C'est une faim insatiable. Dès qu'une image reparaît, celle d'une rue, d'une façade, d'un ancien cinéma, mon coeur s'amollit. Autrefois devient aujourd'hui. Dès qu'un livre annonce la couleur fuligineuse, promet de faire revivre Paris au temps de ses pavés, le passé se nomme présent. Chaque ouvrage de Cyrille Fleischman est une assurance pour la revie, un tour de magie qui rend visible les silhouettes à chapeau, groupées dans le square de la Place des Vosges, assemblées par un jeu de cartes. Quand vient un récit de Henri Raczymow, c'est la rue du Pressoir (vingtième arrondissement) qui ouvre ses fenêtres. D'où sortent des oiseaux ou si vous préférez des notes de musique klezmer. La rue du Pressoir fut la vigne dans laquelle je jouais jusqu'à mes six ans. Quant à la Place des Vosges, ceux qui ont lu mes Héros de Papier se rappellent qu'elle était la cour de récréation pour les écoliers de la rue de Béarn. Prenons Riverains rêveurs du métro Bastille, le onzième ouvrage de Cyrille Fleischman. C'est un recueil de quatorze nouvelles. D'emblée, il est question du cinéma Saint-Paul et quelques pages plus loin du Lux-Bastille, le cinéma Paramount situé au 2 de la Place, là où s'élève désormais l'Opéra qui s'autodétruit. Je n'ai trouvé aucune image de cette salle à façade crème et rouge sang, pas une carte postale, aucun effluve sur Google. Il faut pour aller y faire un tour appuyer sur la touche pause de votre zappeuse lorsque vous regardez Zazie dans le métro de Louis Malle. Quand Zazie tourne autour de la vieille bouche de métro située au-dessus du canal découvert, on aperçoit distinctement le Lux-Bastille. On en voit l'allure fière, pimpante et il nous revient des souvenirs de films de Jean-Pierre Melville, de Robert Enrico, ceux qu'on allait voir avec papa-maman, le dimanche. Cela durait toute une après-midi. On entrait, le soleil luisait, zénithal. Tu sortais, il faisait nuit comme au fond d'un bois. Cyrille Fleischman fait revivre des souvenirs d'enfance ashkénaze, il fait tinter des paroles perdues, des formules que l'on croyait ne plus jamais entendre. C'est un prestidigitateur. Je retrouve, grâce à lui, la forme de mes rues, un certain silence agité de frôlements. La rue de Birague est conforme à ma papeterie bleue, écaillée. La papetière y vend des cahiers, des illustrés (Kit Carson, Tartine...) et les derniers modèles Dinky Toys. La papetière porte une blouse bleue et des pantoufles assorties. Elle est douce. Cette douceur justement, Cyrille Fleischman sait en rendre le parfum. Riverains rêveurs du métro Bastille est une réjouissante insurrection contre la submersion d'un temps où un spectateur en colère disait d'une salle où il venait de se faire arnaquer qu'elle "valait zéro question bon cinéma." Guy Darol
Riverains rêveurs du métro Bastille
Cyrille Fleischman
156 pages, 15 euros
Le Dilettante éditeur
Parution le 4 mai 2007
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Commentaires
Je suis arrivé en fin 1967 dans le 11eme j'avais 7 ans. Un grand appartement
par rapport au 2 pieces où nous habitions à 4 avant dans le 20eme, rue de la
Reunion. Cuisine, WC interieur, mais pas de douches (on ira aux Bains Douches
de la place Voltaire, et on se lavera tous les dimanches a la Piscine Ledru
Rollin) grand salon divisible en chambres, 2 chambres au fond pour ma soeur et
moi-même... Bref le pied ! pour une somme rondelette a l'epoque : 70 000 francs
que mes parents mettront 20 ans à rembourser à un... notaire qui accordait à cette
époque des prêts personnels à des taux qui feraient se suicider n'importe quel liberal !
Le quartier est propre, populaire, commercant et juif. Une bonne partie de la
rue Sedaine et de la rue Popincourt où j'habite est une annexe du Sentier et des
marchands de fringues en gros s'y sont installés. Des juifs sépharades marocains
ou tunisiens d'origines essentiellemet, quelques askhenazes mais eux ont
d'autres echoppes (pharmacie, réparateur de télé, vendeur de luminaire, le
magasins d'épices de la rue de la Roquette) et un armérnien, le seul de la rue et
le seul à se faire charrier... Le samedi ils vont a la Synagogue de la rue de la
Roquette. Le reste, des provinciaux... le bougnat rue Basfroi avec son bistrot,
hôtel jaune, improbable, où on allait acheter le mazout pour notre poêle, des
nords africains, coiffeur, marchands de 4 saisons... Quelques espagnols gardiens
d'immeuble bien sûr... Un vietnamien et un seul, rue de la Roquette qui a un
restaurant !!! On est en 67
Les distractions sont nombreuses il y les bandes dessinées que me passent mes
cousins (Vaillant et plus tard Charlie, Tintin magazine, Spirou et enfin je
serais abonné par ma tante communiste - Marx la benisse - à Pif Gadget. Ne
rigolez pas j'y ai decouvert Corto Maltese et ne m'en suis toujours pas
remis...). La radio où j'ecoute les pièces de theâtre policières ou
fantastiques sur Radio France, la télé en noir et blanc mais où on diffuse
Thierry la Fronde, le Virginien, Lancelot et plus tard le cinéma de minuit avec
ce présentateur a la voie improbable...
Ce qui nous amène aux cinemas du 11eme... Dans le temps, on pouvait
vivre en autarcie cinématophagique sans problème. On avait Le Lux Bastille
Paramount, grande salle de 800 sièges environ où l'on passait les grands films.
Je me rappele un jour y avoir vu à l'affiche "Les uns et les autres" de Claude
Lelouch pendant que plus bas, au commencement du bd de la Bastille, le cinema à 2
films pour le pris d'1 passait un porno : les uns dans les autres... Bon esprit
d'à propos... Le Lux sera divisé en 3 salles avant de laisser place à l'Opéra de
4 sous... Il y avait en remontant la rue de la Roquette celui qui deviendra plus
tard un Theâtre. Un autre était sur la place Voltaire (j'y vis lors de sa sortie
2001 l'Odyssee de l'espace, ébahi...) Un peu plus loins il y avait celui en
face du Gymnase Japy (L'Artistic) ou je vis "Lawrence d'Arabie" emerveillé avec le
court-métrage Pathé et la pause en milieu de film pour permettre a l'opérateur
de changer de bobine (sur le DVD collector cette coupure et ce reportage y
sont), le St Ambroise hors du métro du même nom qui chaque mercredi faisait ciné-
club pour les gosses et où on pouvait voir "Tintin et les oranges bleues", les
"Fantômas" (avec de Funès)et aussi des documentaires animaliers (alors là, gare à
l'ouvreuse car la salle n'etait qu'un amas de démons dechaînés)... A République,
je vis "Easy Rider" au Dezajet, cinéma art et essai, et à l'angle du Faubourg St
Antoine et de l'avenue Ledru Rollin, une salle improbable passait des Macistes et
des Trinita...
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