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VIEUX PARIS

  • JOSEPH BIALOT

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    Les rues de Paris (je devrais dire, comme Jacques Réda, les ruines de Paris) ont leurs observateurs plus ou moins touchants. Il y en a d’éminents, à commencer par Léon-Paul Fargue qui met de la poésie sur tout ce qu’il touche. D’autres, et en quelque sorte à la suite, ont fait parler le trottoir avec la voix de l’enfance. Ceux-là me sont très chers (Henri Calet, André Hardellet, Yves Martin…) et je cherche dans la littérature d’aujourd’hui, si difficile à débusquer, le murmure obstiné contre l’impérialisme de la maturité.

    On sait qu’il n’y a pas d’âge pour donner la parole au petit primitif. Je constate cependant que c’est bien souvent sur le tard, à la lisière du crépuscule, que l’enfant s’exprime le mieux. Comme s’il fallait passer par le labyrinthe du temps, le déroulement des décennies, pour atteindre le but qui est de retrouver les impressions premières, cette vertigineuse sensation de la vie sans fin.

    La littérature que l’on vend (promotion en batterie fanfare du toujours même chapelet de noms) met l’accent, faussement tonique, sur la jeunesse à belle gueule latex taillée dans la glace des magazines. Il faut être beau et jeune (le mythe du Rimbaud warrior) pour mériter publication. Comme tout le reste, la littérature a vu s’imposer les mains du marketing, la règle du consommé-jetable. Elle est devenue un secteur où la concurrence joue (si l’on peut dire) à plein régime. Je l’ai connue au temps de la zone et de ses malandrins.

    medium_Numeriser0013.3.jpgJoseph Bialot (comme Maurice Fourré, vous connaissez ?) a débuté en littérature après cinquante ans. Dès lors, il avait tout à dire et je crois qu’il a eu raison de se retenir pendant plus d’un demi siècle. Sa bibliographie compte une vingtaine de livres. À vrai dire, je ne l’aurais sans doute jamais lu sans le conseil mirobolifique de Christophe Daniel, mon libraire. Il vit et travaille à Morlaix (Finistère) et nous avons beaucoup à échanger sur Paris, vingtième arrondissement. Comme moi, il y a ses racines.

    Je ne l’aurais jamais lu Joseph Bialot parce qu’il évolue dans une zone où je ne traîne jamais, celle du roman noir, du thriller, de la littérature dite policière. Ces estampilles ne m’ont jamais intéressé et c’est à tort, probablement. Je devine qu’il se trouve dans ces tiroirs étiquetés de très grands écrivains. Et je pense, en particulier, à Marc Villard que je lis avec intensité, surtout depuis qu’il s’est dépris d’un genre, dont il est, paraît-il, le plus beau porte-plume.

    medium_Numeriser0014.3.jpgLe livre s’intitule Belleville Blues et ceux qui suivent ici mes dérives parisiennes ont compris que ce titre va à mes préférences. Joseph Bialot se souvient de son arrivée, presque triomphale, boulevard de Belleville, après un voyage de deux nuits et un jour dans l’express Varsovie-Paris. Voici donc un récit d’immigré. Qui évoque un quartier disparu, des falaises d’immeubles aujourd’hui effondrées. Nous sommes en 1930. Il rappelle, par exemple, qu’au sommet de la rue Oberkampf, là où s’arrête le 96, il attendait le bus au front duquel paradait la lettre Q. Joseph Bialot se remémore la plaisanterie qui courait alors. Le jeu « consistait à demander à un passant choisi au hasard : « Pardon, m’sieur, savez-vous où se trouve l’arrêt du « Q » ? » C’est ainsi que l’on riait au temps que la musique retentissait au Boléro, à la Java, et que sortir au cinéma (le Templia, le Cocorico, le Floréal, le Phénix, l’Impérator) durait toute une après-midi.

    Joseph Bialot ressuscite La Vielleuse, la maison des Saints-Simoniens, la Halle aux Chapeaux, bois et charbons, bistros innombrables (La Chope, La Lumière de Belleville, Le Métro), rues envolées : l’allée des Faucheurs (au nom prédestiné), la rue Vincent, le passage Kuzner. Et c’est une ville qui se réveille, le peuple et le cœur d’une ville. Milliers de visages effacés que la littérature (tel est son art) anime, sans concurrence possible. Seuls les mots, quand ils sont magiquement mariés, peuvent tromper la mort. Qu’il vive longtemps Joseph Bialot !

    >Belleville Blues, Joseph Bialot. Autrement, 2005. 99 pages, 10 €.

    >www.autrement.com

    >BIBLIOGRAPHIE AUX ÉDITIONS GALLIMARD

    BABEL-VILLE [1979] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1745), Gallimard -rom. ISBN 2070487458.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 270) (2002), Gallimard -rom. ISBN 2070425282.

    LES BAGAGES D'ICARE [1991] , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2259), Gallimard -rom. ISBN 2070492591.

    LE MANTEAU DE SAINT MARTIN [1985] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1994), Gallimard -rom. ISBN 2070489949.


