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  • ENTRETIEN AVEC JEAN BAUDRILLARD ❘ MAI 1977

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    Auteur feu de salve de La société de consommation (1970) puis de La consommation des signes (1976), Jean Baudrillard fut le créateur de la revue foutripétante Utopie. Satrape du Collège de Pataphysique depuis 2001, Jean Baudrillard continua par ses ouvrages et ses articles à penser boutefeu, par-delà la mêlée.
    Ne dit-on pas que ses théories, à partir de
    Simulacres et simulation (1981) ont influencé les réalisateurs de la trilogie Matrix ?
    Cet entretien, emmené par Lionel Ehrhard, Bernard Neau, François et Thérèse Richard, est paru dans le n°
    5/6 de la revue Dérive portant pour titre La question du pouvoir. Il s’est déroulé en octobre 1976, peu avant la publication de La volonté de savoir de Michel Foucault.

    BN : Une question pour commencer, manière de donner le la.Tu dis quelque part : « Il n’y a plus de pouvoir, lui aussi est déliquescent. » Dans l’idée classique d’une prise de pouvoir, c’est-à-dire de mainmise sur des appareils institutionnels et rouages publics/spectaculaires (parlementarisme, ministères, média…), que penser des diverses « stratégies » de pouvoir des communistes ? Est-ce qu’ils y croient vraiment aux représentations du « pouvoir » ? Ou est-ce que d’après toi, ils ne fonctionnent pas un peu là-dessus ?
    JB : Tu sais, je crois qu’ils n’en veulent pas du pouvoir. Ils en ont la hantise, du moins au niveau des partis qui ont une réelle possibilité de la prendre, comme l’italien ou le français par exemple. Au temps de Staline, ils étaient sûrement avides de pouvoir, en tout cas du bureaucratique, plus que du politique au sens classique du terme. Or, depuis leur déstalinisation spectaculaire et tardive, le ressort politique chez eux s’est brisé en ce que, lorsqu’ils s’essayèrent à devenir autonomes (stratégie d’eurocommunisme, etc…), comme par hasard, ils ont soigneusement éludé la question, et ça ne peut pas être accidentel. Pas accidentel, assurément la position du PCF lors des événements de 68, ou celle plus récente du PCI en Italie. Il faudrait se demander pourquoi ils ont perdu ce ressort politique. En fait, tout le monde l’a un peu perdu. Le pouvoir, après tout, on ne sait plus très bien où il est. En tout cas, c’est une question à creuser, d’une extrême importance. Il faudrait se demander pourquoi communistes et marxistes en général n’en veulent plus du pouvoir,pourquoi ce fameux ressort s’est cassé ; probablement par une espèce de déperdition totale de la volonté de puissance politique. Je crois maintenant qu’ils se disent qu’il doit bien y avoir du politique quelque part, une espèce de pouvoir… à prendre ou à laisser. Mais cette analyse est prise aussitôt à revers par l’idée qu’il n’y en a peut-être plus du pouvoir ! J’ai l’impression que leur réflexion stratégique s’inscrit toute entière dans ce paradoxe qu’ils en aient clairement conscience ou non.  Par exemple, je pense à Berlinguer qui déclarait lors des élections italiennes : « Il ne faut pas avoir peur de voir les communistes prendre le pouvoir. » Phrase étonnante. Ca peut tout vouloir dire ! Il ne faut pas avoir peur parce que si nous prenons le pouvoir cela ne changera rien au régime capitaliste, et de toute façon, nous ne nous risquerons pas à le prendre. Ou, moi Berlinguer je n’ai pas peur de le prendre. Ou bien encore tout à fait le contraire : « J’ai peur de voir les communistes prendre le pouvoir en Italie ! » On le voit, il y a toutes les raisons éventuelles pour un communiste d’avoir peur.
    BN : Est-ce qu’ils ne restent pas aussi prisonniers du mythe d’une rationalité interne au système, à savoir, d’une conception téléologique du pouvoir, du type le capitalisme aujourd’hui par son auto-développement et le jeu de ses contradictions en arrive au stade du fruit mûr à cueillir ?
    JB : Ca aussi, c’est contradictoire ! Tu ne prends pas le pouvoir parce que le Capital est en crise et que tu ne veux pas gêner sa crise. S’il faut attendre que le Capital ne soit plus en crise pour le prendre en héritage, quand prendront-ils alors le pouvoir ? Bon, il est certain qu’ils guettent la passation du pouvoir par le Capital et qu’ils ont enterré l’idée d’une prise de pouvoir par la violence révolutionnaire. En fait, ils n’en finissent pas d’attendre, d’attendre que le pouvoir leur soit conféré par une instance souveraine, en l’occurrence le Capital. Mais si tu attends que le Capital ait terminé sa crise, il n’y aura plus jamais de pouvoir à prendre car dans ce cas le Capital le garde ! D’un côté, le Capital est en crise permanente, de l’autre, qu’attendent les communistes : la fin de la crise ? Et, ils sont les premiers à dire que le développement du Capitalisme ne peut qu’amener crises sur crises. C’est d’une logique délirante !
    Regardez le livre de Gianfranco Sanguinetti (en tout cas de Censor), Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie. La thèse n’est pas fausse, en toute logique, même si finalement elle ne correspond pas à grand-chose. Le Capital refile le pouvoir gestionnaire ou politique au PC quand il sent bien qu’il ne peut plus s’en sortir. Donc, de deux choses l’une. Ou le Capital s’en sort et il ne donne pas le pouvoir aux communistes, ou, s’il ne s’en sort pas, le PC se garde bien de le prendre car il n’a aucune raison de le prendre dans ces conditions. C’est un cercle vicieux incroyable, mais qui constitue pour le PC un système de défense qui lui évite l’épreuve du pouvoir. Alors, y a-t-il vraiment pouvoir à prendre ? La question reste en suspens.
    TR : Est-ce qu’au bout de cette logique viciée il n’y aurait pas l’idée que le gestionnaire n’est pas celui qui a le pouvoir réel. Que, dans un jeu d’alternance du pouvoir, celui qui perd, et reste dans l’opposition, gagne à sa façon ?
    JB : Peut-être mais qu’a-t-il à gagner ? D’ailleurs, si tu vas par là, les communistes gèrent en Italie presque la totalité du pays. A mon avis, la gestion c’est un piège pour les ratés du politique.
    FR : Je voudrais te poser une question sur le rapport entre ce que tu appelles le code qui se placerait au-dessus des appareils de pouvoir existants, et principalement l’appareil d’Etat, et le code du Capital qui engloberait dans son fonctionnement tous les appareils de pouvoir. Comment fais-tu le lien entre la force des appareils de répression, d’exploitation, et ta théorie : le Capital comme code qui toujours dépasse ces appareils ?
    JB : Hum… Je n’ai jamais réussi à envisager ce machin. J’y vois vraiment rien du tout. J’y suis tout à fait allergique.
    BN : Il semble qu’il n’y ait à ce niveau que deux façons d’analyser la ou les questions du pouvoir, qui consistent, l’une, à dégager ce fin réseau capillaire fait de microstratégies subtiles qui travaillent davantage dans les trous et la fragmentation sociale, bref dans l’espace pas clair du « quotidien », que sur la forme concentrée, spectaculaire et phallique de ce machin omnipotent et quand même bel et bien existant : l’Etat dans la société civile. L’autre, et Henri Lefebvre par exemple y demeure encore attaché, c’est, je crois, le défaut marxiste par excellence de ne voir forme suprême de pouvoir politique que l’Etat.  Or il apparaît que Michel Foucault, travaillant dans la première hypothèse, est dix fois plus opérant, en tout cas va beaucoup plus loin, que toutes les tentatives d’analyse marxisantes de l’Etat. Car, chez ces derniers, incontestablement, il y a blocage…
    JB : Oui… Lefebvre s’est ramassé là-dessus de superbe manière. Pardi, il se braque sur une Instance extraordinaire qui aurait une centralité, une possibilité de distribution rationnelle et organisée des pouvoirs…
    FR : … Mais toi, est-ce que tu ne fais pas de la notion de code un objectif central qui serait un peu l’équivalent de l’Etat dans la théorie marxiste ?
    JB : Non. Ce code-là emporte le reste. Il ne permet justement pas de repérer UNE instance et il est, dans son évolution, destructeur de toutes les instances. Le Capital, appelons-le comme ça, n’est pas lié à des instances repérables. Il n’est pas donné de toute éternité, tel qu’en lui-même, n’est-ce pas, il ne pourrait changer. Ila pu avoir sa phase, disons axiomatique, centralisée, concurrentielle…, avec une régulation étatique, mais ça, ce n’est pas sa véritable définition. C’est beaucoup plus une machinerie qui n’a pas de principes, d’axiomes et de finalités, et qui est aujourd’hui en train véritablement de se déployer comme telle. Cette machinerie passe par-dessus toutes les institutions, les prend en écharpe ou les déborde largement, y compris et en particulier celle de l’Etat. Elle peut se permettre de démembrer s’il le faut, de décentraliser s’il le faut, et il y a un bon moment que ça opère comme ça. On est encore en retard d’une révolution là-dessus…
    FR : En fait, ça voudrait dire que cette notion flottante et envahissante de pouvoir est plus pernicieuse en ses effets que celle plus restrictive et repérable d’Etat ?
    JB : Là, on en arrive à Foucault. Chez Foucault, il n’y a plus de pouvoir, dans le sens d’une analyse classique du problème. Il ne cherche plus ni causalité ni finalité. Sur ce point, il a dépassé l’analyse marxiste et toutes celles qui l’ont précédées. Incontestablement, il rompt avec une continuité d’analyse essentiellement liée à un déterminisme historique qui était peut-être vraie avant mais qui n’a plus guère de prise aujourd’hui. Par contre, il trouve le pouvoir interstitiel, moléculaire, diffracté mais il appelle encore ça du pouvoir, et le terme de pouvoir est encore là, toujours central.
    BN : Est-ce que ce n’est pas chez lui un terme trop générique, une entité fourre-tout et pleine, explicative de toutes les formes répressives ? Est-ce que ce n’est pas le « chapeau » ultime qui recouvrirait toutes les logiques de domination,  pas un concept mais une métaphore ouverte, un point de cristallisation tangible de toutes les forces « mauvaises », éclatées et éparpillées dans les diverses institutions ?
    JB : En effet, peut-on encore appeler pouvoir quelque chose qui est diffracté à ce point ? On peut dire que la notion de pouvoir est la dernière fable qui se raconte chez Foucault. C’est un terme qui reste transcendant à son champ d’analyse, il reste malgré tout une structure fondamentale. Et cette structure, elle a beau être micro, ça veut toujours dire qu’il y a des manipulés et des manipulants, des dominés et des dominants, etc. La structure du pouvoir comme définition demeure belle et bien. Simplement elle est passée dans un pointillé extraordinaire au lieu d’être centralisée quelque part. Il y a certainement là un progrès de l’analyse marxiste, mais l’analyse au sens radical du terme, c’est-à-dire analyser, dissoudre le concept de pouvoir, n’est pas faite chez Foucault. Le concept de pouvoir n’est pas soumis à la même généalogie que tout le reste. C’est la dernière parade, mais qui reproduit quand même la structure, ou la mythologie du pouvoir, même sous sa forme subtile, moléculaire. Et ici, on pourrait faire à Deleuze ou Lyotard le même procès sur le plan du Désir. L’idéologie-désir qui prend ses attaches dans la psychanalyse sous une forme cadrée, massive, même si elle en est dérivée, mûrit dans l’antipsychanalyse deleuzienne sous forme de désir diffracté, schizé, nomade, en ballade… Le désir reste toujours une acception pleine. Et le pouvoir, chez Foucault, c’est la même opération. Ce qui était analysé, massif, axial chez les autres, devient complètement disséminé, éclaté,mais reste tout de même cette conception structurelle du pouvoir ! Bon, c’est vrai qu’il est pulvérisé le pouvoir mais, à mon avis, Foucault ne mesure pas ce qu’il peut y avoir, pas seulement de pulvérisé,mais encore de pulvérulent, de foutu. Ou il n’y a plus, ou il se passe quelque chose entre la mort et le pouvoir qu’il ne peut plus alors analyser en ces termes.
    FR : Ce dépassement du pouvoir dans la mort, ne peut-on dire que c’est l’utopie du pouvoir qui se représente son au-delà ? Actuellement, la notion de crise représenterait peut-être l’au-delà du pouvoir, sa dissolution complète, voire la disparition de la notion de pouvoir qui, pourtant, subsisterait réellement dans des appareils concrets ?
    JB : Tu en reviens alors à un complot du pouvoir, une stratégie de pouvoir. Même si c’est une stratégie conscience, c’est encore une tactique généralisée.
    BN : Restons sur Foucault. Je me demande s’il n’y a pas chez lui, à travers son travail généalogique, une sorte de code magique du pouvoir qui serait repérable dans l’inscription des corps. Est-ce que ce pouvoir ne serait pas, en dernier ressort, quelque chose comme une chose-en-soi, un non-catégorisable qui se laisserait repérer dans la trame des discours (travail de l’archiviste) mais qui se situerait en fait tout à fait ailleurs. Peut-être effectivement sur le front des luttes… Ou alors, est-ce que le pouvoir n’aurait pas sa petite herméneutique singulière. Je veux dire qu’il ne se laisserait lire, ne se donnerait à déchiffrer qu’au scrutateur philosophe/professeur, et cela, davantage dans les documents que dans les corps eux-mêmes. Bref, pour décrypter ce qui peut se passer réellement sur ou à travers les corps, il faut aller y voir, dans les couches sédimentaires du discours accumulé par l’Histoire, dans les bibliothèques plus peut-être que dans les prisons ou dans les alcôves. Là, pour moi, il y a quelque chose qui cloche…
    JB : Peut-être… En tout cas, chez Foucault, on n’est jamais très loin d’une instance déterminante, il n’y a pas de pièges puisqu’on vient de voir qu’il ne pose pas la question de l’origine ni de la finalité du pouvoir. Mais le Pouvoir est là, toujours en tant que structure donnée. On se demande : qu’est-ce qu’il fait encore là, ce truc ? Bon, cette structure, on ne peut pas la prendre à revers puisqu’elle a été centralisée, puis diffractée. Et puis, demeure toujours l’idée que ce Pouvoir devrait quand même disparaître. Je dirais que ça fait partie de la connotation même de Pouvoir. Toutefois, il n’y a rien chez Foucault qui te permette de penser à une quelconque réversion du Pouvoir. Cette structure reste et elle ne peut que rester structurelle. De même, si tu veux, chez Deleuze il reste le Désir comme idée-force. Ca se pose en termes d’intensité et d’énergétique. Foucault , lui, fait au moins l’économie du Désir. Il n’en a pas besoin mais, encore une fois, le Pouvoir persiste comme secteur structurel.
    BN : Chez des gens comme Deleuze et Lyotard, dont les stratégies de discours (on n’en sort pas du discours et des stratégies !) me semblent pourtant assez différer, le pouvoir ne serait-il pas le grand fantôme qui leur court après ? Ceci étant repérable, peut-être, au niveau de mythes spectaculaires lancés à grands coups de cymbales sur le marché des idées du genre nomadisme, dérive, schyze généralisée, etc, etc. Pourquoi ces théories points de fuite ? N’auraient-ils pas en commun, finalement, une certaine hantise de la récupération ?
    JB : Oui… Enfin, je ne sais pas. On peut admettre qu’ils sont récupérés à partir du moment où ils font l’hypothèse du Pouvoir ou du Désir. Ce dont je suis sûr, en tout cas, c’est que Foucault échappe à la récupération ; il se taille une tranche là où il n’y a ni en-deça ni au-delà. Il dit simplement : moi, je décris un fonctionnement. Et, en un sens, même si on peut discuter, les exemples qu’il se donne et qui semble assurer la validité de ses analyses, ce qu’il dit est incontestable. Enfin, maintenant, la généalogie, c’est malgré tout une analyse… de plain-pied. Oui, il y a quand même un petit relent de résolution qui traîne, mais enfin, s’il décrit les micro-mécanismes du pouvoir, c’est pour signaler que c’est à ce niveau qu’il faudra intervenir politiquement. Maintenant, savoir s’il y a rapport effectif du travail aux luttes concrètes, ça, je n’en sais rien. Il pense qu’il y a cohérence. Peut-être.
    FR : Quand tu décris certains mouvements, sur les signes, les sujets, le refus du travail qui seraient la réversion du pouvoir dans Le miroir de la production…
    JB : … Je n’y crois plus. pour moi, j’avoue que ça se ballade un peu…
    LE : … Mais est-ce que poser en non-pouvoir, ce n’est pas une attitude de pouvoir ? J’aurais tendance à le croire. Il serait intéressant dans cette optique de diffraction du pouvoir d’analyser tous les impouvoirs ou prétendus tels qui, de fait, pourraient bien être des « accidents » de pouvoir dans tous les sens du terme.
    JB : Si tu fais là encore référence à Foucault, je te dirais qu’il pose la lutte contre le pouvoir au niveau du corps, de la surveillance, de la discipline, etc… Chez lui, on résiste de front à un quadrillage. La question du « non-pouvoir », ça c’est autre chose. Il ne se la pose pas. Dans son projet, il n’y a pas de non-pouvoir, on est dedans, c’est micro, oui, mais il y a une perspective de lutte contre, en termes de rapport de forces. De sorte qu’il n’y a pas de Politique de Foucault ou, en tout cas, elle n’est pas à la mesure de son analyse. Mais qu’est-ce que « l’impouvoir » maintenant. Ce truc-là, on en entend parler, l’impouvoir ?...
    LE : … ( ! )
    FR : Mais quand tu parles de la critique radicale ou de l’échange symbolique, on a l’impression que c’est un lieu en-deça ou au-delà de la problématique du pouvoir ?
    JB : Si j’avais une opinion là-dessus, elle serait en opposition à Foucault – tout en se référant à son gigantesque projet. Selon moi, du pouvoir, il n’y en a pas. Que serait de l’impouvoir qui s’opposerait à du pouvoir ? Là où il y a structure de pouvoir, réversiblement et dans lemême instant, elle se détruit elle-même. Toute accumulation est reprise aussitôt par une désaccumulation, toute structure de pouvoir est minée d’emblée. Au fond, toute structure cherche sa propre mort, y compris celle du pouvoir. Partout, et pas seulement dans des groupes particuliers, des minorités. Autrement dit, le pouvoir n’est jamais une structure unilatérale, comme ce qui peut se dégager encore de chez Foucault. Le pouvoir, ça s’échange. Il parcourt un cycle où il peut se réversibiliser, c’est-à-dire passer par tout un dispositif incroyable et un processus complexe de séduction qui fait qu’il n’y a pas, en fait, de dominés d’un côté, de dominants de l’autre. Un peu comme la victime et son bourreau. Il y a toujours une circularitéde pouvoir qui s’échange. Et ça n’existe que comme ça. Aussi, quand il n’y a plus de circularité minimum, on ne suppose même pas le pouvoir. Et aujourd’hui, dans cette absence de circularité symbolique minimum, le pouvoir disparaît. Y’en a plus ! Le pouvoir, c’est aussi – mais dans une représentation parfaitement rationnelle en tant que structure polaire – quelque chose qui s’échange symboliquement, c’est-à-dire qui parcourt un cycle où tout le monde est pris et où la séduction est beaucoup plus puissante que les rapports de force.
    BN : C’est certainement en cela que tu dis que « le symbolique va toujours au-delà du politique. »
    JB : Au fond, le pouvoir n’est jamais là comme structure, telle qu’on puisse le décrire, il n’est pas repérable dans des personnes ou des groupes ni même dans des institutions.
    BN : D’après toi, la « lutte des classes » ne serait donc pas descriptible ou plus exactement, elle ne serait pas descriptible en termes de rapport de forces ?
    JB : C’est une hypothèse simplifiante qui te permet de choisir un versant du rapport de forces. Ca ne change rien d’être d’un côte ou de l’autre. « Rapport de forces », je veux bien, bon, si tu veux, bien sûr il y en a mais s’il faut se substituer à l’Autre, vouloir l’Autre versant, s’il y a conquête d’un camp par l’autre, non, ça ne fonctionne pas comme ça. C’est oublier qu’il y a toujours réversion quelque part. A partir de là, il ne peut y avoir que des effets de pouvoir.
    FR : n ne peut alors parler de refoulement du symbolique. Les rapports de forces et les appareils d’Etat seraient refoulement de la circulation du pouvoir au niveau symbolique ?
    JB : Il peut y avoir effet de pouvoir à partir du moment où l’on envisage une interruption de cette circularité. Tout ne peut n’être que réversible, recherche du cycle de sa propre mort, abolition de soi dans le cycle. Le symbolique, pour moi, c’est ça en définitive. Si tu choisis une position simplifiante qui te permet de te camper d’une part, en renvoyant tout le reste de l’autre, ça n’exclut en rien le processus de réversibilité. De fait, toute rationalité unilatérale est condamnée d’avance.
    BN : Il y aurait donc, à t’en croire, opacité totale de notre univers symbolique ?
    JB : Oui. Tout concourt à l’occulter.
    FR : Est-ce qu’on ne pourrait pas dire que la production serait une « stase » et que la circulation du pouvoir, se rompant, produirait cette « stase », bien compacte ?
    JB : On fait toujours du pouvoir quelque chose d’irréversible ! En principe, il est immortel (comme la production) ; il est structurel, monolithique, il se reproduit, il s’accumule… On ne manque jamais de relier l’irréversible au pouvoir : la production, la croissance, etc. Mais injecte la moindre dose de réversibilité dans toutes nos institutions et tout devient intenable.
    FR : C’est le travail mort qui s’érige sur le travail vivant. De fait, la critique se situerait du côté du travail vivant qui sans arrêt est dévoré par le travail mort. Chez Marx, il y a une coupure radicale entre les deux.
    JB : Mais n’y a-t-il pas de techniques efficaces de stase, comme tu dis ? L’interruption du truc, est-ce qu’à un moment donné, la production, la valeur, ou le pouvoir, n’arrive pas à bloquer la machine à produire de l’irréversible ? Ils n’y réussissent jamais qu’apparemment. Si tu prends l’accumulation économique, il y a du spectaculaire, du quantifiable, par conséquent, depuis quelques années, c’est indéniable, on assiste à un processus d’accumulation et donc, en apparence, à un processus irréversible. Mais y a-t-il eu vraiment succès d’un processus d’interruption de la réversibilité et un démarrage irréversible dans une direction quelconque ? Auquel cas, nous sommes dans un système délirant. Ou bien peut-on décrire des phénomènes d’accumulation économique, un leurre efficace, certes, et sur lequel ça travaille, ça fonctionne… On peut hésiter entre ces deux hypothèses. En tout cas, je vois ça comme insoluble. Bien sûr, tout dépend du parti pris d’analyse mais si l’on opte pour l’analyse radicale de toute symbolique, il n’y a pas d’accumulation mais bien un simulacre. Aussi, si tu crois à une déperdition irréversible du symbolique, tu admets alors un système qui a réussi à fonder son pouvoir là-dessus et, de toute manière, on constate aujourd’hui qu’ayant cru fonder du pouvoir, en fait, cette accumulation se retourne contre elle-même. Alors on en revient au même point, c’est seulement l’hypothèse qui a changé.
    FR : Est-ce qu’on ne peut pas dire que toute accumulation de valeur et de pouvoir ne se fait finalement que pour l’activité d’inscription, de comptabilité ? Il y aurait un axiome, un code qui appellerait la production, l’accumulation, toute exhibition de pouvoir par rapport à un code déjà déterminé, qui porterait une sorte de regard sur toute l’activité ; ou bien, cette activité comptable, obsessionnelle de la société ne serait-elle pas, en partie, une rationalisation a posteriori d’un mouvement d’accumulation du pouvoir en tant que tel, comme chez Foucault ? De la force qui s’accumule, qui fait pouvoir, se sépare et qui, après coup, tiendrait un discours identifiable à celui de l’activité comptable, de la valeur, de la croissance ?
    JB : Comment te répondre ? Ca reviendrait à chercher une origine du pouvoir, à supposer un moment où il n’y en avait pas, ou moins, ou plus ? Chez Deleuze également on sent bien la recherche d’une origine du pouvoir : l’idée du Désir par une espèce de torsion du pouvoir.
    BN : Surtout quand on soupçonne, chez lui et quelques autres, en gros, qu’il faut éviter tout repérage dans l’ordre des valeurs. D’où, la dérivite, le nomadisme… Puisqu’ils partent tous d’une volonté de non-repérage, c’est qu’ils présupposent d’une façon obligée une origination de ces valeurs, un point d’ancrage au commencement. On peut se demnader s’il n’y aura pas, toujours, repérage fatal des valeurs…
