., 11 €


     

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    SITE DE L'ARBRE VENGEUR


    UNE BIBLIOGRAPHIE DE CATULLE MENDES


  • STANISLAS RODANSKI OU LE DEFI DE PERDRE

    41814_138044782888664_7666_n.jpgFaiblement remarqué depuis la publication, en 1975, de La Victoire à l’ombre des ailes avec préface de Julien Gracq et couverture illustrée par Jacques Monory, le nom de Stanislas Rodanski (1927-1981) persiste néanmoins comme un fanal inextinguible, comme le signe qu’une certaine idée de la littérature ne veut abdiquer, celle qui voit dans le geste d’écrire une recherche doublée d’un risque.

    Stanislas Rodanski connut la déportation en Allemagne puis l’isolement dans les  services spéciaux de la psychiatrie. Il passa de l’horreur à l’erreur et fut sans cesse épouvanté jusqu’à s’échapper dans le silence qui est l’ultime secours des rêveurs d’Absolu. Écrivain indifférent, il se moque de « la singerie littéraire » autant que de la parution de ses propres écrits. Et cependant, ceux-ci continuent d’affluer vers nous. Après les justement nommés Écrits (Christian Bourgois éditeur, 1999), voici Requiem for me, ensemble de textes annoncés et véritablement attendus par ceux qui se tiennent de préférence à la frontière des deux mondes.

    Lire Rodanski n’est pas une évasion simplifiée, l’échappée belle qui fait l’allégement de la vie quotidienne, une parenthèse radieuse, un divertissement. C’est suivre le fil d’une pensée qui se régénère dans les mythes, qui consent au « régime des coïncidences » et à l’exactitude des songes. C’est pousser la porte qui s’ouvre sur l’Ailleurs, univers du temps suspendu, pays de l’éternelle jeunesse. Et c’est, plus vertigineusement, prendre le pari que Shangri-la existe, Cité de l’immortalité ainsi que nous la montre Frank Capra dans Lost Horizon, son film de 1937 d’après un roman de James Hilton.

    Ainsi que l’a indiqué Sarane Alexandrian, Rodanski est dans la lignée de ceux qui ont pratiqué « l’écriture des abîmes ». Il faut, pour le mieux saisir, avoir lu Antonin Artaud et Lautréamont, Gérard de Nerval et Roger Gilbert-Lecomte, Luc Dietrich et Jacques Vaché. Il est utile de connaître la Vita Merlini et le cycle arthurien. Il vaut mieux s’être frotté un peu avec la vie de Lancelot ou celle de Morgane et tâter de la noire Mélusine, de l’inquiétante Lilith, de la dévoratrice Circé. Souvent Rodanski, autoproclamé « romancero d’espionnage », quête en ces contrées où l’on va sans revenir puisque en revenir c’est mourir. Il a donné aux mythes la valeur du vrai.

    Il s’est dépouillé du seul nom que l’on accroche au nouveau-né et s’est déguisé en un Arlequin polysémique. Il est successivement et simultanément Arnold, Nemo, Astu, Tristan, Lancelo, autrement dit une multitude pour un même corps aussi immobile que possible. Et c’est ce qui adviendra dans les faits. En décembre 1953, âgé de 27 ans, Rodanski est interné à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Lyon d’où il ne sortira que 27 ans plus tard, libéré en quelque manière, mort si tant est que la mort existe dans le camp des rêveurs.

    Rodanski n’a probablement jamais rien écrit qui ne soit autobiographique – l’autobiographie qui admet désirs et réalités, faits et fées. Ainsi Requiem for me, rédigé en 1952, nous renseigne sur certains épisodes de sa vie libre, celui où il roule au volant d’une voiture volée, celui où il s’engage dans un commando de parachutistes, cet autre où il prend le train pour Megève. Chaque épisode est un élan vers l’Ailleurs. En se rendant à Megève, il postule pour le Val sans Retour, domaine de Morgane, celui qui vous fait infidèle mais surtout chevalier. Dans le val périlleux de la forêt de Brocéliande, la maîtresse des enchantements retient les compagnons d’Artus. Seul Lancelot échappe à l’emprise de la Reine des Illusions.

    Rodanski, Glucksman pour l’état civil, se dit Lancelot, guerrier indestructible, champion de l’intangible. Megève alias Bidonville nous est décrit comme un décor plus qu’une réalité. Megève est le lieu où les apparences sont jouées.