    LA NUIT DU SOUVENIR [1990] , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2215), Gallimard -rom. ISBN 207049215X.


    ROUTE STORY [1998] , 256 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 2503), Gallimard -rom. ISBN 2070496996.

    LE ROYAL-BOUGNAT [1990] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2239), Gallimard -rom. ISBN 2070492397.

    RUE DU CHAT CREVÉ [1983] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1903), Gallimard -rom. ISBN 2070489035.


    LE SALON DU PRÊT-À-SAIGNER [1978] , 256 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Super Noire (No 110), Gallimard -rom. ISBN 2070461106.
    Le même ouvrage , 256 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Carré Noir (No 548) (1985), Gallimard -rom. ISBN 2070435482.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio (No 2204) (1990), Gallimard -rom. ISBN 207038294X.
    Le même ouvrage , 224 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 1749) (1996), Gallimard -rom. ISBN 2070496139.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 114) (2000), Gallimard -rom. ISBN 2070410307.

    UN VIOLON POUR MOZART [1989] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2184), Gallimard -rom. ISBN 2070491846.

    VOUS PRENDREZ BIEN UNE BIÈRE ? [1997] , 224 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 2443), Gallimard -rom. ISBN 2070496600.

  • LE SIECLE DE GERARD LAVALETTE

     

     

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    Vient de paraître aux éditions Parimagine

     

     

    Gérard Lavalette a à son actif presque un demi-siècle de métier, plus de quarante ans de photographies à Paris, dont trente-deux, dans le 11earrondissement. En tournant chaque page de son livre, Le Piéton du 11e, je ne suis pas surpris que Gérard Lavalette n’ait pas photographié la VILLE. En tous cas son Paris ne ressemble pas à Paris, la capitale. Son onzième arrondissement d’adoption, est plus une petite ville de province, dans le grand Paris, au mieux, je dirais, de ce qui reste d’un village d’autrefois, avec ses petits bâtiments et ceux qui les occupent, des hommes, des femmes et des enfants et avec ce petit monde, les corporations de petits métiers qui disparaissent ou qui sont en voie d’extinction. Les boutiques et les ateliers à chaque coin de rue et fond de cour ferment au fil des années, au fil du temps. Là est le charme et l’intérêt de ses reportages qui nous font retrouver ce qu’il reste des anciens villages, qui formaient autrefois Paris, et dont ce 11earrondissement qui échappe encore au vertige des lignes modernes des immeubles rêvés par les promoteurs.

    Le photographe, Gérard Lavalette, je dirais plutôt l’homme, le sait. Il va vite, très vite, pour ne pas oublier, pour qu’on n’oublie pas, pour ne pas être dépassé. Chacune de ses photos du 11e arrondissement donne l’alerte, signale un avertissement. On est à la limite d’une explosion d’un monde, le passé et le futur qui arrive à vive allure : ville de béton. Petite révolution crainte pour l’humain, cependant elle est déjà là, cette progression dévastatrice dans de nombreux arrondissements, infligeant aux parisiens quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la nature. Et l’intérêt du photographe Gérard Lavalette, c’est qu’il prend le temps de nous faire découvrir les poches de résistance, là, dans son quartier, où l’oxygène manque moins, là où les silences de la campagne ne sont plus pour longtemps car les hommes qui construisent voient la ville en hauteur, en flèche, se moquant sans scrupules du besoin de repos de nos regards et tuant nos yeux fatigués de voir déjà si haut sans aucun vol d’oiseaux, sinon le ‘rapace’ qui tournoie sur les hauteurs de la ville pour mieux plonger sur sa proie.

    Le photographe ne cherche pas le sensationnel, juste le vrai. Comme beaucoup de gens du métier, il sait qu’une grande réussite photographique n’est pas Edwin Buzz Aldrin saluant le drapeau américain sur la Lune, image prise avec l’un des appareil emportés par les astronautes lors de la conquête, même si c’est un instant inoubliable qui restera gravé pour longtemps dans la mémoire des hommes qui ont vécut l’événement.

    Je me souviens, j’étais en plein cœur de l’Amazonie, lorsque Neil Amstrong, en premier, posa le pied sur la lune le 21 juillet 1969. Il était 21heures, heure locale au Pérou, à l’Orient du pays. Avec mon Pentax Asahi, j’immortalisai cet instant, la Lune, photographiée à des millions de kilomètres. Cependant, après mon déclic, l’ami indien assis à mes cotés, près de la rive du fleuve et contemplant le ciel et la Lune si éloignée me chuchota : « Avec la technologie, les hommes vont tuer la Lune. La Lune est là pour nous éclairer ». Depuis longtemps déjà il avait remarqué que les éclipses étaient de plus en plus nombreuses et le simple observateur qu’il était craignait déjà pour lui et les siens et pour son environnement et celui de la planète.

    Mais qui sait ce qui restera dans les mémoires, de quelle image se souviendront les hommes, probablement pas celle de ce pigeon, seul, égaré, que Gérard a pu photographier à l’intérieur de la station de métro Charonne, près des voies ferrées de la RATP, comme si ce pigeon dans ce lieu rendait hommage aux drames que vécurent ici des hommes et des femmes, lors d’une charge policière ordonnée volontairement le 8 févier1962.