    FR : A la limite, c’est le concept de société qui est en cause, comme si la société avait besoin, pour se représenter, d’un mythe fondateur de la prise du pouvoir (par une ethnie pseudo-originelle ou tout ce qu’on voudra) sans lequel on ne pourrait plus donner légitimité à un type de société, à une culture, à une civilisation…
    JB : Parlons-en de la notion de société ! Le social, c’est du résiduel. Mais tout peut l’être et aboutir à une socialisation totale. En fait, y compris les sociétés dites primitives qui ne sont, à la fois, ni des sociétés ni bien sûr primitives. Le social, c’est vraiment une instance qui se développe comme un chancre mou, ça indique déjà une pétrification. Alors si tu es dans un échangé réversible, continu, il n’y a plus cette « prise » du social.
    FR : Ce résidu fantasme la notion de pouvoir et, à partir de là, essaie de s’instituer comme pouvoir réel…
    JB : C’est là où prend le pouvoir… Dans certaines sociétés, quand un nombre d’individus d’un même groupe échappaient à l’échange symbolique, ils devenaient résiduels et disponibles pour une manipulation du social. Ainsi étaient-ils liquidés par le fait que surgissaient des espèces de prophètes qui les emmenaient se suicider ailleurs. Le résidu est exterminé au fur et à mesure puis à un moment donné, il ne l’est plus. Advient alors une possibilité de cristallisation d’un pouvoir, d’un chef. Aujourd’hui, le social est là, un peu comme le langage chez Lacan : c’est une structure avec laquelle tu as d’avance partie liée, comme s’il n’y avait plus aucune alternative possible.
    BN : Est-ce que le résiduel ne s’expliquerait pas d’abord au plan symbolique et, pour ce qui concerne nos sociétés modernes, par le fait que, comme disait Nietzsche, on est empêtré dans les rêts du langage et des valeurs, et que s’est développé un tel hypercriticisme qu’on est arrivé à une attitude de doute systématique sur chaque notion, sur chaque point de valorisation ? La valorisation n’est plus possible à partir de là. Il arrive donc un moment où tout le champ est complètement ratissé, alors il faut produire un nouveau à tout prix, un impossible nouveau, auquel on ne croit guère et que l’on sait éphémère, dérisoire. On fait comme s’il n’y avait plus de sorties possibles, hors du langage, d’un langage saturé et d’une symbolisation qui semble finalement ne jamais s’arrêter de mourir. De cette entropie vient peut-être la prolifération de ces théories et de ces philosophies « nouvelles » qui sont toutes, qu’elles le veuillent ou non, référentielles à ce fatalisme psycholinguistique qui nous gouverne… qui nous pourrit. Mais de là à dire que les valeurs sont mortes, se sont envolées ! Elles traînent et flottent et puent derrière votre dos – comme le cadavre de Dieu. Bref, on n’en sort pas de la CROYANCE mais, bien sûr, on ne la connaît que trop… Peut-être que c’est justement ICI que vient se briser toute possibilité de discours de/sur le pouvoir…
    JB : Ca, c’est encore plus grave… D’après toi, tout ce qu’on a pu raconter là, est-ce que ça renvoie à autre chose que du langage ? C’est le hic… symbolique, pour moi, une terminologie différente pour quelqu’un d’autre. Est-ce que ça n’est pas aussi un effet de langage ? Franchement, je n’en sais rien. tant mieux si c’est un modèle de simulation et si tu en joues comme tel ! Comment sortir des effets de langue même et surtout par une théorie strictement marquée ? Il ne me semble pas possible de trouver autre chose qu’un modèle de simulation, une substance plus réelle que les autres… D’où ma méfiance à l’égard de la théorie. Je ne dirais pas que je n’y crois plus, du moins je pense qu’elle doit être une hypersimulation, et il s’agit de la rendre encore plus destructive. On ne peut pas sortir de là. La théorie n’est qu’un moyen. on est branché sur quelques termes génériques : symbolique, réversibilité… En définitive, il faut essayer de passer par le moins de modèles terroristes de simulation …
    BN : Si je comprends bien, et afin de prévenir toute illusion scientifique pour ceux qui en aurait encore, l’interprétation déborderait toujours une quelconque possibilité de « vérité » de la critique ; elle serait toujours interprétation d’une simulation et la simulation elle-même, l’interprétation…
    FR : J’ajouterais ceci : est-ce qu’au-delà d’un discours « nihiliste » qui analyserait tout en termes de simulation, on ne rencontrerait pas un projet qui, à travers toute cette déconstruction de type nietzschéen serait le mouvement même du dépassement affirmatif ?
    JB : Oui, je le sens bien. C’est peut-être parce que l’on ne peut pas échapper à une référence minimale. Bien sûr qu’il y a un mouvement de ce type-là mais sans tomber dans l’illusion que le modèle que vous construisez subisse sa propre loi, qu’il soit réversible à la simulation énoncée. Ce qui est certain dans ces théories actuelles auxquelles on faisait allusion et qui sont radicales, qui vont loin, c’est qu’il y a toujours un terme qui reste terme, qui n’est jamais exterminé, qui reste là comme du plein. On l’a vu tout à l’heure à propos de Foucault et Deleuze par exemple…
    FR : Tout de même, dans L’Echange Symbolique et la Mort, quand tu parles au début de la production, tu décris la crise et le refus du travail et tu laisses apercevoir comme possible ce qu’on peut appeler la critique du salariat, voire son dépassement…
    JB : C’est une question d’amplitude aussi bien dans les mouvements dont on parle (femmes, etc…) que dans les concepts que l’on met en place dans un texte théorique. A court ou moyen terme, il y a un effet de réversion possible sur tel ou tel secteur. On le voit dans les mouvements d’anti-pouvoir, mais le système aussi a sa réversion et il t’implique dans son cycle. Ce jeu-là, il faut le reconnaître. C’est un truc tactique. Et à partir de là, on peut faire mouche sur un secteur déterminé…
    LE : Même chose pour ton analyse des rapports de forces : il y a toujours un rapport de forces dans la séduction…
    JB : … Je ne crois pas. Partout, la séduction s’oppose à la production et aux rapports de forces, c’est-à-dire que laséduction est réversible alors que la production, elle, suit une ligne irréversible où apparaissent en des termes clairs la force, les rapports de forces, etc…
    LE : La séduction est une arme comme une autre et même parfois plus efficace qu’une autre, donc doublement caractérisée…
    JB : Il y a tellement de définitions possibles de la séduction ! Disons que, dans le sens commun, la séduction passe dans l’idéologie et qu’elle est envisagée, au fond, comme un principe idéologique de camouflage des rapports de force. C’est-à-dire que le pouvoir se reproduirait à travers de la séduction. On ne peut pas, en tout cas, en donner une explication psychanalytique car elle ne fait rien de la séduction, elle l’explique en termes d’économie, d’investissement, de libido, de rapports énergétiques. A mon sens, elle est ce lieu où il serait impossible de repérer un objet et un sujet, un pôle actif et un pôle passif. C’est donc une force oui, mais qui exclut toute manipulation unilatérale.
    LE : Ton lieu imaginaire alors …
    (rires)
    JB : OK ! Prenons-là au niveau des rapports de pouvoir et ne parlons pas de la séduction de type individuelle, amoureuse (encore qu’elle se joue comme ça aussi). La séduction n’est pas seulement production de plaisir ou de désir. Là où elle passe, il y a abolition d’un pouvoir unilatéral. En ce sens, si tu veux, toute la séduction sexuelle abolit la séduction. Il s’agit alors d’accumulation, de production d’un potentiel de plaisir… ce qui n’est justement plus séduction et il faudrait reprendre les analyses conventionnelles des sociétés de type hiérarchique ou symbolique. Car chez elles, entre ceux qui apparemment tiennent le rôle de dominants ou de dominés je crois que s’inscrivent des rapports de séduction et, dans cette mesure-là, il n’est plus question de dominants et de dominés. Dans notre logique à nous, on y voit du supérieur et de l’inférieur mais en fait, ce qui se passe est différent. Dans le régime féodal, on voit le suzerain qui profiterait de l’Autre sous d’apparents rapports de protection mais je crois que c’est tout autre chose qui se joue.
    FR : Je pense à Salo ou les 120 journées de Sodome. Pasolini attribue le pouvoir à l’Etat comme étant, sous sa forme odieuse, la vérité qu’on ne peut (ou qu’on ne veut ?) pas voir en face, celle du Capital.
    JB : C’est-à-dire que, dans ce film, tu as une contre-épreuve du pouvoir entendu au sens commun. C’est peut-être pour cette raison qu’il est insupportable… Pour ma part, je l’ai vu et mal vécu, sinon comme un mauvais objet. Cela dit, c’est un film fort. Le film a plu à certains parce qu’ils pouvaient y retrouver leurs fantasmes. Dans ce film, et du fait que la situation est tout entière du même côté, il n’y a plus le minimum de réversibilité possible, à savoir que la mort des uns et des autres ne peut plus être mise en jeu puisqu’on dit aux uns vous êtes morts quoi que vous fassiez, quoi que vous disiez, quant aux autres (les quatre mecs), ils sont déjà morts. C’est cette absence totale de réversion qui est intolérable. Pour moi, on ne peut pas fantasmer sur ce film. Dans Salo, séduction et réversion sont exterminées. Et, à propos de ce film, je me suis interrogé sur l’histoire du masculin et du féminin qui est tellement liée aux questions de pouvoir. On dit, le pouvoir est exclusivement masculin et, sans se laisser piéger dans la définition du masculin et du féminin en termes de sexe réel, dans ce film, l’affirmation du pouvoir mâle est relancée. Peut-être parce qu’il est sodomite/sadien, donc non-féminin au sens organique, pourtant il va plus loin car il montre  que dans ce type de pouvoir, le féminin (qui n’a évidemment jamais trait à la femme réelle) est le seul principe de réversion du système.
    BN : Pourtant, dans Salo, l’idée maîtresse est que le plaisir ne peut s’échanger qu’entre hommes. La femme ne tient qu’un rôle annexe dans la circulation du plaisir, qui passe aussi par le logos… Simple objet de plaisir peut-être (et encore, pas dans la parole !), en tout cas, objet de mépris.
    JB : Ceci dit, il se trouve qu’il n’y a pas que les hommes qui puissent prendre du plaisir : il peut y avoir des femmes qui se substituent au masculin.
    BN : Quand même, je crois qu’il est vraiment dificile de sortir de la mâle-langue…
    LE : D’une façon générale, les femmes font l’écarté sitôt qu’on s’explique cartes en main : à la fois dé-dialectisées et « dé-dialectalisées ».
    JB : Je ne sais pas. On connaît pas mal de femmes qui peuvent prendre ce plaisir-là, à condition, tu me diras, de devenir des mecs ! Mais c’est aussi une façon de dire : il y aurait une alternative possible de le faire en restant des femmes – ce qui n’est pas vrai. Si tu prends la définition comme telle, tu ne peux avoir qu’un exercice masculin dominant et, du côté du féminin, tu ne peux avoir que la destruction de cet exercice… Le mélange de ces deux utopies n’est sans doute pas possible. Il ne peut pas y avoir de « libération de la femme » de type rationnel, organisé en clan partant en guerre contre les abus du pouvoir de l’Autre.
    LE : Si on ne voit pas, c’est vrai, les prémices d’un tel « mélange », si on ignore encore comment il se fera, qu’est-ce qui nous autorise à le dire impossible ?
    JB : La preuve, d’une certaine façon, c’est l’intolérable dans Salo pour tout mec qui va voir ce film. Et c’est justement, à mon avis, cette part de féminin que nous avons en nous qui refuse le film. A la vision de ce film, pas de différence femme/homme, dans la mesure où c’est pas quelque chose qui colle au sexe unique, unilatéral de chacun… C’est important car ça déplace les histoires de pouvoir, à savoir ce qui se dit de lui comme construit comme un sexe : phallus, signifiant, etc… Bref, tout ça encore qui se situe du même côté.
    LE : Et il semble bien que la civilisation occidentale crève de ça, en fait : de ce que son discours est étouffé par son phallus !
    JB : Oui, il est possible que ce soit là où ça s’engorge. Rires. Mais il est encore vrai que dans d’autres types de cultures (indienne, par exemple, ou dans les dispositifs japonais de relations entre les sexes durant la période dite féodale), tu n’as pas cette polarisation phallique. Vous avez vu L’Empire des sens ? Il s’oppose totalement à Salo par le fait qu’à un moment donné du film se produit un renversement complet de situation qui nous mène jusqu’à une mort non-déficitaire. Je ne sais pas si on peut en tirer une conclusion mais il se passe quelque chose qu’on ne verra jamais dans Salo et qui se produit par la femme.
    FR : dans ce film, la domination est tellement masculine qu’elle devient domination de l’idée de pouvoir ;le pouvoir devient une « idée de » purement volontariste, le rictus de la domination destructrice à l’égard de toute chose et notamment des deux sexes.
    JB : Ils n’en viendront jamais à bout, on le sait bien, c’est vieux comme Hegel, au moins… Ils ne pourront que les faire crever ces vieux schémas de domination. Mais tu as raison, c’est toujours dans l’idée que le pouvoir peut s’absolutiser. Or il ne le peut pas, c’est simplement un fantasme, cette possibilité que le pouvoir absolu soit d’un seul côté. Mais c’est évidemment une idée qui fait rêver la Raison. C’est un fantasme de la Raison, ce qu’elle nous propose comme idée de Pouvoir, unilatéral, immortel, accumulatif…
    LE : Dans une certaine mesure, nous et le pouvoir absolu, ça fonctionne un peu comme une religion.
    JB : C’est-à-dire Dieu ?
    LE : Je me le demande… Quoi qu’il en soit, c’est la même transcendance condamnée à l’a priorisme. Il y a un mouvement ascensionnel de toute façon, au sommet duquel se trouverait quelque chose de mythique. Pour moi, c’est un processus analogue, même si je force un peu. Ceci dit, qui touche à la Raison de trop près y décèle de la religiosité, je crois.
    JB : Seulement Dieu comme être absolu, c’est finalement assez récent dans nos civilisations.
    LE : Très souvent la Raison s’arrogeant la scientificité devient l’alibi à certaines formes de religiosité. La Raison aussi est un mobile. Il suffit de se retourner pour y trouver de la croyance.
    JB : Est-ce que le pouvoir, c’est vraiment la forme rationalisante, matérialisante, absolutiste de quelque chose ? Je pencherai plutôt à dire qu’un pouvoir politique a circulé avec un minimum d’échange symbolique, mais aujourd’hui ça tendrait à disparaître.
    TR : La notion même de pouvoir ne serait-elle pas intervenue au moment où on a commencé à croire au progrès ?
    JB : On peut dire qu’il y a « progrès » là où il y a en effet possibilité d’une accumulation primitive. Mais où ça commence ? Maintenant rentre en jeu la croyance en un progrès fondamental, la possibilité d’un dépassement au bout d’une chaîne historique. On peut faire l’hypothèse qu’il y a eu du progrès, du pouvoir, mais quelles en seraient les conditions précises d’apparition ? En faisant une « préhistoire » du pouvoir, on voit qu’il n’y en eut pas vraiment, mais bien un système de parenté, des règles d’obligations… Mais il est difficile maintenant de parler de pouvoir politique au sens où nous l’entendons… On peut admettre que la société dite occidentale a mis en place tout un code dont l’acceptation actuelle du terme pouvoir pourrait rendre compte mais cela pour une période qui aura duré relativement peu de temps puisqu’on est déjà dans une phase où cet âge d’or du politique est révolu. Donc on ne peut faire une généalogie progressive du pouvoir et dire que ça a existé mais que ça n’existe plus, et ne pas faire au contraire de ce qu’on tente généralement, à savoir une ontologie du politique.
    BN : On m’y voit revenir. Je ressasserai encore ceci : que les gens sont piégés du fait que la langue crée des invariantes, des valeurs molles. C’est assez marrant de voir cette inflation théorique de l’Occident, cet hyperthéorisme qui fait qu’à partir d’un modèle préétabli ayant force de Loi, on va se déterminer contre ou en dérive, en faisant le commentaire du commentaire du commentaire du commentaire… Il y a une vérité fondamentale du Verbe que l’on affirme ou que l’on déconstruit par une posture critique ou encore à laquelle on se refuse radicalement (nihilisme fonctionnant toujours comme théologie négative)… Et cette civilisation, d’un Logos initial dans lequel viendrait s’inscrire le code de tous les pouvoirs possibles, c’est probablement la seule définition possible de l’Occident. Car elle est bien la seule dont les discours de pouvoir fonctionnent essentiellement sur cette volonté motrice de vérité plus que de savoir à proprement parler. Volonté de vérité du discours du sexe, de ceux de l’économie politique, du droit, de l’art… Et sur ce point, la gnoséologie marxiste qui s’arroge le droit à « l’universalité » est encore étroitement marquée par cette machinerie métaphysique d’un Logos souverainement vrai et absolu. L’attitude superstitieuse de cette civilisation (qui présuppose à la base une ontologie fondamentale du politique) est ce qui fait qu’elle (re)connaît que tout est dans le langage et que le langage est Tout, mais en affirmant toutefois en une ultime redondance que, non décidément, les enjeux sont ailleurs, que toute se joue et se résoud dans du « hors-langue »…
    FR :… Il y a un texte dans Utopie qui dit que si l’on va jusqu’au bout de l’analyse, ce qu’il faut prendre au pied de la lettre, ce sont les miroitements de surface, la totalité du spectacle. Le simulacre est à prendre absolument au sérieux. Je pense aux mises en scènes que nous montent Giscard, Chirac et consorts, et à toutes ces histoires de crises au sein de l’appareil d’Etat. Est-ce que cette mise en scène ne serait pas pour masquer un pouvoir-force ou, au contraire, ne faut-il pas voir qu’il n’y a, en fait, que des mises en scènes ?
    JB : La définition du simulacre, c’est pareil, il ne faut pas l’absolutiser. C’est une notion qui peut prendre un sens à un moment donné. Par exemple, le cinéma est envahi par l’Histoire sous le mode d’une résurrection nostalgique. Même s’il y a une néo-figuration historique, elle demeure encore simulacre dans le sens où l’Histoire est ce qui est perdu en tant que référentiel et il faut combler ce trou par une évocation tous azimuts de tous les référentiels possibles, qu’ils soient fascistes ou révolutionnaires. Tout est bon pour cacher cette fin de l’Histoire. Ce qui existe aujourd’hui dans le Politique est dépassé. Le Politique réel, s’il a eu lieu, serait un jeu contradictoire de la représentation. La tendance va vers une simulation généralisée. Alors, ou on fait une Pataphysique du simulacre, ou bien on suppose que le système va se réversibiliser sous forme de catastrophe. On en arrivera donc à la vision d’un système qui, à force d’avoir voulu accumuler, maximiser le Pouvoir, la valeur, etc… s’écroule sous son poids. Est-ce un fantasme ? Ou serait-ce le dernier fantasme d’une utopie révolutionnaire ?
    FR : Est-ce que ça ne renvoie pas à un pouvoir laïque ? La mort du politique, du symbolique… de l’Histoire, en définitive, nous met face à face avec des appareils de pouvoir tout à fait banals. Et les gens savent pertinemment qu’il n’y a que ça.
    JB : A ce propos, avez-vous Les Hommes du Président ? C’est un exemple extraordinaire de la pensée de gauche qui aboutit à la dénonciation du scandale… Non, Watergate ce n’est pas un scandale ! Jamais n’apparaît dans l’affaire que la vérité du Capital c’est Watergate et que ce sont les autres,les opposants, la Gauche, qui sont en train de régénérer moralement tout le truc en criant au scandale. Le capitalisme a toujours été ça. Il est bien plus intelligent que ses dénonciateurs. Les statistiques disent qu’au fond, les 2/3 des Américains ne savent pas ce qu’était le Watergate.Et pour ceux qui sont les moins politisés, ça veut dire que eux savent bien ce qu’est le régime dominant. Il ne s’agit pas de mettre Ford à la place de Nixon ou Carter à la place de Ford : la grosse masse des Américains sait bien, en réalité, qu’il n’y a pas d’alternative, du moins sur ce plan-là, et surtout pas en moralisant le Capital…
    BN : On a l’impression que la bourgeoisie, le Capital n’ont plus de conscience morale, mais que la Gauche, elle, se charge d’en avoir pour eux.
    JB : C’est clair que depuis toujours le Capital est immoral. Et, pour l’attaquer ou le comprendre, il faut être au moins aussi immoral que lui !
    TR : Ce qui a frappé les gens, ce n’est pas le scandale du Watergate, mais la puissance avec laquelle il a été dénoncé.
    JB : Oui, dans la mesure où ça faisait partie du même mythe.
    BN : Ca s’explique aussi, peut-être, par un dernier chatouillement de la conscience puritaine. Pardi, un homme qui a juré sur la Bible, qui va à l’Eglise chaque dimanche, et qui trahit en plus le fidéïsme en la loi US !
    TR : C’est peut-être là lemodèle d’une « révolution culturelle » aplliquée aux pays occidentaux par et pour une espèce de régénérescence du pouvoir…
    JB : Ou alors l’idée qu’il serait toujours possible, dans un sytème de pouvoir, de mettre à mort le pouvoir, ce qui revient à la réversibilité, même si ça passe à travers le mythe américain de l’individu. Dans ce cas, on revient dans le système où lepouvoir est ce qui doit, un jour ou l’autre, être mis à mort. Ici, nous sommes dans un système où le pouvoir ne peut plus être mis à mort.
    FR : On peut dire que c’est l’Etat qui met en scène ces mythes.
    JB : Je pense au personnage de Deep Throat. On ne sait pas qui il est… On dit qu’il s’agissait d’un personnage du Parti Républicain… Le Parti Républicain aurait décidé de se débarrasser de Nixon devenu trop encombrant et ce serait eux qui auraient manipulé les journalistes du Washington Post. Les Présidents américains sont pratiquement obligés d’avoir été victimes de deux ou trois attentats, sinon d’en mettre en scène. Ford, deux fois. Nixon aussi. De faux attentats, manifestement, pour conserver cette légitimité profonde du pouvoir.
    LE : On réclame l’être-dupe de leur spectaculaire virginité, en vue, contradictoirement et comme par magie, de restaurer ladite virginité ! Toute mise à mort, dès lors, ne sera que parodique, quasiment rituelle ou accidentelle, et ne libérera que ce qui excède, c’est-à-dire le minimum de perte nécessaire à la reproduction, quelque part où il y a faille, entre l’apaisement du besoin et l’accomplissement du désir.
    JB : L’exigence est là, satisfaite et court-circuitée par des simulations. Watergate ne représente, en dernier lieu, qu’une simulation fascinante venue détourner un espoir fou de réversibilité. Mais il existe différentes sortes de simulacres ! 1968 est une simulation qui parvient tout de même à mettre en place un processus de désintégration réel du pouvoir… C’est vrai que le pouvoir est défié à un niveau plus profond que dans Watergate où il met en scène sa propre mort pour ensuite se reproduire, mais on ne sait ce qui a pu se reproduire après Mai 68.
    LE : Peut-être ne reste-t-il que l’Effet face à une illusion de pouvoir que n’ont jamais paru contrôler que des guides conscients de n’être que les accompagnateurs ou, à la rigueur, les anticipateurs d’un mouvement.
    JB : Voilà peut-être, en effet, le secret : savoir que le pouvoir n’existe pas ! Ca confère une immoralité et une efficacité extraordinaires. On l’avait dit pour les Papes qui savaient que Dieu n’existe pas au contraire de toute la poulaille chrétienne. On l’a dit aussi pour les banquiers qui savent eux que l’argent n’existe pas, que l’argent ça ne se possède pas. Le piège serait de s’identifier à un élément, d’en avoir le monopole et de croire que le pouvoir est fondé là-dessus. Pas du tout ! Les vrais politiques doivent savoir que c’est l’inverse. C’est sur le vide, le creux central, que s’organise le pouvoir ! Le Politique, quand il a une vraie valeur, c’est sur le mode symbolique : l’existence du vide. Alors que tous les autres naviguent sur du plein, du rapport de forces… Ca, c’est naïf ! Je me demande aujourd’hui s’il y a encore une possibilité de concept stratégique du vide et si les Nixon, Carter, Giscard sont capables d’une stratégie de foyer d’absence autour de quoi tout le reste gravite…
    LE : Il n’y aura plus de personnages historiques ?
    JB : Il ne peut plus y en avoir et ça veut dire que cette définition-limite, radicale du pouvoir, est de moins en moins possible dans notre système. C’est donc la fin du politique dans le bon sens du terme.
    © Dérive n°5/6, mai 1977

