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nasal retentive orchestra

  • ZAPPA PLAYS ZAPPA VU ET COMMENTE PAR PHILIPPE NAVARRO

    J'ai connu le zappaphile Philippe Navarro à l'Université Paul Valéry de Montpellier où il me fit l'immense honneur de m'inviter pour évoquer l'oeuvre de Frank Zappa les 10 et 11 février 2003.

    Pour l'occasion, tout à fait mirifique, il avait réuni le Nasal Retentive Orchestra et Pierrejean Gaucher. Ce fut, on le devine, un unisson vibrant et ces deux journées (de même que la savante commensalité de ce grand homme) n'ont jamais quitté les régions de ma dure-mère. En compagnie de Valérie (tout aussi zappaphile et sémillante), il se trouvait au coeur du Zénith, le 5 juin 2005. Philippe Navarro a vu ce rare concert avec des yeux d'expert et son coeur enthousiaste m'autorise la publication d'un pointu commentaire. Et c'est comme si nous y étions.

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    Depuis le report de la tournée et les derniers imbroglios artistiques de la Zappa Family on sentait monter le scepticisme chez les aficionados du moustachu de Baltimore sur ce « Tour de Frank » initié par Dweezil, fils aîné du clan Zappa.
    Rendez-vous était donc pris le 5 juin au Zénith de Paris pour la seule date française parmi les dix-huit que compte la tournée européenne.


    Après une attente au son de polyphonies vocales de l’Est (choix étrange et quelque peu soporifique), les lumières du Zénith s’éteignent pour laisser place à une vidéo projetée en fond de scène présentant deux extraits (Montana et Andy) des fameux show du Roxy que les fans réclament depuis des années en DVD. Il faut dire que les vingt minutes qui nous sont montrées ont de quoi faire saliver tous les inconditionnels (et les autres) de la musique de Zappa. On a déjà tout lu sur ces concerts d’anthologie, la formation qui entoure Frank est probablement une des meilleures qu’il ait jamais eu (George Duke, Ruth Underwood, les frères Fowley …) et on se demande bien ce qui retient encore la Zappa Family Trust pour éditer ces images (et sûrement beaucoup d’autres) à l’instar d’un Jimmy Page exhumant amoureusement les archives audio et vidéo du dirigeable.


    Les dernières images du Roxy s’effacent de l’écran et Dweezil et ses musiciens entrent sur scène dans la pénombre. Le light show placé sur un gril en forme de Z crache ses premiers feux et le groupe démarre sur les premières mesures de Imaginary Disease (titre peu connu sur l’album du même nom récemment mis a disposition sur Zappa.com). Dweezil arbore la même Gibson SG que celle de son père ornant jadis la pochette du cultissime Roxy And Elsewhere ; sur sa gauche Pete Griffin à la basse et Jamie Kime à la guitare rythmique ; Napoléon Murphy Brock, le seul ancien assurant l’intégralité du spectacle, occupe la droite de la scène et assure avec maestria chant, sax ténor et flûte (le temps ne semble pas avoir de prise sur les capacités vocales du bonhomme). En arrière scène, sur une plateforme, se trouvent de cour à jardin les percussions et le vibraphone de Billy Hutting, le drum set de Joe Travers (dont la grosse caisse est floquée au logo des célèbres moustaches), la jeune et talentueuse Sheila Gonzalez (sax, flûte, clavier et voix) et les claviers de Aaron Krantz.


    La mise en place est impeccable et le niveau des musiciens présents sur scène impressionne. On comprend vite que l’on va assister à un show de très haute volée et les quelques appréhensions qui pouvaient encore subsister chez les plus sceptiques des fans sont vite oubliées. Le groupe enchaîne les morceaux de bravoure du répertoire Zappaïen  de la décade Mothers Of Invention 66-76: Hungry Freaks Daddy, Let’s Make The Water Turn Black, Florentine Pogen (sur lequel Dweezil décoche une première salve électrique du manche de sa SG), puis suivent The Idiot Bastard Son, (titre de circonstance !) Cheepnis, King Kong, (où Dweezil s’essaie à la direction d’orchestre façon Zappa usant de signaux divers pour sculpter la matière sonore de l’improvisation collective), Don't Eat The Yellow Snow, St Alphonso's Pancake Breakfast, Inca Road et Eat That Question.
    Le groupe maîtrise parfaitement le répertoire et s’approprie avec brio les différentes pièces, arrivant à rendre toutes les nuances d’une musique pourtant si ardue à restituer live, aussi bien d’un point de vue technique que dans l’esprit et le feeling si particulier qui habitent chacune des compositions.