    Ce pigeon était-il en pèlerinage ? Vieux volatile sur les traces de la douleur en repli, comme le furent obligés quelques parisiens luttant pour la liberté et combattus par leurs concitoyens tombés mortellement sans sommations et sans possibilités de se défendre face aux assassins d’Etat qui étaient alors au pouvoir.

    Gérald Bloncourt, ne me démentira pas lui qui en tant que photographe couvrit l’événement pour un grand quotidien parisien.

    Si les techniques photographiques sont importantes, parce qu’elles aident le photographe à produire une grande variété d’images ‘voulues’, la technique seule ne peut rendre l’originalité, ni une valeur esthétique. La photographie, au service de la science et de la technologie est insurpassable par sa valeur documentaire. Mais la plupart des photographes ne sont ni des scientifiques, ni des techniciens désireux de recueillir des documents. Ces photographes, dont fait partie Gérard Lavalette, sont des hommes passionnés qui souhaitent saisir des moments de vie et qui avec émotion ont ressenti à ce moment précis le besoin de mémoriser l’image, afin de mieux la faire connaître au-delà des gens du métier.

    Saisir d’un clic des hommes et des femmes, des familles entières, des lieux humains et ce qu’il reste d’un patrimoine en voie de disparition, voilà le challenge, le dilemme de Gérard.

     

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    Gérard Lavalette - Rue Frot
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    Gérard Lavalette - Rue du Faubourg du Temple
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    Gérard Lavalette - Passage Turquetil

     

     

    Je sais, ayant moi-même pratiqué la photo, que lorsque nous isolons les trois éléments essentiels d’une photographie, nous en comprenons mieux l’origine. Le premier est la forme, suivi de la tonalité et de la couleur. Nous pouvons combiner ces éléments pour donner trois qualités supplémentaires : le rythme, la texture et le volume. J’ajouterais ‘le coup de poing, ça c’est de l’ordre du miracle mais sans doute aussi du métier. Quel que soit le sujet traité, une photographie doit toujours contenir une de ces qualités et, ce que fait Gérard Lavalette, est de mettre l’accent sur l’une d’elles plutôt que sur les autres ? Le résultat de ce choix est une image qui exprime sa personnalité en tant que photographe, sa manière de voir les choses. Voilà le résultat : la ville n’apparaît que très peu - disons, elle apparaît comme il la voit - car le photographe qu’il est n’est pas intéressé par le Grand Paris. Comme s’il voulait rester dans son Paris, le protéger, même s’il sait que son effort sera vain. Mais l’extraordinaire c’est qu’il nous livre une œuvre formidablement humaine, des images sages, j’allais dire, mages. Non ! Restons sur ces mots, images sages.

    Le noir et blanc, en photo est « abstrait » en ce sens qu’un des éléments réels - la couleur - fait défaut.  En photographie, l’emploi du procédé noir et blanc demande une attention soutenue pour la composition et pour la juxtaposition des autres éléments essentiels, afin d’obtenir une bonne image. Gérard préfère le blanc et le noir, considérant sans doute l’obtention d’une épreuve de bonne qualité artistique comme une technique difficile et méritoire, ce que confirme les photographies de son livre, Le piéton du 11e, avec ces petits bâtiments, délaissant les chefs d’œuvres d’architectures, s’intéressant plutôt à une vieille devanture de magasin, à un kiosque à journaux, une usine désaffectée avec son poêle, pièce rare, dont je pourrais parler comme d’une œuvre d’art, chaque édifice ayant un caractère propre, sans oublier les personnages d’une époque, ce boxeur oublié, Pierre Morin, au talent certain avec sa gueule de doublure de cinéma, mon boulanger de la rue de Montreuil, soulevant comme un trophée le meilleur pain de Paris. L’image, c’est juste pour le photographe, ne croyez pas que le boulanger se glorifie comme un sportif, vainqueur après un combat. Dans son fournil il passe sa vie, toute sa vie, tout est là, son métier en famille, son œuvre, ses pains, chefs-d’œuvre fait de ses mains, pétrie aux poings enfarinés et pâles, signes de travail, d’espérance, d’offrandes.

    Dans des photos, tout sujet contient une quantité de détails fascinants. Idéalement tout détail devrait être considéré en lui-même comme une image complète, la partie d’un tout mais une entité séparée. Les photographes apprennent vite à sélectionner et à photographier les détails : l’œil exercé sait reconnaître l’équilibre, l’harmonie, les nuances de tonalités et de couleurs où qu’il se trouve.

