Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

DISSIDENCE UNIVERSELLE

  • PSYCHOGEOGRAPHIE ❘ POETIQUE DE L'EXPLORATION URBAINE

    Psycho-géographie.jpg

     

    La dérive ainsi que la psychogéographie (deux mots reflets) sont assurément issus du calame de Guy Debord, à partir de 1955 et des Lèvres Nues ♯ 6. Rappelons que la théorie de la dérive fut publiée dans la revue de Marcel Mariën et Paul Nougé avant que de s'affirmer comme modus vivendi dans Internationale Situationniste.

    Un volume placé sous le signe de Mervin Coverley et édité par Les Moutons Electriques déplie le champ de la psychogéographie de sorte que cette notion devenant le terrain vague de l'aventure est désormais originée dans un passé antérieur aux années 1950.

    Ce livre illustré à plaisir propose une frise chronologique qui fait pointer la notion du côté de William Blake et de Thomas de Quincey, de Charles Baudelaire et de Walter Benjamin. La marche sans but en zone urbaine, là où la grâce ne lance presque jamais d'appels, se découvre des guides qui se nomment Arthur Machen, Jacques Yonnet, Robert Giraud ou André Hardellet. La psychogéographie dévoile ses initiateurs munis de leurs propres passions, également de théories disons légères (ce qui n'est pas péjoratif ; un dériveur digne de ce nom refuse le fardeau des mots et des choses). Il va.

    C'est donc un formidable monument à la dérive que ce livre qui mène à Londres (dans les pas de Robert Louis Stevenson et de Iain Sinclair (lequel tient William Blake pour "le parrain de la psychogéographie"), et bien sûr à Paris en suivant, par exemple, Joris-Karl Huysmans, André Breton ou Louis Aragon. 

    Les angles s'ouvrent. La psychogéographie s'enrichit d'une foule de contributeurs qui avancent seuls, jamais en foule. Il est bien sûr question de Villon, de Fargue, de Mercier, de Mac Orlan, de Carco et de Jean-Paul Clébert qui explora la ville désargentée. Car l'or du dériveur est immatériel comme le temps qui s'enfuit, comme la rencontre qui ne dure pas, sauf à s'officialiser dans l'ennui.

    Je m'y trouve évoquant la rue du Pressoir (Paris, vingtième arrondissement), ses adjacentes et l'humanité d'un temps où l'instant est une conquête. Et l'on y trouve des chemins indiqués par André-François Ruaud (le concepteur de l'ouvrage), Olivier Bailly, Julien Bétan, David Calvo, Raphaël Colson, Damien Dion, Sara Doke, Patrick Marcel, Isabelle Ballester, Daylon, Patrick Imbert, Jean Ruaud.

     

    PSYCHO-GEOGRAPHIE !

    POETIQUE DE L'EXPLORATION URBAINE

    Merlin Coverley/

    LES MOUTONS ELECTRIQUES, EDITEUR

    Bibliothèque des Miroirs

    194 p., 21 €

  • LE DICTIONNAIRE EUSTACHE ET BIENTOT TOUS SES FILMS

     

    eustache.jpg

     

     

    Antoine de Baecque a bien raison de dire que les amateurs de Jean Eustache sont une poignée d'irréductibles. Nous sommes comme des fans hardcore. Nous guettons le moindre signe de revie. On exulte dès lors que paraît un dictionnaire Eustache. Nous sommes impatients dès lors que l'on apprend l'édition d'un coffret de 7 DVD. Quelque chose d'étrange nous agite. Une mélancolie au coeur de la mélancolie ? Nous avons découvert le cinéma de Jean Eustache au cinéma. Nous avons eu la chance de fréquenter les salles qu'il fallait fréquenter : L'Olympic, Le Saint-André-des-Arts. La télévision, au temps où elle aimait le cinéma, répondait à notre curiosité infinie. Jean Eustache accomplissait à sa manière l'oeuvre de saluer l'histoire, pas l'histoire avec une grande hache, l'histoire personnelle. Celle qui a à voir avec le sens de la vie de tout un chacun. Celle qui nous fait aimer Marcel Proust, Gérard de Nerval, André Hardellet, Clément Lépidis, Henri Calet. La liste est longue et chacun d'entre nous saura la compléter à sa manière. Nous sommes eustachiens de corps et de coeur. Vous l'avez deviné, nous aimons la littérature. Nous avons lu Rimbaud, Louis-Ferdinand Céline. Nous avons "lu" Eustache, cet écrivain pour les yeux et l'oreille. Nous aimons les mots. Nous aimons sa langue. Nous avons un corps et un coeur de lecteur-spectateur. La langue, chez Jean Eustache, est d'une précision qui ne supporte pas l'indécision. L'image n'est jamais bavarde. Autant dire qu'avec Eustache nous sommes au cinéma L'Eden. Chacun se souvient de L'Eden. Nous avons tous connu L'Eden. 

    Un dictionnaire Eustache, c'est risqué. Nous sommes aux aguets depuis si longtemps. Nous avons tout lu, tout grapillé. Rien ne nous échappe à propos d'Eustache. C'est notre ami. On espère chaque jour de ses nouvelles. 

    Antoine de Baecque et son équipe (un dictionnaire est presque toujours une oeuvre plurielle) nous met en joie. En joie, vraiment. Nous avons lu. Nous avons relu. Vous ricanez, je vois. Nous sommes trop fan, trop à fond les ballons. On boirait n'importe quel jaja. Du tout, chers visiteurs. L'amateur d'Eustache est féroce et ardent. Il peut se fâcher.

    Il ne se fâche pas. Il apprend. Il découvre des mises en relation, des connections. Il aurait aimé quand même une filmographie commentée de sorte que ce Dictionnaire aurait été vachement complet. Mais en dépit des pannes techniques, l'amateur d'Eustache est heureux. Voici un livre de chevet. Un livre qui deviendra foutrement utile lorsque en mai prochain (mai 2011), Tamasa distribution rendra disponible l'oeuvre complète. Merci Patrick et Boris Eustache, les fils du plus littéraire de tous les cinéastes mappemondiaux. Je le dis, ce livre le confirme. Bordel ! Guy Darol

     

    LE DICTIONNAIRE EUSTACHE

    SOUS LA DIRECTION D'ANTOINE DE BAECQUE

    (Avec les contributions de Philippe Azoury, Sonia Buchman, Jean-François Buiré, Marc Cerisuelo, Angie David, Samuel Douhaire, Jean-Luc Douin, Avril Dunoyer, Rémi Fontanel, Marie Anne Guérin, André Habib, Michel Marie, Olivier Pélisson, Natacha Thiéry, Francis Vanoye)

    EDITIONS LEO SCHEER

    327 pages, 30 €

    SITE DE L'EDITEUR

     

    COMMANDER LE COFFRET JEAN EUSTACHE EN 7 DVD + UN LIVRET DE 64 PAGES

     

     

    jean eustache,antoine de baecque,la maman et la putain,marcel proust,andré hardellet,gérard de nerval,clément lépidis,henri calet,cinéma,paris,narbonne,le dictionnaire eustache,les films de jean eustache,le cinéma de jean eustache

     

     

     

  • LA SOI-DISANT UTOPIE DU CENTRE BEAUBOURG ❙ ALBERT MEISTER

    Utopie.jpg

     

    Les éditions Burozoïque ont eu la bonne idée de faire paraître La soi-disant utopie du centre Beaubourg, publiée en 1976 sous le pseudonyme de Gustave Affeulpin lequel dissimulait le nom d'Albert Meister, sociologue spécialiste des questions de développement et des organisations associatives.