  • YVES MARTIN

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    Photographie Eric Dussert

    Lorsque je rencontrais Yves Martin, c’était souvent par hasard. La coïncidence opérait  généralement au sortir d’une salle de cinéma. Je me souviens d’une rencontre à la croisée d’un film que nous venions de voir, nos yeux en étaient tout encore injectés, et d’une manifestation estudiantine avec ses concetti et ses haros. Nous étions plongés dans l’hiver mais des fumées, des lueurs nous parlaient d’un 14 juillet. Une autre fois, ce fut rue Caulaincourt et nous prolongeâmes le hasard dans un estanco bien tranquille. Il était imposant Yves Martin dans sa gabardine cirrus. Ses rouflaquettes du siècle balzacien, sa voix pailletée d’ironie, sa retenue, même sous un flot de bière, me plaisaient comme un séjour en littérature. La Leffe m’aidait (elle m’aide toujours) à débloquer les empilements, à déverrouiller mes serrures. Je fis ce jour-là d’une bière deux coups. D’abord, je lui proposai de rejoindre la revue Roman – qui se souvient de la revue Roman à part peut-être François Coupry, Jean-Luc Moreau, Georges-Olivier Châteaureynaud, Chantal Chawaf ? Erik Orsenna, pas sûr, pas sûr du tout. Quant à Jean-Pierre Enard, Rafael Pividal, ils sont calenches et ma peine n’a toujours pas trouvé de remède. Oui, je proposai à Yves Martin de glisser dans le comité de rédaction comme une petite souris. Comme une petite souris, il s’insinua dans les bureaux des Presses de la Renaissance, rue du Four, Paris sixième arrondissement. Je me souviens de la table, plus ou moins ovale, garnie de cendriers. Et de la brume. Et du soleil. Une grande clarté saupoudrée envahissait la salle de nos réunions fréquentes. Yves Martin n’avait pas quitté sa gabardine cirrus. Il n’avait pas quitté son détachement d’enfant, ses habitudes de solitaire qui parle aux chats plutôt qu’aux chiens et probablement plus aux chiens qu’aux bipèdes. Il s’était tu. Il n’avait rien émis qu’une suite de sourires brefs, aimables, oniromanciens. Je dis oniromancien car on pouvait lire au-dessus de sa bonne humeur qu’il n’était pas fait pour les comités. Ou les raouts à plus de deux. Une dernière Leffe m’avait jeté dans un autre délire. Pas si délire que ça. Avec Bernard Loyal, nous préparions une série de films brefs. Portraits de poètes disant eux-mêmes leurs œuvres. Je désignais les victimes, esquissais le topo, la topographie, choisissais les pages idéales et l’affaire était mise en boîte. Il y eut Dominique Fourcade, Jean-Michel Maulpoix, Jean L’Anselme, Lorand Gaspar, Franck Venaille, Pierre Dhainaut. Tous furent filmés et Yves Martin se prêta au jeu, métro Saint-Paul. Cette série datant de 1987 et intitulée L’œil du poème est disponible à la Maison de la poésie et à Beaubourg. Il y a quand même une Leffe que je regrette de ne pas avoir bue, celle qui m’aurait permis d’interroger Yves Martin au sujet de Jean-Pierre Martinet. Vous connaissez Jean-Pierre Martinet ? Il en sera question ici, un de ces quatre prochains. Et je vous parlerai de nouveau d’Yves Martin. Mais d’ici là, s’il vous plaît, lisez ou relisez ceci :

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  • AVEC JEAN-MARIE FRIN ❘ DES HOMMES ET DES DIEUX ❘ EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE 2010

     

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    DES HOMMES ET DES DIEUX

     

    GRAND PRIX DU JURY

    DU

    FESTIVAL DE CANNES  2010

     

    EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE

     

     

    ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE FRIN, ACTEUR DU FILM

     

     

    « Les moines appelaient l’armée les frères de la plaine et les terroristes les frères de la montagne, sans naïveté, conscients d’avancer sur un étroit chemin de crête entre ces deux camps aux positions ambiguës ».

