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marie-dominique lelièvre

  • LIRE LA MUSIQUE 6

    Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dans Le Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.

     

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    GAINSBOURG ÉLEVÉ PAR UNE BIBLIOTHÈQUE

     

    La monumentale et irréfutable biographie de Gilles Verlant (Gainsbourg, Albin Michel, 2000) nous promenait dans la vie de l’aquoiboniste sans nous faire marcher en ligne droite dans une allée de jardin à la française. On découvrait une vie originée par la peinture, Matisse, Cézanne, Vlaminck, Derain, les impressionnistes ; et la musique de Scarlatti, Bach, Vivaldi, Chopin, Cole Porter. Être né sous une bonne étoile… jaune ; fuir le bonheur avant qu’il ne se sauve étaient des hiéroglyphes élucidés. Tout l’œuvre de Gainsbourg ayant trouvé son Champollion, nous étions sûrs de nous aventurer dans les dix-sept albums (de Du chant à la une ! à You’re Under Arrest) en connaissance exacte des effets et des causes. Tout était dit, pointilleusement, sinon que Gilles Verlant nous faisait accélérer le pas à certains endroits du parcours. On aurait volontiers ralenti lorsque Gainsbourg, dans ses chansons, feuillette Gérard de Nerval, Alexis Félix Arvers, Edgar Poe. Il m’a toujours semblé qu’à l’instar de Jules Renard l’auteur d’Evguénie Sokolov (« conte parabolique », Gallimard, 1980) avait été élevé par une bibliothèque. Gilles Verlant en livrait les prémisses en rappelant cette faculté qu’avait Gainsbourg de réciter des pages entières d’À Rebours, le manifeste décadent de Joris-Karl Huysmans. En sa retraite raffinée de Fontenay, Des Esseintes n’était-il pas la préfigure de l’ermite cultivé, composant dans le noir décor de la rue de Verneuil, parmi une collection de poupées et d’ivoires érotiques?

     

    Deux ouvrages, qui sont des rééditions complétées, affermissent l’hypothèse. Marie-Dominique Lelièvre a franchi le seuil qui conduit à « une opacité gothique ». Dans son Gainsbourg sans filtre, elle énumère le paysage, isole chaque objet, éclaire l’homme double (elle n’oublie pas Gainsbarre) dont l’empreinte se lit sur le canapé à têtes d’aigles qu’il affectionnait. Surtout, elle nous fait visiter « la pièce la plus agréable de la maison », celle où s’alignent sur les rayonnages « des strates de livres crayeux ». Nous y voyons l’exemplaire fatigué d’À Rebours, également Là-bas, puis les contes des frères Grimm, ceux d’Andersen, de Collin de Plancy, de Nodier, d’Hoffmann, de Dickens. Nous touchons Mallarmé en Pléiade, Adolphe de Benjamin Constant, lu par Gainsboug dans le film Charlotte for ever. D’autres bréviaires encore, ceux de Barbey d’Aurevilly, de Nabokov.  Les livres sont nombreux. On aurait aimé que la minutieuse biographe en dresse une liste exhaustive.

     

    Yves-Ferdinand Bouvier et Serge Vincendet sont éblouissants. Ils ont recensé la totalité des paroles de Gainsbourg. Soit plus de six cent textes assortis d’un appareil critique incluant les variantes et les sources. Ces exégètes patients et amoureux coordonnent l’ensemble à  l’arrière-plan littéraire. Et ce sont autant de flèches qui nous renvoient au siècle dans lequel l’amateur d’Octave Mirbeau paraissait être né. Le dix-neuvième, celui de Stendhal qui lui suggéra le pseudonyme de Julien Grix détourné de Julien Sorel, est assurément le temps de Gainsbourg, son refuge onirique, le pourvoyeur d’images et d’attitudes.


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    Le volume photographique que consacre Samuel Veis au Mur de Gainsbourg, celui des regrets et des lamentations, nous abandonne, transis, 5 bis rue de Verneuil, à la porte du rêve. Les cinquante-cinq clichés qui illustrent l’hommage ont été capturés, aux aurores, en février 1992, onze mois après le décès de Lucien Ginsburg. Ils forment un gros plan sur ce qu’était, il y a presque vingt ans, l’art du graffiti et de l’épigramme. Les flâneurs d’aujourd’hui mesureront, le livre en main, l’évolution du palimpseste. Et peut-être jugeront-ils d’une décomposition chez les Bossuet urbains. Guy Darol

     

    GAINSBOURG SANS FILTRE, Marie-Dominique Lelièvre, Éditions Flammarion, 282 p., 18 €

    SERGE GAINSBOURG, L’INTÉGRALE ET CÆTERA, LES PAROLES 1950-1991, Yves-Ferdinand Bouvier et Serge Vincendet, Éditions Bartillat-Omnia, 973 p., 19 €

    LE MUR DE GAINSBOURG, Samuel Veis, Éditions EST/Samuel Tastet Éditeur, 80 p., 19 €