    Cette utopie positive, unique en son genre, imagine la possibilité d'une vie collective et autonome dans les sous-sols du Centre Beaubourg "noble" inauguré le 15 décembre 1976. 

    Ce qui aurait eu lieu, dans ce lieu à venir, est ici postulé comme une expérience libertaire sur le mode de la théorie-fiction. Une hypothèse qui n'est pas loin de s'accorder avec les perspectives pour un urbanisme nouveau déclinées par Gilles Ivain dans la première livraison d'Internationale Situationniste (juin 1958) : "L'architecture de demain sera donc un moyen de modifier les conceptions actuelles du temps et de l'espace. Elle sera un moyen de connaissance et un moyen d'agir".

    Ce moyen "de moduler la réalité, de faire rêver" est parfaitement mis en oeuvre dans ce délicieux ouvrage où triomphe la culture au service de la vie.

    La soi-disant utopie du centre Beaubourg est augmenté d'une brillante postface d'Eric Dussert célébrant "l'une des rares utopies à 0% de contrainte".

     

    meister.gif

    ALBERT MEISTER

    LA SOI-DISANT UTOPIE DE CENTRE BEAUBOURG

    Avec onze dessins originaux d'Ultralab

    BUROZOIQUE

    COLLECTION LE REPERTOIRE DES ILES

    246 pages, 14 €

  • SUR LES TRACES D'ALICE ERNESTINE PRIN DITE KIKI DE MONTPARNASSE

    Bienvenu Merino revient sur son enfance où sont les traces de Kiki de Montparnasse.

    Lire la suite

  • LEON TOLSTOI ❘ LE ROYAUME DES CIEUX EST EN VOUS

     

    tolstoï.jpg

     

    Pour Léon Tolstoï, 1879 marque un recommencement. C'est l'année où l'écrivain de Guerre et Paix et d'Anna Karénine se fait homme neuf. Il se détache de l'auteur à succès ayant vie confortable et devient militant de la non-violence sous les clartés des Evangiles et de Henry David Thoreau. Il adhère au Christ mais rejette la religion officielle qui est selon lui religion de violence. L'écrivain devient moraliste et compose Le Royaume de Dieu est en vous (1891-1893), l'ouvrage le plus difficile qu'il ait eu à écrire, ainsi qu'il s'en confie à son ami Vladimir Tcherkov. Le livre qui inspira l'ahima de Gandhi, et dont la lecture fit vaciller certains qui avaient foi dans les vertus de la guerre, ne fut pas toujours disponible en librairie. Les remarquables éditions Le passager clandestin en proposent une édition présentée par Alain Refalo, président du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées, auteur de En conscience, je refuse d'obéir. Résistance pédagogique pour l'avenir de l'école (Editions des Ilots de Résistance, 2010).

    Augmenté d'une consistante préface qui guide la lecture, Le Royaume des cieux est en vous consiste  en un essai de haute actualité par son double postulat, l'un favorable à la désobéissance civile, l'autre à la révolution spirituelle.

    Il est publié chez un éditeur au catalogue excitant, dans lequel on retrouve les noms de Zo d'Axa, Jonathan Swift, Paul Lafargue, Auguste Blanqui, Voltairine de Cleyre, Elisée Reclus et cette collection bien utile intitulée Désobéir où l'on instruit à Désobéir pour le logement, pour le service public, par le rire ou encore avec les sans-papiers

    tolstoi.jpg

    LE ROYAUME DES CIEUX EST EN VOUS

    LEON TOLSTOI

    PRESENTE PAR ALAIN REFALO

    189 pages, 12 €

    LE PASSAGER CLANDESTIN EDITEUR

     

     

    CONSULTER LE PASSAGER CLANDESTIN

  • ROMAIN SARNEL



    ROMAIN SARNEL, docteur en philosophie, enseigne la philosophie à l'Ecole d'art Académie Grandes Terres (5, rue de Charonne 75011 Paris) et participe au Groupe de recherche Voir et produire des images d'art et de science dirigé par Damien Schoëvaërt-Brossault (Université de Paris-Sud). En 2000, il publie Prologue de Zoroastre, une nouvelle traduction du texte de Friedrich Nietzsche, accompagnée d'une lecture saisissante.


    Cette traduction bouleverse les notions établies, l'ordre dans lequel notre connaissance de Nietzsche était restée figée. Il convient de se hâter vers ce livre renouvelant après avoir lu ce qui suit. Philosophe décapant à grandes eaux la statue de Nietzsche, Romain Sarnel nous fait effectuer un fortifiant voyage où l'on croise de nombreux îlots : Deleuze, Spinoza, Leibniz, Isou, Lautréamont, Schrödinger, Salomon Gabirol, Léon l'Hébreu...


    medium_Romain_Sarnel.3.JPG

     

    Guy Darol : Il y a quelques années, vous proposiez une nouvelle traduction du Prologue de Zoroastre de Nietzsche. Ce que l’on tenait pour vrai, à savoir les concepts de Surhomme ou de Volonté de puissance prennent désormais un autre sens et c’est, en somme, notre rapport à Nietzsche qui en est modifié. Quelles vérités avez-vous rétablies ?


    Romain Sarnel : Nietzsche a été mal traduit en France. Ses notions-clefs ont été chargées d’idéologie et l’ont fait basculer parmi les philosophes de la dominance, ce qu’il n’est nullement.

    Il y a un phénomène bizarre dans le cas de Nietzsche : alors que les traductions se succèdent et qu’elles sont de plus en plus belles et de plus en plus justes, les notions-clefs restent inchangées, comme si elles étaient fixées pour l’éternité. La traduction des notions importantes doit évoluer, car les époques évoluent. Autres temps, autres traductions. Par exemple, dans le cas de Spinoza, quand le mot latin affectus a été traduit par « affect » et non plus par « passion », et quand le mot latin intellectus a été traduit par « intellect » et non plus par « entendement » ou « raison », on y a vu plus clair.

    En ce qui concerne la philosophie de Nietzsche, il y a tout un travail de lisibilité à faire. Il faut aller chercher derrière les mots la pensée véritable, ce que Nietzsche a vraiment voulu dire. C’est ce qui a motivé ma traduction du Prologue de Zoroastre, en polarisant mon attention sur les notions-clefs qui étaient devenues illisibles.

    Si j’ai remplacé le surhomme par le métahomme, la volonté de puissance par le désir vers la potentialité, l’inversion de toutes les valeurs par la réversibilité de toute valeur, l’éternel retour par le revenir perpétuel, Zarathoushtra par Zoroastre, c’est que nous étions arrivés à un système qui tournait en rond, où les notions étaient expliquées les unes par rapport aux autres et où elles n’avaient plus de sens pour elles-mêmes.

    Il y a un autre changement de perspective à opérer. Nietzsche passe pour être le philosophe qui a critiqué la vérité, et donc qui aurait revendiqué une certaine fausseté ; or, quand on regarde les textes, on s’aperçoit que s’il critique la vérité, c’est qu’il ne la trouve pas assez vraie et qu’il cherche une vérité plus vraie, ce qu’il appelle la « véracité ».

    En fait, Nietzsche est animé par un souci de « probité ». Très tôt, c’est-à-dire dès 1872, Nietzsche préfère la « véracité » à la vérité convenue, la « sublimité » à la beauté codifiée et la « fécondité » au bien normé. Dès lors, en termes de valeurs, ce sont le vérace par rapport au vrai, le sublime par rapport au beau et le fécond par rapport au bien, qui sont mis en avant. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que pour Nietzsche la véracité est plus vraie que la vérité, mais sans nier la vérité, la sublimité plus belle que la beauté, mais sans renier la beauté, et la fécondité meilleure que le bien, mais sans dénier le bien.