     

     

    Bienvenu Merino : Jean-Marie, fin 1996, dans l’Atlas Algérien, une prise d’otage de sept moines français du monastère de Tibhirine puis leur exécution  choque les consciences des français ainsi qu’ailleurs dans le monde. L’événement survient alors que le pays s’enfonce dans le chaos. D’un côté, les groupes terroristes islamiques. De l’autre, les militaires, bras armés d’un régime corrompu, au milieu la population qui compte les morts. Ces moines jusqu’alors vivaient en harmonie avec leurs voisins musulmans et vont voir leur vocation bouleversée par le terrorisme. Jean-Marie, est-ce que la présence des moines dans le pays était-il remis  en cause après les multiples exactions commises par les intégristes musulmans ? Et comment toi, en tant qu’homme, as-tu ressenti cette tragédie, et comment l’as-tu vécu, en tant qu’acteur du film ?

    Jean-Marie Frin : Il faut tout d’abord préciser que le film ne cherche à développer aucune thèse ni à mener aucune investigation d’ordre politique concernant le drame qu’ont vécu  ces moines. Ce qui a surtout intéressé Xavier Beauvois et son scénariste Etienne Comar, c’est de savoir qui étaient ces hommes, leurs questionnements intimes, quelle était leur vie au quotidien dans cet endroit perdu de l’Atlas algérien, la nature des liens qu’ils entretenaient avec la population environnante, les causes de leur engagement. Il est vrai que leur présence était remise en question. Face au chaos régnant dans le pays ils essayaient de garder un équilibre précaire, une neutralité difficile entre les deux forces en présence, le GIA (groupe islamiste armé) d’un côté, l’armée de l’autre. Certains extrémistes islamistes cherchaient, en effet, l’élimination physique des religieux chrétiens implantés en Algérie, pour des raisons de l’ordre du fanatisme, bien sûr, (ils avaient déjà assassinés des prêtres et des religieuses à plusieurs reprises). Mais d’un autre côté le pouvoir algérien ne voyait non plus d’un bon œil la présence de ces moines en Algérie. Ces derniers entretenaient en effet des relations (trop ?) harmonieuses avec les musulmans(qu’ils ne cherchaient pas à convertir)et, entre autres, n’hésitaient pas non plus à soigner les blessés du GIA qui se présentaient, surtout la nuit, au monastère, tout en se gardant bien d’une quelconque collaboration avec eux. Ils étaient d’autre part, a-t-on dit, en relation avec des groupes de réflexion comprenant des gens venus de tous horizons (musulmans, chrétiens, laïques, etc.) qui cherchaient à trouver une alternative démocratique pour ce pays abîmé et malmené. Tout cela n’était pas du goût des autorités algériennes qui cherchaient donc par tous les moyens à les faire partir. Ils subirent de la part de ces autorités de multiples pressions et ce n’est qu’au terme de longues discussions entre eux et avec leurs amis musulmans du village voisin qu’ils n’envisagèrent d’autre solution que de rester. Ce ne fut pas un choix de résistance, mais plutôt un abandon, je crois, comme l’a dit un jour très justement Michael Lonsdale.

     A titre personnel, j’ai ressenti cette tragédie comme un écho amplifié à la question qui se pose toujours à tout homme à un moment de sa vie par rapport à des choix personnels : rester ? partir ? Tout homme a vécu ces questionnements à des degrés plus ou moins forts. C’est toujours très douloureux. La grande différence est que pour ces Frères, la mort était au bout sans qu’ils aient jamais cherché le martyr pour autant (ils le disaient eux-mêmes). C’est en cela que cette aventure m’a profondément ému. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour envisager ce à quoi peut mener un engagement définitif et en évaluer les conséquences. La force qui se dégage ce cette attitude d’abandon est pour moi exemplaire, même si certains pourraient trouver cela inutile ou même ridicule.

    B.M. : Dans Des hommes et des Dieux, tu tiens le rôle de l’un des sept moines, Frère Paul. Ces moines sont des personnalités fortes. Lambert Wilson, qui a un rôle de moine également dans le film, les comparaît à des fleurs de champs, banales en soi, mais formant un beau bouquet. Cependant, je crois, certains de ces moines ont un problème à régler avec l’Algérie? Est-ce là une  des origines de la tragédie qui va s’en suivre, à savoir la décapitation  des moines ? 

     J.-M. F. : Il est vrai que tous ces hommes avaient une histoire et un rapport personnel très fort avec l’Algérie. Certains y étaient nés, comme Frère Amédée et Frère Jean-Pierre, et avaient choisi la nationalité algérienne au moment de l’indépendance. Frère Luc, le médecin interprété par Michael Lonsdale, avait ouvert le dispensaire au monastère et  avait été enlevé durant la guerre par le F.L.N. et failli être zigouillé, d’autres très âgés n’avaient plus que de maigres contacts avec la France, l’Algérie était devenu leur pays, d’autres enfin avaient fait en tant qu’appelés leur service militaire pendant la guerre d’indépendance. Ils y avaient vécu des événements très forts et très douloureux qu’ils ne pouvaient oublier. Avaient-ils une dette envers ce pays et ces habitants ? Je ne sais si l’ont peut formuler la chose de cette manière, mais ce qu’ils avaient vécu là les avait emmenés vers un attachement extrêmement profond à ce pays. Ils aimaient vraiment l’Algérie et les Algériens. C’est tout. Cet attachement n’est pas la cause de leur assassinat car les choses sont beaucoup plus compliquées d’un point de vue politique (il faudrait prendre connaissance des documents classés secrets défense qui ont été récemment mis à jour) mais il en est la conséquence. Pour être clair, les Frères n’ont pas été assassinés par des islamistes pour je ne sais quelles exactions qu’ils auraient commises durant la guerre d’Algérie. Si d’aucuns avançaient ce genre d’hypothèse, elle n’aurait aucun fondement.

     B.M.: Frère Paul, dont tu interprètes le rôle, est né en 1939. Avant de rentrer à la Trappe, à l’Abbaye cistercienne de Tamié, à l’âge de 45 ans il a été lieutenant de parachutistes, artisan plombier, conseiller municipal de sa région en Alsace. Puis en Algérie, au prieuré de Tibhirine, il est un peu l’homme qui sait tout faire tel un homme de peine. Sais-tu les raisons pour lesquelles Frère Paul rentre dans les ordres et surtout comment il se retrouve en Algérie ?

    J.M.F : En ce qui concerne l’engagement personnel de Frère Paul, j’en ignore totalement les raisons. Il avait lui aussi, en effet, fait la guerre d’Algérie, mais cela n’est pas une raison suffisante. C’était aussi un chrétien profondément sincère et  convaincu, très pieux depuis toujours, qui est allé jusqu’au bout de ses convictions en devenant moine trappiste (un des ordres religieux les plus austères qui soient). Cet engagement tardif, à 45 ans, ne le rend que plus admirable car c’est vraiment le choix d’un homme adulte. Pour le reste, Paul reste pour moi un mystère, comme tout être humain. C’est ce qui m’a énormément touché. On ne sait jamais vraiment qui est l’autre à côté de soi. Quel secret portait-il en lui? Quel tourment invisible ?  Quel apaisement est-il allé chercher là ?  Je crois savoir que sa famille elle-même fut surprise de son choix. Pour le peu que j’en sais d’après les quelques photos que j’ai vu de lui et quelques correspondances qui ont été publiées, ce devait être un homme extrêmement bon, doux, paisible, discret, timide même (il n’aimait guère être pris en photo parait-il !) et doué d’une bonne dose d’humour (noir même, par moment).

     B.M. : Xavier Beauvois, le metteur en scène,  fuit la reconstitution historico-politique et laisse dans l’ombre la réalité ou le mystère de l’Assassinat (GIA) groupe islamiste armée ou manipulation de l’armée ? Je crois que le contexte de l’époque imprègne le film mais Xavier Beauvois fixe plus son regard sur l’intimité et sur le secret de ce qui se passe  dans le monastère, n’est-ce pas ?

    J.M.F. : Cette question contient sa réponse. Il suffit de voir le film pour constater le choix et l’optique de Xavier Beauvois. Il est vrai aussi que dès que l’on commence à s’intéresser à l’histoire de ces moines, à lire des documents sur ce drame, on ne peut qu’être pris par une espèce d’empathie pour ces hommes. Xavier Beauvois dit souvent qu’il était tombé amoureux d’eux. Ce n’est pas une formule vaine,  c’est vrai (là, nous n’avions plus à faire à des personnages mais à des êtres humains, et d’ailleurs aucun de nous n’a cherché à restituer je ne sais quelle vérité psychologique qui les aurait caractérisés). C’est ce qui m’est arrivé à moi aussi. Plus j’en lisais sur eux, plus j’avais envie d’en connaître d’avantage, plus ils m’intriguaient et plus j’avais envie de les comprendre, de les aimer. Je ne me suis d’ailleurs pas vraiment plus intéressé à Paul qu’aux autres. Tous m’ont fasciné. Pendant le tournage, j’ai moins été dans la démarche d’un acteur qui joue un personnage, que dans celle d’un passeur qui témoigne d’une aventure  humaine. Je  me suis rendu compte de cela petit à petit. C’est très étrange et très émouvant pour un acteur de se retrouver dans cette attitude. 

    B.M. : Des hommes et des dieux, explore, entre autre, la question de l’engagement religieux. En tant qu’humains nous n’avons pas de raisons d’être fier, parce que né(e)s hommes ou femmes, nous ne l’avons pas choisi. Mais puisque nous le sommes, autant trouver et développer en nous ce qu’il y a de plus beau et de plus élevé. Penses-tu que c’était ce qu’essayaient de réaliser ces Frères dans leur engagement de l’état de fierté qui, s’il n’est pas établi une fois pour toutes, est une aspiration, un but, un combat permanent qu’ils ont tentés d’accomplir ?

    J.M.F : Oui bien sûr. C’est en cela que leur histoire est merveilleuse et exemplaire. Moi qui ne suis plus croyant depuis longtemps et n’ai plus besoin de la foi pour trouver mon rapport au monde et aux autres, je ne peux malgré tout qu’être fasciné par la force de cet engagement. Je pense que tout homme devrait être guidé par une force de cette sorte pour mener sa vie. Sinon à quoi bon vivre ? Et c’est encore plus vrai je crois lorsqu’on est artiste. Si on ne l’est pas jusqu’au fond de soi-même, viscéralement, dans le plus profond engagement et la plus profonde conviction, on reste un pâle histrion (il y en a hélas!). J’ai parfois très peur de le devenir, d’ailleurs. Alors je me bats toujours avec moi-même pour ne pas tomber dans le leurre. Sans entrer dans une théorie sur l’art de l’acteur, je dis que ceux qui disent que « jouer » c’est « mentir », c’est « faire semblant », se trompent lourdement. Rien n’est plus vrai au contraire que cet acte-là et c’est cette vérité qu’il nous faut toujours chercher, au théâtre comme au cinéma, sinon l’imposture nous guette. Serait-ce osé de ma part que de dire les Frères de Tibhirine sont aussi un exemple pour les acteurs ? Allez, je l’avance !

    B.M. : Jean-Marie, Dieu est le nom unique des religions monothéistes. Le concept de dieu prend des formes extrêmement variées  selon les religions. Leur  point commun : Dieu (ou un Dieu) est, soi disant, supérieur  à l’homme, plus puissant  et plus complet que lui.  Pour le paganisme ou plus généralement pour les religions polythéistes, un dieu est un être immortel, d’une nature supérieure aux êtres humains, aux esprits et aux génies. En fonction de leurs attributions particulières (de leurs spécialisations), les dieux agissent sur la nature et interviennent dans les affaires humaines. La notion de dieu, et ce qu’il représente (toute puissance, immortalité, créateur…)  trouve son origine dans le soleil, lumière céleste, source de vie sur terre puis s’est diversifié selon les différentes religions d’après de nombreux croyants. Les agnostiques pensent qu’ils n’est pas possible de prendre position quand à la l’existence de ou non de dieu. Les athées, eux, ne croient pas en dieu, considérant qu’il s’agit d’une invention humaine. Une fois pour toutes, quand les religions n’incitent pas les hommes à la barbarie, elles les infantilisent en les empêchant d’user de sens critique par rapport à l’enseignement dispensé. Ce sont les religions du Livre qui n’ont cessé de faire croire que par nature, l’homme a soif de divin. Pourtant, ceci est archi-faux  car il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour vivre en paix avec soi-même, avec sa famille et ses voisins, pour jouer un rôle gratifiant dans la société. Une question Jean-Marie, tu es comédien et acteur depuis plus de 35 ans mais lorsque tu étais tout jeune tu voulais être missionnaire. Je crois même que tu es entré au petit séminaire pour étudier. Avais-tu réfléchi avant d’y entrer, pour en fin de compte résister et choisir une autre voie, celle de comédien ? Aujourd’hui avec le recul, que penses-tu de la direction qu’allait prendre ta vie si tu avais obéi à ton désir d’aller jusqu’au bout à la rencontre de Dieu ? Une toute dernière question : dans le film de Xavier Beauvois, tu es un faux moine, mais  connaissant ton travail magnifique d’acteur, au cinéma, mais surtout de comédien au théâtre, tu as dû t’investir pour tourner dans Des hommes et des Dieux. Et si tu es un faux moine, peut-être tu n’es pas un faux croyant, c'est-à-dire que tu as des convictions fortes sur la croyance et que tu as dû te confronter à des questions que te posait ta conscience, non ?  D’où ta performance dans le film, Des hommes et des Dieux ?  

    J.M.F. : J’ai eu une enfance et une éducation extrêmement religieuse. Je suis passé par toutes les étapes, là aussi avec beaucoup d’engagement et de conviction. J’ai en effet voulu être prêtre étant enfant, missionnaire en Afrique, plus précisément. Je suis entré au Petit Séminaire où j’ai effectué une partie de mes études secondaires, habité d’une foi profonde. A l’adolescence, je dois dire que la perspective d’une abstinence amoureuse pour la vie a contribué à me faire changer d’avis. S’en est suivi un long cheminement de pensée et de réflexion qui fut douloureux, parce que teinté de culpabilité, d’un sentiment de peur aussi, je dois bien l’avouer mais qui m’a conduit à devenir l’athée convaincu que je suis aujourd’hui. Je n’aime pas dire que je ne crois plus, ni que j’ai perdu la foi, car ce sont des formules négatives. Je n’ai rien perdu, au contraire, j’ai gagné un regard sur le monde qui me donne la force d’en être partie prenante. La question de l’existence de dieu n’est qu’une question de foi. Je donne au mot croire le sens que lui donnaient les anciens, grecs et romains : « croire » ce n’est pas « penser que dieu existe » comme on l’entend aujourd’hui, c’est donner son crédit, sa confiance à dieu. Il s’agit d’un rapport fiduciaire garantissant la réussite de nos entreprises humaines. Lorsque je vois le monde tel qu’il est, j’aurais plutôt tendance à n’accorder aucune confiance à dieu et à ses sbires, à dire comme Marguerite Duras : « Si dieu existait, ce serait un beau salaud » et à n’accorder mon crédit et ma confiance qu’aux hommes, mes « Frères ». En ce sens je suis résolument optimiste. Je n’ai pas besoin de l’idée de dieu pour essayer d’être un honnête homme !

