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DISSIDENCE UNIVERSELLE - Page 3

  • RODOLPHE CINTORINO

     

     

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    Il y a des rencontres fortuites : un  artiste  vous côtoie sans que l'on s'en rende compte, comme cela, au hasard des journées ordinaires. Parfois, au comptoir d'un café, à un passage clouté, au pied d'une bibliothèque, chez un imprimeur ; sans que l'on sache que le talent est à nos côtés, sans que rien ni personne ne vous fasse signe, sans que quiconque ne vous prévienne, aucun élément, signe distinctif dans le visage de l'homme qui fait la queue dans la foule des Parisiens, rien  de particulier dans la sobriété des vêtements sombres qu'il porte, aucune étincelle dans l'œil. Et voilà tout à coup qu'un geste attentionné ne vous échappe pas. Il suit des yeux une image sortant d'une imprimante qu'il ne quitte pas du regard. Ceci vous fait écarquiller les yeux et avancer vers la machine, là où l'image glisse, belle et fraîche, vivante et forte. Copie d'une œuvre éclatante, prête à éclabousser au grand jour. Votre envie d'approcher la  machine est irrésistible. Vous découvrez quelque chose d'étonnant, peut-être un chef d'œuvre. Ce que vous voyez n'est pas courant, c'est intéressant, jamais vu, c'est superbe superbe ! Vous ne résistez pas au plaisir de parler à cet homme : le 'maître' de l'image ! J'ai devant moi, Rodolphe Cintorino, pas bavard, plutôt discret, mais je sais déjà qu'il m'intéresse, disons plutôt, ce qui sort de l'imprimante, que derrière l'image, sa personnalité, il existe une œuvre, c'est cela que je veux vous faire découvrir et vous faire VIVRE. Son oeuvre, on en parle déjà, on n'a pas fini d'en parler. Rodolphe Cintorino est un faiseur d'image, graphiste, plasticien, sculpteur de vérité... nullement de la mort. Son rapport avec le pays où il  a vécu, où il vit, est inséparable de son travail. Le rapport est culturel. Dans sa performance 'LUX', Rodolphe Cintorino et Emmanuel Lacoste utilisent la flamme comme moyen de se révéler. 'LUX' est proposé comme une occasion de repenser notre lien à l'autre : un lien en tension perpétuelle, basculant sans cesse entre évidence et aveuglement. Bienvenu Merino

     


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    LE SITE DE RODOLPHE CINTORINO

     


  • BIENVENU MERINO S'EXPOSE

     



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    12, rue des Patriarches
    75005 Paris


     

     

  • QUI EST SAMAYA ?

     

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    POUR DE VRAI

     

    C’est le titre de la prochaine exposition à Paris, consacrée à Samaya Veretout

    QUI EST SAMAYA ?


     

    «Une fille qui fend l’air sans avoir l’air…

       L’histoire commence au début de la Terre

       Nous étions nés avec déjà des adversaires

       Le cœur en acier

       Avec des sentiments de bois mélangés

       Au signal donné :

       Nous nous sommes mis à danser »

     

    C’est ainsi que s’exprime Samaya Veretout. Ex-championne de France, technique de’ Viet Vo Dao’ en 1997. Le Viet Vo Dao utilise les principes  Vo Vat, lutte vietnamienne, combinés aux techniques du judo.

    Samaya grimpe vite au sommet.  Imaginez, d’après ses vidéos, son parcours en flèche.

    Samaya est une féline ou plus exactement une gazelle, pourchassée dans son propre enclos. Légère, souple, bondissante, elle maîtrise formidablement son art avec une technique magistrale qui nous laisse muet ou bien avec des oh ! de murmures. Personne n’aura sa proie.

     

    Le vautour ne mange pas de feuilles, dit la chanson. Et l’homme n’est pas foncièrement bon. Mais en transformant, par l’alchimie du rythme et de la dérision, le combat en danse, c’est plus qu’une lutte joyeuse contre l’esclavage, la misère et la discrimination comme le mène la capoeira au Brésil. C’est une guerre victorieuse contre la violence et la haine qui domptées et bridées servent de montures fougueuses à l’amour goguenard et triomphant. On peut parler ainsi de l’art de Samaya. Danse martiale, combinée de ballet classique et de mouvements chorégraphiques tirés de quelques arts martiaux traditionnels japonais (karaté, kenjutsu ou aïdo) ou chinois (Kung Fu et Taïchi) et Vietnamien. Dans beaucoup de cultures, la danse est utilisée pour transmettre de génération en génération et de manière intéressante certaines techniques guerrières et mouvements provenant d’art martiaux pour éviter que celles-ci soient oubliées par le manque de pratique ou de pratiquants n’ayant plus autant de guerres et de combats à mains nues. Et nous ne pouvons que nous en féliciter. Bienvenu Merino

    ARTS MARTIAUX ET DANSE DONNENT A SES PEINTURES UNE ATMOSPHERE  SINGULIERE ET ENVOUTANTE

    A  NE PAS MANQUER

    EXPOSITION DU 25 MARS AU 5 AVRIL 2010

    VERNISSAGE 25 AVRIL

    16h-23h

    11 rue Saint Yves 75014 Paris  

    Tel : 01 43 20 95 95

    CONSULTER

     www.myspace.com/quelquechosedebleu

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

     

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    Guy Darol : Il n'y a pas que  la pratique de l'écriture et de la marche qui traverse ta vie. Ne serais-tu pas également dessinateur, peintre, photographe et cinéaste ?

    Bienvenu Merino :  Je suis un touche-à-tout.  C'est probablement cela qui m'éloigne de la réussite et du travail bien accompli. Dans mon âme, l'amour de bien faire est divin,  donc, s'il n'y a pas de discipline et de travail bien fait, je ne peux pas être totalement satisfait. Ceci vaut pour les  travaux  que j'ai entrepris et qui me tenaient à cœur.  Tout est lié. La photographie m'apporta, durant les années de voyage, beaucoup de plaisirs, puis peu à peu elle s'éclipsa pour être remplacée par la peinture et le dessin. Quant au cinéma, ce fut un déclic qui surgit comme un boum, après m'être intéressé à une période de l'histoire de France si souvent auscultée dans ma mémoire. Ma première expérience au cinéma n'est pas encore terminée puisque le montage de mon film n'est pas achevé. Mais faire tout, tout seul : écriture du scénario, repérages des lieux, recueillir des fonds, chercher des acteurs, des figurants, des techniciens, faire la mise en scène, le secrétariat, l'attaché de presse, ce n'est pas toujours facile. 

    G.D. Quels sont les écrivains qui regardent par-dessus ton épaule lorsque tu te trouves à ta table de travail ?

    B.M. :  Ma table de travail est vaste. En vérité, je suis plus un véritable promeneur qu'un écrivain. A proprement parler, je n'ai pas de méthode bien précise. Aller sur le terrain m'apporte en général l'essence même de mes écrits. Etre écrivain, c'est  un sacerdoce, comme Gustave Flaubert qui ne procédait que par notes précises dont il avait scrupuleusement vérifié l'exactitude. Il se condamnait à fréquenter pendant des semaines les bibliothèques jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Il ne reculait pas devant l'ennui de lire vingt ou trente volumes traitant de la matière. Il ira en outre interroger  des hommes compétents,  poussera les choses jusqu'à visiter des champs de culture, se rendra sur les lieux, y vivra.  Ainsi, pour le premier chapitre de L'Education Sentimentale qui a comme cadre le voyage d'un bateau  à vapeur remontant la Seine de Paris à Montereau,  il a suivi le fleuve en cabriolet, le trajet ne se faisant plus en bateau à vapeur depuis longtemps ! C'est fou ! Je ne dis pas qu'il était dingue, mais il avait cette passion, celle que j'ai dans les voyages et dans la marche toute simple qui m'a conduit à l'extrême, naturellement,  avec fascination et  plaisir. Toutefois, bien des écrivains m'ont marqué, et je laisse à mes lecteurs le soin d'apprécier certains de mes auteurs favoris qui m'ont influencé et qu'ils découvriront eux-mêmes, en me lisant. Cependant Antonin Artaud et Georges Bataille et les œuvres du CHE, pour une autre raison, surtout  la lecture de son Journal de Bolivie,furent déterminants.

    L'écriture de Diarrhée au Mexique est assez brute, dans le sens où la matière est tirée du vécu et si elle détonne encore et toujours c'est que la vérité je suis allé la chercher au fond de moi, dans la douleur ; récit qui choqua, qui choque encore, et qui choquerait en 2007 comme m'avait dit Éric Dussert avant la sortie du livre, lequel est à l'origine de la troisième publication, ce  qui m'encouragea à continuer afin de n'être pas l'auteur d'un seul livre.

    G. D. : Tu vis désormais à Paris. Le globe-trotter est-il encore un promeneur invétéré ?

    B.M. :  Je commencerais par te répondre par ces lignes de Platon, extraites de l'Apologie de Socrate. « Les hommes peuvent être heureux en demeurant attachés à une forme de vie immuable, que la musique et la poésie n'ont pas besoin de créations nouvelles, qu'il suffit de trouver la meilleure constitution et qu'on peut forcer les peuples à s'y tenir ».

    Voyager fut toujours ma passion car je trouvais dans ce mode de vie et de vivre une belle manière de découvrir, d'apprendre, d'étudier, sans contraintes, ce que je n'avais pas fait dans mon enfance et mon adolescence. Enfant, je n'eus pas  une scolarité exemplaire.  Dès mon plus jeune âge, je n'étais pas un fervent de la discipline, j'étais bien plus attiré par les dormeurs à la belle étoile et les bergers. C'est à mon retour d'un  long voyage que j'eus l'envie et le besoin de conforter certains acquis appris de la route, en  étudiant quelque peu à l'Université. Je ne dis pas, comme Flaubert, que le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.