    Très souvent des photographes attendent plusieurs jours, des semaines, parfois des mois avant de rencontrer l’événement atmosphérique qui transforme ce qui est banal en spectaculaire. Cette attente est souvent récompensée par la création d’une image hors du commun. Nous avons là, dans le livre de Gérard, la preuve des images prise de nuit dans des conditions sévères de climat. Pour les images de neige en effet, il y a des risques de surexposition ou de sous-exposition. L’une d’entre elles, Cour Faidherbe, page 66, que Gérald Bloncourt a légendé en quelques mots très significatifs, est d’une pure beauté : « … Rien n’est plus fort que le silence de Paris qui sommeille entre les grains d’argent d’une photographie, rien n’est plus sûr que quelques centimètres carrés qui deviennent mémoire… ». Gérald Bloncourt sait de quoi il parle, lui qui connaît si bien la photographie et la profession ne s’y trompe pas qui lui rend actuellement hommage aux quatre coins du monde.

     

    Nous avons également, la photo de couverture du livre : La station de métro Charonne sous la neige, photo prise de nuit, dans le chamboulement hivernal d’une bourrasque de flocons où scintillent péniblement quelques lampes étouffées par la neige, intempérie qui apporte en fait de sérieuses limitations pour obtenir une image de belle qualité, et cette photo n’est pas évidente à réussir, cependant, là aussi, Gérard a su créer l’ambiance en captant l’atmosphère et l’isolement dans le mouvement de la vie.

     

    Je voudrais dire quelques mots sur la dernière photo légère de quatrième de couverture : L’enseigne, passage l’homme. Comme au temps des gibets, voici une pendaison mais bien plus humaine que celle qui s’exerçait autrefois sur les potences, place de Grève. Le photographe en fixant le fauteuil rouge, a-t-il fait le rapprochement avec ce passé peu glorieux de notre France ?

     

    Comme je n’aime pas terminer sur un point d’interrogation, j’ajouterai quelques lignes, une affirmation. Le 11e arrondissement discret et si bien vu par Gérard est peut-être moins touristique que d’autres, mais notre arrondissement a joué un rôle exceptionnel dans l’histoire de notre capitale et de notre pays. Il fut au cœur du Paris révolutionnaire et des grandes révoltes ouvrières du XIXe siècle.

    Avec la place de la République, de la Bastille, Léon Blum (Voltaire) et la place de la Nation qui sont toujours des lieux de rassemblement du militantisme et des libertés, lieux de rencontres d’hommes, de femmes et d’enfants, épris de justice, revendiquant leurs pleins droits, le 11earrondissement n’a rien à envier aux autres arrondissements de Paris.

     

    ;Arrondissement édifié peu à peu autour de l’Abbaye de Saint-Antoine et érigé au tout début du XIIe siècle sur des marais alimentés par les ruisseaux qui descendaient des collines de Belleville et de Ménilmontant. Par différentes faveurs royales, les corps de métiers purent travailler librement sur le vaste domaine de la communauté religieuse en exemptant de la maîtrise les ouvriers qui y travaillaient.

    Aujourd’hui, face aux évolutions du marché du meuble et de la spéculation immobilière, les métiers et les activités du faubourg Saint Antoine subissent une véritable mutation. C’est toute la diversité et la spécificité de multiples traditions artisanales et l’existence même de certains métiers qui sont en jeu. Le livre de photographies de Gérard Lavalette est un témoignage qui arrive à temps, avant que n’arrive l’insupportable que fait subir aux habitants de ces quartiers encore tranquilles, les manigances de la modernité et de la vie à toute vitesse.

    Pour conclusion, je voudrais signaler le texte de présentation de Gérard Lavalette et l’intéressante préface d’Olivier Bailly, ainsi que les textes et légendes d’auteurs d’une haute tenue littéraire et poétique, ceux de Christelle Jugé, Claude Dubois, Cédric Klapisch, Gérald Bloncourt, Dominique Krasnokoutsky, Guy Darol, Isabelle Répiton et votre serviteur : Bienvenu Merino

     

     

    EXPOSITION LE PIETON DU 11e

    DE

    GERARD LAVALETTE


    DU 31 MAI AU 11 JUIN 2010

     

    SALLE DE LA MAIRIE DU 11e

     

    Du lundi au vendredi de 10h à 17h

    (nocturne le jeudi 3 juin jusqu’à 19h30)

     

    Vernissage lundi 31 mai 2010 à 18h

     


     

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    Le livre Le piéton du 11e est disponible en librairie

    Un stand de vente des éditions Parimagine sera présent à l’exposition

     

    Informations : Mairie du 11e

    12, place Léon Blum 75011 Paris

    Métro Voltaire

    Tel : 01 53 27 11 11

     

     

     

    CONSULTER


    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://flickriver.com/photos/gerard_lavalette/popular-interesting/


     


     

  • LE LUX-BASTILLE SE VOIT DANS LES FISSURES DE L'OPERA-BASTILLE

     

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    On lézarde le cœur à coups de pioches dans la ville. Me suis-je vraiment fait au nouveau design de la rue du Pressoir (Paris, vingtième arrondissement) ? Mon regard est à jamais bouché par la façade de l'Opéra Bastille qui dresse un mur sur mes deux lignes de fuite.