    J’ajouterais pour répondre à la dernière question que j’ai été très troublé pendant le tournage par le parcours de Frère Christophe, moine à Tibhirine, interprété par Olivier Rabourdin. Nous avons le même âge et suivi exactement les mêmes étapes depuis l’âge de 8 ans jusqu’à l’adolescence, avec des crises identiques. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, lui est entré à la Trappe. Je me suis souvent dit que j’aurais pu être lui si la force du théâtre ne m’avait saisi ! 

    B.M. : Merci infiniment, Jean-Marie, de m’avoir invité à la projection privée du film et d’avoir répondu à mes questions avec autant d’honnêteté, de clarté et de talent, alors que beaucoup de médias te sollicitent avant la sortie du film le 8 septembre  Merci encore et bravo ! 

     

    Propos recueillis le 3 août 2010 par Bienvenu Merino

     

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    QUELQUES DATES IMPORTANTES SUR LES EVENEMENTS EN ALGERIE

     

    Le 26 décembre 1991 : le front islamistes du salut (FIS) emporte la majorité des sièges au cour

    du premier tour des élections législatives.

    Le 11 janvier 1992 : l’état d’urgence est déclaré.

    Le 14 janvier 1992 : assassinat du Président Mohamed Boudiaf.

    Le 30 octobre 1993 : ultimatum de Groupe islamiste armé (GIA) qui ordonne à tous les étrangers de quitter l’Algérie.

    Le 26 mars 1996 : un groupe armé enlève les sept moines de Tibhirine.

    Le 18 avril 1996 : le GIA revendique l’enlèvement.

    Les 21 et 23 mai 1996 : le GIA annonce l’assassinat des sept moines après des négociations infructueuses avec les gouvernements français et algériens.

    Le 30 mai 1996 : les têtes des sept moines mais par leur corps

     sont retrouvées sur une route près de Médéa.

    Le 22 septembre 1997 : le massacre des villageois de Bentalha relance les suspicions

    pesant sur la sécurité militaire dans certains enlèvements et assassinats en Algérie.

    A partir de 1998 : diminution des violences et de l’insécurité en Algérie. Début d’une politique de réconciliation nationale.

    Le 9 décembre 2003 : la justice française est saisie par la famille d’un des moines et par un abbé de l’ordre des cisterciens qui doutent de la véracité de la thèse officielle.

    Le 29 décembre 2005 : un référendum avalise la charte de « réconciliation nationale » voulue par le Président Bouteflika, qui amnistie sous certaines conditions les membres des groupes armés 1990 et interdit tout débat sur cette période de l’histoire algérienne.

    Le 20 novembre 2009 : levée du secret défense sur certains documents français quand l’ancien Attaché de défense français à Alger affirme que les sept religieux auraient été victime d’une bavure de l’armée algérienne.

     

    Liste artistique du film :

     

    Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Jean-Marie Frin, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Loïc Pichon, Xavier Maly, Abdelhafid Metalsi, Sabrina Ouazani, Abdallah Moundy, Olivier Perrier, Farid Larbi, Adel Bencherif

     

    Liste technique :

     

    Scénario : Etienne Comar

    Adaptation des dialogues : Xavier Beauvois et Etienne Comar

    Directrice de la photographie : Caroline Champetier

    Décors : Michel Barthélémy

    Son : Jean-Jacques Ferran, Eric Bonnard

    Montage : Marie-Julie Maille

    Premier assistant : Guillaume Bonnier

    Conseiller Monastique : Henry Quinson

    Scripte : Agathe Grau

    Costumes : Marielle Robaut

    Régie : Thibault Mattei, Khaled Haffad

    Production exécutive: Martine Cassinelli et Frantz Richard

     

     

     

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                                                 JEAN-MARIE FRIN  

     

    Né en 1949, c’est à la Maison De La Culture de Caen dirigée par JO TRÉHARD (l’un des « pionniers » de la décentralisation théâtrale) qu’il découvre, dans les années soixante, tout ce que le théâtre offre alors de vivant et de novateur, du LIVING THEATRE aux premiers travaux d’ANTOINE VITEZ. Ses premières expériences théâtrales se feront dans le cadre de stages organisés par divers mouvements d’éducation populaire.                                                                                                                                                    

    En 1969, il est engagé à la COMÉDIE DE CAEN, Centre Dramatique National que vient de fonder JO TRÉHARD. Il n’a aucune formation. Celle-ci se fera donc sur le tas. Dès lors, il ne cessera plus de jouer, aussi bien au C.D.N. qu’avec diverses compagnies. En 1973, le metteur en scène YVES GRAFFEY crée, à Caen, le THÉÂTRE DU GROS CAILLOU  (Centre Dramatique National Pour l’Enfance et La Jeunesse) et l’y associe pour plusieurs saisons.                                                                                                                                                         

    En 1980, MICHEL DUBOIS, qui a succédé à JO TRÉHARD, lui propose d’intégrer l’équipe artistique de la COMÉDIE DE CAEN. Sous sa direction, celle de CLAUDE YERSIN et d’autres metteurs en scène, il participe à cette aventure jusqu’en 1991 et joue les auteurs classiques et contemporains les plus divers. C’est là qu’il crée notamment LE PETIT ALBERT (d’après JACK LONDON). Cet exercice d’acteur, initialement voué à l’éphémère, rencontre un vif succès et sera repris plus de sept cent fois à ce jour.                                                                                                                                            

    A partir de 1990, il entame un long compagnonnage avec JEAN-LOUIS BENOÎT. Une dizaine de créations s’ensuivent, d’abord au THÉÂTRE DE L’AQUARIUM puis au THÉÂTRE DE LA CRIÉE à Marseille, parmi lesquelles : LES VŒUX DU PRÉSIDENT, CONVERSATION EN SICILE, HENRY V, DE GAULLE EN MAI.                                                                                                                                                  

    D’autres rencontres seront pour lui déterminantes : JEAN-LUC LAGARCE, PETER ZADEK et surtout MATTHIAS LANGHOFF, pour LE PRINCE DE HOMBOURG (Kleist)  et TROIS SŒURS (Tchékhov), deux spectacles qui le marquent profondément.                                                                                                                                                                                                                                                                

    Une soixantaine de pièces lui auront permis d’interpréter les plus grands auteurs : SHAKESPEARE, MUSSET, LENZ, GIDE, GENET, DURAS, STRINBERG, KROETZ, LABICHE, BRECHT, O’NEILL, PIRANDELLO, RUZANTE, DOSTOÏEVSKI, SARTRE, GOLDONI, BUCHNER, MOLIERE, GRIBOÏÉDOV, BARKER, BORCHERT…                                                                                                                                                 

    Au cinéma et à la télévision, RENÉ ALLIO, BERTRAND VAN EFFENTERRE, JACQUES MALATERRE, LUC BÉRAUD, FABRICE CAZENEUVE, ALAIN CHABAT, SOPHIE MARCEAU, MABROUK EL MECHRI, BRIAN DE PALMA, ROMAIN GOUPIL et beaucoup d’autres réalisateurs lui confient  les rôles les plus variés.                                                                                              

    C’est ainsi qu’il vient de tourner, sous la direction de XAVIER BEAUVOIS, « DES HOMMES ET DES DIEUX » qui vient de remporter le Grand Prix au Festival de Cannes.                                                                                                                                                    

    Il reste cependant un « enfant de la décentralisation », un acteur de troupe, et ce sont des metteurs en scène comme DANIEL GIRARD, JEAN-PAUL WENZEL, CHRISTOPHE ROUXEL, GUY DELAMOTTE, HERVÉ LELARDOUX, GUILLAUME DUJARDIN ou encore GILBERT ROUVIÈRE, qui lui auront donné, jusqu’à présent, l’occasion de vivre ses plus beaux moments de théâtre.

     

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    Tapis rouge à Cannes pour le film Des hommes et des Dieux.GRAND PRIX DU JURY. Les acteurs du film et le réalisateur, Xavier Beauvois (mains croisées). Jean-Marie Frin est aux côtés de Sabrina Ouazani et de Michael Lonsdale.

     

     

     

     

     

     

     

  • DENNIS HOPPER POUR TOUJOURS

     

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    L’acteur et réalisateur Dennis Hopper, l’auteur d’Easy Rider, a succombé des suites d’un cancer à son domicile de Venice, Californie, le samedi 29 mai 2010, à l’âge de 74 ans.

    Metteur en scène symbole de toute une génération, acteur aux performances remarquables, Dennis Hopper était aussi peintre et photographe.

    Né en 1936, acteur sulfureux et rebelle, Dennis avait construit une carrière à la marge d’Hollywood, apparaissant dans La fureur de vivre, 1955, avec James Dean ; Blue Velvet, 1986, de David Lynch ; Apocalypse Now, 1979 ... Mais c’est bien le succès d'Easy Rider, dans lequel il a joué aux côtés de Peter Fonda et Jack Nicholson qui lui a valu la consécration et le Prix de la première œuvre au Festival de Cannes en 1969, film qu’il a écrit et dirigé. Dennis Hopper avait joué dans plus 150 films.

    J’avais eu la chance de le rencontrer dans le sud du Pérou, en 1969, en compagnie de Peter Fonda, avec lequel il venait de terminer le tournage, à Chincheros, de Last Movie, film distribué en 1971. Bienvenu Merino

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

     

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    Guy Darol : Il n'y a pas que  la pratique de l'écriture et de la marche qui traverse ta vie. Ne serais-tu pas également dessinateur, peintre, photographe et cinéaste ?

    Bienvenu Merino :  Je suis un touche-à-tout.  C'est probablement cela qui m'éloigne de la réussite et du travail bien accompli. Dans mon âme, l'amour de bien faire est divin,  donc, s'il n'y a pas de discipline et de travail bien fait, je ne peux pas être totalement satisfait. Ceci vaut pour les  travaux  que j'ai entrepris et qui me tenaient à cœur.  Tout est lié. La photographie m'apporta, durant les années de voyage, beaucoup de plaisirs, puis peu à peu elle s'éclipsa pour être remplacée par la peinture et le dessin. Quant au cinéma, ce fut un déclic qui surgit comme un boum, après m'être intéressé à une période de l'histoire de France si souvent auscultée dans ma mémoire. Ma première expérience au cinéma n'est pas encore terminée puisque le montage de mon film n'est pas achevé. Mais faire tout, tout seul : écriture du scénario, repérages des lieux, recueillir des fonds, chercher des acteurs, des figurants, des techniciens, faire la mise en scène, le secrétariat, l'attaché de presse, ce n'est pas toujours facile. 

    G.D. Quels sont les écrivains qui regardent par-dessus ton épaule lorsque tu te trouves à ta table de travail ?

    B.M. :  Ma table de travail est vaste. En vérité, je suis plus un véritable promeneur qu'un écrivain. A proprement parler, je n'ai pas de méthode bien précise. Aller sur le terrain m'apporte en général l'essence même de mes écrits. Etre écrivain, c'est  un sacerdoce, comme Gustave Flaubert qui ne procédait que par notes précises dont il avait scrupuleusement vérifié l'exactitude. Il se condamnait à fréquenter pendant des semaines les bibliothèques jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Il ne reculait pas devant l'ennui de lire vingt ou trente volumes traitant de la matière. Il ira en outre interroger  des hommes compétents,  poussera les choses jusqu'à visiter des champs de culture, se rendra sur les lieux, y vivra.  Ainsi, pour le premier chapitre de L'Education Sentimentale qui a comme cadre le voyage d'un bateau  à vapeur remontant la Seine de Paris à Montereau,  il a suivi le fleuve en cabriolet, le trajet ne se faisant plus en bateau à vapeur depuis longtemps ! C'est fou ! Je ne dis pas qu'il était dingue, mais il avait cette passion, celle que j'ai dans les voyages et dans la marche toute simple qui m'a conduit à l'extrême, naturellement,  avec fascination et  plaisir. Toutefois, bien des écrivains m'ont marqué, et je laisse à mes lecteurs le soin d'apprécier certains de mes auteurs favoris qui m'ont influencé et qu'ils découvriront eux-mêmes, en me lisant. Cependant Antonin Artaud et Georges Bataille et les œuvres du CHE, pour une autre raison, surtout  la lecture de son Journal de Bolivie,furent déterminants.

    L'écriture de Diarrhée au Mexique est assez brute, dans le sens où la matière est tirée du vécu et si elle détonne encore et toujours c'est que la vérité je suis allé la chercher au fond de moi, dans la douleur ; récit qui choqua, qui choque encore, et qui choquerait en 2007 comme m'avait dit Éric Dussert avant la sortie du livre, lequel est à l'origine de la troisième publication, ce  qui m'encouragea à continuer afin de n'être pas l'auteur d'un seul livre.

    G. D. : Tu vis désormais à Paris. Le globe-trotter est-il encore un promeneur invétéré ?

    B.M. :  Je commencerais par te répondre par ces lignes de Platon, extraites de l'Apologie de Socrate. « Les hommes peuvent être heureux en demeurant attachés à une forme de vie immuable, que la musique et la poésie n'ont pas besoin de créations nouvelles, qu'il suffit de trouver la meilleure constitution et qu'on peut forcer les peuples à s'y tenir ».

    Voyager fut toujours ma passion car je trouvais dans ce mode de vie et de vivre une belle manière de découvrir, d'apprendre, d'étudier, sans contraintes, ce que je n'avais pas fait dans mon enfance et mon adolescence. Enfant, je n'eus pas  une scolarité exemplaire.  Dès mon plus jeune âge, je n'étais pas un fervent de la discipline, j'étais bien plus attiré par les dormeurs à la belle étoile et les bergers. C'est à mon retour d'un  long voyage que j'eus l'envie et le besoin de conforter certains acquis appris de la route, en  étudiant quelque peu à l'Université. Je ne dis pas, comme Flaubert, que le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.

    La vie de voyage s'était ancrée en moi car toujours elle fit partie de mon existence, un peu comme les gitans qui se meuvent continuellement à travers le monde depuis leur naissance. Même si, aujourd'hui,  mes voyages ne me mènent plus aussi loin, très souvent ça passe par l'écriture, une manière de traverser les choses et de vivre différemment. Les yeux sont peut-être moins éblouis par la beauté du spectacle comme l'étaient ceux du voyageur incorrigible que j'étais.  J'ai une façon différente de voyager  dans l'écriture et je sais que je n'ai pas encore tout puiser de mon vécu  et c'est devant les pages blanches que je gribouille  à ma table de travail que je perpétue ce qui était ma vie d'explorateur.  J'habite à  Paris, entrecoupé de quelques  escapades, cependant j'ai gardé cette habitude de persévérer dans cette irrépressible envie de marcher pour encore et toujours découvrir ma ville et  mieux comprendre le monde qui m'entoure. Je suis un inlassable marcheur solitaire.  Marcher m'est nécessaire. Le globe-trotter que j'étais est devenu un simple homme qui marche. Hier encore, mercredi 22 décembre, je suis revenu de banlieue, d'Ivry,  à pied, en essayant de longer la Seine avec ses hautes cheminées d'usines chapeautées de glace, et ces péniches tranquilles, amarrées sur les berges où, quand elles  coulent nonchalantes sur le fleuve  lent,  recouvertes d'un peu de neige comme si c'était seulement cela qu'elles transportaient tant elles flânaient, écrasant les vaguelettes de leur chargement invisible en allant jusqu'au Pont de Tolbiac, un des de mes anciens quartier. Je fus enchanté de  suivre la rivière sous la neige. C'était un vrai conte de Noël. Que d'histoires j'ai revécu, que de nouvelles envies m'ont donné le désir de repartir vers l'inconnu.

    Virginia Woolf, la belle rêveuse londonienne, Jean Giono, Julien Gracq, Jacques Réda, dans Marchons sous la pluie, Jacques Lacarrière, Karl Gottlob Schelle,  Arthur Rimbaud, Léon-Paul Fargue, Walter Benjamin, Henri Calet, André  Hardellet ont fait cela bien avant moi. Mais, c'est sans doute de Don José Merino Martin Campos, mon père, que je tiens  l'incroyable invention de savoir aller par les chemins et par les routes. Il commença, jeune, très jeune, avant ses dix ans. De Malaga à Madrid, de Madrid à Barcelone, de Santander à Algesiras, il accompagnait les chevaux, à pied, marchant à leurs côtés, de jour et parfois de nuits, dans la beauté des paysages. Je ne compte pas le voyage forcé par l'exil, celui qui lui causa tant de désagréments, LA RETIRADA DE MALAGA,  guerre entre hommes du même pays, d'un  même village et parfois d'un même clan familial, mais il sut cheminer, armé de fusil ou sans fusil, et faire magnifiquement son très long parcours, celui dont il apprit ce qu'étaient les hommes et les femmes dans des combats féroces, dans la douleur et  la défaite, dans le camps des vainqueurs et dans celui des vaincus, sur la route qui le conduisit vers les hommes libres.