    La vie de voyage s'était ancrée en moi car toujours elle fit partie de mon existence, un peu comme les gitans qui se meuvent continuellement à travers le monde depuis leur naissance. Même si, aujourd'hui,  mes voyages ne me mènent plus aussi loin, très souvent ça passe par l'écriture, une manière de traverser les choses et de vivre différemment. Les yeux sont peut-être moins éblouis par la beauté du spectacle comme l'étaient ceux du voyageur incorrigible que j'étais.  J'ai une façon différente de voyager  dans l'écriture et je sais que je n'ai pas encore tout puiser de mon vécu  et c'est devant les pages blanches que je gribouille  à ma table de travail que je perpétue ce qui était ma vie d'explorateur.  J'habite à  Paris, entrecoupé de quelques  escapades, cependant j'ai gardé cette habitude de persévérer dans cette irrépressible envie de marcher pour encore et toujours découvrir ma ville et  mieux comprendre le monde qui m'entoure. Je suis un inlassable marcheur solitaire.  Marcher m'est nécessaire. Le globe-trotter que j'étais est devenu un simple homme qui marche. Hier encore, mercredi 22 décembre, je suis revenu de banlieue, d'Ivry,  à pied, en essayant de longer la Seine avec ses hautes cheminées d'usines chapeautées de glace, et ces péniches tranquilles, amarrées sur les berges où, quand elles  coulent nonchalantes sur le fleuve  lent,  recouvertes d'un peu de neige comme si c'était seulement cela qu'elles transportaient tant elles flânaient, écrasant les vaguelettes de leur chargement invisible en allant jusqu'au Pont de Tolbiac, un des de mes anciens quartier. Je fus enchanté de  suivre la rivière sous la neige. C'était un vrai conte de Noël. Que d'histoires j'ai revécu, que de nouvelles envies m'ont donné le désir de repartir vers l'inconnu.

    Virginia Woolf, la belle rêveuse londonienne, Jean Giono, Julien Gracq, Jacques Réda, dans Marchons sous la pluie, Jacques Lacarrière, Karl Gottlob Schelle,  Arthur Rimbaud, Léon-Paul Fargue, Walter Benjamin, Henri Calet, André  Hardellet ont fait cela bien avant moi. Mais, c'est sans doute de Don José Merino Martin Campos, mon père, que je tiens  l'incroyable invention de savoir aller par les chemins et par les routes. Il commença, jeune, très jeune, avant ses dix ans. De Malaga à Madrid, de Madrid à Barcelone, de Santander à Algesiras, il accompagnait les chevaux, à pied, marchant à leurs côtés, de jour et parfois de nuits, dans la beauté des paysages. Je ne compte pas le voyage forcé par l'exil, celui qui lui causa tant de désagréments, LA RETIRADA DE MALAGA,  guerre entre hommes du même pays, d'un  même village et parfois d'un même clan familial, mais il sut cheminer, armé de fusil ou sans fusil, et faire magnifiquement son très long parcours, celui dont il apprit ce qu'étaient les hommes et les femmes dans des combats féroces, dans la douleur et  la défaite, dans le camps des vainqueurs et dans celui des vaincus, sur la route qui le conduisit vers les hommes libres.

    G.D. Crois-tu que la culture underground ait quelque chose encore à voir avec la pratique des blogs ? Et cette pratique est-elle une chance pour le développement de la pensée et de la création ?

    B.M. : Oui, bien sûr, et elle  se  pratique aussi avec les blogs. C'est  un mouvement parallèle, hors des circuits officiels normaux du commerce et de diffusion. On devient underground  par la force. Ce sont les maffias du show-biz, de l'art subventionné qui obligent l'artiste à prendre cette tangente. En luttant contre l'establishment qui souvent met le créateur à l'écart, on doit trouver la solution pour se faire entendre ou être lu et par ce moyen  il lui est possible enfin de dire ce qu'il ne pouvait pas, d'enlever le frein qui ne permet pas de s'exprimer. Les censeurs dans notre société existent, la diffusion par les blogs permet de résister contre ceux qui sont au pouvoir, contre certaines pressions qui obligent l'artiste à trouver d'autres solutions pour mieux se faire entendre et exister enfin. Le moteur de l'underground, dès ses débuts, a été l'exhibition du corps, la transgression des codes sociaux, montrer ce qui est « caché » et le faire venir à la lumière. C'est une avancée importante pour la communication et la liberté d'expression. Underground et blogs ça fonctionne  de pair. Tu peux imaginer pourquoi je n'envoyais plus mes manuscrits aux éditeurs, pourquoi certains de mes « textes monstrueux » sont  passés à l'oubliette, ignorés ou simplement jetés au feu de la non-prospérité.

    G.D. : Préfères-tu l'ombre à la lumière ?

    B.M. : Souvent je me sens dans lumière, même si je vais sur la route sans que personne ne soit au courant ni me reconnaisse. Je vais, fidèle à un certain idéal. J'essaye de faire ce dont j'ai le  plus envie, c'est ma manière de marcher à la lumière.

     

     

     

    Bibliographie de Bienvenu Merino

     

    Prière

    (Nouvelle)

     Manifeste de la Délinquance Littéraire

    Cahiers Zédébis, 1975

     

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    Situations Normales

    (Nouvelles)

    (Cahier des Hirondelles), 1975

    Fleurs et Chant d'Espoir du peuple d'Espagne

    (Poème (l'agonie d'un dictateur)

    Les Cahiers St Germain des Prés, 1976

     

    Plus édition originale accompagnée d'une gravure de l'auteur

    Atelier Say, 1996

    Satisfaction

    et autres nouvelles

    Revue Le Gué,1976-1977-1978

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    ou

    Diarrhée au Mexique

    (nouvelle)

    Editions du Peuple,  1976

    (épuisé)

     

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    Réédité par Les Cahiers Lolita, préface de Gérald Scozzari, 1977

    Scènes

    (nouvelle)

    Livre d'artiste, 1996

     

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    Qui sera libre demain ?

    Gravures de 10 artistes plasticiens

    Portfolio

    Atelier Say, 1996

     

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    Ana

    Poème et champs de mots

    Préface de Emilio Sanchez-Ortiz

    Isabelle Venceslas, 1995

    (épuisé)

    Descendre au cercueil

    (Ouvrage sur Auguste Pinochet)

    Dessins à l'encre de l'auteur

     Préambule

    Lettres des  femmes prisonnières politique de la prison

    de haute sécurité de Santiago de Chili

    Connaissance, 2000

     

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    O, voyelle

    D'après une œuvre sur acier de l'auteur

    Portfolio

    Isabelle Venceslas, 2002

     

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    Traces de plantes fossilisées

    Carnet des mines, Graissessac-Hérault

    Avec traces et dessins de l'auteur

    Ouvrage personnel,  tirage limité, 2005)

    Diarrhée au Mexique

    ou

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    (Nouvelle)

    (Préface de Éric Dussert)

    Atelier du Gué, éditeur 2006

     

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    Ensayos sobre el placer de la Felaçion

    Essai sur le plaisir de la fellation

    Editions espagnole et française avec photos et dessins de l'auteur

    Coffret, d'Artiste, 2007

     

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    Lignes Noires

    (Encres et  dessins)

    Isabelle Venceslas, janvier 2010

     

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  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Guy Darol : La réédition, en 2006, de Diarrhée au Mexique, a été suivie d'échos plus que favorables. Ce livre a été couvert d'éloges et cependant c'est l'arbre qui cache la forêt, car ton activité d'écriture est riche de plusieurs volumes. Peux-tu nous en parler ?

    Bienvenu Merino : Oui, quelques critiques littéraires ont réservé un bon accueil à mon livre et c'est une chance de savoir qu'il ait touché et  conquis  autant de lecteurs. Mes autres livres sont bien plus sages, tout en étant fidèles à mes convictions politiques et à mes expériences  d'éternel homme qui marche.

    J'ai peu publié. Pendant presque vingt ans je n'ai plus envoyé de manuscrits aux éditeurs, alors comment veux-tu que l'on me lise ? La peinture de tableaux avait pris le relais, alternant des travaux de décoration  et de construction de lieux et scènes de théâtre. J'étais ouvrier pour gagner ma vie. Puis la fête et les rigolades, les bistrots de Paris où naissaient les rencontres aventureuses  me portaient au zénith d'une gloire acquise par mon manque assidu à l'écriture et à toute relation avec le système éditorial. Je vivais  bien, cela me convenait assez la vie faite de plaisirs. J'étais doué pour la danse et les jeux de séduction qui m'apportaient  plus de bonheur. A 19 ans, durant mes deux années de pratique de la  boxe, j'appris à travailler mon jeu de jambes. Le direct du gauche et l'uppercut me donnèrent plus de confiance. Je me mouvais à la manière de Ray Sugar Robinson dansant sur un ring. Mes amies spectatrices qui suivaient mes combats se sentaient protégées. Très entouré, je me perdais avec elles dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés.  Comment veux-tu que je puisse travailler consciencieusement l'écriture ? Pour bâtir une œuvre, "c'est chaque jour qu'il faut se poster devant la page blanche", me disait mon ami écrivain Emilio Sanchez-Ortiz, alors qu'après quelques verres à La Coupole et au Sélect puis dans les petits bals bretons du quartier de  Cambronne, nous allions guincher non sans avoir passé deux ou trois heures  avec mon ami le batteur Jackie Bouissou qui jouait au River-Boat  avec  Claude Luter, rue de Rivoli, et avec  Marc Laferrière et Maxime Saury au Caveau de la Huchette. La belle vie en somme car en ces moments-là la littérature venait après la fête. La lecture m'était bohème et je devais faire des efforts afin de continuer à lire et à étudier sérieusement. En fait, c'était mon "manuscrit de vie", mon livre de chair. Un laisser-aller impardonnable si l'ont veut écrire vraiment. Henry Miller mena cette vie et je me demande comment il trouva du temps pour réussir à accomplir une œuvre aussi solide et si intéressante. Mes vrais manuscrits sont rangés aux rayons de l'oubli, certains en partie inachevés ou à corriger. Ce peu de ma fortune ne peut intéresser un éditeur, croyais-je longtemps. Dans leur état actuel, où ils racontent des moments de vie égarée entre splendeur et jouissance, ce sont des manuscrits pas vraiment aboutis.