    Être « un raté de l’aventure » fut la vraie vocation de Rodanski – avec Claude Tarnaud, il avait envisagé de fonder « le très select club des Ratés de l’Aventure ». Il n’avait d’autre but au fond que l’échec : « Je me pose un défi : perdre. – C’est ce qui me rend séduisant. » Cette opiniâtreté nous le rend aussi attachant qu’un Emmanuel Bove étranger au surréalisme. Car Rodanski fut surréaliste et comme tel excommunié pour « travail fractionnel ». Avec Victor Brauner, Claude Tarnaud, Sarane Alexandrian, Alain Jouffroy, Jacques Herold il avait créé la revue NEON ( N’Être Rien, Être tout, Ouvrir l’Être, Néant) devenant ainsi Chevalier du On, Lancelot d’une littérature où les mirages et les reflets valent un Royaume. Guy Darol

    REQUIEM FOR ME, Stanislas Rodanski, Éditions des Cendres, 141 p., 18 €


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    LE SITE DES EDITIONS DES CENDRES



    NOTEZ-BIEN : L'Association Stanislas Rodanski organise de multiples manifestations autour de Stanislas Rodanski à partir du 24 avril prochain. C'est à Lyon, à la Bibliothèque municipale.

    Parallèlement, Fage éditions propose, sous le titre Stanislas Rodanski, éclats d’une vie, une anthologie biographique réalisée par les organisateurs de l’exposition et assortie de documents iconographiques exhumés pour la toute première fois.


  • ARMAND ROBIN ❘ HOMME UNIVERSEL

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    Armand Robin devant son arbre de lecture


    Huitième enfant d’une famille de cultivateurs bas-bretons, Armand Robin se cache dans un trou d’arbre. Quelquefois, au matin naissant, il se coule dans un buisson pour contacter le monde à travers les livres. C’est une ivresse menacée par la crainte du père, par la terreur d’être surpris les doigts dans l’encre et la rosée. Il y a mieux à faire à Rostrenen que de s’égarer dans les mots. La vie rude et la poésie païenne qui résulte de la fréquentation des chevaux devint Le Temps qu’il fait (Éditions Gallimard, collection L’Imaginaire, 1986), une autobiographie pleine de bourrasques et de faits vrais, une prose en langue française et à l’accent breton.

    Il y eut Armand Robin, La quête de l’universel (Skol Vreizh n°12), une célébration collective publiée en 1989 dans laquelle les éléments chronologiques abondants nous renseignaient sur l’auteur de La Fausse parole (Éditions Le Temps qu’il fait, 1985), et si l’on restait suspendu aux découvertes de Françoise Morvan, on apprenait sans cesse ; soit à la lecture des Fragments (Éditions Gallimard, 1992) et des Écrits oubliés (Éditions Ubacs, 1986) que cette passionnée tendait vers nous comme des lanternes nous menant à celui que Maurice Blanchot tenait pour l’égal de Camus et de Sartre. Puis vint Anne-Marie Lilti, agrégée de lettres modernes et maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise. Il fallait oser après le refus d’Armand Robin de se voir retracer. Elle osa. Le résultat n’est pas indigne. Hommage à celui que Georges Brassens (son ami) qualifiait d’ « anarchiste conséquent », ce portrait suit chaque contour d’une vie dédiée à la poésie, celle qui parlait à travers lui en empruntant les voix d’Essénine, de Maïakovski, de Rilke, de Pasternak ou d’Ady. Polyglotte aux vingt-deux langues connues, Robin entendait aussi bien l’anglais que le kalmouk, le tchérémisse comme l’allemand. Il avouait se traduire en des poèmes déjà écrits et se déclarait « homme universel et général du monde entier ». À ce titre, Ma Vie sans moi (Éditions Gallimard, collection Poésie, 2005), est bien l’aveu selon lequel Robin n’a d’existence que dans celle des autres. Il n’est qu’un intermédiaire, un révélateur de souffles auquel il ajoute son timbre, son accent, le parfum d’un être élevé à l’air libre, libertaire résolument. Giuseppe Ungaretti nous dit à peu près tout lorsqu’il écrit : « Mes poèmes traduits par Robin, c’est moi plus Robin. »

    Plusieurs fois recalé à l’agrégation, Robin se fait instituteur puis écouteur des radios internationales sur ondes courtes. « J’ai besoin chaque nuit de devenir tous les hommes et tous les pays ». Anne-Marie Lilti recompose avec empathie le parcours de cet « indésirable » et nous fait croiser les chemins de ceux qui furent ses amis : Jean Guéhenno, Jules Supervielle, Antonin Artaud, Jean Paulhan. Elle nous fait s’attacher à la quête d’un homme souvent en colère et qui sans doute cria trop fort et que l’on asphyxia peut-être. Il meurt à Paris, le 30 mars 1961, à l’âge de 49 ans, à l’infirmerie spéciale du Dépôt, dans des circonstances qui restent à élucider.