    G.D. Crois-tu que la culture underground ait quelque chose encore à voir avec la pratique des blogs ? Et cette pratique est-elle une chance pour le développement de la pensée et de la création ?

    B.M. : Oui, bien sûr, et elle  se  pratique aussi avec les blogs. C'est  un mouvement parallèle, hors des circuits officiels normaux du commerce et de diffusion. On devient underground  par la force. Ce sont les maffias du show-biz, de l'art subventionné qui obligent l'artiste à prendre cette tangente. En luttant contre l'establishment qui souvent met le créateur à l'écart, on doit trouver la solution pour se faire entendre ou être lu et par ce moyen  il lui est possible enfin de dire ce qu'il ne pouvait pas, d'enlever le frein qui ne permet pas de s'exprimer. Les censeurs dans notre société existent, la diffusion par les blogs permet de résister contre ceux qui sont au pouvoir, contre certaines pressions qui obligent l'artiste à trouver d'autres solutions pour mieux se faire entendre et exister enfin. Le moteur de l'underground, dès ses débuts, a été l'exhibition du corps, la transgression des codes sociaux, montrer ce qui est « caché » et le faire venir à la lumière. C'est une avancée importante pour la communication et la liberté d'expression. Underground et blogs ça fonctionne  de pair. Tu peux imaginer pourquoi je n'envoyais plus mes manuscrits aux éditeurs, pourquoi certains de mes « textes monstrueux » sont  passés à l'oubliette, ignorés ou simplement jetés au feu de la non-prospérité.

    G.D. : Préfères-tu l'ombre à la lumière ?

    B.M. : Souvent je me sens dans lumière, même si je vais sur la route sans que personne ne soit au courant ni me reconnaisse. Je vais, fidèle à un certain idéal. J'essaye de faire ce dont j'ai le  plus envie, c'est ma manière de marcher à la lumière.

     

     

     

    Bibliographie de Bienvenu Merino

     

    Prière

    (Nouvelle)

     Manifeste de la Délinquance Littéraire

    Cahiers Zédébis, 1975

     

    Prière.jpg

    Situations Normales

    (Nouvelles)

    (Cahier des Hirondelles), 1975

    Fleurs et Chant d'Espoir du peuple d'Espagne

    (Poème (l'agonie d'un dictateur)

    Les Cahiers St Germain des Prés, 1976

     

    Plus édition originale accompagnée d'une gravure de l'auteur

    Atelier Say, 1996

    Satisfaction

    et autres nouvelles

    Revue Le Gué,1976-1977-1978

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    ou

    Diarrhée au Mexique

    (nouvelle)

    Editions du Peuple,  1976

    (épuisé)

     

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    Réédité par Les Cahiers Lolita, préface de Gérald Scozzari, 1977

    Scènes

    (nouvelle)

    Livre d'artiste, 1996

     

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    Qui sera libre demain ?

    Gravures de 10 artistes plasticiens

    Portfolio

    Atelier Say, 1996

     

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    Ana

    Poème et champs de mots

    Préface de Emilio Sanchez-Ortiz

    Isabelle Venceslas, 1995

    (épuisé)

    Descendre au cercueil

    (Ouvrage sur Auguste Pinochet)

    Dessins à l'encre de l'auteur

     Préambule

    Lettres des  femmes prisonnières politique de la prison

    de haute sécurité de Santiago de Chili

    Connaissance, 2000

     

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    O, voyelle

    D'après une œuvre sur acier de l'auteur

    Portfolio

    Isabelle Venceslas, 2002

     

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    Traces de plantes fossilisées

    Carnet des mines, Graissessac-Hérault

    Avec traces et dessins de l'auteur

    Ouvrage personnel,  tirage limité, 2005)

    Diarrhée au Mexique

    ou

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    (Nouvelle)

    (Préface de Éric Dussert)

    Atelier du Gué, éditeur 2006

     

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    Ensayos sobre el placer de la Felaçion

    Essai sur le plaisir de la fellation

    Editions espagnole et française avec photos et dessins de l'auteur

    Coffret, d'Artiste, 2007

     

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    Lignes Noires

    (Encres et  dessins)

    Isabelle Venceslas, janvier 2010

     

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    •••

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Guy Darol : La réédition, en 2006, de Diarrhée au Mexique, a été suivie d'échos plus que favorables. Ce livre a été couvert d'éloges et cependant c'est l'arbre qui cache la forêt, car ton activité d'écriture est riche de plusieurs volumes. Peux-tu nous en parler ?

    Bienvenu Merino : Oui, quelques critiques littéraires ont réservé un bon accueil à mon livre et c'est une chance de savoir qu'il ait touché et  conquis  autant de lecteurs. Mes autres livres sont bien plus sages, tout en étant fidèles à mes convictions politiques et à mes expériences  d'éternel homme qui marche.

    J'ai peu publié. Pendant presque vingt ans je n'ai plus envoyé de manuscrits aux éditeurs, alors comment veux-tu que l'on me lise ? La peinture de tableaux avait pris le relais, alternant des travaux de décoration  et de construction de lieux et scènes de théâtre. J'étais ouvrier pour gagner ma vie. Puis la fête et les rigolades, les bistrots de Paris où naissaient les rencontres aventureuses  me portaient au zénith d'une gloire acquise par mon manque assidu à l'écriture et à toute relation avec le système éditorial. Je vivais  bien, cela me convenait assez la vie faite de plaisirs. J'étais doué pour la danse et les jeux de séduction qui m'apportaient  plus de bonheur. A 19 ans, durant mes deux années de pratique de la  boxe, j'appris à travailler mon jeu de jambes. Le direct du gauche et l'uppercut me donnèrent plus de confiance. Je me mouvais à la manière de Ray Sugar Robinson dansant sur un ring. Mes amies spectatrices qui suivaient mes combats se sentaient protégées. Très entouré, je me perdais avec elles dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés.  Comment veux-tu que je puisse travailler consciencieusement l'écriture ? Pour bâtir une œuvre, "c'est chaque jour qu'il faut se poster devant la page blanche", me disait mon ami écrivain Emilio Sanchez-Ortiz, alors qu'après quelques verres à La Coupole et au Sélect puis dans les petits bals bretons du quartier de  Cambronne, nous allions guincher non sans avoir passé deux ou trois heures  avec mon ami le batteur Jackie Bouissou qui jouait au River-Boat  avec  Claude Luter, rue de Rivoli, et avec  Marc Laferrière et Maxime Saury au Caveau de la Huchette. La belle vie en somme car en ces moments-là la littérature venait après la fête. La lecture m'était bohème et je devais faire des efforts afin de continuer à lire et à étudier sérieusement. En fait, c'était mon "manuscrit de vie", mon livre de chair. Un laisser-aller impardonnable si l'ont veut écrire vraiment. Henry Miller mena cette vie et je me demande comment il trouva du temps pour réussir à accomplir une œuvre aussi solide et si intéressante. Mes vrais manuscrits sont rangés aux rayons de l'oubli, certains en partie inachevés ou à corriger. Ce peu de ma fortune ne peut intéresser un éditeur, croyais-je longtemps. Dans leur état actuel, où ils racontent des moments de vie égarée entre splendeur et jouissance, ce sont des manuscrits pas vraiment aboutis.

    Pour mes  livres parus, la grâce s'est trouvée sur ma trajectoire, mais souvent en faisant personnellement  un travail de grand écolier studieux et appliqué qui, tout petit homme, eut quelques rêves passagers pour se prouver à lui-même qu'il pouvait vraiment se faire plaisir et pouvoir  se sentir devenir écrivain. Tout cela me donne parfois de l'énergie pour donner à ma vie la satisfaction qui emplit mon cœur et  m'aide à m'appliquer à exprimer ce que je vis. Les pétards mouillés ne peuvent jaillir et faire des étincelles que si le désir de bien les sécher correctement existe. Je crois que j'ai préféré vivre avant tout. Existence de chevalier, entouré de nymphes, mais c'est ainsi que jamais la solitude ne m'a gagné. Ecrire des livres vous plonge dans les souterrains et les puits de la recherche de la vie fabriquée de  livres.  J'ai eu la chance partout dans le monde de rencontrer ce que jamais je n'avais espéré. La littérature ne me manqua pas ; si le besoin d'écrire me prenait, j'avais toujours un crayon et du papier pour exercer mon envie, sinon,  je contemplais le ciel, la mer, les arbres, les cimes des montages, et surtout, tout être humain sur mon passage, quel qu'il soit. Je pouvais lire dans les yeux et sur les visages le sommet de la bonté ou bien y découvrir la pire des crapules. Mais même si les livres sont mes amis, rien ne vaut ces hommes ou femmes rencontrés dans mes voyages qui avec génie m'ont offert ce qu'il est impensable que l'on puisse donner et  détacher du cœur : leur amour, quitte à se dépouiller de tout ce qu'ils avaient en leur possession. C'est eux qui m'ont le plus appris, mieux que ce je pouvais apprendre dans les livres et à l'université. Le bonheur tout simplement. Voilà sans doute pourquoi écrire des livres ne m'est pas obligé, ni un besoin nécessaire, même pas vital, ni un métier.

    Ecrire n'est pas pour moi une nécessité, je lai toujours su, j'avais d'autres cordes à mon arc. Voilà pourquoi, l'ours qui est en moi s'est mieux habitué à un environnement hors des sentiers battus, peut-être de crainte de déranger son voisinage postulant au succès de la renommée et à l'aliénation, ce que sans doute j'ai toujours su éviter sans crier gloire ni déception. Non, surtout, ne pas me faire voler mes ardeurs, mon souffle, mon enthousiasme et ma liberté, ce qui donne à ma personnalité ce rien de riche qui m'est tout.

    G.D. : Les billets que tu publies régulièrement sur Rien ne te soit inconnu et Rue du Pressoir attestent que tu as approché de grands noms de la vie culturelle et politique. J'observe toutefois que tu es l'opposé d'un mondain. De quelle façon se réalisent ces rencontres ? Quelles sont celles qui t'ont le plus profondément marqué ?

    B.M. : J'ai rencontré quelques grands talents du showbiz, comme Compay Secundo qui était mon ami, et le fils et la fille de Violetta Parra, Angel et Isabel, merveilleux interprètes, réfugiés en France après le coup d'Etat au Chili,  mais c'est  surtout des peintres  et des  artistes avec lesquels je suis le plus  lié. Aussi, ayant un de mes frères comédien, et un autre militant,  cela me facilite les rencontres.  Les hommes politiques rencontrés  avec qui j'eus un vrai contact, sont assez rares. En 1970, j'ai approché Salvador Allende pendant sa campagne Présidentielle, cela grâce à des amis du MIR (Movimiento d'Izquierda Revolucionaria), et je fus invité à une de ses marches légendaires avec les paysans, à Osorno et à Valdivia, dans le sud du Chili. Dans les années 1970, il existait une telle peur, dans certains pays d'Amérique du Sud, que la Gauche arrive au pouvoir au Chili, que pour moi, il était inconcevable que je n'accepte pas l'invitation de mes compagnons militants chiliens d'être auprès d'eux et de leur leader à la Présidence  de la République. Le souvenir de Salvador Allende est celui de sa simplicité, de sa gentillesse et de sa conviction  absolue qu'il allait gagner les élections et être élu Président du pays. Tout le monde connaît la suite.

    Moi qui voulait être discret, c'est raté. Je ne vais pas cependant tout t'avouer. Mais  je ne résiste pas. Voici arrivé un instant de grâce. Un vrai conte de fée.  Je veux  te parler de Monica, la compagne de mon frère Emmanuel,  jeune femme et attachante qui fit son entrée glorieuse dans notre modeste clan familial, et pour qui nous avons beaucoup d'estime et d'admiration. Monica Justo est la petite-fille de Pedro Agustín  Justo, Président de l'Argentine de 1932 à 1938. C'est quelques années après, durant mon séjour à Buenos Aires, que j'appris vraiment qui était la famille de Monica, son grand-père, Président, et le père de ma belle sœur, Liborio Justo,  écrivain et leader  du Trotskisme durant un demi siècle, qui vécut jusqu'à cent et un an et qui est décédé il y a peu de temps.

    Donc, de fil en aiguille, notre  famille s'agrandit, un mélange d'artistes des Beaux-Arts, comédien, chanteuse, cantador flamenco, belle-sœur, petite fille de Freddo Gardoni, accordéoniste célèbre, banquier, médecin, juristes, avocats, enseignants ou ouvriers de la politique universelle, ouvriers tout court, sportifs. Comme je te disais, Guy, c'est  la chance. Plus nous sommes de frères et sœurs, plus nous rencontrons de monde, gens connus, ou simples citoyens méritants.  Parfois nous  débarquons à dix, douze, dans un vernissage ou un cocktail  au Théâtre de Chaillot ou à l'Odéon, pour la première d'un spectacle de mon frère Louis, et nous continuons la soirée dans la fête et la bonne humeur. Mais aussi, parfois, cela nous arrive, d'accompagner un ami pour son premier voyage en cercueil,  son dernier dans la mort, porté sur des épaules des frères andalous-périgourdins en chantant les honneurs que mérite le défunt.

    Ma rencontre avec Dennis Hopper et Peter Fonda  ainsi qu'avec d'autres acteurs américains, eut lieu dans des circonstances invraisemblables au carnaval de Oruro, au Pérou, au milieu des fameuses  Diabladas, uniques dans le pays. Dennis et Peter venaient de terminer le tournage d'un film, près du Cusco, à Chinchero, et c'est par hasard, en revêtant une peau d'ours en guise de déguisement, en compagnie de deux de mes amis, avec l'intention d'aller dans les rues de la ville en fête que nous nous sommes rencontrés, face à face, habillés en animaux.  Parfois, c'est très simple, tout s'enchaîne. Je repartis le lendemain avec eux en taxi, de Oruro à la frontière bolivienne, le long du splendide lac Titicaca, jusqu'au village frontière, Copacabana, et c'est ainsi que je j'eus la chance d'être avec eux, avec leur enthousiasme pour passer la frontière, ce qui n'était pas très facile en ces moments-là avec un passeport Français, car Régis Debray, sympathisant du CHE, c'est-à-dire, d'Ernesto Guevara, était emprisonné à Camiri, Bolivie,  pour  les raisons politiques que l'on connaît. A la frontière, comme tout le personnel de la douane savait qui était Peter fonda, je n'eu absolument aucun problème à rentrer dans le pays. On ne me demanda même pas mon passeport.

     

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    Aussi, je dirais quelques mots sur ma rencontre avec le magnifique acteur  du film  Les Enfants du Paradis, Jean-Louis Barrault, à la Cartoucherie de Vincennes, où je travaillais sur les décors d'un spectacle qui allait être donné en Avignon. Personne, parmi nous, techniciens et comédiens,  ne s'attendait à le voir arriver. Surtout, nous pensions qu'il n'avait aucune raison pour que nous le retrouvions devant nous, tout souriant. En fait, Il était venu féliciter la troupe, du travail qu'avait accompli le Théâtre de l'Aquarium, dans la l'immense hall qui lui avait appartenu et qu'il avait légué à la jeune compagnie pour laquelle nous travaillions.  Ce jour là, il fit une distribution de présents inattendus. Moi, j'héritais, entre autres,  d'un de ses habits de scènes, un smoking noir splendide que je devais porter durant plus de vingt ans, plutôt fier du cadeau dont il m'avait honoré.

    Mais un de mes souvenirs inoubliables et qui n'a rien à voir avec une personnalité culturelle, date de 1966 dans le désert du Sahara, le grandErg de la Soif, où, affaiblit physiquement  par le manque d'eau et craignant ne pas arriver à temps au premier village pour m'abreuver, j'eus l'immense chance de me trouver face à mon sauveur, le caïd du village, qui je ne sais comment, descendit ,  pied après pied, sans chaussures dans un puits profond de  plus de vingt mètres et remonta à la surface avec un seau d'eau. Je puis t'assurer que l'eau était fraîche et la meilleure que je n'ai jamais bu.

    Pour revenir à ta question sur "l'opposé d'un mondain", oui, tu as parfaitement raison. Je n'aime guère tout ce qui relève de la haute société, non très peu pour moi. Je n'apprécie  pas les habitudes de la vie bourgeoise et leurs divertissements qui ont attrait au luxe et aux plaisirs de la table même si j'ai grand plaisir à  faire un bon repas  en famille ou avec des amis. Dans les phrases qui précèdent,  j'ai donné un aperçu de mon mode vie.  Pour moi, les rencontres me sont assez faciles pour ce qui concerne l'art et mon attirance de la vie  avec les hommes et les femmes que je rencontre. « Faire de la vie un chemin d'épanouissement, la vie doit toujours devancer l'art, une activité parmi bien d'autres, la vie doit être considérée comme une œuvre d'art potentielle ».