    Avec Nietzsche, nous sommes dans une philosophie de la transformation, et cette transformation touche autant la logique que l’esthétique ou l’éthique. De ce fait, nous avons des valeurs de transformation, que nous pourrions appeler des transvaleurs. Vivre, c’est transformer et se transformer.


    Guy Darol : En reprenant le postulat de Nietzsche (« Il faut ici créer un concept »), vous soulignez une vocation de la philosophie qui consiste à forger de nouveaux concepts. Pour Gilles Deleuze, cette vocation n’a pas d’autre alternative. Mais quelle en est l’utilité ?


    Romain Sarnel : Quand je cite la phrase de Nietzsche relative à la nécessité de « créer un concept », j’insiste plus sur le mot « créer » que sur le mot « concept ». Il doit en aller de même pour Deleuze qui définit la philosophie comme « création de concepts », il faut plus insister sur la création que sur les concepts. Un philosophe ne se définit pas à ses concepts, dont l’interprétation varie en fonction des époques, mais à sa création, c’est-à-dire à sa capacité à proposer une vision du monde. On ne peut pas figer le langage qui évolue avec le temps, il faut parfois changer les mots pour mieux saisir la pensée. C’est pourquoi le travail d’un philosophe consiste souvent dans un travail de traduction qui permet, en passant d’un concept à un autre, de passer d’une époque à une autre, tout en gardant la pensée intacte. Quand on a une vision du monde, tout le problème est de la traduire dans les mots de son époque.

    Deleuze a commis deux erreurs à la fin de sa vie : un, il s’est référé positivement à Leibniz, qui est l’ennemi juré de Spinoza et qui appartient à la philosophie dominante ; et deux, il a rabattu la philosophie sur le concept, qui renvoie à la Science de la Logique de Hegel et au structuralisme d’Althusser.

    D’une part, Leibniz s’est rapproché de Spinoza pour mieux le freiner, comme Heidegger s’est rapproché de Nietzsche pour mieux le stopper. D’autre part, la philosophie ne crée pas des concepts, elle crée des intuitions ; or évidemment ces intuitions, qui sont des métaphores, c’est-à-dire des transports de la pensée, se cristallisent dans des mots que l’on peut appeler des concepts, mais que je préfère nommer des notions. Les notions sont des matrices de sens. À quoi servent les notions créées par la philosophie ? À engendrer des idées, à féconder la pensée.

    Donc, la philosophie est une création d’intuitions. Mais quelle est la fonction de ces intuitions ? À chaque moment de la vie, les intuitions apportent des éclairages nouveaux, provoquent des ouvertures d’esprit et, plus encore, font apparaître l’éclair de la pensée. Sans intuitions, il n’y aurait pas de philosophie. La philosophie vivante est fondamentalement intuitive. Mais pour créer une intuition, cela suppose une longue élaboration.

    Si je parle d’intuitions, c’est que je prends ancrage dans la « science intuitive » de Spinoza, qu’il considère comme le troisième genre de connaissance et qui réalise l’union de l’esprit et de corps, puis, par-delà cette unité substantielle, l’union de l’être humain avec la nature. Je prends aussi ancrage dans la « science joyeuse » de Nietzsche (traduction exacte de fröhliche Wissenschaft ), qui noue le dynamisme de la joie avec le surgissement de la vie.

    Le grand mérite de Deleuze, c’est d’être le philosophe des devenirs, des multiplicités et de l’immanence, et donc de renouer avec les philosophes présocratiques, même s’ils ne font pas partie de ses lectures. Deleuze préfère des auteurs nourris à la philosophie présocratique, comme Spinoza ou Nietzsche, donc plus conden sés et par conséquent plus explosifs.

    La notion de « pli », Deleuze ne la doit pas à Leibniz, qui n’en fait pas cas dans sa Théodicée, mais à Foucault qui, dans Les Mots et les Choses, considère un seuil épistémologique comme un « Pli » dans l’épistémê d’une époque. La notion de pli était nécessaire à Deleuze, car avec sa philosophie nous sommes dans la substance unique, comme chez Spinoza, et le pli forme l’événement. Les multiplicités et les agencements collectifs d’énonciation sont des plis à la surface de la substance unique, des pliures, des plissements. Dans la substance unique, la conscience et le corps sont la même chose. Plus que n’importe quel autre philosophe, Deleuze a vraiment pris acte du spinozisme.

    La valeur de la philosophie ne tient pas tellement à sa forme, mais à son contenu. La philosophie a une utilité, c’est celle de faire penser. En cela, le philosophe est un stimulateur, il a pour rôle de rendre la pensée féconde. Ceci dit, aucun philosophe ne prétend penser à la place des autres, du moins pas les philosophes de l’immanence et de l’immersion, sauf peut-être les philosophes de la dominance et de l’imposition.

    La qualité d’un philosophe ne tient pas à sa création de concepts ou de notions, même si cela constitue une part importante de son travail, mais tient à sa capacité à faire passer des idées, des intuitions, des éclairs de lucidité. En un mot comme en mille, le philosophe est un passeur.


    Guy Darol : Dans votre espace, celui de la philosophie de l’art, vous travaillez depuis longtemps à forger de nouveaux outils. Beaucoup de ceux-ci insistent sur l’importance de la création, du créatique. Pouvez-vous nous offrir quelques clés ?


    Romain Sarnel : Il faudrait dresser tout un tableau de la philosophie du point de vue de la créatique. Il faudrait à chaque époque dégager pour chaque philosophe ce qu’il a découvert en terme de créativité.

    Les philosophes présocratiques, sur lesquels je travaille, peuvent nous apprendre différentes facettes de la création. Anaximandre nous fait comprendre que la création est infinie, Héraclite nous fait comprendre qu’elle est un devenir, Anaxagore nous fait comprendre qu’elle est un assemblage d’éléments disparates et Empédocle nous fait comprendre qu’elle naît de la rencontre de deux forces contraires.

    L’art est au centre de ma réflexion et de mon travail philosophique, car, sans exclusive ni exclusion, l’art condense en lui tous les processus de créativité. Or c’est une philosophie de la créativité que j’ai l’intention d’élaborer.

    Au « créationnisme » qui se développe aujourd’hui aux Etats-Unis et qui réduit la réalité à une Création divine, il y a lieu d’opposer le créativisme qui est présent dans le Prologue de Zoroastre et qui met en avant la créativité humaine. En effet, Nietzsche esquisse dans Ainsi parla Zoroastre la figure du créateur, le portrait de l’être humain comme être créatif.

    Les clefs de la création tiennent en trois mots : morphogenèse, généalogie, métamorphose, ou si l’on préfère : matrice, devenir, transformation. Toutes les idées en matière de création passent par ces trois étapes, aussi fulgurant que soit le processus. D’abord, il faut une source, une étincelle, un surgissement ; ensuite, il faut une filiation, un assemblage, une mise en relation ; et enfin, il faut une transfiguration, un changement de perspective, un déplacement du regard.

    C’est la raison pour laquelle une œuvre est à la fois une continuité et une cassure dans le siècle. Il y a œuvre quand on ne voit plus les choses de la même manière après elle.

    Dans un premier temps, j’ai défini l’esthétique comme une « créatique », en empruntant le terme au poète lettriste Isidore Isou. Et dans un second temps, j’en suis arrivé à définir l’esthétique comme une transformatique, le jour où j’ai compris que la création est une transformation. Dans cette optique, le créateur est un transformateur, un catalyseur et un transmetteur.

    La transformatique est une manière de percevoir le monde et se réalise dans un style. Créer consiste à trouver son style, autrement dit à trouver son rythme. En ce sens, le style est l’expression d’une subjectivité en devenir.