    Pour mes  livres parus, la grâce s'est trouvée sur ma trajectoire, mais souvent en faisant personnellement  un travail de grand écolier studieux et appliqué qui, tout petit homme, eut quelques rêves passagers pour se prouver à lui-même qu'il pouvait vraiment se faire plaisir et pouvoir  se sentir devenir écrivain. Tout cela me donne parfois de l'énergie pour donner à ma vie la satisfaction qui emplit mon cœur et  m'aide à m'appliquer à exprimer ce que je vis. Les pétards mouillés ne peuvent jaillir et faire des étincelles que si le désir de bien les sécher correctement existe. Je crois que j'ai préféré vivre avant tout. Existence de chevalier, entouré de nymphes, mais c'est ainsi que jamais la solitude ne m'a gagné. Ecrire des livres vous plonge dans les souterrains et les puits de la recherche de la vie fabriquée de  livres.  J'ai eu la chance partout dans le monde de rencontrer ce que jamais je n'avais espéré. La littérature ne me manqua pas ; si le besoin d'écrire me prenait, j'avais toujours un crayon et du papier pour exercer mon envie, sinon,  je contemplais le ciel, la mer, les arbres, les cimes des montages, et surtout, tout être humain sur mon passage, quel qu'il soit. Je pouvais lire dans les yeux et sur les visages le sommet de la bonté ou bien y découvrir la pire des crapules. Mais même si les livres sont mes amis, rien ne vaut ces hommes ou femmes rencontrés dans mes voyages qui avec génie m'ont offert ce qu'il est impensable que l'on puisse donner et  détacher du cœur : leur amour, quitte à se dépouiller de tout ce qu'ils avaient en leur possession. C'est eux qui m'ont le plus appris, mieux que ce je pouvais apprendre dans les livres et à l'université. Le bonheur tout simplement. Voilà sans doute pourquoi écrire des livres ne m'est pas obligé, ni un besoin nécessaire, même pas vital, ni un métier.

    Ecrire n'est pas pour moi une nécessité, je lai toujours su, j'avais d'autres cordes à mon arc. Voilà pourquoi, l'ours qui est en moi s'est mieux habitué à un environnement hors des sentiers battus, peut-être de crainte de déranger son voisinage postulant au succès de la renommée et à l'aliénation, ce que sans doute j'ai toujours su éviter sans crier gloire ni déception. Non, surtout, ne pas me faire voler mes ardeurs, mon souffle, mon enthousiasme et ma liberté, ce qui donne à ma personnalité ce rien de riche qui m'est tout.

    G.D. : Les billets que tu publies régulièrement sur Rien ne te soit inconnu et Rue du Pressoir attestent que tu as approché de grands noms de la vie culturelle et politique. J'observe toutefois que tu es l'opposé d'un mondain. De quelle façon se réalisent ces rencontres ? Quelles sont celles qui t'ont le plus profondément marqué ?

    B.M. : J'ai rencontré quelques grands talents du showbiz, comme Compay Secundo qui était mon ami, et le fils et la fille de Violetta Parra, Angel et Isabel, merveilleux interprètes, réfugiés en France après le coup d'Etat au Chili,  mais c'est  surtout des peintres  et des  artistes avec lesquels je suis le plus  lié. Aussi, ayant un de mes frères comédien, et un autre militant,  cela me facilite les rencontres.  Les hommes politiques rencontrés  avec qui j'eus un vrai contact, sont assez rares. En 1970, j'ai approché Salvador Allende pendant sa campagne Présidentielle, cela grâce à des amis du MIR (Movimiento d'Izquierda Revolucionaria), et je fus invité à une de ses marches légendaires avec les paysans, à Osorno et à Valdivia, dans le sud du Chili. Dans les années 1970, il existait une telle peur, dans certains pays d'Amérique du Sud, que la Gauche arrive au pouvoir au Chili, que pour moi, il était inconcevable que je n'accepte pas l'invitation de mes compagnons militants chiliens d'être auprès d'eux et de leur leader à la Présidence  de la République. Le souvenir de Salvador Allende est celui de sa simplicité, de sa gentillesse et de sa conviction  absolue qu'il allait gagner les élections et être élu Président du pays. Tout le monde connaît la suite.

    Moi qui voulait être discret, c'est raté. Je ne vais pas cependant tout t'avouer. Mais  je ne résiste pas. Voici arrivé un instant de grâce. Un vrai conte de fée.  Je veux  te parler de Monica, la compagne de mon frère Emmanuel,  jeune femme et attachante qui fit son entrée glorieuse dans notre modeste clan familial, et pour qui nous avons beaucoup d'estime et d'admiration. Monica Justo est la petite-fille de Pedro Agustín  Justo, Président de l'Argentine de 1932 à 1938. C'est quelques années après, durant mon séjour à Buenos Aires, que j'appris vraiment qui était la famille de Monica, son grand-père, Président, et le père de ma belle sœur, Liborio Justo,  écrivain et leader  du Trotskisme durant un demi siècle, qui vécut jusqu'à cent et un an et qui est décédé il y a peu de temps.

    Donc, de fil en aiguille, notre  famille s'agrandit, un mélange d'artistes des Beaux-Arts, comédien, chanteuse, cantador flamenco, belle-sœur, petite fille de Freddo Gardoni, accordéoniste célèbre, banquier, médecin, juristes, avocats, enseignants ou ouvriers de la politique universelle, ouvriers tout court, sportifs. Comme je te disais, Guy, c'est  la chance. Plus nous sommes de frères et sœurs, plus nous rencontrons de monde, gens connus, ou simples citoyens méritants.  Parfois nous  débarquons à dix, douze, dans un vernissage ou un cocktail  au Théâtre de Chaillot ou à l'Odéon, pour la première d'un spectacle de mon frère Louis, et nous continuons la soirée dans la fête et la bonne humeur. Mais aussi, parfois, cela nous arrive, d'accompagner un ami pour son premier voyage en cercueil,  son dernier dans la mort, porté sur des épaules des frères andalous-périgourdins en chantant les honneurs que mérite le défunt.

    Ma rencontre avec Dennis Hopper et Peter Fonda  ainsi qu'avec d'autres acteurs américains, eut lieu dans des circonstances invraisemblables au carnaval de Oruro, au Pérou, au milieu des fameuses  Diabladas, uniques dans le pays. Dennis et Peter venaient de terminer le tournage d'un film, près du Cusco, à Chinchero, et c'est par hasard, en revêtant une peau d'ours en guise de déguisement, en compagnie de deux de mes amis, avec l'intention d'aller dans les rues de la ville en fête que nous nous sommes rencontrés, face à face, habillés en animaux.  Parfois, c'est très simple, tout s'enchaîne. Je repartis le lendemain avec eux en taxi, de Oruro à la frontière bolivienne, le long du splendide lac Titicaca, jusqu'au village frontière, Copacabana, et c'est ainsi que je j'eus la chance d'être avec eux, avec leur enthousiasme pour passer la frontière, ce qui n'était pas très facile en ces moments-là avec un passeport Français, car Régis Debray, sympathisant du CHE, c'est-à-dire, d'Ernesto Guevara, était emprisonné à Camiri, Bolivie,  pour  les raisons politiques que l'on connaît. A la frontière, comme tout le personnel de la douane savait qui était Peter fonda, je n'eu absolument aucun problème à rentrer dans le pays. On ne me demanda même pas mon passeport.

     

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    Aussi, je dirais quelques mots sur ma rencontre avec le magnifique acteur  du film  Les Enfants du Paradis, Jean-Louis Barrault, à la Cartoucherie de Vincennes, où je travaillais sur les décors d'un spectacle qui allait être donné en Avignon. Personne, parmi nous, techniciens et comédiens,  ne s'attendait à le voir arriver. Surtout, nous pensions qu'il n'avait aucune raison pour que nous le retrouvions devant nous, tout souriant. En fait, Il était venu féliciter la troupe, du travail qu'avait accompli le Théâtre de l'Aquarium, dans la l'immense hall qui lui avait appartenu et qu'il avait légué à la jeune compagnie pour laquelle nous travaillions.  Ce jour là, il fit une distribution de présents inattendus. Moi, j'héritais, entre autres,  d'un de ses habits de scènes, un smoking noir splendide que je devais porter durant plus de vingt ans, plutôt fier du cadeau dont il m'avait honoré.

    Mais un de mes souvenirs inoubliables et qui n'a rien à voir avec une personnalité culturelle, date de 1966 dans le désert du Sahara, le grandErg de la Soif, où, affaiblit physiquement  par le manque d'eau et craignant ne pas arriver à temps au premier village pour m'abreuver, j'eus l'immense chance de me trouver face à mon sauveur, le caïd du village, qui je ne sais comment, descendit ,  pied après pied, sans chaussures dans un puits profond de  plus de vingt mètres et remonta à la surface avec un seau d'eau. Je puis t'assurer que l'eau était fraîche et la meilleure que je n'ai jamais bu.

    Pour revenir à ta question sur "l'opposé d'un mondain", oui, tu as parfaitement raison. Je n'aime guère tout ce qui relève de la haute société, non très peu pour moi. Je n'apprécie  pas les habitudes de la vie bourgeoise et leurs divertissements qui ont attrait au luxe et aux plaisirs de la table même si j'ai grand plaisir à  faire un bon repas  en famille ou avec des amis. Dans les phrases qui précèdent,  j'ai donné un aperçu de mon mode vie.  Pour moi, les rencontres me sont assez faciles pour ce qui concerne l'art et mon attirance de la vie  avec les hommes et les femmes que je rencontre. « Faire de la vie un chemin d'épanouissement, la vie doit toujours devancer l'art, une activité parmi bien d'autres, la vie doit être considérée comme une œuvre d'art potentielle ».

    (A suivre... demain !)

     

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    Emmanuel Merino et Monica Justo
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    Le Moulin, en Dordogne. Sous la maison de mon enfance coule une rivière.

     

     

    Guy Darol Ton histoire personnelle est liée à celle de la Guerre d'Espagne. De quelle façon s'effectue le parcours de ta nombreuse famille depuis l'Espagne jusqu'en France ?