    Ainsi qu'on le voit sur cette image, il existait, avant sa destruction, en 1984, une gare et ses locomotives à vapeur, qui desservait mes eldorados du dimanche. Je l'ai souvent pratiquée dans les années 1960, mes parents ne possédant pas de voiture, pour aller respirer le grand air à Verneuil-l'Etang et voir l'herbe plus verte qu'ailleurs. Mais, lorsque le temps ne s'y prêtait pas, nous partions pour un autre voyage. Celui-là s'effectuait dans la salle immense du Lux-Bastille, un cinéma aux allures d'ancienne Egypte, où, muni de bonbons qui fondent dans la bouche mais pas dans la main, j'assistais à des départs organisés par Jean-Pierre Melville ou Robert Enrico. Ce Temple, me semble-t-il, était celui du cinéma français.

    Pour élever cet Opéra qui se fissure et où jamais je n'ai mis les pieds, on caterpillarisa mon enfance, cette seule enfance que l'on possède et qui est notre unique trésor.

    Au passage, je serais plutôt comblé, éternellement reconnaissant, si parmi vous, d'aucuns détenaient dans leurs archives, d'autres images de cette Place de la Bastille, ouvrant des perspectives sur sa gare d'autrefois et son cinéma luxueux. Elles seraient mises en ligne aussitôt et aussitôt chéries. Guy Darol

     

     

  • EUGENE DABIT ❘ LE VIEUX BELLEVILLE

     

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    Citée par le grand historien de Paris qu'était Louis Chevalier (il y vécut), décrite par Jacques Hillairet dans son Évocation de Paris en trois volumes, la rue du Pressoir n'apparaît que rarement dans les pages de la Littérature. Clément Lépidis ne l'oublia pas et nous ne l'avons trouvé (pour le moment) sous aucune autre plume. Comme si on en faisait le tour. Serait-elle un hameau perdu de Belleville ? Un obscur chemin vigneron ? Avec Eugène Dabit, populaire auteur de Petit Louis, d'Hôtel du Nord, nous n'en sommes jamais loin. Mais c'est surtout dans Faubourgs de Paris que son odeur transpire. Là, le romancier fraie des voies, ouvre des portes et nous marchons dans son sillage parmi les souvenirs de ce que fut la rue du Pressoir et ses environs avant démolition. On y retrouve le cinéma Cocorico, les cafés Le Point du Jour, La Vielleuse « où s'alignent dix billards qu'entourent dès six heures les joueurs en bras de chemise. » Voici La Bellevilloise, Les Folies-Belleville, le ciné Floréal. « Fracas des autobus, rumeurs ; enseignes, réclames étincelantes (...) Les trottoirs ne sont pas assez larges, on marche sur la chaussée. » La rue de Belleville et sa ruée nous sont décrites dans un luxe d'images et de sons. On croirait une fenêtre ouverte tant la vie est palpable. « A Belleville, on trouve peu de fonctionnaires, peu d'employés. Dès qu'ils peuvent, singeant leurs chefs, ils vont s'installer à l'ouest de Paris. » Eugène Dabit poursuit de sa lumière ouvriers, apprentis, manœuvres. « C'est ici qu'on naît, vit et meurt ; qu'on travaille et qu'on aime, sur sa terre natale. » Pour Dabit, Belleville n'a de racines que parisiennes. Avec lui, la couleur des rues est celle de la suie mais tous les visages resplendissent. Pour peu, on se croirait ailleurs, dans quelque cambrousse. Du reste l'herbe y pousse. La végétation se rebelle contre le macadam. Guy Darol

     

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    LIRE

    EUGÈNE DABIT

    FAUBOURGS DE PARIS

    GALLIMARD, Collection L'Imaginaire


    CONSULTER

    FAUBOURGS DE PARIS AUX EDITIONS GRANDS CARACTERES

  • GERARD LAVALETTE PHOTOGRAPHE

     

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    Gérard Lavalette suspend le temps. Ses images conjuguent le Paris des années 1960 et la ville d'aujourd'hui. Sans doute sait-il capter l'éternité des visages, l'invariable des émotions, toujours refusant de se plier aux ordres de jamais plus ? Les photographies de Gérard Lavalette sont une affirmation du piéton, le flâneur des rues au parfum d'asphalte.

    Bibliothèque Faidherbe

    18, rue de Faidherbe 75011 Paris

    jusqu'au 30 octobre.

    Quelques liens pour partager le butin de Gérard Lavalette :

    http://www.parisfaubourg.com/galerie/picture.php?cat=1&image_id=407&expand=12,1

    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://www.flickr.com/photos/gerard_lavalette/sets/

  • LE BALLON ROUGE D'ALBERT LAMORISSE

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    Le Ballon Rouge (Palme d'Or à Cannes 1956), le chef d'oeuvre d'Albert Lamorisse vient de sortir en DVD, couplé avec Crin Blanc (autre masterpiece, Prix Jean Vigo 1953). Les deux films ont été restaurés numériquement en haute définition. En bonus, Portrait d'Alain Emery, L'enfant qui ne savait pas sourire (un film d'Arnaud Dommerc - 44 minutes) et Mon père était un ballon rouge (un film de Chloé Scialom - 52 minutes). A l'intérieur de la pochette, on trouve l'affiche des films, des images à colorier et des planches d'autocollants. Une grande, une heureuse surprise !