    Somme toute, au « Tout est dit » de La Bruyère, je préfère le « Rien n’est dit » de Lautréamont, car tout est à redire, à réinventer, à regarder sous un jour nouveau.


    Guy Darol : On assiste désormais à une sorte de vulgarisation, tendance rebelle, de la pensée philosophique (Michel Onfray) voire à de singuliers glissements syncrétiques empruntant les chemins de la fiction (Maurice G. Dantec). Peut-on parler de voies nécessaires à la survie de la pensée ou d’un opportunisme visant l’éclat, le goût du spectacle, une inscription biaisée sur le terrain des médiatiques ?


    Romain Sarnel : Tous les chemins mènent à la philosophie, il n’y a pas de parcours privilégié. Plusieurs philosophes présocratiques, comme Empédocle ou Parménide, ont utilisé la forme du poème pour s’exprimer. Giordano Bruno, et Nietzsche lui-même, ont écrit des poèmes philosophiques. Voltaire a produit des contes philosophiques. Il n’y a pas d’inconvénient à ce que la philosophie revienne à la poésie ou au genre littéraire. Camus a noté dans ses Carnets : « Si tu veux devenir philosophe, écris un roman. » La philosophie existentialiste s’est diffusée grâce au genre romanesque.

    Lautréamont a proclamé : « La poésie doit être faite par tous. », Éluard aurait ajouté : « et pour tous », selon l’adage que la poésie est « contagieuse ». En parallèle, nous pouvons énoncer que la philosophie doit être faite par tous et pour tous.

    En sous-titre de son ouvrage Ainsi parla Zoroastre, Nietzsche a placé l’indication énigmatique : « Un livre pour tous et pour personne ». Comme son livre porte sur la créativité, sur le statut du créateur, il suppose qu’il s’adresse à tous car tout le monde est créatif, mais comme pour être créatif il faut le devenir, personne n’est créatif tel quel, à l’état brut, ainsi chacun doit-il faire un effort pour construire sa créativité.

    La question de la vulgarisation est cruciale en sciences, elle l’est également en philosophie. Le physicien Schrödinger a constaté, dans Physique quantique et représentation du monde, qu’il fallait au moins 50 ans à une découverte scientifique pour être assimilée par le public. Combien de temps faut-il à une découverte philosophique pour être assimilée par le public ? Peut-être autant. Sinon plus, car les modes philosophiques, comme par exemple le structuralisme, empêchent de voir la pensée véritable, comme celle de Gilles Deleuze, de Jean-François Lyotard et de René Schérer.

    Pour moi, il y a deux sortes de philosophie : la philosophie dominante qui va de Platon à Hegel, en passant par Saint Augustin et Leibniz, et qui se poursuit aujourd’hui avec Badiou ; et la philosophie souterraine qui va des Présocratiques à Nietzsche, en passant par Giordano Bruno et Spinoza, et se poursuit avec Deleuze. La philosophie dominante est une philosophie de la transcendance, c’est-à-dire promotionnant un pouvoir transcendant, alors que la philosophie souterraine est une philosophie de l’immanence, c’est-à-dire promulguant une énergie immanente.

    Mon ancrage philosophique s’origine chez des philosophes préplatoniciens comme Héraclite, Empédocle, Anaxagore et Démocrite, puis se développe par filiation à travers des philosophes en rupture de ban comme Montaigne, Giordano Bruno, Spinoza et Nietzsche, et aussi se nourrit par sympathie auprès de philosophes insolites comme Manès, Salomon Gabirol, Léon l’Hébreu et Pic de la Mirandole, c’est-à-dire pour tous les cas des auteurs qui ne sont pas dans la dominance.

    L’important en philosophie c’est qu’il n’y ait pas d’exclusion quel qu’en soit le genre, or la philosophie dominante s’évertue à pratiquer l’exclusion de façon systématique. À la logique platonicienne et aristotélicienne qui fonctionne sur le principe du tiers-exclu et qui enferme la pensée dans la dualité vrai ou faux, il faudrait opposer une logique ouverte qui fonctionne sur un principe de diversité ou de multiplicité et qui ouvre la pensée aux interactions, aux transformations et aux rapports collatéraux.

    La seconde importance en philosophie est qu’il n’y ait pas de séparation de quelque manière que ce soit, or là encore la philosophie dominante s’arrange pour que la séparation soit son mode de fonctionnement. À la dialectique hégélienne qui opère par séparations, superbement appelées médiations, et qui arrête le mouvement de l’esprit au stade d’un savoir absolu, il faudrait opposer une dianoétique qui opère par transversalités et qui permet la possibilité d’une connaissance infinie en rapport avec la réalité infinie.

    La dialectique, dans sa version platonicienne et dans sa version hégélienne, aux deux bouts de la chaîne de la dominance, est la pire chose qui soit arrivée à l’Occident. Il est temps que la philosophie se choisisse d’autres terrains de recherche, d’autres territoires d’invention.


    Guy Darol : Nietzsche est-il encore de nos jours une école de santé ?


    Romain Sarnel : Plus que jamais, Nietzsche constitue une école de santé, de vitalité, de véracité et de créativité. Nietzsche n’est pas un philosophe comme les autres ; c’est un lieu de passages, un carrefour de cultures. Le lire, c’est se ressourcer aux origines de la civilisation. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre sa découverte du penseur perse Zoroastre, peu de temps après qu’il ait redécouvert Spinoza comme quintessence des courants de pensée qui ont traversé la Renaissance, et après le long compagnonnage qu’il a eu avec les philosophes grecs présocratiques, comme Héraclite, Empédocle ou Démocrite, qui ont été des filtres des civilisations babylonienne, égyptienne et perse.

    Il ne faut pas oublier que dans ce Manifeste qu’est le Prologue de Zoroastre, Nietzsche dresse le portrait du créateur. Dans Le Livre du philosophe, resté inachevé, Nietzsche avait commencé la théorie du statut de l’artiste, et notamment de l’ « artiste-philosophe » ; puis, dix ans plus tard, avec Ainsi parla Zoroastre, il a élargi son optique et a proposé une théorie relative au statut du créateur. Ceux qui intéressent Nietzsche, ce sont les créateurs, et ce dans tous les domaines : créateurs dans la vie, créateurs en philosophie, créateurs en art, créateurs en sciences.

    En effet, je considère le Prologue de Zoroastre de Nietzsche comme un Manifeste de la créativité. Et notre époque a besoin de Manifestes, pour sa littérature, pour son art, pour sa philosophie. Si la créativité est une école de santé, c’est qu’elle est un geste d’amour, une pratique du don, une transmission d’énergie.

    En découvrant Spinoza, juste un peu avant la rédaction de La Science joyeuse (titre joliment mais inexactement traduit Le Gai Savoir), Nietzsche a découvert une philosophie de l’amour. Les lecteurs qui ont été jusqu’à la fin de l’Éthique ont pu constater qu’à côté de la béatitude et de l’amour envers Dieu, c’est-à-dire en fait envers la Nature, il y avait la générosité.

    Ensuite, Nietzsche a découvert également une philosophie de l’amour chez Zoroastre. Comme Empédocle, Zoroastre considère qu’il y a deux forces contraires qui dirigent le monde. Mais, alors que pour Empédocle ces deux forces contraires, l’amour et la discorde, se succèdent et se chassent l’une l’autre, pour Zoroastre ces deux forces, une force bénéfique et une force néfaste, sont toujours en action en même temps et en chaque chose.

    Dans la philosophie zoroastrienne, l’action satisfaisante est un équilibre des forces, de la même manière que Nietzsche, dans La Naissance de la tragédie grecque, avait analysé l’œuvre d’art comme un équilibre de la pulsion apollinienne et de la pulsion dionysiaque.