    Bienvenu Merino : Après  les années 1936-1939, dates de la guerre civile, ma mère, et mes frères aînés arrivèrent en France à travers les Pyrénées dans des conditions difficiles, avec des  milliers d'autres réfugiés. Moi, je n'étais pas encore né. Deux de mes frères et une de mes sœurs nés en Andalousie périrent avant de pouvoir passer la frontière. Mon père était resté au front, à Barcelone. Il n'arriva en France qu'un an après, à la défaite de la République. Il fut interné comme des milliers d'autres Espagnols dans un camp de réfugiés politiques, où il passa plusieurs mois, presque un an, tandis que ma mère et les enfants se trouvaient dans un autre camp de réfugiés pour femmes et enfants, dans la région de Limoges.  Mon père ne put revoir ma mère et les enfants que plusieurs mois plus tard, lors d'une visite arrangée, car tout était contrôlé, et par la police française et par les autorités du camp.  Personnellement, je connus L'Espagne qu'en juin 1968. Il était alors déconseillé aux opposants au régime de retourner en Espagne, tant que Franco était au pouvoir. On encourait alors des risques de représailles. Franco mourut à 83 ans,  le 20 novembre1975, après un mois d'une interminable agonie et quarante ans de pouvoir sans partage en Espagne.

    Je ne sais si les malheurs vécus par mes parents et mes frères ont été des catalyseurs qui contribuèrent à mon goût du voyage. Peut-être ! En tous cas la vie nomade, durant des années, contribua et facilita notre intégration en France. De région en région, je suivis forcément le mouvement familial. Le clan ayant appris à se mouvoir, à connaître les flux migratoires, la vague houleuse familiale continua de se déplacer de département en département à la recherche de travail et du rassemblement des autres membres  de la famille éparpillée dans le sud de la France. Mes frères et sœurs, et moi-même, nés en France, fûmes préservés d'un cataclysme annoncé. Les aînés étaient morts, il fallait se reconstruire, rebâtir la famille. Que de luttes et combats de chaque instant pour des parents, heureusement unis dans « l'élevage » difficile des enfants qui vinrent au monde pendant et après la guerre 1939-1945.

    G.D : Cette migration est-elle le point central qui déterminera par la suite un certain goût du voyage et de l'aventure humaine fraternelle ?

    B.M : Oui je pense. J'ai puisé son essence dans le quotidien d'amour que nous ont donné mes parents. Ma sensibilité à fleur de peau est sans doute due aux drames de la vie que vécut ma famille, aux déchirements issus des guerres fauchant debout les combattants qu'ils étaient devenus pour défendre leur honneur et leurs convictions. Se relever après cela était plus que difficile. Il fallait avoir un père et une mère forts contre les épreuves. C'est sans doute là où s'est forgé un rempart contre les injustices. Sans se barricader, ils ont pu, au contraire, s'ouvrir à la vie, avoir de nouveaux enfants, élevés dans la dignité et l'espérance, nous rendre à l'émerveillement.

    G.D : Tes itinéraires te conduisent sur le continent Américain et dans d'autres régions du Monde. Sont-ce tes activités d'écrivain qui te meuvent ainsi ?

    B.M : Non, ce ne sont pas mes activités d'écrivain qui me font bouger. Souvent, ce sont mes voyages qui m'incitent à l'écriture.  Ce qui me fait mouvoir, c'est l'intérêt que je porte aux individus, je vais vers eux, je tiens cela de mon enfance, c'est irrésistiblement naturel, tu comprends ! Je dirais même que c'est mon école d'apprentissage libre et sans obligations. C'est le besoin de s'assouvir, de vivre vrai. Quand j'étais en Amérique, j'étais plus « chemineau » qu'écrivain, dans le sens de suivre son chemin et être observateur. C'était presque un luxe. Le plaisir que j'éprouve dans la marche est immense. Je suis « On the road » en quête initiatique, en réflexion existentielle. Point de frontières, pas de douanes, tous les jours de nouvelles rencontres, des fiancées, des épouses, des amis. C'est une force  de vouloir et de pouvoir être itinérant. Sans doute que les « obligations » de la vie qu'ont eu mes parents et ma famille ont contribué au goût fantastique d'user mes souliers pour aller quelque part. Là où j'ai de l'intérêt.

    Je suis un troubadour. Je préfère les  plaisirs simples, marcher, entrer dans un bar, m'installer sur un haut tabouret et regarder les gens tout en lisant sur les  journaux les nouvelles du monde.

    Mon existence est là, toujours dans la rue. C'est mon œuvre principale. Chaque pays où je suis allé était mon chef-d'œuvre : découverte à pied,  marchant et souriant au monde ; exercice du corps, de l'esprit. Souvent j'étais rempli de bonheur quand je marchais sur le macadam, de l'Alaska à la Terre de Feu. J'ai connu tous les stratagèmes pour éviter des pièges et pour être heureux, apprendre à vivre pénard, parfois tout en aidant les plus défavorisés qui en échange m'offraient l'hospitalité, un hamac, une litière.

    Alors écrire tout cela, tout ce j'ai pu emmagasiner, c'est  de la discipline pour composer, mot à mot, un bouquin de plus. Le secret est là, dans la banque de mon  cerveau, dans mes yeux lorsque parfois j'en parle et que quelqu'un, quelqu'une, veuille bien entendre mon chant. Le conte, je le tiens de mon père Don José et de Amalia, ma mère, ainsi que de mes frères aînés Joseph et Fernando et de deux de mes oncles. J'ai appris, avec ces êtres chers, à capter l'attention et à savourer l'instant où il faut dire les choses, la seconde où il vaut mieux se taire, garder le silence et écouter. Chez nous, cela se faisait par la parole. Essayer de comprendre, réagir, répondre verbalement, car les livres il y en avait peu.

    J'ai grandi dans les champs, avec mes frères et sœurs, près de  petites maisons,  dans le Périgord Noir. "L'Oustal Nèbe"  d'abord,  "le Roc de la Rode", dans  l'ancien presbytère de mon village natal,  puis  "Le Moulin",  assis  sur un sol d'argile recouvert de mousse, les fenêtres s'ouvrant sur une rivière d'argent où nageaient les carpes et les truites, mes premiers pas croisant les biches, les cerfs, les hérissons, le tracé des escargots. Durant une période, nous étions en zone de combats contre l'envahisseur allemand, mon père était dans les forces F.F.I. et continua  à donner avec bravoure tout  ce qu'il avait de générosité.  Ma maman qui avait donné naissance à plus de dix enfants, sans compter les fausses couches, connaissait ce qu'était le chemin qui va droit au cœur. Le soir, à tour de rôle, à plat ventre sur ses genoux, elle nous instruisait à la manière des philosophes espagnols du 18e siècle, qu'elle chantait d'une beauté inégalable, digne des divas du 17e siècle. Ce fut mon meilleur professeur. Il n'y eut rien de pareil. Fille de sage femme Andalouse, toute sa vie elle honora les gens pauvres, ceux qui avaient besoin de tout,  à qui elle offrait et partageait ce qu'elle possédait. Mon père vécut presque soixante-dix ans de mariage, avec elle, jusqu'au bout, à près de 97 ans, avant de s'éteindre doucement dans mes bras et tirer sa révérence de géant qu'il a été. Il complimentait chaque jours ma mère pour l'œuvre qui était aussi la sienne, ses enfants, grande famille admirée de tous, tout au long des petites routes du Lot où nous allions en chapelet serré,  vêtus de blanc et de satin par maman, marchant heureux pour nous rendre aux fêtes votives. Quand, à la sonnerie du manège, commençaient à tourner les chevaux de bois et les voiturettes, mon père, très vite, asseyait les plus petits sur les sièges tandis que mes grands frères s'envolaient seuls vers les chevaux de bois et la grosse Mercédès chromée dont on entendait le klaxon faisant la fête aux parents, ce qui faisaient parfois soulever les paupières et lever les yeux au ciel de Grégoire, l'aveugle de Castelfranc que l'on retrouvait dans toutes fêtes. A Cahors et dans toute la vallée du Lot, région de vignobles, nous allions, parcourant en sabot de bois et chaussettes russes, les sentiers  millénaires le long du fleuve, au bord duquel poussaient les pêchers et les abricotiers, les fraisiers et  les melons dans les champs à pertes de vue.

    Déjà à six ans, le jeudi, jour sans école, sur les coteaux des vignes nous mettions la « main à la patte » : vendanger, cueillir les abricots et les pêches, ramasser les fraises. Et le soir venu,  frères et sœurs, on se retrouvait dans la vaste salle à manger de la "Villa du Paradis", notre belle maison qui dominait le Lot et sa petite plage. Mon père se mettait à chanter des cantes jondos, chants profonds, émouvants, les plus émouvants jamais entendus de toute mon existence, pendant que ma mère tambourinait des mains et des coudes, et, d'un bond, se levait de sa chaise et se mettait à  exécuter des zapatéados almachareños de sa région natale,  invitant les enfants à venir à table où ma sœur aînée, Aurora, avait aligné des floraisons de gâteaux, ronds et carrés, fait de farine de blé, d'huile d'olive et de raisins  secs parfumés de Malaga. Ainsi s'ouvrait la ronde merveilleuse qui créait ce lien "inséparable"  qui nous unissait et nous portait aux anges de la création, amoureux, hérités de l'affection qui nous avait été donnée, sans aucun autre échange : cadeau immense d'un père et d'une mère. Notre respect envers eux était sans compter. Non seulement pour le Noël, en échange du mensonge historique où les pères et mères ne sont là que pour une nuit. Pour nous, c'était chaque jour et chaque nuit Noël ou plutôt l'affection renouvelée toute la vie. Mon père était mon Zappa. Sans trop avoir de livres il connaissait par la pratique, les bonnes manières éducatives qu'il fallait donner à ses fils et à ses filles. Il tenait, beaucoup aussi, de Buenaventura Durutti, dans l'effort et la méthode de nous former à nous défendre. Sa vie, bien que pas facile, fut heureuse du don qu'il nous offrit à tous,  même si  un peu fragilisée par un manque d'instruction qu'il ne put nous offrir totalement, dû aux difficultés qu'il traversa. Il nous sortit de l'ornière des bas chemins où les guerres nous avaient enfoncé pour nous hisser au faîte de la liberté qui  manquait si cruellement à tant de nos concitoyens.  

