Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dans Le Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.
FANZINE CONTRE PRESSE PEOPLE
« Sur la route de Baden-Baden où il devait aller jouer en compagnie de Carla Bley et Michael Mantler, Hugh Hopper est venu sonner un dimanche soir à la porte, sa basse dans une main et le dernier disque d’Elton Dean dans l’autre ». Voilà, en 1976, ce qu’est le train-train du merveilleux pour Gérard Nguyen, fondateur des Disques du Soleil et de l’Acier, producteur de Kas Product. Hugh Hopper, bassiste de Soft Machine, rayonnant d’une aura pas moins vaste que celle de Richard Sinclair (du groupe rock prog Caravan), rend visite au fanzineux qui a le plus agi en faveur de l’école dite de Canterbury. En 1975, Gérard Nguyen crée Atem, magazine underground tiré entre 2000 et 7000 copies. L’aventure dure quatre ans. Les quinze numéros parus sont désormais aussi recherchés que la tourmaline d’Afghanistan. Faute d’avoir collectionné le fanzine, les curieux de musiques traversières (aucun rapport avec la flûte) peuvent se procurer la sélection d’articles et d’interviews publiée par Camion Blanc avec le concours de Nguyen mais aussi de Xavier Béal et Pascal Bussy. Tout vibre et vit comme au temps des discussions sincères, échanges à la bonne franquette, promenades à travers la ville et de bar en bar.
Les portraits qui résultent de ce bain ne sont jamais tièdes. Nick Drake qui est immense depuis quelque temps avoue à voix petite que Five Leaves Left, son premier disque, ne se vendit qu’à six exemplaires, « parce qu’il y avait seulement six personnes suffisamment malheureuses pour l’acheter ». Tim Buckley peint à fins traits par Xavier Béal « hurle sa plainte jusqu’à la dérision de soi-même – seul ». Atem publia le premier song book de Tim Buckley imprimé à cinq cents exemplaires. Certains d’entre vous ignorent encore ce qu’était l’école de Canterbury. Elle rassemblait de considérables figures parmi lesquelles Daevid Allen (Gong), Steve Hillage, ceux de Camel, Henry Cow, Hatfield and the North, autant d’inventeurs musicaux qui transfigurèrent le rock en une succession de chatoyantes métamorphoses. On les retrouve pour la plupart dans ce volume qui, vous l’avez noté, fait fi des industriels du spectacle auxquels s’intéressent les fabricants de presse people.
Ce n’est certes pas à Point de Vue (Images du Monde) que Clarisse Mérigeot-Magnenat aura eu à rendre célèbres Peter Hammill ou Robert Fripp, cette journaliste auteur d’un puissant Dave Grohl est l’homme de ma vie (Éditions Autour du Livre, 2008) lâche le morceau sur huit ans d’addiction à la presse toxique, celle qui « se laisse aller à la pornographie des sentiments ». En un récit hargneux, salubre, néanmoins pétillant, elle décoche de vraies flèches contre les faiseurs de magazines venant de la poubelle et y retournant. Sans la moindre sainteté, elle déballe toutes les pratiques du magaZine (l’autre nom pas totalement avoué mais si clairement désigné d’Entrevue) dont l’objectif est de racoler sous la ceinture. Déballant, elle expose sa vie de junkie au sexe. Equivoque et frondeur. Talent explosif. Guy Darol
ATEM 1975-1979, Gérard Nguyen, Éditions Camion Blanc, 560 p., 32 €
PRESSE PEOPLE, RÉCIT D’UNE COLLABORATION TOXIQUE, Clarisse Mérigeot-Magnenat, 187 p., 12 €