    Nietzsche nous aide à aborder les questions brûlantes, et à en extraire une certaine fertilité pour notre vie et notre pensée. Nietzsche aujourd’hui, Nietzsche vivant, est une problématique que chaque époque a à réenvisager à son tour, avec ses moyens et ses interrogations.

    Comme la philosophie d’Héraclite, celle de Nietzsche est une philosophie de la contradiction féconde, de la tension créatrice, du mouvement transformateur. En termes de création et de vie, Nietzsche a su allier la fierté et la sagacité, le surpassement et l’immersion ; avec lui, nous sommes dans une logique des contraires, et c’est cette logique qui fait nécessité de nos jours.

    Le philosophe est avant tout un paratonnerre, à travers lui passent les énergies négatives et positives, son rôle est de transformer le négatif en positif. De même que Romain Rolland a parlé de L’Éclair de Spinoza, de même j’aimerais parler de l’éclair de Nietzsche, un éclair qui traverse le temps et qui illumine l’horizon. Penser avec Nietzsche, c’est penser avec soi et c’est penser avec tous les autres.


    > BIBLIOGRAPHIE CHOISIE


    > Les Paradoxes de la représentation, in La Représentation, Paris, Librairie philosophique Vrin, 1982.

    > Pour une Éthique paradoxale, in Justifications de l’éthique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1984.

    > Le Contr’Un ou Discours sur la falsification volontaire, in Chimères, n° 32, Hiver 1997.

    > Morphogenèse et plasticité de la forme, in Voir et produire des images d’art et de science, PARIS XI Éditions, coll. « arts-sciences », 1998.

    > Logique de la découverte philosophique, in Prologue de Zoroastre, de Friedrich Nietzsche, Paris, L’Arche Éditeur, 2000.

    > Proposition pour introduire le concept de transformatique en esthétique, in Concepts, n° 5, Automne 2002.

  • JEAN DUBUFFET ❘ EXPERIENCES MUSICALES

    medium_Dubuffet2.jpg
    Jean Dubuffet, Expériences musicales


    Premier numéro de la collection des Cahiers de la Fondation Dubuffet - collection consacrée aux archives de la Fondation, riche en documents inédits - cet ouvrage retrace les "expériences musicales" de Jean Dubuffet. Le corps principal de l'ouvrage, Une anthologie en trois temps (175 pages) - trois chapitres abondamment illustrés - est un choix de textes, lettres, documents, présentés par Sophie Duplaix (commissaire de l'exposition présentée parallèlement à la Fondation) permettant de saisir le contexte et les enjeux des créations musicales de Jean Dubuffet. Un disque compact audio est offert avec l'ouvrage - sept enregistrements inédits de Jean Dubuffet - choix commenté par le musicologue allemand, Andreas Wagner, dans le chapitre "Un choix d'inédits". L'ouvrage est complété par un répertoire complet des bandes originales conservées à la Fondation Dubuffet, une discographie, une bibliographie sélective et une courte biographie de l'artiste. Incontournable !

    livre, 232 pages + CD
    35 euros
    Metamkine


  • COLETTE THOMAS

     

    medium_Numeriser0004.7.jpg

    Colette Thomas dont la figure est à jamais associée aux derniers jours d'Antonin Artaud a refermé son ombrelle. Son nom (celle d'une fille de coeur) vient se graver auprès de Genica Athanasiou, Anie Besnard, Cécile Schrammer, Jany de Ruy, Paule Thévenin, Marthe Robert. Anges de "la chasteté qui conserve l'âme".

    Sans doute Colette Thomas nous a le plus ému qui glissa lentement au gouffre. Elle connaissait les trajectoires intérieures par où le poète descendait. Colette Thomas s'éloigna du monde à partir de la mort d'Artaud, tout en laissant Le Testament de la fille morte (Gallimard, 1954) et le souvenir d'une lumière blonde qui voulait se fondre dans le coeur de l'exception.

    Le Testament de la fille morte paru le 10 mars 1954 est un livre à redécouvrir. L'ouvrage inscrit au catalogue Gallimard n'est plus disponible. Qui fera le travail d'exhumation ?

    Deux portraits de Colette Thomas par Antonin Artaud

    medium_Numeriser0005.6.jpg

     

    medium_Numeriser0006.6.jpg
  • AVEC JEAN-MARIE FRIN ❘ DES HOMMES ET DES DIEUX ❘ EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE 2010

     

    Il est à droite.jpg

     

     

    DES HOMMES ET DES DIEUX

     

    GRAND PRIX DU JURY

    DU

    FESTIVAL DE CANNES  2010

     

    EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE

     

     

    ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE FRIN, ACTEUR DU FILM

     

     

    « Les moines appelaient l’armée les frères de la plaine et les terroristes les frères de la montagne, sans naïveté, conscients d’avancer sur un étroit chemin de crête entre ces deux camps aux positions ambiguës ».

     

     

    Bienvenu Merino : Jean-Marie, fin 1996, dans l’Atlas Algérien, une prise d’otage de sept moines français du monastère de Tibhirine puis leur exécution  choque les consciences des français ainsi qu’ailleurs dans le monde. L’événement survient alors que le pays s’enfonce dans le chaos. D’un côté, les groupes terroristes islamiques. De l’autre, les militaires, bras armés d’un régime corrompu, au milieu la population qui compte les morts. Ces moines jusqu’alors vivaient en harmonie avec leurs voisins musulmans et vont voir leur vocation bouleversée par le terrorisme. Jean-Marie, est-ce que la présence des moines dans le pays était-il remis  en cause après les multiples exactions commises par les intégristes musulmans ? Et comment toi, en tant qu’homme, as-tu ressenti cette tragédie, et comment l’as-tu vécu, en tant qu’acteur du film ?

    Jean-Marie Frin : Il faut tout d’abord préciser que le film ne cherche à développer aucune thèse ni à mener aucune investigation d’ordre politique concernant le drame qu’ont vécu  ces moines. Ce qui a surtout intéressé Xavier Beauvois et son scénariste Etienne Comar, c’est de savoir qui étaient ces hommes, leurs questionnements intimes, quelle était leur vie au quotidien dans cet endroit perdu de l’Atlas algérien, la nature des liens qu’ils entretenaient avec la population environnante, les causes de leur engagement. Il est vrai que leur présence était remise en question. Face au chaos régnant dans le pays ils essayaient de garder un équilibre précaire, une neutralité difficile entre les deux forces en présence, le GIA (groupe islamiste armé) d’un côté, l’armée de l’autre. Certains extrémistes islamistes cherchaient, en effet, l’élimination physique des religieux chrétiens implantés en Algérie, pour des raisons de l’ordre du fanatisme, bien sûr, (ils avaient déjà assassinés des prêtres et des religieuses à plusieurs reprises). Mais d’un autre côté le pouvoir algérien ne voyait non plus d’un bon œil la présence de ces moines en Algérie. Ces derniers entretenaient en effet des relations (trop ?) harmonieuses avec les musulmans(qu’ils ne cherchaient pas à convertir)et, entre autres, n’hésitaient pas non plus à soigner les blessés du GIA qui se présentaient, surtout la nuit, au monastère, tout en se gardant bien d’une quelconque collaboration avec eux. Ils étaient d’autre part, a-t-on dit, en relation avec des groupes de réflexion comprenant des gens venus de tous horizons (musulmans, chrétiens, laïques, etc.) qui cherchaient à trouver une alternative démocratique pour ce pays abîmé et malmené. Tout cela n’était pas du goût des autorités algériennes qui cherchaient donc par tous les moyens à les faire partir. Ils subirent de la part de ces autorités de multiples pressions et ce n’est qu’au terme de longues discussions entre eux et avec leurs amis musulmans du village voisin qu’ils n’envisagèrent d’autre solution que de rester. Ce ne fut pas un choix de résistance, mais plutôt un abandon, je crois, comme l’a dit un jour très justement Michael Lonsdale.