    Mention spéciale à Napoléon Murphy Brock, impérial musicalement et assurant visuellement le spectacle de bout en bout. Sa présence durant tout le set témoigne de son importance pour la cohésion de l’édifice musical dans lequel il constitue véritablement  la clef de voûte.

    Il partage les solos de sax avec Sheila Gonzalez qui enflammera le Zenith sur Eat That Question où l’ombre du Grand Wazoo plane un instant sur la salle.  Dweezil, tout en sobriété, aborde avec une grande humilité le fabuleux héritage musical dont il se trouve légataire. Au service de la musique, il assure ses parties de guitare qui mêlent à la fois le phrasé caractéristique et inimitable de son père à son propre jeu marqué par les acrobaties Van Halenienne qui ont marqué tout les apprentis guitar hero de sa génération. Son solo sur Inca Road est à ce titre particulièrement troublant, sorte de symbiose entre l’héritage paternel et l’affirmation d’un style personnel. Le public manifeste sa satisfaction et gratifie le groupe de plusieurs standing ovation. Dweezil visiblement touché par l’accueil du public et de la popularité de la musique de son père glisse quelques notes de la marseillaise au milieu d’un de ses solo et lance un « Vive la France ! » sous les ovations de la foule.

    Après une première partie de ce niveau on se demandait bien ce que pouvait nous réserver le même groupe renforcé par les prestigieux invités à l’affiche. De retour sur scène, Dweezil présente Terry Bozzio qui s’installe derrière son imposant set placé à cour et attaque à tombeau ouvert un I’m So Cute enchaîné à Teen-Age Prostitute Chin et City of Tiny Light. Le bougre martèle ses peaux avec une énergie incroyable et assure les parties vocales. Sa grosse caisse ne résistera pas a pareil traitement et Bozzio sera contraint de prendre la place de Joe Travers au centre de la scène  pour un Punky’s Whips comme à la grande époque de Zappa In New York. Certes Bozzio est un batteur à la technique hallucinante mais que le choix du répertoire plutôt tourné vers un rock plus basique ne met pas forcément en valeur et ça plombe un peu le show. Il faudra attendre la Black Page (dont le titre est scandé par la foule dès les premiers mots de présentation du titre) pour que le groupe reprenne ses marques et retrouve un groove quelque peu émoussé. L’entrée de Steve Vai déclenche une onde sismique dans la foule et les deux six-cordistes entament à l’unisson le thème tortueux de la Page Noire. Clin d’œil à l’histoire : c’est en envoyant une transcription parfaite de cette pièce que Steve fut remarqué et embauché par Zappa vingt-cinq ans auparavant !

    Très attendu, Vai sert le répertoire sans céder à son côté parfois trop flashy et démonstratif se fondant dans le son du groupe sur Peaches En Regalia (composé en 1969, l’année de la naissance de Dweezil !), Montana, Village Of The Sun, Edchidna’s Arf (encore un morceau du Roxy). Ses duels avec Dweezil font mouche et Steve déchaîne la foudre électrique sur Zombie Woof torturant la tige de son vibrato tel un sorcier domptant le son sortant des enceintes et le soumettant à sa volonté. Sa technique et son touché proprement hors-norme en font un véritable extra-terrestre dans le monde de la guitare rock.

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    ZAPPA PLAYS ZAPPA  Paris 05/06/06

    Au premier plan : SteveVai  & Dweezil Zappa


    Pour la deuxième fois l’écran se déroule au fond de la scène. Dweezil annonce que le morceau qui va maintenant être interprété est probablement celui qui lui tient le plus à cœur. Frank apparaît sur l’écran en combinaison rouge. Les images datent du début des années 80 et il attaque le thème de Chunga’s Revenge accompagné en live par le groupe. On a beau être un rocker, un « dur à cuire »,  difficile de ne pas ressentir une réelle émotion en voyant Dweezil terminant le thème après le solo de son père dont l’image s’efface lentement de l’écran.


    Après plus de trois heures de show le groupe revient pour le rappel sur Camarillo Brillo, Trouble Every Day et le final sur Strictly Genteel. Le groupe se retire aux environs de minuit après un concert qui restera longtemps dans les mémoires. Dweezil a su intelligemment endosser le rôle de passeur et,  on ne peut que l’espérer, continuer à faire découvrir une œuvre immense et unique a une nouvelle génération. Si un fantôme à moustaches se baladait dans l’armature de ferraille de la toiture du Zénith, il a du apprécier l’hommage filial ici rendu. MUSIC IS THE BEST ! Philippe Navarro

    phil-val@tele.2.fr