    (A suivre... demain !)

     

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    Emmanuel Merino et Monica Justo
  • LES TRICHEURS ❘ MARCEL CARNE ❘ 1958

     

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    Beaucoup d'entre-nous se souviennent du film Les Tricheurs de Marcel Carné ; film qui marqua les esprits de toute une génération, faisant dégoupiller les grenades au repos dans les malles de la bourgeoisie française. Dans son film, Marcel Carné peint une jeunesse agitée, désordonnée, avide de plaisirs, de rythmes obsédant qui veut l'argent sans le travail, le luxe sans effort. Et le vieux thème du diable a été adapté à la vie du Paris quotidien, dans l'ambiance explosive de Saint-Germain-des-Prés où les adolescents découvrent la tentation et succombent aux plus funestes mirages.

    Jacques Charrier, pour son premier film et premier rôle obtint la victoire du meilleur acteur de l'année 1958, ce qui lui valut la célébrité et le lancement de sa carrière. Bienvenu Merino

    FICHE TECHNIQUE

    Scénario : Jaques Sigurd, d'après une idée de Charles Spaak et Marcel Carné. 
    Adaptation et dialogues : Jacques Sigurd. 
    Images : Claude Renoir, assisté d'Andréas Winding. 
    Décors : Paul Bertrand. 
    Costumes : Antoine Mayo. 
    Robes : Christian Dior, Jacques Heim, Virginie. 
    Montage : Albert Jurgenson. 
    Son : Antoine Archimbaud. 
    Musique : jazz enregistré par Maxime Saury, Ray Brown, Roy Eldridge, Herb Ellis, Stan Getz, 
    Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins, Buddy Rich, Gus Johnson, Oscar Peterson, Fats Domino, 
    Sonny Stitt, Norman Granz. 
    Assistants réalisateurs : Serge Friedman, Paul Seban. 
    Directeur de production : Louis Wipf.
    Interprètes : Pascale Petit (Mic), Andréa Parisy (Clo), Jacques Charrier (Bob), Laurent Terzieff (Alain), Jean-Paul Belmondo (Lou), Dany Saval (Nicole), Jacques Portet (Guy), Pierre Brice (Bernard), 
    Alfonso Mathis (Peter), Roland Armontel (le chirurgien), Jacques Marin (M. Félix), Roland Lesaffre (Roger), Denise Vernac (la mère de Mic), Claude Giraud, Dominique Page, Gabrielle Fontan, Jean-François Poron, Gérard Darrieu, Jacques Perrin, Sergio Gobbi, Alain Saury, Alan Scott. 
    Production : Silves Films (Robert Dorfmann), Cinétel/Paris et Zebra Film/Rome. 
    Tournage : 24 mars au 12 juillet 1958. 
    Sortie : 10 octobre 1958 au Marignan et au Marivaux (Paris). 
    Titre envisagé : Les Mains vides. 
    Durée : 125 minutes.
    Distinctions : Victoires du meilleur film français, de la meilleure actrice (P. Petit), 
    du meilleur acteur (Jacques Charrier) ; Grand Prix du Cinéma français (1958) ; 
    Prix du meilleur film français (Bruxelles, 1958).
    Note : Ce film est le plus grand succès de la saison 1958-1959 en France.
    SYNOPSIS

    Bob (Jacques Charrier) vient de la banlieue parisienne(signifie les quartiers huppés). Il tombe par hasard sur Alain (Laurent Terzieff), un jeune étudiant existentialiste avec qui il sympathise aussitôt. Ce dernier l'invite à venir à la superboum organisé par Clo (Andrea Parisy), fille de diplomate. Après une brève liaison avec cette dernière, Bob tombe amoureux de Mic (Pascale Petit), une autre fille de la bande d'Alain. Seulement, l'époque veut qu'on ne peut pas se dire ces choses là. Il faut rester libre quitte à fermer ses sentiments à double tour. Le résultat n'en sera que plus tragique...

    REVUE DE PRESSE

    LIBÉRATION,14/10/1958 (Simone Dubreuilh) 
    Marcel Carné est ce très grand metteur en scène français auquel les producteurs ont coutume de demander des comptes comme à une femme de ménage. C'est une chose bien étrange en effet que l'auteur du plus grand, du plus significatif des films français Les Enfants du Paradis soit justement celui duquel, après chaque film, on exige un « examen de passage », celui dont les devis sont épluchés, les moindres réclamations considérées comme outrecuidantes (..)Pour faire les Tricheurs, Marcel Carné a dû se battre comme au premier film. Et voici que ces Tricheurs éclatent comme une bombe, apportant le témoignage sur la jeunesse qui manquait au cinéma français. Pas un témoignage grivois, ou rose, cochon ou frivole. Non, un témoignage grave, désespéré, lyrique... Le traitement cinématographique est d'une ampleur, d'une richesse comparables à l'ampleur et à la richesse de celui du jour se lève mais, pour la « surboum » finale et la poursuite en voiture, on songera aux dernières images des Enfants du paradis... C'est du grand cinéma, fait d'observation, de vérité, de poésie non pas improvisée mais classique...
    LES LETTRES FRANÇAISES, 16/10/1958 (G. Sadoul) 
    ... L'homme importe plus encore qu'une forme parfaite. Je retiens surtout du film la chaleur dont Carné entoure ses personnages. Ces tricheurs sont décrits avec une compréhension et une tendresse fort loin de la froide indifférence d'un entomologiste ou de la supériorité assurée d'un moraliste...Au temps de l'équipe Carné-Prévert on avait pu reprocher à leurs films leur manichéisme, leur univers composé de bons et de méchants. Rien de cela ici.
    LE MONDE, 14/10/1958 (Jean de Baroncelli)
    Au-delà des apparences et de cette peinture souvent contestable d'une certaine jeunesse, on retrouve dans les Tricheurs le thème cher à Carné (ce fut celui de presque tous les films, de Quai des brumes à Juliette) des amoureux que leur amour même voue à la haine du destin. Le destin ici prend le visage d'une sorte d'anarchiste (remarquablement joué par Laurent Terzieff)... c'est à sa présence que le film doit cet accent tragique qui, par moments, fait sa grandeur.
    CINÉMA 58, décembre 1958, n° 32 (René Gilson)
    All is true, écrivait Balzac à la troisième page du Père Goriot, et il avait tout inventé. « Je n'ai rien inventé », dit Marcel Carné et d'aucuns s'écrient : « Tout est faux!» Récusons tous ces témoignages contradictoires d'anciens ou actuels « tricheurs » et de ceux-qui-les  connaissent-bien... ces personnages, dont Carné rappelle avec tant d'insistance qu'il les a pris tout vifs dans la réalité, sont aussi devenus des personnages de l'éternel Carné repris par son obsession de la tragédie, d'un Marcel Carné qui réalise avec le personnage d'Alain la plus réussie et la moins consciente de ses incarnations du destin... en dépit de ses imperfections... c'est l'un des deux films français les plus importants et les plus courageux de l'année.

     

     

    Interview de Marcel Carné parue dans l'édition Balland du livre-film Les Enfants du Paradis, 1974





    Comment sont nés les Enfants du Paradis ?


    - J'avais signé avec André Paulvé un contrat pour trois films. Le premier, les Visiteurs du soir, avait été très bien accueilli par la presse et par le public. Nous étions donc, Jacques et moi, à la recherche d'un sujet. Nous devions, en principe, faire Nana d'après Zola, mais nous nous sommes heurtés à un problème de droits. Nous avons pensé à un Milord l'Arsouille, avec Pierre Brasseur dans le rôle principal; maisMilord l'Arsouille, c'est l'apologie du luxe, de l'argent et nous trouvions ça un peu indécent en pleine guerre. Nous y avons donc renoncé. Prévert vivait à ce moment-là dans le Midi à Tourette-sur-Loup et nous nous y retrouvions souvent. Un jour, nous nous promenions tous deux sur la Promenade des Anglais à Nice lorsque nous rencontrons Jean-Louis Barrault qui, intarrissable comme toujours, se met à raconter un tas d'histoires, en vient à parler du célèbre mime Jean-Gaspard Debureau et nous fait le récit suivant : 
    « A l'apogée de sa gloire, Debureau se promène sur le Boulevard du Crime en compagnie de sa maîtresse lorsqu'ils sont interpellés par un ivrogne qui les insulte. Debureau le repousse, mais celui-ci revient de plus belle à la charge et injurie la femme. Ivre de fureur, Debureau lève sa canne et trappe l'homme, le laissant mort sur le trottoir. S'ensuit, bien sûr, un procès auquel on voit se presser tout Paris, afin de connaître enfin la voix du célèbre Debureau ». Très excités, avec Prévert, nous décidons de faire de cette histoire le sujet de notre prochain film. Mais, nous nous sommes vite rendus compte qu'il s'agissait d'une fausse bonne histoire pour le cinéma. En effet, si Jean-Louis Barrault interprétait comme prévu Debureau, l'intérêt de la « chute » était nul car tout le monde connaissait sa voix, mais nous risquions de rencontrer l'indifférence générale si le personnage central du film était joué par un inconnu. Prévert était partisan de renoncer, mais j'aimais énormément cette époque, son atmosphère, le Boulevard du Crime, ses héros, etc. Je suis donc revenu à Paris et me suis mis à la recherche de documents. Pendant trois semaines environ, j'ai travaillé au musée Carnavalet, dans le cabinet des Estampes où j'ai fait faire à peu près deux cents photographies. J'ai également épuisé toutes les librairies théâtrales de Paris où j'ai recherché tous les ouvrages sur le théâtre et les théâtres de l'époque, sur les comédiens, etc... puis ramené le tout à Prévert et lui ai dit : « Jacques, voilà le film ». Dans cette masse de documents, il y avait un nom, un personnage qui fascinait particulièrement Jacques, c'était Lacenaire, et je peux presque affirmer qu'il n'a écrit le scénario des Enfants du Paradis que parce qu'il y avait LacenaireAndré Paulvé a accepté notre projet et nous avons commencé à travailler à l'écriture du scénario. Très vite, nous nous sommes aperçus que le film allait être très long. André Paulvé a suggéré que nous fassions un film en deux épisodes; ce que j'ai accepté à la condition que le film ne passe qu'en une seule fois lors de l'exclusivité.

    Dans quelle mesure, le film respecte-t-il la réalité historique ?

    - Le comte de Montray est un personnage inventé, celui de Garance aussi : elle est en quelque sorte le révélateur des différentes formes possibles de l'amour. Frédérick Lemaître a toujours eu des aventures de toutes sortes. Ce n'était donc guère trahir que de lui en inventer quelques-unes supplémentaires. En ce qui concerne Debureau, nous avons été très fidèles à la réalité et nous avons respecté les principaux épisodes de sa vie. Les détails sont tous, ou presque, authentiques, ainsi l'article de Théophile Gautier sur « Chand d'habits » ou l'expression « le Paradis » que j'ai trouvée chez Jules Janin. Le « paradis » qui est aujourd'hui « le poulailler », d'où le titre du film. Les enfants du « paradis » sont les spectateurs du poulailler mais aussi les acteurs. 

    Comment s'est déroulé le tournage ?

    - Le tournage a commencé aux studios de la Victorine à Nice avec les scènes se déroulant au « Grand Relais », l'auberge où habitent Frédérick et Baptiste; suivaient celles du « Rouge-Gorge », le coupe-gorge de la barrière de Ménilmontant. Jusque-là, tout s'était bien passé, nous devions aborder les scènes se déroulant sur le Boulevard du Crime qui avait été entièrement reconstruit dans le grand parc du studio lorsque sont survenus les événements d'Italie, le renversement de Mussolini et l'occupation de la zone Sud par les troupes allemandes. De Vichy, nous avons reçu l'ordre de rentrer immédiatement à Paris et de tout abandonner. Avec une dizaine de jours de tournage supplémentaire, je pouvais terminer les scènes de foule sur le Boulevard et ainsi sauver le film. J'ai essayé, en vain, d'obtenir ce délai de dix jours. Il nous a fallu rentrer à Paris. Puis, pour des raisons qui sont demeurées obscures, les Allemands ont interdit toute activité professionnelle à André Paulvé.
    Nous pensions donc que nous ne finirions jamais le film lorsque le Comité d'organisation de l'industrie cinématographique, qui deviendra plus tard le CNC (Centre national de la cinématographie), a contacté la société Pathé Cinéma pour qu'elle reprenne le tournage. Les tractations ont duré deux bons mois. Finalement, le film a pu être remis en chantier. A partir de ce moment-là, il n'y a pas eu, à vrai dire, beaucoup de difficultés, hormis celles que nous avons rencontrées de nouveau à Nice. En effet, pendant que nous tournions à Paris, un cyclone a à moitié détruit les décors du Boulevard du Crime. lI a fallu reconstituer le décor tel qu'il était initialement. Cela a coûté la bagatelle de 700 000 francs de l'époque. Pour vous donner une idée, on peut estimer que le film a coûté 55 millions. Aujourd'hui, il faudrait à peu près 2 milliards et demi pour le réaliser. De plus,lorsque nous sommes revenus tourner à Nice, la ville était occupée par les Allemands. Et, alors que les Italiens avaient accepté de nous laisser tourner la nuit sur le boulevard entièrement éclairé avec des projecteurs, les Allemands ont absolument refusé. C'est-à-dire que j'ai dû à nouveau revenir à Paris, reconstituer en studio des éléments de décor et tourner des plans de raccord alors qu'en réalité j'avais prévu de montrer tout le boulevard illuminé le soir de la première au Grand Théâtre et lorsque Debureau et Frédérick Lemaitre boivent le vin chaud à la sortie des Funambules.
    Il faut que j'ajoute une chose au sujet du tournage à Nice. Quand j'ai tourné le carnaval, les Niçois étaient privés depuis quatre ans de leur carnaval; ils s'en sont donné à coeur joie. Ils se sont amusés comme des enfants et c'est à cela sûrement que je dois en partie la réussite de la scène finale.

    N'y a t-il pas eu d'autres difficultés tenant à l'occupation ?

    - Nous étions obligés d'employer un pourcentage minimum de figurants affiliés à un syndicat contrôlé par les Allemands; peut-être parce que nous n'y mettions pas une très bonne volonté, peut-être parce que nous ne respections pas toujours exactement le pourcentage, nous avions fréquemment des descentes de policiers qui se présentaient au studio et qui contrôlaient toute la figuration. Ainsi le jour où nous tournions la scène finale, le carnaval. Un régisseur vient me trouver et me dit : « deux messieurs » demandent Untel (un des figurants). Sa femme vient d'avoir un accident, elle se trouve à l'hôpital et veut le voir. Un peu intrigué, je le charge de dire que ce figurant n'est pas là. Cinq minutes plus tard, le régisseur revient : « Les messieurs insistent. Ils se montrent très vivement émus, disent que cette femme a les deux jambes sectionnées, qu'elle n'a plus que quelques heures à vivre et qu'on ne peut lui refuser la joie de voir son mari. » J'ai malheureusement cru à cette histoire et j'ai fait appeler le « mari ». A peine était-il arrivé au bureau de la régie que les deux types l'ont emmené : c'était la Gestapo.
    Je peux vous citer l'épisode Le Vigan. II devait tenir le rôle de Jéricho, le marchand d'habits. Il en avait composé une silhouette assez extraordinaire. J'ai très exactement tourné un plan avec lui car, quand Le Vigan a réalisé que la guerre allait se terminer par la défaite de l'Allemagne, il a pris peur et s'est enfui à Sigmaringen. Il faut dire qu'il avait tenu des propos antisémites à la radio. Evidemment, il a fallu le remplacer, et ce, du jour au lendemain, ce qui n'était guère facile. J'ai d'abord pensé à Pierre Alcover dont j'avais beaucoup aimé la création dans Drôle de drame et j'ai fait un essai avec lui. Malheureusement, il était très malade. J'ai donc fait appel à Pierre Renoir.

    N'avez-vous pas rencontré d'autres difficultés en ce qui concerne la distribution ?


    - Non. Mais je voudrais vous raconter une curieuse histoire. Au moment où nous devions tourner, Jean-Louis Barrault assurait la mise en scène du Soulier de satin à la Comédie-Française. II n'était pas certain de pouvoir se libérer pour le film. Je cherchai donc une éventuelle solution de rechange et, un jour, je remarquai à l'ABC, célèbre music-hall de l'époque, un mime qui ressemblait de manière frappante à Debureau, grand, mince, le visage légèrement arrondi. Ce mime, c'était Jacques Tati.

    Vous avez mis très longtemps à terminer le film. Pourquoi ?

