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sylvain courtoux

  • LIRE LA MUSIQUE 18

    Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dans Le Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.


    sylvain courtoux,jérôme bertin,al dante



    POUR UNE LITTÉRATURE AUDIBLE

     

    Il existe un lieu de la littérature qui exprime le monde vibratoire. C’est l’espace dans lequel se retrouvent les mélomanes inconditionnels, ceux qui ne conçoivent pas une vie sans musique. L’air serait irrespirable s’il n’était pas une chanson, un air que l’on aime entendre, celui que l’on va découvrir et qui promet un transport immobile. Cette passion est un chemin tracé sur des cartes qui s’apparentent tantôt à une pochette de disque, tantôt à un concert inoubliable et parfois c’est le titre d’une œuvre qui se colore de souvenirs. Un air de musique suffit, on le sait, à conserver dans une singulière permanence des pans entiers de nos existences. Avec la musique, nous faisons corps et c’est ainsi que nous sommes vivants.

     

    Nous aimons écouter Nietzsche lorsqu’il chante dans Crépuscule des idoles : « Sans musique la vie serait une erreur ». Cet air corrobore ce que nous savons par essence. On pourrait établir une chronologie de nos vies qui serait une suite de refrains. Pour aimer la musique comme un organe de déambulation dans le temps et sans pratiquer de préférence (tout est bon du moment que je suis ému et que je me promène), j’avoue pour la littérature une même dilection. Et je suis particulièrement aux aguets de ces textes qui accordent une place prépondérante à ce monde dans le monde, puisqu’il faut bien dire que la musique se mélange  peu (ou trop peu) avec les récits que l’on rencontre sur les étals des librairies. Nous voudrions, par exemple, que la littérature chante à l’unisson de ce qui nous tient à cœur, qu’il s’agisse des musiques savantes, du jazz ou du rock. Cette fusion des genres (les mots et la combinaison des sons) n’a que top peu jailli et je ne suis pas certain que les noms couramment cités (Tom Wolfe, Lester Bangs, Hunter S. Thompson, Bret Easton Ellis, Murakami Ryû) suffisent à établir la naissance d’une littérature vibratoire, littérature qui ne renverrait pas comme un dictionnaire citationnel à des noms, à des œuvres, à des orientations musicales. Cette littérature serait en un sens vécue par des inventeurs de formes parcourus de frissons sonores.

     

    Voici deux livres gémellaires, deux auteurs expérimentaux, deux assimilations du rock dans une pratique d’écriture innovante. Amis dans la vie (excès, dérives, échecs, conduites addictives), Jérôme Bertin et Sylvain Courtoux actualisent la littérature en lui insufflant l’air d’un temps fuligineux, intranquille et qu’ils qualifient de merdique. Pharmacodépendance, hospitalisation, connaissance par les gouffres, tel est le fond qu’il touche et c’est l’épreuve du vide. Leurs livres renvoient l’un à l’autre comme une balle échangée sans filet. Qu’est-ce que Bâtard du vide ?  JB : « Un gigantesque collage football vs. Rock’n roll ». Qu’est ce que Still Nox ?   SC : « Une auto-narration en mode hyperréaliste ». Tous deux affirment écrire un roman et c’est peut-être ça le roman d’aujourd’hui, un fond profond dans une forme secouée. Si loin du train-train poussif, si souvent poussiéreux, qui déborde des librairies. Tant de livres lisses comme passés au tamis de l’Auto-Tune, ce logiciel qui corrige la voix et rhabille un chanteur aphone en baryton d’opéra.


    sylvain courtoux,jérôme bertin,al dante


     

    Jérôme Bertin ne sonne pas rock, à proprement parler. Son écriture est un flot tumultuaire, une coulée de notes souvent grinçantes dans laquelle sa vie pogote et se défend. Car souvent il se défend, bien que désarmé et doté d’une fluette constitution. Il se bat contre toute attente et son phrasé haletant témoigne bien des rounds que sa vie endure. Il y a de la violangue dans son style et ses biographèmes sont bleus d’ecchymoses. Sylvain Courtoux relate son histoire médicamenteuse, celle d’un zolpidem dont il est la proie et qui accroche son quotidien. Dans ce récit éclaté où la narration est comme plaquée au chaos, la plage fait exploser les conventions typographiques. Le schéma narratif sort de ses gonds et soumet le lecteur (sans jamais l’épuiser) à plusieurs rythmes de marche. L’expression change selon les états du corps. Rien n’est pareil du commencement jusqu’à la fin. Sylvain Courtoux est habité de toutes ces tentatives diffractées, littéraires et ontologiques, qui ont produit Antonin Artaud, Henri Michaux, William S. Burroughs. Sa logosphère doit beaucoup au Stanze de Marcelin Pleynet, aux Dire de Danielle Collobert. Il est celui par lequel le mouvement du change des formes naguère initié par Jean-Pierre Faye et Jacques Roubaud revient en force mais augmenté de ces vagues sonores que font déferler les musiques « noxiennes » de Klaus Schulze, Richard Pinhas, Current 93 ou encore Wire. Jérôme Bertin et Sylvain Courtoux incarnent ce qui vient, le roman enfin transfrontalier. Deux paradigmes d’une littérature audible. Guy Darol

     

    BÂTARD DU VIDE, Jérôme Bertin, Éditions Al Dante, 118 p., 13 €

    STILL NOX, Sylvain Courtoux, Éditions Al Dante, 300 p., 17 €