    (A suivre... demain !)

     

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    Villa du Paradis. Notre maison dans le Lot.

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Bienvenu Merino. Premier voyage en Espagne. Juin 1968
    "J'aurais voulu travailler avec mon père et Bartabas dont les chevaux étaient une passion"

     

    Guy Darol Nous nous sommes rencontrés dans les années 1970, rue du Montparnasse, à l'époque où j'animais la revue Dérive avec Christian Gattinoni et Philippe Lahaye. Le lien qui nous unissait était Daniel Delort qui avait lancé L'Atelier du Gué, première maison d'édition orientée vers la nouvelle et le texte bref. Quels sont les souvenirs de cette période ?

    Bienvenu Merino : C'est au printemps-été 1976 que nous sommes rencontrés, à Villelongue d'Aude, chez Martine et Daniel Delort.  Ils étaient au début de leur aventure éditoriale avec L'Atelier du Gué et  la revue Le Gué et ils venaient de publier l'une de mes nouvelles puis d'autres publications de mes textes suivirent. C'est peu de temps après que nous nous sommes retrouvés chez toi, à Paris, rue Henri-Pape. Ce soir là, tu fis un exposé sur la revue Dérive, qui en était au deuxième ou troisième numéro, je crois. Je me rappelle de tes explications de textes, comme si, en fin d'étude universitaire, tu soutenais une thèse d'Etat. Je n'exagère pas. Ce qui me surprenait le plus, c'était ton aisance à parler de philosophie, éclaircissant point par point chacun des sujets développés.  Moi qui avais l'habitude d'être sur le terrain, je t'écoutais, mais par prudence, j'avais "mon fusil invisible" chargé, appuyé le long de ma jambe,  prêt à dégainer, comme un chasseur attentif au gibier qui va sortir du bois.

    Quelques semaines plus tard, en effet, nous nous retrouvions chez moi, rue du Montparnasse.  Cette soirée fut plus calme intellectuellement. Un  repas et du bon vin calmèrent nos énergies et nos ardeurs ; en tout cas ce furent des échanges de  fêtards, comme nous apprécions de le faire, en bons vivants. Cependant, là où il y avait désaccords  politiques, je te tenais tête, de crainte de rentrer dans un de tes discours fleuves et de te stopper net en te disant : « Basta camarade, je ne suis pas d'accord ! » Ce qui n'arriva pas.

    Tout à coup, me vient à l'idée, ce souvenir à Villelongue, chez Daniel Delort, et de la table qu'avait dressée Martine, pour honorer ma présence lors de la parution d'un de mes textes sélectionné pour le Festival de la nouvelle de Nice. Jamais dans l'édition, je n'avais eu pareil honneur. La table devait mesurer 12 mètres de long  sur 2,5 de large, recouverte d'une nappe de soie blanche immaculée de mots littéraires joliment écrits à la plume en bout de table. Pendant l'apéro, chacun pouvait se cultiver en lisant sur les nappes des phrases poétiques tout en croquant de minuscules tomates bien mûres qui provenaient de leur potager ou bien de celui du voisin. Daniel, en bon  « Relation Presse », avait invité trois journalistes des quotidiens régionaux de Carcassonne, plus une dizaine de convives, amis et potentiels écrivains à publier. Des centaines de  revues toutes fraîchement imprimées garnissaient les tables, sous-tables, étagères et dessus d'armoires au rez-de-chaussée, dans les sous-sols, les couloirs et greniers, partout, la revue Le Gué (aujourd'hui revue Brèves), les manuscrits qui attendaient d'être  ouverts, et les livres, ceux dans les cartons prêts à voyager en train pour Paris, partout en France et même à l'étranger. Je me demandais comment deux individus à eux seuls pouvaient abattre autant de travail, et surtout, comment ils arrivaient à lire sérieusement tous les manuscrits qui leur parvenaient ; c'était un travail de titan.  Classement du courrier reçu, réponses, lectures, choix des textes à publier et à envoyer à l'imprimerie où Daniel, seul, mettait tout en branle, impression, pliage, coupage, notes, corrections et préfaces, c'étaient des dizaines et des dizaines de lettres et paquets provenant du monde entier qui s'entassaient et fleurissaient, maison, jardins, escaliers, terrasse, toutes ces 'graines de mots' qui allaient germer étaient d'une beauté printanière, ici dans cette région, inconnu ailleurs au monde !  Mais surtout, Daniel et Martine, à eux deux, faisaient cela avec une décontraction déconcertante, sans soulever le moindre soupir, entourés de leurs enfants qui arrivaient à la vie en même temps que naissait la maison d'édition et que venaient à la lumière des écrivains débutants, en herbe, et parfois déjà connus ou célèbres. Personnellement, un ange entourait mon front et enserrait ma tête, la réchauffant  d'un certain bonheur, comme si tout à coup le monde entier allait me lire. Etonnante sensation. L'éditeur vous écoute, mais vraiment, il écoute ! Il parle de contrat à signer, de droits d'auteurs, de futurs contacts avec les journalistes du Monde, de Libé, du Nouvel Observateur, et alors, souriant, l'œil pétillant, il vous remet le premier exemplaire, tout chaud comme un bif qui sent bon l'encre cuite et quand vous l'ouvrez, il craquette comme si vous aviez un billet de 2000 euros amidonné au bout des doigts et que vous le dépliiez plein de désir. Là, à ce moment, on se dit : « Ce n'est pas vrai, je rêve ou quoi, en écrivant mes petites historiettes, ils sont là devant moi comme si j'étais intéressant et le plus grand des auteurs». En fait, il y eut un peu de reconnaissance de part de la presse, Le Monde des Livres nous ayant consacré un article annonçant la sortie de ma nouvelle ainsi que celle de Buzzati, l'auteur du Désert des tartares. Autre sensation, je regardais dans la pile de mes livres bien rangés avec cette surprenante surprise de croire voir s'échapper des lignes fluides de mes textes qui  s'écoulaient toutes seules semblables à de petits lézards ou serpents de couleur vert-gris venant au monde. Alors, vous vous  tapez la tempe, et une peur vous serre la tête qui vous descend à la hauteur de l'estomac. Beau et horrible à la fois ce sentiment de 'bien-être' qui ne vous torture, heureusement, que quelques secondes. Dans la pile à côté, c'étaient les ouvrages de Betty Duhamel qui sortaient de presse, brûlants comme d'un gril. Rien ne bougeait de la pile qu'avait soigneusement entassée Martine. Si les lignes semblaient  s'échapper de mon livre, voltigeant déjà dans l'air, ceux de Betty Duhamel, plus classiques, restaient sages dans le tas. Cependant, j'ai ce souvenir du récit de Betty, d'une littérature étudiée, très bien écrite, soignée, cependant que mes mots espiègles s'échappaient des pages, comme des feuilles d'orties venant piquer les jambes et cuisses de mes lecteurs et lectrices. J'avais ce sentiment  mais sans doute je me trompe.  Dans cet émerveillement de paperasse et de vagues de livres, L'Atelier du Gué ressemblait déjà à une imposante Maison d'édition dans ce joli presbytère de curé transformé en maison du livre littéraire.  Le lieu était superbe, petite cathédrale de papier fragile construite au fur et à mesure et au hasard du courrier qui arrivait, dans l'enceinte de la bâtisse. Murs de pierres vieilles de quatre cents ans et protégés par un crucifix incrusté sous la charpente ancienne dont personne jusqu'à ce jour n'a dû mettre la main dessus. L'ayant décroché pour la nuit, j'avais oublié de le remettre en place. J'y pense seulement aujourd'hui et qu'on veuille bien me pardonner, que mes amis sachent, jamais je n'ai pu dormir dans une maison où veillait un tel ornement religieux.

    Ici dans l'ancien presbytère, maison de curé, les livres avaient leur place. Et cela fait presque quarante ans qu'ils veillent reconnaissants aux créateurs et que moi, en tant que l'un des  premiers lecteurs je me dois et j'ai honneur de féliciter.

    G.D Diarrhée au Mexique publié à L'Atelier du Gué est un récit de voyage qui atteste ton goût pour les explorations intercontinentales. Je crois d'ailleurs que ce texte est extrait d'un volumineux Journal. À quel moment et dans quelles circonstances as-tu éprouvé le désir de focaliser et sur la diarrhée et sur le Mexique ?

    B.M : Guy, le titre de mon livre en couverture de cette troisième édition, a été abrégé. Le titre complet était  Extrait d'un voyage dans les excréments ou Diarrhée au Mexique. Je trouve qu'il y a plus de douceur dans cette longueur du titre, les mots absents de la couverture font voyager, nous emportent dans le rêve de ce qui va advenir lors de cette aventure, il classe la nouvelle dans l'exploration. Le titre complet adoucit ce voyage. J'ai entendu dire que 'des bombes' étaient à la place des mots. C'est du domaine de la fabulation ces dires ; mais scientifiquement, oui ce livre contient de petits explosifs. Mais c'est dans la maladie qu'ils s'y trouvent, dans le vécu. Il y a un de mes amis, J. Gaillard, pour ne point le citer, que j'ai revu au Salon du Livre,  qui avait dit à son éditeur, pourquoi il fallait publier ce livre à qui il promettait un bon avenir ; il m'en parla, comme s'il avait la conviction que mon livre pouvait devenir un best-seller et avoir un beau succès. Mon éditeur de l'époque fut assez timide pour lancer cette nouvelle, qui en fait est très médicale et refusa la publication. Le récit de mon livre est une anecdote vraie, alliant troubles de la santé, en l'occurrence diarrhée et constipation, et fête de la sublimation. Parler de diarrhée n'a rien de choquant. Le mot cancer, à moi, me fait plus trembler. M'émeut plus d'apprendre que tel ou telle  ami(e)s souffre de ce mal. La colique c'est moins lourd. Mais attention, ce symptôme est fréquent et il peut être grave. Les diarrhées par altérations de la muqueuse sont provoquées par des lésions qui peuvent aller de la destruction isolée de la bordure en brosse de la cellule intestinales avec inflammation, ulcération  (entérite nécrosante et colites), en passant par l'atrophie villositaire complète, maladie coeliaque.