     A titre personnel, j’ai ressenti cette tragédie comme un écho amplifié à la question qui se pose toujours à tout homme à un moment de sa vie par rapport à des choix personnels : rester ? partir ? Tout homme a vécu ces questionnements à des degrés plus ou moins forts. C’est toujours très douloureux. La grande différence est que pour ces Frères, la mort était au bout sans qu’ils aient jamais cherché le martyr pour autant (ils le disaient eux-mêmes). C’est en cela que cette aventure m’a profondément ému. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour envisager ce à quoi peut mener un engagement définitif et en évaluer les conséquences. La force qui se dégage ce cette attitude d’abandon est pour moi exemplaire, même si certains pourraient trouver cela inutile ou même ridicule.

    B.M. : Dans Des hommes et des Dieux, tu tiens le rôle de l’un des sept moines, Frère Paul. Ces moines sont des personnalités fortes. Lambert Wilson, qui a un rôle de moine également dans le film, les comparaît à des fleurs de champs, banales en soi, mais formant un beau bouquet. Cependant, je crois, certains de ces moines ont un problème à régler avec l’Algérie? Est-ce là une  des origines de la tragédie qui va s’en suivre, à savoir la décapitation  des moines ? 

     J.-M. F. : Il est vrai que tous ces hommes avaient une histoire et un rapport personnel très fort avec l’Algérie. Certains y étaient nés, comme Frère Amédée et Frère Jean-Pierre, et avaient choisi la nationalité algérienne au moment de l’indépendance. Frère Luc, le médecin interprété par Michael Lonsdale, avait ouvert le dispensaire au monastère et  avait été enlevé durant la guerre par le F.L.N. et failli être zigouillé, d’autres très âgés n’avaient plus que de maigres contacts avec la France, l’Algérie était devenu leur pays, d’autres enfin avaient fait en tant qu’appelés leur service militaire pendant la guerre d’indépendance. Ils y avaient vécu des événements très forts et très douloureux qu’ils ne pouvaient oublier. Avaient-ils une dette envers ce pays et ces habitants ? Je ne sais si l’ont peut formuler la chose de cette manière, mais ce qu’ils avaient vécu là les avait emmenés vers un attachement extrêmement profond à ce pays. Ils aimaient vraiment l’Algérie et les Algériens. C’est tout. Cet attachement n’est pas la cause de leur assassinat car les choses sont beaucoup plus compliquées d’un point de vue politique (il faudrait prendre connaissance des documents classés secrets défense qui ont été récemment mis à jour) mais il en est la conséquence. Pour être clair, les Frères n’ont pas été assassinés par des islamistes pour je ne sais quelles exactions qu’ils auraient commises durant la guerre d’Algérie. Si d’aucuns avançaient ce genre d’hypothèse, elle n’aurait aucun fondement.

     B.M.: Frère Paul, dont tu interprètes le rôle, est né en 1939. Avant de rentrer à la Trappe, à l’Abbaye cistercienne de Tamié, à l’âge de 45 ans il a été lieutenant de parachutistes, artisan plombier, conseiller municipal de sa région en Alsace. Puis en Algérie, au prieuré de Tibhirine, il est un peu l’homme qui sait tout faire tel un homme de peine. Sais-tu les raisons pour lesquelles Frère Paul rentre dans les ordres et surtout comment il se retrouve en Algérie ?

    J.M.F : En ce qui concerne l’engagement personnel de Frère Paul, j’en ignore totalement les raisons. Il avait lui aussi, en effet, fait la guerre d’Algérie, mais cela n’est pas une raison suffisante. C’était aussi un chrétien profondément sincère et  convaincu, très pieux depuis toujours, qui est allé jusqu’au bout de ses convictions en devenant moine trappiste (un des ordres religieux les plus austères qui soient). Cet engagement tardif, à 45 ans, ne le rend que plus admirable car c’est vraiment le choix d’un homme adulte. Pour le reste, Paul reste pour moi un mystère, comme tout être humain. C’est ce qui m’a énormément touché. On ne sait jamais vraiment qui est l’autre à côté de soi. Quel secret portait-il en lui? Quel tourment invisible ?  Quel apaisement est-il allé chercher là ?  Je crois savoir que sa famille elle-même fut surprise de son choix. Pour le peu que j’en sais d’après les quelques photos que j’ai vu de lui et quelques correspondances qui ont été publiées, ce devait être un homme extrêmement bon, doux, paisible, discret, timide même (il n’aimait guère être pris en photo parait-il !) et doué d’une bonne dose d’humour (noir même, par moment).

     B.M. : Xavier Beauvois, le metteur en scène,  fuit la reconstitution historico-politique et laisse dans l’ombre la réalité ou le mystère de l’Assassinat (GIA) groupe islamiste armée ou manipulation de l’armée ? Je crois que le contexte de l’époque imprègne le film mais Xavier Beauvois fixe plus son regard sur l’intimité et sur le secret de ce qui se passe  dans le monastère, n’est-ce pas ?

    J.M.F. : Cette question contient sa réponse. Il suffit de voir le film pour constater le choix et l’optique de Xavier Beauvois. Il est vrai aussi que dès que l’on commence à s’intéresser à l’histoire de ces moines, à lire des documents sur ce drame, on ne peut qu’être pris par une espèce d’empathie pour ces hommes. Xavier Beauvois dit souvent qu’il était tombé amoureux d’eux. Ce n’est pas une formule vaine,  c’est vrai (là, nous n’avions plus à faire à des personnages mais à des êtres humains, et d’ailleurs aucun de nous n’a cherché à restituer je ne sais quelle vérité psychologique qui les aurait caractérisés). C’est ce qui m’est arrivé à moi aussi. Plus j’en lisais sur eux, plus j’avais envie d’en connaître d’avantage, plus ils m’intriguaient et plus j’avais envie de les comprendre, de les aimer. Je ne me suis d’ailleurs pas vraiment plus intéressé à Paul qu’aux autres. Tous m’ont fasciné. Pendant le tournage, j’ai moins été dans la démarche d’un acteur qui joue un personnage, que dans celle d’un passeur qui témoigne d’une aventure  humaine. Je  me suis rendu compte de cela petit à petit. C’est très étrange et très émouvant pour un acteur de se retrouver dans cette attitude. 

    B.M. : Des hommes et des dieux, explore, entre autre, la question de l’engagement religieux. En tant qu’humains nous n’avons pas de raisons d’être fier, parce que né(e)s hommes ou femmes, nous ne l’avons pas choisi. Mais puisque nous le sommes, autant trouver et développer en nous ce qu’il y a de plus beau et de plus élevé. Penses-tu que c’était ce qu’essayaient de réaliser ces Frères dans leur engagement de l’état de fierté qui, s’il n’est pas établi une fois pour toutes, est une aspiration, un but, un combat permanent qu’ils ont tentés d’accomplir ?

