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PARIS VU PAR

 

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Hervé Le Goff

Par un sortilège jeté sur moi au temps que je vécus dans le Ménilmontant (celui de Clément Lépidis, de Jo Privat, de Georges Perec) puis dans le populaire Marais qui n'avait pas effacé ses lézardes, "le grand nom de Paris" (Guy Debord) se rappelle à moi chaque jour, déroulant les images grises de ses façades et un flux de passants qui partagent un même trottoir, celui du "sarcasme de la gaieté" (Chamfort), celui de l'entraide toujours vive. Car alors, la révolte et le rêve composaient ensemble un même chant, celui qui rend possible les jours meilleurs. Le portrait de Ménilmontant-Belleville (Mémoires d'un vieux quartier par Gérard Chouchan et Jacques Krier, 1965) est une clé qui ouvre sur une humanité qui ne dédaignait ni la joie simple du bistrot ni la solidarité avec la révolte, qu'elle soit ravacholesque ou jauréssienne. Car alors on riait de tout, sauf des insurgés, sauf des grévistes qui menaient de justes batailles contre le patronat synonyme de caste vouée à l'oppression des petits et des faibles. Personne ne regimbait à leurs légitimes haros. Nul ne cherchait à briser leurs clameurs. C'était le temps des fêtes et l'on savait alors s'amuser simplement en se moquant d'un chef, d'un quart de chef, d'un tyranneau de chantier ou d'une demi-portion se prenant pour le roi du monde. Le peuple se reconnaissait en tant que peuple sans désirer rejoindre l'autre rang, celui de la domination. On se donnait volontiers la main et on ne la lâchait pas. Le peuple des quartiers vivait alors soudé, humant sans doute le complot qui s'entraînait à éclater la chaîne.

Pour démembrer la fête, pour disloquer la chaîne si bien unie, la solution fut l'arasement. Les nids de "révoltes logiques" (Rimbaud) furent éparpillés au vent. Pioches et boules de fontes se chargèrent de mettre en gravier les bâtiments (jugés infâmes) du petit peuple. On expropria l'entente. On déplaça vers les banlieues le pêle-mêle des fauteurs de désordres. Les fomentateurs excentrés, les quartiers pulvérisés, Paris deviendrait un décor lisse, sans plus de prise pour le foyer d'insurrection. Pour parachever le coup de trait, on lessiva la ville. Elle devint blanche, marmoréenne, tombale comme le long silence.

Je ne pense à Paris que vêtue de noir, écaillée, lépreuse, traversée de rues pavées où pousse la fleur sauvage. Et c'est de mémoire que me vient sa couleur d'endeuillement - elle n'avait jamais digéré le génocide de 1871. Et je la vois distinctement dans un film de François Truffaut (Les 400 coups) ou de Guy Debord. Ce dernier annonce mieux que quiconque la mort des Halles, "ces lieux infréquentables pour les bons bourgeois" (Hubert Juin). L'opération qui consistait à purger le ventre parisien de sa sanie humaine est en effet contenue dans les images de Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, comme elle est résumée dans cet extraordinaire témoignage offert par La Bibliothèque Volante, cette publication Pauvert orchestrée par Hubert Juin avec des photographies accablantes de Claude Caroly et Hervé Le Goff, les derniers témoins du désastre.

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De ce Paris inconfortable pour le bourgeois et si spacieux pour les conciliabules opposés aux "doreurs de proue" (Victor Hugo), il existe des témoignages sur pellicules. Celui de Truffaut déjà nommé. Avec Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, 1956 ; DVD René Chateau Vidéo, 2004), les Halles se souviennent de Nerval. Et c'est encore une archive de l'INA qui dit le mieux l'expression immédiate de cette ville dans la ville. Loin des Halles et au bord du boulevard où s'exerçaient le dessein poétique d'André Breton, de Louis Aragon, Louis Malle interpréta Queneau. Zazie dans le métro, est une haletante promenade dans un Paris que William Klein avait astucieusement repeint, sans qu'on le remarque trop.

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Au début des années 1980, je m'étais rendu dans le quartier Montparnasse (où n'avaient pas encore passé les bulldozers) pour y voir une collection de films courts réalisés par Jean Rouch, Eric Rohmer, Jean-Daniel Pollet, Jean-Luc Godard, Jean Douchet, Claude Chabrol. C'était dans l'un des Entrepôts où l'on ne projetait que le meilleur du cinéma. Cette suite de films était l'occasion de vérifier certains talents. Ils avaient été réalisés en 1965 et complétaient en quelque sorte ma vision de Paris, nourrie par l'enfance, vitaminée par la lectures des oeuvres de Léon-Paul Fargue, Henri Calet, André Hardellet sur lequel je commençais à travailler.

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Ces six réalisateurs exploraient des géographies qui ne m'étaient pas forcément familères. Ainsi de la Place de l'Etoile ou de la Muette. Mais la rue Saint-Denis, la Gare du Nord, Montparnasse et Saint-Germain des Prés que j'avais exploré livraient des secrets qu'il est heureux de pouvoir caresser aujourd'hui. Car j'ai longtemps espéré que ce recueil sorte de nouveau en salle puis qu'il paraisse au format VHS. J'eus même cette idée saugrenue qu'un audacieux parviendrait à le compresser sur DVD. C'est chose faite et le résultat n'est pas décevant. Il convient de se le procurer pour l'étonnante flânerie à rebours et les bonus que l'on a joints. Des interviews de Claude Chabrol, Barbet Schroeder et Jean Rouch. Un portrait de Jean Douchet et la présentation de Noël Simsolo.

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Claude Caroly

Enfin, je compte sur vous pour dresser avec moi la liste des oeuvres de cinéma qui illustrent le grand nom de Paris, celui d'avant le crime.

Commentaires

  • Wikipedia cite une liste pas trop mal mais il faudra faire un tri

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Paris_au_cin%C3%A9ma

    Amities

  • Chaque Rivette explore une face du dé ; et c'est une théorie de collages, de quartiers juxtaposés, de dérives insoupçonnées à force de rapprochements et de géographies impossibles. Mention sépciale au "Pont du Nord", qui fait de Paris un gigantesque terrain vague, et dont l'action s'attarde partiellement aux abords du Mac Mahon, le cinéma proche de l'Etoile.

  • Un message pour Guy darol à propos de la rue du Pressoir. Je suis né en 1952, j'habitais 22 rue Julien Lacroix et ma mère, qui enfilait des perles et fabriquait des colliers, était employée par une minuscule petite dame italienne qui avait une espèce de minuscule échoppe au fond d'une cour de la rue du Pressoir. Je l'y acompagnais parfois. Je ne me souviens pas très bien de cette rue, sauf qu'elle m'apparaissait assez rustique; en revanche, comme tous ceux qui les ont vues, je me souviens des démolitions : toute la fin de mon enfance s'est passée au milieu des bulldozers, des gravats, et des chantiers. Notre "après-guerre" à nous, ambiance de bombardement. D'autre part, est-ce vous qui avez écrit l'article Zappa dans la revue dont je me souviens plus du titre et dont chaque numéro portait sur une lettre de l'alphabet? (numéro "Z")
    PS votre blog est compliqué, j'ai mis un temps fou à trouver l'espace pour vous contacter parmi toutes les icônes.
    Bien à vous,
    vivent les gars de Ménilmuch!

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