    Il ne faut pas rire de ce mal,  même si, à la lecture de mon texte, l'écriture semble danser et faire  danser les personnages du récit. Au cours des diarrhées avec colites (recto-colites hémorragiques, Crohn, colites ischémique, parasitaire ou bactérienne), les selles sont nombreuses mais peu abondantes avec glaires et pus. Les causes et les facteurs du risque sont en général des diarrhées hydro-électrolytes, le plus souvent d'origine sécrétoire, parfois motrice. Le grand risque est la déshydratation d'autant plus grave qu'elle touche les enfants, les vieillards et les sujets malades.

    Lors de sa première publication, en 1976, j'avais envoyé mon livre au Docteur Escoffier-Lambiotte, responsable de la rubrique Médecine au quotidien Le Monde. Par retour du courrier, elle m'envoya une lettre de reconnaissance qui me remerciait de lui avoir fait parvenir mon livre, récit qui avait surpris certains de mes lecteurs. Quelques jours après, elle publia tout une page sur le sujet, dans la page Médecine. C'était assez navrant d'écouter certains commentaires sur mon livre. En fait, c'est plus la matière qui les gênait, oui, l'excrément, la merde, celle que chaque être humain, hommes, femmes et enfants, évacue quotidiennement, ou au contraire celle qui  ne peut s'évacuer pour cause de freinage et blocage, de constipation quoi ! Et pourtant,  la plupart des parents de bambins son habitués à soigner leurs enfants de ces maux et les torcher.  Ce n'est pas mes quelques propos politiques ou antireligieux qui les dérangent, non, c'est la merde naturelle, qui explose dans le corps et hors du corps. Oui, là, ce n'est plus naturel, il y a mal, douleurs intenses, maladie. Alors, mon récit, pour atténuer les douleurs, je l'ai voulu artistique. L'écrivain que je suis à ces moments là,  jongle avec les pires douleurs. Il magnifie le spectacle, il sublime le mal, il renforce les liens entre deux amoureux qui souffrent dans leur chair. C'est terrible de vouloir aller à la selle et ne pas pouvoir,  vouloir stopper une diarrhée et constater qu'il nous ait difficile d'arrêter le flux endiablé d'une colique. Le spectacle est hallucinant, nous ne sommes pas au théâtre, même si l'ont peut s'y croire : deux artistes fous d'amour l'un pour l'autre sont renversés par le terrible mal, blessés, jetés à terre  et tordus de douleur par les terribles occlusions. A ce moment, il n'y a pas dieu, personne pour soulager, rien qui puisse atténuer ces douleurs, ni la prière, non rien ne peut faire croire que cela va s'arrêter. Un homme et une femme en transe dans leur caca, s'accrochant l'un à l'autre avec espoir, dans le but que tout s'arrête et qu'ils reprennent enfin le cycle de la vie normale. Ils s'entraident, mains dans les mains besognant une  flopée de médicaments. Et c'est pour oublier le mal qu'ils s'inventent une autre façon de contrôler l'événement et d'enfin pouvoir guérir.  L'amour, heureusement, est là ! Deux êtres unis dans la douleur, en fêtant et  réussissant à s'apaiser de la terrible 'chose sans nom' qui s'accroche à l'intérieur du corps et qu'ils réussissent enfin à se délivrer.

    Pour revenir à ta question, sur mes voyages intercontinentaux, c'est très simple : après mai 68, j'ai pris un billet aller-retour, Paris-New York, valable un mois, avec l'intention de revenir après ce temps. Mais la providence, je dirais plutôt l'évidence, a joué en ma faveur et en a voulu autrement. J'étais bien à New York, alors j'ai décidé d'y rester  et de poursuivre le voyage dans d'autres Etats du pays, en travaillant lorsque ce serait nécessaire. A cette époque trouver du travail n'était pas un problème. Je possédais un métier, mais de toute façon, j'étais prêt à changer d'emploi, aller de l'avant, faire autre chose, découvrir et continuer ma route de la félicité. J'ai quitté les Etats-Unis pour le Mexique, après un court séjour en Alaska de deux semaines, pour une période de pêche. Mon visa étant terminé après huit mois, je devais sortir du pays, si je voulais revenir vivre plus longtemps aux Etats-Unis. La guerre des Américains au Viêt-Nam ne facilitait pas la situation aux U.S.A, tout était contrôlé de près, les étrangers ne pouvaient renouveler leur visas que difficilement et c'est là que j'ai décidé d'aller au Mexique. Comme je vivais en Californie, région frontalière, je partis avec une amie, danseuse au Ballet de Danse Moderne de New York, qui voulait venir avec moi. C'est elle qui deviendra l'héroïne du livre dont on a beaucoup parlé.

    L'écriture d'un livre sur un voyage qui dure plusieurs années est plus difficile à maitriser, même avec les notes que j'avais écrites. C'est à partir de cahiers,  mes journaux de route, que je tenais jour après jour, et notant toutes mes activités que j'ai commencé à rédiger à mon retour en France.  A Paris, j'ai fréquenté la bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes d'Amérique Latine. Là, j'ai pu lire les auteurs spécialisés de l'Amérique Latine.  Et après bien des lectures, voulant  améliorer, ou croyant améliorer l'écriture de mon récit de voyage qui comprenait des centaines pages, j'écrivis trois versions : un journal, un récit et une troisième version un peu romancée. Ce travail a duré des années, quatre, et plus même, en parallèle à des études d'Economie Politique à Paris VIII et à un travail au Muséum d'Histoire Naturelle, dans le Laboratoire d'ethnobotanique où j'avais la possibilité de choisir mes horaires afin d'assister à mes cours à la fac. Je travaillais aussi une partie de la nuit comme photographe à bord des bateaux mouches sur la Seine. Trop pris par mes activités, peu à peu, j'ai laissé mon manuscrit de voyage, que je reprenais de temps à autre. Mais plus je laissais 'dormir la bête', plus le temps passait, moins j'avais le cœur à l'ouvrage et plus je sentais que ' la bête' s'éloignait de moi. Bien des années plus tard m'est venue l'idée de développer des situations intéressantes de mon voyage. Par exemple : mon escalade des volcans d'Amérique Centrale, ou les crises politiques au Pérou et en Bolivie ainsi que sur les dictatures au Brésil et  en Argentine. Et puis cette idée d'écrire sur la diarrhée a surgi à un moment où j'étais trop occupé par des travaux manuels en travaillant dans un théâtre ce qui m'obligeaient à des jongleries d'horaires pour faire face à la situation et l'idée me vint de cesser tous mes projets d'écriture en cours, ce qui me semblait pourtant impensable.

    Je partis à la campagne, en Seine-et-Marne, dans une maison isolée, revenant tous les quinze jours à Paris car je faisais alors partie du comité de rédaction d'une revue de poésie underground. A la campagne, j'avais du temps devant moi. Entre le matin, aller chercher mon lait à la ferme et le repas du soir, je commençais à réfléchir sur mon nouveau projet : rédiger ce petit 'bijou explosif', Diarrhée au Mexique. Sur les 800 pages que comprenait mon récit de voyage, où j'avais résumé en quelques chapitres tous les événements de mon long périple en Amérique (Nord, Centrale et Sud), je décidais d'extraire cet épisode rocambolesque, qui était d'une quarantaine de lignes, et d'en  faire un petit livre d'une centaine de pages, certain que cela m'aiderait à mieux cerner le sujet traité .Voilà  comment apparût le bébé emmailloté de langes mexicains.

    Certaines lectures de Georges Bataille, comme 'Le Petit' ou de Samuel Beckett 'Premier amour'  publié aux Editions de Minuit contribuèrent à faire court. Ces deux livres furent des modèles, non pour l'écriture, mais pour format du livre et ses longueurs. Je me mis au 'travail', qui n'en fut vraiment pas un, et pris un plaisir de tous les instants. Jamais mon écriture ne fut aussi vertigineuse, tête baissée dans les pages, mon stylo bille serré entre les doigts repris par ma petite machine à écrire Olivetti, je terminais en peu de temps cet étrange ouvrage qui allait en déranger plus d'un. Mais bien avant l'écriture  de Diarrhée au Mexique, la publication de certaines de mes nouvelles courtes furent publiées, dans lesquelles je m'étais exercé à la réduction de textes.  J'avais la conviction qu'en écrivant court, je pouvais mieux décrire un événement, développer même une vie. 

    (A suivre... demain !)

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  • MAKIKO A PARIS

     

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    Il est fort intéressant  de découvrir une jeune artiste-peintre, née au Japon, vivant à Paris, en plein cœur de la « Rue des Maléfices», c'est-à-dire de la rue Mouffetard, et faisant œuvre de ce qui l'entoure. Art semi-abstrait, entre jardins japonais, teintés d'atmosphères parisiens,  et mélange d'images photographiques évoquant un Paris millénaire, cosmopolite, coloré et brumeux, traité à la façon des peintures de son Japon fantastique. Il va de soi que la peinture de Makiko, imbriquée dans la transparence de photos donne ce flou de mystérieux à ses paysages qui semble marquer l'influence de l'Occident, où elle vit depuis quelques années et de son Japon d'où elle est native. Artiste venant de si loin, arrivée «Rue des Maléfices », où le souffle tiède des nuits mouffetardes vous enveloppe dans une atmosphère envoûtante et qui parfois vous prend par le bras dans ce paysage de la nuit lorsque l'on approche Paris par ses rues étroites, comme on  hasarde la conquête d'une femme qu'on sait trop belle et trop mystérieuse, ou bien qu'on se lance éperdument dans les bras d'un homme  pour lequel on éprouve des envies amoureuses. Gagnée ou perdue, la vie se doit d'être jouée. Nos félicitations à Makiko et bienvenue à Paris où elle a choisi de vivre, au cœur d'un quartier historique, fief captivant de notre capitale, où déjà son œuvre très affirmée  étonne les parisiens, dont elle sait se faire entourer, avec une grande admiration. Bienvenu Merino

     

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    Exposition

    du

    5 janvier  au 24 janvier 2010

    11h/19h

    ATELIER

    CHRISTINE VIRMAUX

    12 rue des Patriarches 75005 Paris

    Tél : 01 40 56 08 48

    *

    LE VERRE A PIED

    118 bis,  rue Mouffetard  75005 Paris

    Tel : 01 43 31 15 72

    *

    L'ATELIER D'ENCADREMENT

    6 rue de L'arbalète 75005 Paris

    Tel. : 01 45 35 02 01

    *

    (Trois lieux d'expositions proches les uns des autres)

    (Fermés le lundi)

     

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  • LES TRICHEURS ❘ MARCEL CARNE ❘ 1958

     

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    Beaucoup d'entre-nous se souviennent du film Les Tricheurs de Marcel Carné ; film qui marqua les esprits de toute une génération, faisant dégoupiller les grenades au repos dans les malles de la bourgeoisie française. Dans son film, Marcel Carné peint une jeunesse agitée, désordonnée, avide de plaisirs, de rythmes obsédant qui veut l'argent sans le travail, le luxe sans effort. Et le vieux thème du diable a été adapté à la vie du Paris quotidien, dans l'ambiance explosive de Saint-Germain-des-Prés où les adolescents découvrent la tentation et succombent aux plus funestes mirages.