    J.M.F : Oui bien sûr. C’est en cela que leur histoire est merveilleuse et exemplaire. Moi qui ne suis plus croyant depuis longtemps et n’ai plus besoin de la foi pour trouver mon rapport au monde et aux autres, je ne peux malgré tout qu’être fasciné par la force de cet engagement. Je pense que tout homme devrait être guidé par une force de cette sorte pour mener sa vie. Sinon à quoi bon vivre ? Et c’est encore plus vrai je crois lorsqu’on est artiste. Si on ne l’est pas jusqu’au fond de soi-même, viscéralement, dans le plus profond engagement et la plus profonde conviction, on reste un pâle histrion (il y en a hélas!). J’ai parfois très peur de le devenir, d’ailleurs. Alors je me bats toujours avec moi-même pour ne pas tomber dans le leurre. Sans entrer dans une théorie sur l’art de l’acteur, je dis que ceux qui disent que « jouer » c’est « mentir », c’est « faire semblant », se trompent lourdement. Rien n’est plus vrai au contraire que cet acte-là et c’est cette vérité qu’il nous faut toujours chercher, au théâtre comme au cinéma, sinon l’imposture nous guette. Serait-ce osé de ma part que de dire les Frères de Tibhirine sont aussi un exemple pour les acteurs ? Allez, je l’avance !

    B.M. : Jean-Marie, Dieu est le nom unique des religions monothéistes. Le concept de dieu prend des formes extrêmement variées  selon les religions. Leur  point commun : Dieu (ou un Dieu) est, soi disant, supérieur  à l’homme, plus puissant  et plus complet que lui.  Pour le paganisme ou plus généralement pour les religions polythéistes, un dieu est un être immortel, d’une nature supérieure aux êtres humains, aux esprits et aux génies. En fonction de leurs attributions particulières (de leurs spécialisations), les dieux agissent sur la nature et interviennent dans les affaires humaines. La notion de dieu, et ce qu’il représente (toute puissance, immortalité, créateur…)  trouve son origine dans le soleil, lumière céleste, source de vie sur terre puis s’est diversifié selon les différentes religions d’après de nombreux croyants. Les agnostiques pensent qu’ils n’est pas possible de prendre position quand à la l’existence de ou non de dieu. Les athées, eux, ne croient pas en dieu, considérant qu’il s’agit d’une invention humaine. Une fois pour toutes, quand les religions n’incitent pas les hommes à la barbarie, elles les infantilisent en les empêchant d’user de sens critique par rapport à l’enseignement dispensé. Ce sont les religions du Livre qui n’ont cessé de faire croire que par nature, l’homme a soif de divin. Pourtant, ceci est archi-faux  car il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour vivre en paix avec soi-même, avec sa famille et ses voisins, pour jouer un rôle gratifiant dans la société. Une question Jean-Marie, tu es comédien et acteur depuis plus de 35 ans mais lorsque tu étais tout jeune tu voulais être missionnaire. Je crois même que tu es entré au petit séminaire pour étudier. Avais-tu réfléchi avant d’y entrer, pour en fin de compte résister et choisir une autre voie, celle de comédien ? Aujourd’hui avec le recul, que penses-tu de la direction qu’allait prendre ta vie si tu avais obéi à ton désir d’aller jusqu’au bout à la rencontre de Dieu ? Une toute dernière question : dans le film de Xavier Beauvois, tu es un faux moine, mais  connaissant ton travail magnifique d’acteur, au cinéma, mais surtout de comédien au théâtre, tu as dû t’investir pour tourner dans Des hommes et des Dieux. Et si tu es un faux moine, peut-être tu n’es pas un faux croyant, c'est-à-dire que tu as des convictions fortes sur la croyance et que tu as dû te confronter à des questions que te posait ta conscience, non ?  D’où ta performance dans le film, Des hommes et des Dieux ?  

    J.M.F. : J’ai eu une enfance et une éducation extrêmement religieuse. Je suis passé par toutes les étapes, là aussi avec beaucoup d’engagement et de conviction. J’ai en effet voulu être prêtre étant enfant, missionnaire en Afrique, plus précisément. Je suis entré au Petit Séminaire où j’ai effectué une partie de mes études secondaires, habité d’une foi profonde. A l’adolescence, je dois dire que la perspective d’une abstinence amoureuse pour la vie a contribué à me faire changer d’avis. S’en est suivi un long cheminement de pensée et de réflexion qui fut douloureux, parce que teinté de culpabilité, d’un sentiment de peur aussi, je dois bien l’avouer mais qui m’a conduit à devenir l’athée convaincu que je suis aujourd’hui. Je n’aime pas dire que je ne crois plus, ni que j’ai perdu la foi, car ce sont des formules négatives. Je n’ai rien perdu, au contraire, j’ai gagné un regard sur le monde qui me donne la force d’en être partie prenante. La question de l’existence de dieu n’est qu’une question de foi. Je donne au mot croire le sens que lui donnaient les anciens, grecs et romains : « croire » ce n’est pas « penser que dieu existe » comme on l’entend aujourd’hui, c’est donner son crédit, sa confiance à dieu. Il s’agit d’un rapport fiduciaire garantissant la réussite de nos entreprises humaines. Lorsque je vois le monde tel qu’il est, j’aurais plutôt tendance à n’accorder aucune confiance à dieu et à ses sbires, à dire comme Marguerite Duras : « Si dieu existait, ce serait un beau salaud » et à n’accorder mon crédit et ma confiance qu’aux hommes, mes « Frères ». En ce sens je suis résolument optimiste. Je n’ai pas besoin de l’idée de dieu pour essayer d’être un honnête homme !

    J’ajouterais pour répondre à la dernière question que j’ai été très troublé pendant le tournage par le parcours de Frère Christophe, moine à Tibhirine, interprété par Olivier Rabourdin. Nous avons le même âge et suivi exactement les mêmes étapes depuis l’âge de 8 ans jusqu’à l’adolescence, avec des crises identiques. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, lui est entré à la Trappe. Je me suis souvent dit que j’aurais pu être lui si la force du théâtre ne m’avait saisi ! 

    B.M. : Merci infiniment, Jean-Marie, de m’avoir invité à la projection privée du film et d’avoir répondu à mes questions avec autant d’honnêteté, de clarté et de talent, alors que beaucoup de médias te sollicitent avant la sortie du film le 8 septembre  Merci encore et bravo ! 

     

    Propos recueillis le 3 août 2010 par Bienvenu Merino

     

     ☟

     

    QUELQUES DATES IMPORTANTES SUR LES EVENEMENTS EN ALGERIE

     

    Le 26 décembre 1991 : le front islamistes du salut (FIS) emporte la majorité des sièges au cour

    du premier tour des élections législatives.

    Le 11 janvier 1992 : l’état d’urgence est déclaré.

    Le 14 janvier 1992 : assassinat du Président Mohamed Boudiaf.

    Le 30 octobre 1993 : ultimatum de Groupe islamiste armé (GIA) qui ordonne à tous les étrangers de quitter l’Algérie.

    Le 26 mars 1996 : un groupe armé enlève les sept moines de Tibhirine.

    Le 18 avril 1996 : le GIA revendique l’enlèvement.

    Les 21 et 23 mai 1996 : le GIA annonce l’assassinat des sept moines après des négociations infructueuses avec les gouvernements français et algériens.

    Le 30 mai 1996 : les têtes des sept moines mais par leur corps

     sont retrouvées sur une route près de Médéa.

    Le 22 septembre 1997 : le massacre des villageois de Bentalha relance les suspicions

    pesant sur la sécurité militaire dans certains enlèvements et assassinats en Algérie.

    A partir de 1998 : diminution des violences et de l’insécurité en Algérie. Début d’une politique de réconciliation nationale.

    Le 9 décembre 2003 : la justice française est saisie par la famille d’un des moines et par un abbé de l’ordre des cisterciens qui doutent de la véracité de la thèse officielle.

    Le 29 décembre 2005 : un référendum avalise la charte de « réconciliation nationale » voulue par le Président Bouteflika, qui amnistie sous certaines conditions les membres des groupes armés 1990 et interdit tout débat sur cette période de l’histoire algérienne.