    Le portrait d'Albert Lamorisse par Chloé Scialom est plus que touchant. Le cinéaste disparu accidentellement en plein tournage est raconté par son fils, Pascal, le petit garçon au ballon rouge. Devenu grandet, Pascal Lamorisse, accompagné de sa fille, retrace le parcours d'un homme qui a dédié sa vie à l'enfance définitive.

    Parfois nous revenons sur les lieux où fut tourné Le Ballon Rouge. Quelques endroits n'ont pas changé mais les environs de la rue Piat coïncident avec le décor moderne.

    En revoyant ce film, je constate l'étendue de mon ignorance. J'avais six ans lorsque j'ai quitté la rue du Pressoir, un âge où il est impossible de mémoriser des noms de rues, de passages. Il manque un superbonus à cette réédition. Une lecture commentée des lieux parcourus par le petit Pascal. Car les perpendiculaires de la rue de Ménilmontant arpentée par le bus 96 sont aujourd'hui méconnaissables. Qui saurait dire le nom de ces passages étroits où courent les mominards du film ? Josette Farigoul saurait ou peut-être vous, visiteur instruit d'une époque engloutie ?

    www.shellac-altern.org

  • CYRILLE FLEISCHMAN

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    Cyrille Fleischman

    C'est une faim insatiable. Dès qu'une image reparaît, celle d'une rue, d'une façade, d'un ancien cinéma, mon coeur s'amollit. Autrefois devient aujourd'hui. Dès qu'un livre annonce la couleur fuligineuse, promet de faire revivre Paris au temps de ses pavés, le passé se nomme présent. Chaque ouvrage de Cyrille Fleischman est une assurance pour la revie, un tour de magie qui rend visible les silhouettes à chapeau, groupées dans le square de la Place des Vosges, assemblées par un jeu de cartes. Quand vient un récit de Henri Raczymow, c'est la rue du Pressoir (vingtième arrondissement) qui ouvre ses fenêtres. D'où sortent des oiseaux ou si vous préférez des notes de musique klezmer. La rue du Pressoir fut la vigne dans laquelle je jouais jusqu'à mes six ans. Quant à la Place des Vosges, ceux qui ont lu mes Héros de Papier se rappellent qu'elle était la cour de récréation pour les écoliers de la rue de Béarn. Prenons Riverains rêveurs du métro Bastille, le onzième ouvrage de Cyrille Fleischman. C'est un recueil de quatorze nouvelles. D'emblée, il est question du cinéma Saint-Paul et quelques pages plus loin du Lux-Bastille, le cinéma Paramount situé au 2 de la Place, là où s'élève désormais l'Opéra qui s'autodétruit. Je n'ai trouvé aucune image de cette salle à façade crème et rouge sang, pas une carte postale, aucun effluve sur Google. Il faut pour aller y faire un tour appuyer sur la touche pause de votre zappeuse lorsque vous regardez Zazie dans le métro de Louis Malle. Quand Zazie tourne autour de la vieille bouche de métro située au-dessus du canal découvert, on aperçoit  distinctement le Lux-Bastille. On en voit l'allure fière, pimpante et il nous revient des souvenirs de films de Jean-Pierre Melville, de Robert Enrico, ceux qu'on allait voir avec papa-maman, le dimanche. Cela durait toute une après-midi. On entrait, le soleil luisait, zénithal. Tu sortais, il faisait nuit comme au fond d'un bois. Cyrille Fleischman fait revivre des souvenirs  d'enfance ashkénaze, il fait tinter des paroles perdues, des formules que l'on croyait ne plus jamais entendre. C'est un prestidigitateur. Je retrouve, grâce à lui, la forme de mes rues, un certain silence agité de frôlements. La rue de Birague est conforme à ma papeterie bleue, écaillée. La papetière y vend des cahiers, des illustrés (Kit Carson, Tartine...) et les derniers modèles Dinky Toys. La papetière porte une blouse bleue et des pantoufles assorties. Elle est douce. Cette douceur justement, Cyrille Fleischman sait en rendre le parfum. Riverains rêveurs du métro Bastille est une réjouissante insurrection contre la submersion d'un temps où un spectateur en colère disait d'une salle où il venait de se faire arnaquer qu'elle "valait zéro question bon cinéma." Guy Darol


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    Riverains rêveurs du métro Bastille

    Cyrille Fleischman

    156 pages, 15 euros

    Le Dilettante éditeur

    Parution le 4 mai 2007

    www.ledilettante.com

     

     

  • PARIS VU PAR

     