    Jacques Charrier, pour son premier film et premier rôle obtint la victoire du meilleur acteur de l'année 1958, ce qui lui valut la célébrité et le lancement de sa carrière. Bienvenu Merino

    FICHE TECHNIQUE

    Scénario : Jaques Sigurd, d'après une idée de Charles Spaak et Marcel Carné. 
    Adaptation et dialogues : Jacques Sigurd. 
    Images : Claude Renoir, assisté d'Andréas Winding. 
    Décors : Paul Bertrand. 
    Costumes : Antoine Mayo. 
    Robes : Christian Dior, Jacques Heim, Virginie. 
    Montage : Albert Jurgenson. 
    Son : Antoine Archimbaud. 
    Musique : jazz enregistré par Maxime Saury, Ray Brown, Roy Eldridge, Herb Ellis, Stan Getz, 
    Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins, Buddy Rich, Gus Johnson, Oscar Peterson, Fats Domino, 
    Sonny Stitt, Norman Granz. 
    Assistants réalisateurs : Serge Friedman, Paul Seban. 
    Directeur de production : Louis Wipf.
    Interprètes : Pascale Petit (Mic), Andréa Parisy (Clo), Jacques Charrier (Bob), Laurent Terzieff (Alain), Jean-Paul Belmondo (Lou), Dany Saval (Nicole), Jacques Portet (Guy), Pierre Brice (Bernard), 
    Alfonso Mathis (Peter), Roland Armontel (le chirurgien), Jacques Marin (M. Félix), Roland Lesaffre (Roger), Denise Vernac (la mère de Mic), Claude Giraud, Dominique Page, Gabrielle Fontan, Jean-François Poron, Gérard Darrieu, Jacques Perrin, Sergio Gobbi, Alain Saury, Alan Scott. 
    Production : Silves Films (Robert Dorfmann), Cinétel/Paris et Zebra Film/Rome. 
    Tournage : 24 mars au 12 juillet 1958. 
    Sortie : 10 octobre 1958 au Marignan et au Marivaux (Paris). 
    Titre envisagé : Les Mains vides. 
    Durée : 125 minutes.
    Distinctions : Victoires du meilleur film français, de la meilleure actrice (P. Petit), 
    du meilleur acteur (Jacques Charrier) ; Grand Prix du Cinéma français (1958) ; 
    Prix du meilleur film français (Bruxelles, 1958).
    Note : Ce film est le plus grand succès de la saison 1958-1959 en France.
    SYNOPSIS

    Bob (Jacques Charrier) vient de la banlieue parisienne(signifie les quartiers huppés). Il tombe par hasard sur Alain (Laurent Terzieff), un jeune étudiant existentialiste avec qui il sympathise aussitôt. Ce dernier l'invite à venir à la superboum organisé par Clo (Andrea Parisy), fille de diplomate. Après une brève liaison avec cette dernière, Bob tombe amoureux de Mic (Pascale Petit), une autre fille de la bande d'Alain. Seulement, l'époque veut qu'on ne peut pas se dire ces choses là. Il faut rester libre quitte à fermer ses sentiments à double tour. Le résultat n'en sera que plus tragique...

    REVUE DE PRESSE

    LIBÉRATION,14/10/1958 (Simone Dubreuilh) 
    Marcel Carné est ce très grand metteur en scène français auquel les producteurs ont coutume de demander des comptes comme à une femme de ménage. C'est une chose bien étrange en effet que l'auteur du plus grand, du plus significatif des films français Les Enfants du Paradis soit justement celui duquel, après chaque film, on exige un « examen de passage », celui dont les devis sont épluchés, les moindres réclamations considérées comme outrecuidantes (..)Pour faire les Tricheurs, Marcel Carné a dû se battre comme au premier film. Et voici que ces Tricheurs éclatent comme une bombe, apportant le témoignage sur la jeunesse qui manquait au cinéma français. Pas un témoignage grivois, ou rose, cochon ou frivole. Non, un témoignage grave, désespéré, lyrique... Le traitement cinématographique est d'une ampleur, d'une richesse comparables à l'ampleur et à la richesse de celui du jour se lève mais, pour la « surboum » finale et la poursuite en voiture, on songera aux dernières images des Enfants du paradis... C'est du grand cinéma, fait d'observation, de vérité, de poésie non pas improvisée mais classique...
    LES LETTRES FRANÇAISES, 16/10/1958 (G. Sadoul) 
    ... L'homme importe plus encore qu'une forme parfaite. Je retiens surtout du film la chaleur dont Carné entoure ses personnages. Ces tricheurs sont décrits avec une compréhension et une tendresse fort loin de la froide indifférence d'un entomologiste ou de la supériorité assurée d'un moraliste...Au temps de l'équipe Carné-Prévert on avait pu reprocher à leurs films leur manichéisme, leur univers composé de bons et de méchants. Rien de cela ici.
    LE MONDE, 14/10/1958 (Jean de Baroncelli)
    Au-delà des apparences et de cette peinture souvent contestable d'une certaine jeunesse, on retrouve dans les Tricheurs le thème cher à Carné (ce fut celui de presque tous les films, de Quai des brumes à Juliette) des amoureux que leur amour même voue à la haine du destin. Le destin ici prend le visage d'une sorte d'anarchiste (remarquablement joué par Laurent Terzieff)... c'est à sa présence que le film doit cet accent tragique qui, par moments, fait sa grandeur.
    CINÉMA 58, décembre 1958, n° 32 (René Gilson)
    All is true, écrivait Balzac à la troisième page du Père Goriot, et il avait tout inventé. « Je n'ai rien inventé », dit Marcel Carné et d'aucuns s'écrient : « Tout est faux!» Récusons tous ces témoignages contradictoires d'anciens ou actuels « tricheurs » et de ceux-qui-les  connaissent-bien... ces personnages, dont Carné rappelle avec tant d'insistance qu'il les a pris tout vifs dans la réalité, sont aussi devenus des personnages de l'éternel Carné repris par son obsession de la tragédie, d'un Marcel Carné qui réalise avec le personnage d'Alain la plus réussie et la moins consciente de ses incarnations du destin... en dépit de ses imperfections... c'est l'un des deux films français les plus importants et les plus courageux de l'année.

     

     

    Interview de Marcel Carné parue dans l'édition Balland du livre-film Les Enfants du Paradis, 1974





    Comment sont nés les Enfants du Paradis ?


    - J'avais signé avec André Paulvé un contrat pour trois films. Le premier, les Visiteurs du soir, avait été très bien accueilli par la presse et par le public. Nous étions donc, Jacques et moi, à la recherche d'un sujet. Nous devions, en principe, faire Nana d'après Zola, mais nous nous sommes heurtés à un problème de droits. Nous avons pensé à un Milord l'Arsouille, avec Pierre Brasseur dans le rôle principal; maisMilord l'Arsouille, c'est l'apologie du luxe, de l'argent et nous trouvions ça un peu indécent en pleine guerre. Nous y avons donc renoncé. Prévert vivait à ce moment-là dans le Midi à Tourette-sur-Loup et nous nous y retrouvions souvent. Un jour, nous nous promenions tous deux sur la Promenade des Anglais à Nice lorsque nous rencontrons Jean-Louis Barrault qui, intarrissable comme toujours, se met à raconter un tas d'histoires, en vient à parler du célèbre mime Jean-Gaspard Debureau et nous fait le récit suivant : 
    « A l'apogée de sa gloire, Debureau se promène sur le Boulevard du Crime en compagnie de sa maîtresse lorsqu'ils sont interpellés par un ivrogne qui les insulte. Debureau le repousse, mais celui-ci revient de plus belle à la charge et injurie la femme. Ivre de fureur, Debureau lève sa canne et trappe l'homme, le laissant mort sur le trottoir. S'ensuit, bien sûr, un procès auquel on voit se presser tout Paris, afin de connaître enfin la voix du célèbre Debureau ». Très excités, avec Prévert, nous décidons de faire de cette histoire le sujet de notre prochain film. Mais, nous nous sommes vite rendus compte qu'il s'agissait d'une fausse bonne histoire pour le cinéma. En effet, si Jean-Louis Barrault interprétait comme prévu Debureau, l'intérêt de la « chute » était nul car tout le monde connaissait sa voix, mais nous risquions de rencontrer l'indifférence générale si le personnage central du film était joué par un inconnu. Prévert était partisan de renoncer, mais j'aimais énormément cette époque, son atmosphère, le Boulevard du Crime, ses héros, etc. Je suis donc revenu à Paris et me suis mis à la recherche de documents. Pendant trois semaines environ, j'ai travaillé au musée Carnavalet, dans le cabinet des Estampes où j'ai fait faire à peu près deux cents photographies. J'ai également épuisé toutes les librairies théâtrales de Paris où j'ai recherché tous les ouvrages sur le théâtre et les théâtres de l'époque, sur les comédiens, etc... puis ramené le tout à Prévert et lui ai dit : « Jacques, voilà le film ». Dans cette masse de documents, il y avait un nom, un personnage qui fascinait particulièrement Jacques, c'était Lacenaire, et je peux presque affirmer qu'il n'a écrit le scénario des Enfants du Paradis que parce qu'il y avait LacenaireAndré Paulvé a accepté notre projet et nous avons commencé à travailler à l'écriture du scénario. Très vite, nous nous sommes aperçus que le film allait être très long. André Paulvé a suggéré que nous fassions un film en deux épisodes; ce que j'ai accepté à la condition que le film ne passe qu'en une seule fois lors de l'exclusivité.