    - Je voulais que ce soit le premier film important qui sorte après la guerre. Le film est sorti le 22 avril et l'armistice a été signé le 8 mai. Le film terminé, nous avons organisé une projection à Joinville pour les gens de chez Gaumont puisque Gaumont devait l'exploiter dans ses salles. Ils ont manifesté le désir de passer le film en deux époques; la première passant au Colisée et la seconde au Madeleine. J'ai alors rappelé à Paulvé la promesse qu'il m'avait faite de le passer en une seule fois et j'ai ajouté : « Faites trois séances par jour dont une soirée à 9 h avec location. Les gens seront ravis. Contrairement à ce qui se passe habituellement au cinéma, le spectacle durera toute la soirée. Vous pouvez même, comme au théâtre, faire un entracte. » J'ai obtenu gain de cause. Le film est resté cinquante-quatre semaines en exclusivité dans les deux salles...

    Interview de Marcel Carné proposée aux visiteurs de Rien ne te soit inconnu par Bienvenu Merino

     

     

     

     

  • LE SACRE DU TYMPAN & ANDRE POPP, MICHEL MAGNE, FRANCOIS DE ROUBAIX, FRANCIS LAI

     

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    Nous l'apprenons dans les pages Rendez-vous de Jazz Magazine, Fred Pallem et Le Sacre du Tympan s'apprêtent à donner leur lecture des BOF de François de Roubaix, Michel Magne, André Popp et Francis Lai. L'événement qui aura lieu en 2010 suivra deux directions. La première, sous forme d'un tentet (quintette de cuivres et rythmique rock) ; la seconde en quintette electro, avec vidéo, orientée vers les musiques de François de Roubaix.

    Le Sacre du Tympa sera présent au New Morning, le 19 décembre prochain, accompagné des chanteuses Sandra Nkaké et Juliette Paquereau.

    Par ailleurs, il est de nouveau question d'une réédition des deux albums des Plus belles musiques de films de François de Roubaix. Restons aux aguets.

     

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  • LE LUX-BASTILLE SE VOIT DANS LES FISSURES DE L'OPERA-BASTILLE

     

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    On lézarde le cœur à coups de pioches dans la ville. Me suis-je vraiment fait au nouveau design de la rue du Pressoir (Paris, vingtième arrondissement) ? Mon regard est à jamais bouché par la façade de l'Opéra Bastille qui dresse un mur sur mes deux lignes de fuite.

    Ainsi qu'on le voit sur cette image, il existait, avant sa destruction, en 1984, une gare et ses locomotives à vapeur, qui desservait mes eldorados du dimanche. Je l'ai souvent pratiquée dans les années 1960, mes parents ne possédant pas de voiture, pour aller respirer le grand air à Verneuil-l'Etang et voir l'herbe plus verte qu'ailleurs. Mais, lorsque le temps ne s'y prêtait pas, nous partions pour un autre voyage. Celui-là s'effectuait dans la salle immense du Lux-Bastille, un cinéma aux allures d'ancienne Egypte, où, muni de bonbons qui fondent dans la bouche mais pas dans la main, j'assistais à des départs organisés par Jean-Pierre Melville ou Robert Enrico. Ce Temple, me semble-t-il, était celui du cinéma français.

    Pour élever cet Opéra qui se fissure et où jamais je n'ai mis les pieds, on caterpillarisa mon enfance, cette seule enfance que l'on possède et qui est notre unique trésor.

    Au passage, je serais plutôt comblé, éternellement reconnaissant, si parmi vous, d'aucuns détenaient dans leurs archives, d'autres images de cette Place de la Bastille, ouvrant des perspectives sur sa gare d'autrefois et son cinéma luxueux. Elles seraient mises en ligne aussitôt et aussitôt chéries. Guy Darol

     

     

  • GERARD COURANT ❘ CINEMA ELDORADO

     

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    Jeudi 22 octobre, deux épisodes inédits des Carnets Filmés de Gérard Courant seront projetés au cinéma Eldorado de Dijon.

     

    BURGUNDIA II

    (2007, 1 heure 2 minutes)

     

    PROMENADE DANS LES LIEUX DE MON ENFANCE DIJONNAISE

    (2008, 1 heure 8 minutes)

     

    GÉRARD COURANT est un cinéaste spécialisé dans les films au long cours. On connaît son CINÉMATON qu’il tourne depuis 1978 et qui dure environ 150 heures. On connaît moins ses CARNETS FILMÉS qu’il a commencés dans les années 1970, qu’il poursuit aujourd’hui et dont la durée dépasse les 100 heures. Les CARNETS FILMÉS sont des archives cinématographiques qui regroupent toutes sortes d’éléments épars : essais, notes, croquis, esquisses, repérages, reportages, voire des rushes ou des films inachevés rassemblés ici pour former un ensemble proche de l’esprit d’un journal en littérature ou des cahiers de croquis ou d’esquisses chez un peintre.

    Jusqu’en 1992, les CARNETS FILMÉS de GÉRARD COURANT ne sont pas montés. Ils sont seulement conservés et classés dans un ordre chronologique de tournage. A partir de cette date, GÉRARD COURANT a commencé à monter les premières années en y adjoignant des inter-titres, un peu à la manière du cinéma muet. C’est en 1995 avec l’épisode LE PASSÉ RETROUVÉ que les CARNETS FILMÉS sont montés à mesure de leur tournage. Ces épisodes recouvrent des périodes allant en général de six mois à un an (et parfois même deux, voire trois ans) et durant entre 45 minutes et 2 heures. Peu à peu, ils sont transférés sur support numérique et GÉRARD COURANT les sonorise en composant des partitions sonores sur ce nouveau support.

    Parallèlement à ses CARNETS FILMÉS en cinéma Super 8, GÉRARD COURANT tourne également des CARNETS FILMÉS en vidéo dont les épisodes recouvrent des durées beaucoup plus courtes. (De nombreux épisodes anciens ne sont pas encore montés ou sont en cours de montage). Certains épisodes recouvrant seulement quelques jours, voire un seul jour comme sa trilogie ALICUDI, filmée sur trois journées en 2007.

    En 2007 et 2008, GÉRARD COURANT a filmé une dizaine d’épisodes avec téléphone portable qu’il a rassemblé sous le titre de DÉCALOGIE DE LA NUIT. Ces épisodes ont la particularité d’exister en deux versions différentes, le cinéaste oeuvrant un peu à la manière de musiciens qui composent des variations d’une même pièce sonore.

    GÉRARD COURANT a terminé à ce jour 90 épisodes de ses CARNETS FILMÉS : 33 sur support cinéma Super 8, 38 sur support vidéo et 19 avec téléphone portable. En 2009, l’ensemble de ce film en cours de tournage perpétuel dure 102 heures.

     

    Filmographie Carnets filmés en Super 8

     

    1977 : Aurore collective (1er janvier 1971 - 31 décembre 1977) 30 minutes.

    1978 : Le Contrebandier des profondeurs (1er janvier 1978 - 31 décembre 1978) 40 minutes.

    1979 : Jardins clandestins (1er janvier 1979 - 31 décembre 1979) 1 heure 23 minutes.

    1981 : Chemins intermédiaires (1er janvier 1980 - 31 décembre 1981) 1 heure 20 minutes.

    1982 : Montagnes endormies (1er janvier 1982 - 31 décembre 1982) 1 heure 35 minutes.

    1983 : Printemps météore (1er janvier 1983 - 18 mai 1983) 1 heure 25 minutes.

    1983 : Le Naufragé et le prisonnier (24 mai 1983 - 26 juin 1983) 1 heure 20 minutes.

    1983 : Le Voyageur sans ombre (29 juin 1983 - 6 août 1983) 1 heure 20 minutes.

    1983 : L'Arbre de la vie (10 août 1983 - 30 novembre 1983) 1 heure 15 minutes.

    1983 : Le Monde impatient (1er décembre 1983 - 31 décembre 1983) 1 heure.

    1984 : Les Vivants et les morts (1er janvier 1984 - 31 mars 1984) 1 heure 30 minutes.

    1984 : La Marche du temps (1er avril 1984 - 31 décembre 1984) 1 heure 15 minutes.

    1985 : Nuits transparentes (1er janvier 1985 - 31 décembre 1985) 1 heure.

    1986 : Les Jours et les nuits (1er janvier 1986 - 31 décembre 1986) 1 heure 15 minutes.

    1987 : Le Passeur immobile (1er janvier 1987 - 31 décembre 1987) 1 heure 20 minutes.

    1988 : L'Artifice et le factice (1er janvier 1988 - 31 décembre 1988) 2 heures.

    1991 : Le Nouvel hiver (1er janvier 1989 - 31 décembre 1991) 1 heure 50 minutes.

    1992 : La Terre des vivants (1er janvier 1992 - 30 juin 1992) 1 heure 7 minutes.

    1992 : Travelling (1er juillet 1992 - 31 décembre 1992) 1 heure 3 minutes.

    1993 : Vie (1er janvier 1993 - 31 décembre 1993) 1 heure 5 minutes.

    1994 : Le Passager solitaire (1er janvier 1994 - 31 décembre 1994) 1 heure 40 minutes.

    1995 : Le Passé retrouvé (1er janvier 1995 - 20 mai 1995) 1 heure 47 minutes.

    1995 : Itinéraires héréditaires (21 mai 1995 - 8 novembre 1995) 1 heure 36 minutes

    1996 : Le Ciel écarlate (8 novembre 1995 - 22 septembre 1996) 1 heure 31 minutes

    1997 : Voyage au centre du monde (16 mars 1997 - 16 avril 1997) 1 heure 10 minutes

    1998 : Le Nouveau désert (29 octobre 1996 - 31 décembre 1998) 1 heure 25 minutes.

    1999 : Derrière la nuit (1er janvier 1999 - 31 décembre 1999) 1 heure 22 minutes.

    2000 : Tout est brisé (1er janvier 2000 - 31 décembre 2000) 1 heure 20 minutes.

    2001 : Route d'argent (1er janvier 2001 - 31 décembre 2001) 1 heure 50 minutes.

    2002 : Zones césariennes (1er janvier 2002 - 31 décembre 2002) 48 minutes.

    2003 : Car seuls les nouveaux Dieux ont mordu la pomme de l'amour (1er janvier 2003 - 31 décembre 2003) 1 heure 1 minute.

    2004 : Délices lointains (1er janvier 2004 - 31 décembre 2004) 2 heures 5 minutes.

    2006 : Là-bas (1er janvier 2005 - 31 août 2006) 1 heure.


    Filmographie Carnets filmés en vidéo

    1975 : Philippe Garrel à Digne (Premier voyage) (2 mai 1975) 1 heure 43 minutes.

    1979 : Philippe Garrel à Digne (Second voyage) (28 avril 1979) 56 minutes.

    1982 : Passions (entretien avec Philippe Garrel I) (6 juin 1982) 1 heure 32 minutes.

    1988 : Et si on jouait (20 octobre 1988 - 25 octobre 1988) 27 minutes.

    2001 : Place Saint Michel (15 janvier 2001 - 28 janvier 2001) 80 minutes.

    2001 : Florence Loiret-Caille, Cinématon n° 2013 (17 janvier 2001) 29 minutes.

    2001 : Lucia Sanchez, Cinématon n° 2014 (24 janvier 2001) 23 minutes.

    2002 : Périssable paradis II (notes pour un monde nouveau) (2 septembre 2002 - 4 septembre 2002) 1 heure 21 minutes.

    2003 : Autour de 24 Passions (18 avril 2003) 32 minutes.

    2003 : Une semaine sainte (15 avril - 18 avril 2003) 1 heure 1 minute.

    2004 : Marsiho (Journal du FID 2004) (3 juillet 2004 - 5 juillet 2004) 2 heures 3 minutes.

    2004 : Lisa et Rose-Anaël (29 juillet 2004 - 30 juillet 2004) 30 minutes.

    2004 : Causerie d'un Martien en exil à Lyon (26 juillet 2004) 52 minutes.

    2004 : Un été amoureux (8 août 2004 - 17 septembre 2004) 1 heure 1 minute.

    2004 : Exposicion (Journal du Mexique) (23 octobre 2004 - 11 novembre 2004) 2 heures 4 minutes.

    2005 : Zouzou à Saint-Denis (5 février 2005) 44 minutes.

    2005 : Marselha (Journal du FID 2005) (2 juillet 2005 - 6 juillet 2005) 1 heure 21 minutes.

    2005 : Destination Fourvière (5 octobre 2005) 1 heure 28 minutes.

    2005 : Lugdunum (Journal du festival Doc en Courts 2005) (6 octobre 2005 - 8 octobre 2005) 1 heure 38 minutes.

    2006 : Un débat À travers l'univers (30 mars 2006) 1 heure 32 minutes.

    2006 : L'Ascension de Notre-Dame de la Garde et la descente vers le Vieux-Port de Marseille (23 septembre 2006) 1 heure 2 minutes.

    2007 : Jean-François Gallotte fait son cirque sur Zaléa TV (26 janvier 2007) 1 heure 2 minutes.

    2007 : Voyage dans les îles du Frioul (23 février 2007) 42 minutes.

    2007 : Alicudi 1 Bella (24 avril 2007) 1 heure 19 minutes.

    2007 : Alicudi 2 Selvaggia (25 avril 2007) 1 heure 8 minutes.

    2007 : Alicudi 3 Lontana (26 avril 2007) 1 heure 19 minutes.

    2007 : Rituels (6 avril 2007 - 25 octobre 2007) 1 heure 54 minutes.

    2008 : Fêtes blanches (21 mars 2008 - 20 septembre 2008) 1 heure 34 minutes.

    2008 : Jean Cocteau, Derek Jarman, Dresde de sang et de feu sur Radio Libertaire (2 avril 2008) 33 minutes.

    2008 : Coffret JM (25 juin 2008) 11 minutes.

    2008 :  ant">Saint-Marcellin vu par Gérard Courant (24 décembre 1983 - 21 septembre 2008) 1 heure 56 minutes.

    2008 : Promenade dans les lieux de mon enfance dijonnaise (2 novembre 2008) 1 heure 8 minutes.

    2008 : Le Tour du lac Kir (3 novembre 2008) 48 minutes.

    2008 : Un soir à Gennevilliers (13 décembre 2008) 19 minutes.

    2008 : Illuminations (26 décembre 2008) 1 heure 3 minutes.

    2009 : Tout était clair (2 avril 2009 - 25 mai 2009) 2 heures 8 minutes.

    2009 : L'Anniversaire de Bambou (8 mai 2009) 1 heure 37 minutes.

    2009 : Direction Sud-Est (8 août 2009 - 13 août 2009) 1 heure 28 minutes.


    Filmographie Carnets filmés avec téléphone portable

    2007 : Dans la gloire intime des nuages enflammés (26 novembre 2007 et 7 décembre 2007) 1 heure 15 minutes.

    2007 : Dans la gloire intime des nuages enflammés II (26 novembre 2007 et 7 décembre 2007) 1 heure 15 minutes.

    2007 : Banlieue Ouest (24 novembre 2007 et 9 décembre 2007) 42 minutes.

    2007 : Banlieue Ouest II (24 novembre 2007 et 9 décembre 2007) 42 minutes.

    2007 : Banlieue Est (12 décembre 2007 - 14 décembre 2007) 1 heure 11 minutes.

    2007 : Banlieue Est II (12 décembre 2007 - 14 décembre 2007) 1 heure 11 minutes.

    2007 : Massalia (20 décembre 2007) 27 minutes.

    2007 : Massalia II (20 décembre 2007) 27 minutes.

    2007 : Burgundia (23 décembre 2007 - 28 décembre 2008) 1 heure 2 minutes.

    2007 : Burgundia II (23 décembre 2007 - 28 décembre 2008) 1 heure 2 minutes.

    2008 : Le Temps et les rêves (9 janvier 2008 - 14 janvier 2004) 1 heure 11 minutes.

    2008 : Le Temps et les rêves II (9 janvier 2008 - 14 janvier 2004) 1 heure 11 minutes.

    2008 : Dresde de sang et de feu (24 janvier 2008 - 27 janvier 2008) 1 heure 2 minutes.

    2008 : Dresde de sang et de feu II (24 janvier 2008 - 27 janvier 2008) 1 heure 2 minutes.

    2008 : Louanges téméraires des heures divines (3 février 2008 et 6 février 2008) 1 heure 10 minutes.

    2008 : Louanges téméraires des heures divines II (3 février 2008 et 6 février 2008) 1 heure 10 minutes.

    2008 : La Ville des fantômes (15 et 16 décembre 2007, 6 et 19 janvier 2008, 10 février 2008) 2 heures 2 minutes.

    2008 : La Ville des fantômes II (15 et 16 décembre 2007, 6 et 19 janvier 2008, 10 février 2008) 2 heures 2 minutes.

    2008 : Rétrocompression (24 novembre 2007 - 10 février 2008) 45 minutes.

     

    Renseignements :

    LES AMIS DE CINEMATON

    37, boulevard Rouget de Lisle

    93100 Montreuil

    Téléphone : 01 48 59 76 92

    Courriel : gerard.courant@club-internet.fr

    Site : www.gerardcourant.com

     

    CINÉMA ELDORADO

    Site : www.cinéma-eldorado.fr