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    Hervé Le Goff

    Par un sortilège jeté sur moi au temps que je vécus dans le Ménilmontant (celui de Clément Lépidis, de Jo Privat, de Georges Perec) puis dans le populaire Marais qui n'avait pas effacé ses lézardes, "le grand nom de Paris" (Guy Debord) se rappelle à moi chaque jour, déroulant les images grises de ses façades et un flux de passants qui partagent un même trottoir, celui du "sarcasme de la gaieté" (Chamfort), celui de l'entraide toujours vive. Car alors, la révolte et le rêve composaient ensemble un même chant, celui qui rend possible les jours meilleurs. Le portrait de Ménilmontant-Belleville (Mémoires d'un vieux quartier par Gérard Chouchan et Jacques Krier, 1965) est une clé qui ouvre sur une humanité qui ne dédaignait ni la joie simple du bistrot ni la solidarité avec la révolte, qu'elle soit ravacholesque ou jauréssienne. Car alors on riait de tout, sauf des insurgés, sauf des grévistes qui menaient de justes batailles contre le patronat synonyme de caste vouée à l'oppression des petits et des faibles. Personne ne regimbait à leurs légitimes haros. Nul ne cherchait à briser leurs clameurs. C'était le temps des fêtes et l'on savait alors s'amuser simplement en se moquant d'un chef, d'un quart de chef, d'un tyranneau de chantier ou d'une demi-portion se prenant pour le roi du monde. Le peuple se reconnaissait en tant que peuple sans désirer rejoindre l'autre rang, celui de la domination. On se donnait volontiers la main et on ne la lâchait pas. Le peuple des quartiers vivait alors soudé, humant sans doute le complot qui s'entraînait à éclater la chaîne.

    Pour démembrer la fête, pour disloquer la chaîne si bien unie, la solution fut l'arasement. Les nids de "révoltes logiques" (Rimbaud) furent éparpillés au vent. Pioches et boules de fontes se chargèrent de mettre en gravier les bâtiments (jugés infâmes) du petit peuple. On expropria l'entente. On déplaça vers les banlieues le pêle-mêle des fauteurs de désordres. Les fomentateurs excentrés, les quartiers pulvérisés, Paris deviendrait un décor lisse, sans plus de prise pour le foyer d'insurrection. Pour parachever le coup de trait, on lessiva la ville. Elle devint blanche, marmoréenne, tombale comme le long silence.

    Je ne pense à Paris que vêtue de noir, écaillée, lépreuse, traversée de rues pavées où pousse la fleur sauvage. Et c'est de mémoire que me vient sa couleur d'endeuillement - elle n'avait jamais digéré le génocide de 1871. Et je la vois distinctement dans un film de François Truffaut (Les 400 coups) ou de Guy Debord. Ce dernier annonce mieux que quiconque la mort des Halles, "ces lieux infréquentables pour les bons bourgeois" (Hubert Juin). L'opération qui consistait à purger le ventre parisien de sa sanie humaine est en effet contenue dans les images de Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, comme elle est résumée dans cet extraordinaire témoignage offert par La Bibliothèque Volante, cette publication Pauvert orchestrée par Hubert Juin avec des photographies accablantes de Claude Caroly et Hervé Le Goff, les derniers témoins du désastre.

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    De ce Paris inconfortable pour le bourgeois et si spacieux pour les conciliabules opposés aux "doreurs de proue" (Victor Hugo), il existe des témoignages sur pellicules. Celui de Truffaut déjà nommé. Avec Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, 1956 ; DVD René Chateau Vidéo, 2004), les Halles se souviennent de Nerval. Et c'est encore une archive de l'INA qui dit le mieux l'expression immédiate de cette ville dans la ville. Loin des Halles et au bord du boulevard où s'exerçaient le dessein poétique d'André Breton, de Louis Aragon, Louis Malle interpréta Queneau. Zazie dans le métro, est une haletante promenade dans un Paris que William Klein avait astucieusement repeint, sans qu'on le remarque trop.

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    Au début des années 1980, je m'étais rendu dans le quartier Montparnasse (où n'avaient pas encore passé les bulldozers) pour y voir une collection de films courts réalisés par Jean Rouch, Eric Rohmer, Jean-Daniel Pollet, Jean-Luc Godard, Jean Douchet, Claude Chabrol. C'était dans l'un des Entrepôts où l'on ne projetait que le meilleur du cinéma. Cette suite de films était l'occasion de vérifier certains talents. Ils avaient été réalisés en 1965 et complétaient en quelque sorte ma vision de Paris, nourrie par l'enfance, vitaminée par la lectures des oeuvres de Léon-Paul Fargue, Henri Calet, André Hardellet sur lequel je commençais à travailler.

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    Ces six réalisateurs exploraient des géographies qui ne m'étaient pas forcément familères. Ainsi de la Place de l'Etoile ou de la Muette. Mais la rue Saint-Denis, la Gare du Nord, Montparnasse et Saint-Germain des Prés que j'avais exploré livraient des secrets qu'il est heureux de pouvoir caresser aujourd'hui. Car j'ai longtemps espéré que ce recueil sorte de nouveau en salle puis qu'il paraisse au format VHS. J'eus même cette idée saugrenue qu'un audacieux parviendrait à le compresser sur DVD. C'est chose faite et le résultat n'est pas décevant. Il convient de se le procurer pour l'étonnante flânerie à rebours et les bonus que l'on a joints. Des interviews de Claude Chabrol, Barbet Schroeder et Jean Rouch. Un portrait de Jean Douchet et la présentation de Noël Simsolo.

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    Claude Caroly

    Enfin, je compte sur vous pour dresser avec moi la liste des oeuvres de cinéma qui illustrent le grand nom de Paris, celui d'avant le crime.