    Le 20 novembre 2009 : levée du secret défense sur certains documents français quand l’ancien Attaché de défense français à Alger affirme que les sept religieux auraient été victime d’une bavure de l’armée algérienne.

     

    Liste artistique du film :

     

    Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Jean-Marie Frin, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Loïc Pichon, Xavier Maly, Abdelhafid Metalsi, Sabrina Ouazani, Abdallah Moundy, Olivier Perrier, Farid Larbi, Adel Bencherif

     

    Liste technique :

     

    Scénario : Etienne Comar

    Adaptation des dialogues : Xavier Beauvois et Etienne Comar

    Directrice de la photographie : Caroline Champetier

    Décors : Michel Barthélémy

    Son : Jean-Jacques Ferran, Eric Bonnard

    Montage : Marie-Julie Maille

    Premier assistant : Guillaume Bonnier

    Conseiller Monastique : Henry Quinson

    Scripte : Agathe Grau

    Costumes : Marielle Robaut

    Régie : Thibault Mattei, Khaled Haffad

    Production exécutive: Martine Cassinelli et Frantz Richard

     

     

     

    prière.jpg

     

     

     

     

     

     

     

    jean-marie-frin.jpg

                                                 JEAN-MARIE FRIN  

     

    Né en 1949, c’est à la Maison De La Culture de Caen dirigée par JO TRÉHARD (l’un des « pionniers » de la décentralisation théâtrale) qu’il découvre, dans les années soixante, tout ce que le théâtre offre alors de vivant et de novateur, du LIVING THEATRE aux premiers travaux d’ANTOINE VITEZ. Ses premières expériences théâtrales se feront dans le cadre de stages organisés par divers mouvements d’éducation populaire.                                                                                                                                                    

    En 1969, il est engagé à la COMÉDIE DE CAEN, Centre Dramatique National que vient de fonder JO TRÉHARD. Il n’a aucune formation. Celle-ci se fera donc sur le tas. Dès lors, il ne cessera plus de jouer, aussi bien au C.D.N. qu’avec diverses compagnies. En 1973, le metteur en scène YVES GRAFFEY crée, à Caen, le THÉÂTRE DU GROS CAILLOU  (Centre Dramatique National Pour l’Enfance et La Jeunesse) et l’y associe pour plusieurs saisons.                                                                                                                                                         

    En 1980, MICHEL DUBOIS, qui a succédé à JO TRÉHARD, lui propose d’intégrer l’équipe artistique de la COMÉDIE DE CAEN. Sous sa direction, celle de CLAUDE YERSIN et d’autres metteurs en scène, il participe à cette aventure jusqu’en 1991 et joue les auteurs classiques et contemporains les plus divers. C’est là qu’il crée notamment LE PETIT ALBERT (d’après JACK LONDON). Cet exercice d’acteur, initialement voué à l’éphémère, rencontre un vif succès et sera repris plus de sept cent fois à ce jour.                                                                                                                                            

    A partir de 1990, il entame un long compagnonnage avec JEAN-LOUIS BENOÎT. Une dizaine de créations s’ensuivent, d’abord au THÉÂTRE DE L’AQUARIUM puis au THÉÂTRE DE LA CRIÉE à Marseille, parmi lesquelles : LES VŒUX DU PRÉSIDENT, CONVERSATION EN SICILE, HENRY V, DE GAULLE EN MAI.                                                                                                                                                  

    D’autres rencontres seront pour lui déterminantes : JEAN-LUC LAGARCE, PETER ZADEK et surtout MATTHIAS LANGHOFF, pour LE PRINCE DE HOMBOURG (Kleist)  et TROIS SŒURS (Tchékhov), deux spectacles qui le marquent profondément.                                                                                                                                                                                                                                                                

    Une soixantaine de pièces lui auront permis d’interpréter les plus grands auteurs : SHAKESPEARE, MUSSET, LENZ, GIDE, GENET, DURAS, STRINBERG, KROETZ, LABICHE, BRECHT, O’NEILL, PIRANDELLO, RUZANTE, DOSTOÏEVSKI, SARTRE, GOLDONI, BUCHNER, MOLIERE, GRIBOÏÉDOV, BARKER, BORCHERT…                                                                                                                                                 

    Au cinéma et à la télévision, RENÉ ALLIO, BERTRAND VAN EFFENTERRE, JACQUES MALATERRE, LUC BÉRAUD, FABRICE CAZENEUVE, ALAIN CHABAT, SOPHIE MARCEAU, MABROUK EL MECHRI, BRIAN DE PALMA, ROMAIN GOUPIL et beaucoup d’autres réalisateurs lui confient  les rôles les plus variés.                                                                                              

    C’est ainsi qu’il vient de tourner, sous la direction de XAVIER BEAUVOIS, « DES HOMMES ET DES DIEUX » qui vient de remporter le Grand Prix au Festival de Cannes.                                                                                                                                                    

    Il reste cependant un « enfant de la décentralisation », un acteur de troupe, et ce sont des metteurs en scène comme DANIEL GIRARD, JEAN-PAUL WENZEL, CHRISTOPHE ROUXEL, GUY DELAMOTTE, HERVÉ LELARDOUX, GUILLAUME DUJARDIN ou encore GILBERT ROUVIÈRE, qui lui auront donné, jusqu’à présent, l’occasion de vivre ses plus beaux moments de théâtre.

     

    Xavier Beauvois.jpg

    Tapis rouge à Cannes pour le film Des hommes et des Dieux.GRAND PRIX DU JURY. Les acteurs du film et le réalisateur, Xavier Beauvois (mains croisées). Jean-Marie Frin est aux côtés de Sabrina Ouazani et de Michael Lonsdale.

     

     

     

     

     

     

     

  • AMBROSE BIERCE

    medium_Ambrose_Bierce.jpg

    On le surnommait Bitter Bierce, Bierce l’amer. Il fut un journaliste à la dent dure et un nouvelliste à l’humour très sombre. De son œuvre abondante, on a surtout retenu le Dictionnaire du Diable avec ses féroces aphorismes.

    Né en 1842 dans l’Ohio, Ambrose Bierce s’engagea du côté sudiste pendant la guerre de Sécession avant de livrer un combat sans pause en tant que rédacteur en chef du News Letter où il débuta en signant la rubrique de l’aboyeur public. Écoeuré par son pays, il disparaît en 1914, en laissant derrière lui cette suite de mots, « To be a Gringo in Mexico », formule qui laissera à penser que Bierce aurait suivi Pancho Villa au Mexique.

    Ses Fables Fantastiques, en partie publiées autrefois par Eric Losfeld, éclairent l’Amérique à la lumière de la raillerie ésopique qui fait tomber les masques. Sous les personnages anthropomorphes ou à gros traits humains, Bierce ridiculise (à mort) quelques figures familières : juges, prêtres et journalistes. L’auteur du Club des parenticides écrivait bref et toujours d’une pointe aiguisée.

    Aujourd’hui que l’on s’intéresse à Arthur Cravan (et vous voyez sûrement le roman auquel je fais allusion), allez voir dans les pages d’Ambrose Bierce si Philippe Dagen s'y trouve. Par exemple.

    medium_Fables_Fantastiques.jpg

    Le Dictionnaire du diable, éditions Voix d’Encre

    Fables fantastiques, éditions Rivages

    Contes noirs, éditions Rivages

    Le Club des parenticides, éditions Mille et Une Nuits

    Histoires impossibles, éditions Grasset

    Morts violentes, éditions Grasset

    The Ambrose Bierce Appreciation Society