    Les éditions Jean-Paul Rocher publient, sous le titre Le Combat Libertaire, la totalité des écrits d’Armand Robin parus dans Le Libertaire entre 1945 et 1959. Guy  Darol

    ARMAND ROBIN, LE POÈTE INDÉSIRABLE, Anne-Marie Lilti, Éditions Aden, 349 p., 28 €


    BIBLIOGRAPHIE D'ARMAND ROBIN 

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    LE SITE DES EDITIONS ADEN


     

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    JEAN-PAUL ROCHER EDITEUR





  • ANDRE LAUDE COULEUR D'HOMME

     

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    André Laude

    Il est d’une autre espèce que les voltigeurs du verbe qui portent l’habit de poésie afin qu’on ne les confonde pas. S’il se distinguait, ce n’était pas dans l’art de parader. André Laude était couleur d’homme. On l’aurait croisé sans se douter qu’il était un poète exceptionnel, doublé d’un journaliste comme on n’en fait plus. Il parlait d’une voix de rogomme, toujours un peu pour rire des gens sérieux qui ne le sont pas tellement. Il haussait le ton contre la platitude des jours, le peu de nerfs dans le paysage à la française, l’absence de plus en plus visible de rébellion nécessaire si l’on veut vivre et point survivre. Lui, André Laude, survivait de piges dans de menus logements où j’étais bien heureux de partager son vin ami. Nous avions des conversations étrangères à la surface des choses, au friselis mondain. On discutait de littérature à pointe de flèche avec Betty Duhamel, Philippe Venault et je ne sais plus qui à cause du pichtogorne ou de la pénombre en sa tanière. Les deux probablement. André Laude, attention, n’était pas l’anarchiste de comptoir débitant des brèves. C’était (1936-1995) un compagnon de Makhno, un urgentiste de la révolution qui compte, parmi d’autres oriflammes, Gérald Neveu, Jean Malrieu et Armand Robin. Il avait en commun avec ce dernier l’engagement libertaire de la pointe des cheveux aux ongles d’orteil. C’était un désespéré danseur jamais désespérant, une rafraîchissante unité de mesure à l’aune de la poésie égale de l’Être, pas trop des Lettres.

     

    Les Lettres étaient son quotidien cependant. Sa ration de pain. Pigiste qualitatif au service du Monde des Livres, du Magazine Littéraire, des Nouvelles Littéraires, André Laude ne chroniqua jamais les têtes de gondole. Son journalisme consistait plutôt à regarder du côté où personne ne regarde. La littérature possédait une lampe frontale, un œil capable de glisser entre les fissures jusque dans ces veines où personne ne risquait l’aventure. Sa culture souterraine étant illimitée, on pouvait le solliciter sans marge d’erreurs. C’est ainsi qu’en 1975 les Nouvelles Littéraires en quête de nouveaux lecteurs pensent à ce photophore pour conter cinquante ans d’art et de littérature dont l’objet serait un numéro spécial, une sorte de Culture pour les nuls ainsi que François Vignes résume l’affaire dans sa préface. Un projet dément composé en trois jours sous perfusion de bière. Trente ans que La Légende du demi-siècle circule dans le bas monde des curieux de prose rare, d’intelligence pointue au temps où Google si l’on y pensait avait la gueule d’HAL dans le film de Stanley Kubrick. Tout dans la tête et sur les rayons de sa bibliothèque, André Laude écrivit un concentré explosif de ce que fut la vie culturelle à partir de Guillaume Apollinaire. Le premier volume vient de paraître qui stoppe la remontée du temps au Coup de grâce de Marguerite Yourcenar, soit 1939.

     

    C’est un réel bonheur de cheminer avec Laude aux côtés d’Arthur Cravan ou de Nadja, surtout de découvrir les préférences de ce formidable conteur qui aime tant insister sur Maurice Henry, Pierre Jean Jouve, Henri Michaux, Maïakovski, Wölfli, Jean Cassou et je cite ces noms au fil de sa plume impérativement chronologique. Car cette Légende est une frise imparable mais aussi un point de vue, l’œil de Laude, ses goûts, ses dégoûts, une position en somme. Celle d’un homme dont on ne saura jamais de source sûre (fors la sienne) s’il fut l’amant de Rosa Luxemburg et l’intime de Che Guevara. Poète à toute heure, conteur narrant sa vie qui semblait suivre le cours des révolutions, André Laude a livré des récits essentiels, tumultuaires, intempestifs (on voudrait d’ailleurs pouvoir retrouver en librairie Joyeuse Apocalypse et Liberté couleur d’homme) qui semblent témoigner d’un temps où la littérature était une raison de vivre. Pour ceux qui ont cette raison au cœur et sans doute aucun autre choix, La Légende du demi-siècle sera plus qu’un geste de bravoure mais le guide que l’on garde dans sa poche pour s’orienter dans le monde où l’art est une mystérieuse barricade. Guy Darol

     

    LA LÉGENDE DU DEMI-SIÈCLE, DES ANNÉES FOLLES AUX ANNÉES NOIRES, Volume 1, André Laude, préface de François Vignes, Éditions Levée d’encre, 110 p., 12 €

    Article paru dans La Presse Littéraire n°1, juin 2011

    Article paru dans la Presse Littéraire n°1 juin 2011A


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