  • LE PARIS DE JEAN-PAUL SARTRE ET DE SIMONE DE BEAUVOIR

     

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    Revenant du marché de Plougasnou, Mariane (mon amour) me tend deux livres. Deux surprises. Un ouvrage sur Julien Gracq, un autre concernant le Paris de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Deux livres parus, il y a splendide lurette,  aux Editions du Chêne.


    J’évoque le second, rédigé par Jean-Luc Moreau (avec lequel je partageais autrefois les sommaires de la revue Roman ; aussi les micros de Bibliomanie, son émission sur Radio Libertaire) et illustré de photographies signées Bruno Barbey. Egalement, André Kertész, Henri Cartier-Bresson, Guy Le Querrec, etc. Il s’agit, comme le prévoit son titre, d’un livre sur les trajectoires parisiennes du célèbre duo. Haltes dans les cafés, restaurants, cabarets, parcs et jardins. Lieux d’écriture medium_Numeriser0017.2.jpget cogitatum visé par l’intentionnalité de la conscience. Jean-Luc Moreau a su rendre l’écho des pas et des pensées du couple nécessaire. Cette géobiographie menée par le théoricien de la Nouvelle Fiction est une réussite. Son auteur ne se contente pas de retracer les (fameux) chemins (de la liberté), il compose un récit qui donne toute consistance a la déclaration de Sartre : « Tout est dehors ». Et c’est le charme de cet édifice que l’on relit aussitôt après l’avoir lu. Guy Darol

    Le Paris de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir

    Jean-Luc Moreau

    Éditions du Chêne

    www.editionsduchene.fr

  • PARIS ❘ RUE DES MINIMES/TROISIEME ARRONDISSEMENT

     

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    Cette image de la Place des Vosges, semblable à un décor de Chirico, est un point de fuite où je me perds souvent, assis à mon bureau, embarcadère des songes. Elle coïncide exactement avec le paysage que j’ai connu, au milieu des années 1960, lorsque avec mon ami Romain (le goupil des dérives nocturnes), nous partions en expédition dans les rues de Paris, à la recherche d’ambiances persuasives (parfums et bruissements), comme un voyage au-delà du visible.

    J’habitais rue des Minimes, une voie généralement ombreuse, percée, en 1607, entre les rues de Turenne et des Tournelles. Mes parents occupaient un petit appartement au rez-de-chaussée des Archives Nationales de l’Assistance Publique, ancienne maison du XVIIIème siècle, restaurée (!) en 1952. À l’âge de 14 ans, j’eus une chambre au premier étage qui devint un passage idéal, le corridor des explorations interdites. J’attendais que Joseph et Agnès tombent en léthargie avant de franchir une fenêtre avec des gestes de velours. Vers minuit, je touchais l’asphalte et la rue était l’indicateur aléatoire qui mène à la sensation.

    Romain était autorisé à fuir le domicile, un belvédère pharaonique sous les toits de la rue de Charonne. Autour des trois heures, il allait rejoindre son matelas tandis que je poursuivais en solo sous les arcades désertes.

    J’aimais pousser les portes cochères et que mes pieds tâtent le pavé disjoint. Je choisissais un escalier recouvert de tapis et le plus duveteux si possible. Je m’étendais sur un palier et je guettais, un œil ouvert puisque l’autre sommeillait, les lueurs primitives, le pépiement des oiseaux de l’aube.

    La Place des Vosges commençait à retentir un peu. Semelles ferrées. Talons aiguilles. Camion à benne des éboueurs. Les signaux m’avisaient de retrouver l’air bleu puis le trottoir de la rue de Béarn (son garage vitré où Francis Blanche remisait une Cadillac noire, la marchande de roudoudous et de pistolets à billes rouges, la papeterie Gobert) et je tournais l’angle. Je n’avais plus qu’à écarter les persiennes métalliques restées discrètement entrouvertes.

    À la différence de la rue du Pressoir (Paris, vingtième arrondissement) où j’ai vécu jusqu’à la fin des années 1950, la voie ombreuse que longe une caserne de briques, bâtie sur l’ancien Couvent des Minimes (1611) qui vit s’instruire Descartes, n’a pas bougé d’un moellon. Et l’image que je vous en propose, contemporaine des années 2000, est la copie de mes visions du temps que je passais le corridor. Guy Darol

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    7, rue des Minimes
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    Je relate ces fugues dans deux ouvrages au sucre de Valstar et de fragrances urbaines : Héros de papier et Frank Zappa, La Parade de l’Homme-Wazoo (Le Castor Astral éditeur).
    Selon Éric Hazan (L’Invention de Paris, Il n’y a pas de pas perdus, Seuil, 2002), le Couvent franciscain des Minimes ou des Bons hommes, avec sa bibliothèque de 20 000 volumes, était le rendez-vous de l’intelligence et de la « Confrérie des bouteilles ». Là venaient cueillir (ou se recueillir) Blaise Pascal, le géomètre des escaliers Gérard Desargues, Théophile de Viau, Saint-Amant et Guez de Balzac.