    Dans quelle mesure, le film respecte-t-il la réalité historique ?

    - Le comte de Montray est un personnage inventé, celui de Garance aussi : elle est en quelque sorte le révélateur des différentes formes possibles de l'amour. Frédérick Lemaître a toujours eu des aventures de toutes sortes. Ce n'était donc guère trahir que de lui en inventer quelques-unes supplémentaires. En ce qui concerne Debureau, nous avons été très fidèles à la réalité et nous avons respecté les principaux épisodes de sa vie. Les détails sont tous, ou presque, authentiques, ainsi l'article de Théophile Gautier sur « Chand d'habits » ou l'expression « le Paradis » que j'ai trouvée chez Jules Janin. Le « paradis » qui est aujourd'hui « le poulailler », d'où le titre du film. Les enfants du « paradis » sont les spectateurs du poulailler mais aussi les acteurs. 

    Comment s'est déroulé le tournage ?

    - Le tournage a commencé aux studios de la Victorine à Nice avec les scènes se déroulant au « Grand Relais », l'auberge où habitent Frédérick et Baptiste; suivaient celles du « Rouge-Gorge », le coupe-gorge de la barrière de Ménilmontant. Jusque-là, tout s'était bien passé, nous devions aborder les scènes se déroulant sur le Boulevard du Crime qui avait été entièrement reconstruit dans le grand parc du studio lorsque sont survenus les événements d'Italie, le renversement de Mussolini et l'occupation de la zone Sud par les troupes allemandes. De Vichy, nous avons reçu l'ordre de rentrer immédiatement à Paris et de tout abandonner. Avec une dizaine de jours de tournage supplémentaire, je pouvais terminer les scènes de foule sur le Boulevard et ainsi sauver le film. J'ai essayé, en vain, d'obtenir ce délai de dix jours. Il nous a fallu rentrer à Paris. Puis, pour des raisons qui sont demeurées obscures, les Allemands ont interdit toute activité professionnelle à André Paulvé.
    Nous pensions donc que nous ne finirions jamais le film lorsque le Comité d'organisation de l'industrie cinématographique, qui deviendra plus tard le CNC (Centre national de la cinématographie), a contacté la société Pathé Cinéma pour qu'elle reprenne le tournage. Les tractations ont duré deux bons mois. Finalement, le film a pu être remis en chantier. A partir de ce moment-là, il n'y a pas eu, à vrai dire, beaucoup de difficultés, hormis celles que nous avons rencontrées de nouveau à Nice. En effet, pendant que nous tournions à Paris, un cyclone a à moitié détruit les décors du Boulevard du Crime. lI a fallu reconstituer le décor tel qu'il était initialement. Cela a coûté la bagatelle de 700 000 francs de l'époque. Pour vous donner une idée, on peut estimer que le film a coûté 55 millions. Aujourd'hui, il faudrait à peu près 2 milliards et demi pour le réaliser. De plus,lorsque nous sommes revenus tourner à Nice, la ville était occupée par les Allemands. Et, alors que les Italiens avaient accepté de nous laisser tourner la nuit sur le boulevard entièrement éclairé avec des projecteurs, les Allemands ont absolument refusé. C'est-à-dire que j'ai dû à nouveau revenir à Paris, reconstituer en studio des éléments de décor et tourner des plans de raccord alors qu'en réalité j'avais prévu de montrer tout le boulevard illuminé le soir de la première au Grand Théâtre et lorsque Debureau et Frédérick Lemaitre boivent le vin chaud à la sortie des Funambules.
    Il faut que j'ajoute une chose au sujet du tournage à Nice. Quand j'ai tourné le carnaval, les Niçois étaient privés depuis quatre ans de leur carnaval; ils s'en sont donné à coeur joie. Ils se sont amusés comme des enfants et c'est à cela sûrement que je dois en partie la réussite de la scène finale.

    N'y a t-il pas eu d'autres difficultés tenant à l'occupation ?

    - Nous étions obligés d'employer un pourcentage minimum de figurants affiliés à un syndicat contrôlé par les Allemands; peut-être parce que nous n'y mettions pas une très bonne volonté, peut-être parce que nous ne respections pas toujours exactement le pourcentage, nous avions fréquemment des descentes de policiers qui se présentaient au studio et qui contrôlaient toute la figuration. Ainsi le jour où nous tournions la scène finale, le carnaval. Un régisseur vient me trouver et me dit : « deux messieurs » demandent Untel (un des figurants). Sa femme vient d'avoir un accident, elle se trouve à l'hôpital et veut le voir. Un peu intrigué, je le charge de dire que ce figurant n'est pas là. Cinq minutes plus tard, le régisseur revient : « Les messieurs insistent. Ils se montrent très vivement émus, disent que cette femme a les deux jambes sectionnées, qu'elle n'a plus que quelques heures à vivre et qu'on ne peut lui refuser la joie de voir son mari. » J'ai malheureusement cru à cette histoire et j'ai fait appeler le « mari ». A peine était-il arrivé au bureau de la régie que les deux types l'ont emmené : c'était la Gestapo.
    Je peux vous citer l'épisode Le Vigan. II devait tenir le rôle de Jéricho, le marchand d'habits. Il en avait composé une silhouette assez extraordinaire. J'ai très exactement tourné un plan avec lui car, quand Le Vigan a réalisé que la guerre allait se terminer par la défaite de l'Allemagne, il a pris peur et s'est enfui à Sigmaringen. Il faut dire qu'il avait tenu des propos antisémites à la radio. Evidemment, il a fallu le remplacer, et ce, du jour au lendemain, ce qui n'était guère facile. J'ai d'abord pensé à Pierre Alcover dont j'avais beaucoup aimé la création dans Drôle de drame et j'ai fait un essai avec lui. Malheureusement, il était très malade. J'ai donc fait appel à Pierre Renoir.

    N'avez-vous pas rencontré d'autres difficultés en ce qui concerne la distribution ?


    - Non. Mais je voudrais vous raconter une curieuse histoire. Au moment où nous devions tourner, Jean-Louis Barrault assurait la mise en scène du Soulier de satin à la Comédie-Française. II n'était pas certain de pouvoir se libérer pour le film. Je cherchai donc une éventuelle solution de rechange et, un jour, je remarquai à l'ABC, célèbre music-hall de l'époque, un mime qui ressemblait de manière frappante à Debureau, grand, mince, le visage légèrement arrondi. Ce mime, c'était Jacques Tati.

    Vous avez mis très longtemps à terminer le film. Pourquoi ?

    - Je voulais que ce soit le premier film important qui sorte après la guerre. Le film est sorti le 22 avril et l'armistice a été signé le 8 mai. Le film terminé, nous avons organisé une projection à Joinville pour les gens de chez Gaumont puisque Gaumont devait l'exploiter dans ses salles. Ils ont manifesté le désir de passer le film en deux époques; la première passant au Colisée et la seconde au Madeleine. J'ai alors rappelé à Paulvé la promesse qu'il m'avait faite de le passer en une seule fois et j'ai ajouté : « Faites trois séances par jour dont une soirée à 9 h avec location. Les gens seront ravis. Contrairement à ce qui se passe habituellement au cinéma, le spectacle durera toute la soirée. Vous pouvez même, comme au théâtre, faire un entracte. » J'ai obtenu gain de cause. Le film est resté cinquante-quatre semaines en exclusivité dans les deux salles...

    Interview de Marcel Carné proposée aux visiteurs de Rien ne te soit inconnu par Bienvenu Merino

     

     

     

     

  • MARCHER, UNE PHILOSOPHIE ❘ FREDERIC GROS

     

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    Frédéric Gros pouvait s'attacher aux pas d'André Hardellet qui fut un promeneur calibré pour figurer dans son essai respirant le grand air. André Hardellet, l'auteur de La Promenade imaginaire, de Donnez-moi le temps insista suffisamment (mais d'une voix semble-t-il trop sourde) en faveur de la marche, plus particulièrement de la flânerie, pour qu'on le place en exergue d'un ouvrage qui médite sur les coordinations de la promenade et de la pensée. C'est qu'en effet, Hardellet allait et, allant, écrivait ce qu'il n'avait plus ensuite qu'à copier.

    C'est tout le coeur palpitant du livre de Frédéric Gros, passionnant, haletant (je l'ai lu puis aussitôt relu) qui met ensemble dans Marcher, une philosophie, tous les actes vraiment rafraîchissants qui résultent de la marche à pied par monts et vaux, par rues et routes plus ou moins rectlignes.

    Ainsi est-il question de Nietzsche, de Rimbaud, de Thoreau, de Nerval, de Kant, de Gandhi et toujours des bénéfices de la promenade sur l'exercice de la pensée. Ceci dans un style d'arpenteur qui préfère la pente à la plaine.

    "En marchant, on échappe à l'idée même d'identité, à la tentation d'être quelqu'un, d'avoir un nom et une histoire. Etre quelqu'un, c'est bon pour les soirées mondaines ou chacun se raconte, c'est bon pour les cabinets de psychologues", Frédéric Gros.

    MARCHER, UNE PHILOSOPHIE

    Frédéric Gros

    Editions Carnets Nord

    302 p., 17 €

    www.carnetsnord.fr

     

    Frédéric Gros

    Frédéric Gros

    Frédéric Gros est professeur de philosophie à l’université Paris-XII. Il a travaillé sur l’histoire de la psychiatrie (Création et folie, PUF), la philosophie de la peine (Et ce sera justice, Odile Jacob) et la pensée occidentale de la guerre (Etats de violence, Gallimard). Il a édité les derniers cours de Foucault au Collège de France.