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LITTERATURE TUMULTUAIRE

  • ROMAIN SARNEL DEVOILE NIETZSCHE

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    Romain Sarnel


     

    En cinq déclics et autant de périodes, le philosophe Romain Sarnel balaie les contresens qui brouillent la lecture de Nietzsche à partir des traductions qui sont livrées à notre connaissance. L’auteur d’une nouvelle lecture du Prologue de Zoroastre (L’Arche Éditeur, 2000) poursuit son entreprise d’éclaircissement dans un Comprendre Nietzsche qui est à première vue un guide mais plus encore une loupe pour se défaire des notions que l’on croyait exactes (« volonté de puissance », « éternel retour du même », « surhomme »…) et qui se révèlent être des montages organisés par la sœur de Nietzsche, Elisabeth Förster, et son ancien ami Peter Gast, contrefaçons reprises sans discernement par Heidegger, Michel Foucault et Gilles Deleuze. Voici donc une révolution sémantique permettant de découvrir un autre penseur, en somme irrévélé, dont les enjeux introduisent l’énergie de la joie et de la créativité au centre d’un système résolument perspectiviste. L’ouvrage prend place dans une collection intitulée Essai Graphique, mettant ainsi en correspondance la vitaminique réflexion de Romain Sarnel avec des dessins de Naema Bellart. Dès lors Nietzsche devient visible et enfin lisible. 

     

    Guy Darol : Votre Prologue de Zoroastre, suivi de Logique de la découverte philosophique (L'Arche Éditeur, 2000), lançait une bombe dans la connaissance que nous avons, en langue française, des textes de Nietzsche. À la manière de Jacques Aubert qui initia, quatre ans plus tard, une nouvelle traduction de l'Ulysse de James Joyce, vous avez inauguré une nouvelle lecture des concepts nietzschéens en rapport avec notre époque. Ce message a-t-il été reçu et estimez-vous que le combat mérite de se poursuivre ?

    Romain Sarnel : En l'année 2000, j'ai proposé une nouvelle lecture de l'œuvre de Nietzsche à partir d'une nouvelle traduction. Le message n'a pas été entendu. Les nietzschéens et les anti-nietzschéens ont continué à utiliser la vieille terminologie du début du XXe siècle, et se sont déchirés sur la dépouille d'un Nietzsche qui n'existe pas. Nietzsche n'est pas compris parce qu'il est lu avec les lunettes de sa sœur nationaliste Elisabeth Förster qui a confectionné un pseudo-livre intitulé La Volonté de puissance que Nietzsche n'a pas écrit comme tel, et avec le regard du professeur national-socialiste Martin Heidegger qui a diffusé auprès de ses étudiants les pseudo-concepts de « Volonté de puissance » et d'« Éternel Retour du Même » que Nietzsche n'a pas conçus comme tels. Pratiquement, tous les mots traduits de Nietzsche sont faussés dans un sens négatif ou faussés dans le sens d'une idéologie contraire à sa pensée. C'est la raison pour laquelle je me suis lancé en 1999 dans l'entreprise d'une retraduction de toutes les notions importantes de Nietzsche. Chaque traduction a fait l'objet d'une découverte. Pour cela, je suis allé de découverte en découverte. J'ai retraduit la « volonté de puissance » par le désir vers la potentialité, l'« éternel retour » par le revenir perpétuel, l'« inversion de toutes les valeurs » par la réversibilité de toute valeur, le « surhomme » par le métahomme. Et j'ai retraduit, comme bipolarité du Prologue, le « déclin » par l'immersion et le « passage » par le surpassement. De plus, j'ai retraduit le nom Zarathoustra par le nom Zoroastre pour indiquer que Nietzsche fait référence au penseur perse historique et au zoroastrisme. Avec le livre Ecce homo, remanié, Elisabeth Förster-Nietzsche impose le concept d'« éternel retour », accolé à la philosophie de son frère. Et avec le livre La Volonté de puissance, fabriqué de toutes pièces, elle impose le concept de « volonté de puissance », en le montant en épingle, alors que Friedrich Nietzsche avait trouvé d'autres pistes de recherche, comme par exemple le « perspectivisme ». Ces deux concepts de « volonté de puissance » et d'« éternel retour », relayés par Heidegger, sont arrivés en France pour illustrer faussement la philosophie de Nietzsche. Après, les philosophes français ont dû se positionner par rapport à ces deux concepts, qui sont devenus illusoirement incontournables. Face à la falsification national-socialiste d'Elisabeth Förster et de Martin Heidegger, je pense qu'il faut s'en écarter radicalement. Même Deleuze, qui a tenté d'apporter un regard différent sur Nietzsche, s'est enlisé dans ces deux notions. Il a conclu le colloque Nietzsche à Royaumont en 1964 par l'intitulé « Conclusions sur la volonté de puissance et l'éternel retour ». Ces deux notions, la « volonté de puissance » et l'« éternel retour », n'apparaissent que très peu dans l'œuvre publiée de Nietzsche. La première, la « volonté de puissance », émerge dans Ainsi parla Zoroastre, elle est formée d'un double emprunt, la « volonté » est empruntée à Schopenhauer chez qui elle signifie un désir de vivre, et la « puissance » est empruntée à Spinoza chez qui elle veut dire une potentialité d'agir ; c'est la raison pour laquelle j'ai traduit cette notion par le désir vers la potentialité. Et la seconde, l'« éternel retour », se trouve dans Ecce homo, elle est empruntée à Héraclite et aux stoïciens chez qui elle correspond à un revenir des énergies de façon cyclique ; c'est pourquoi je l'ai traduite par le revenir perpétuel. La notion de « volonté de puissance », ou plus exactement de « désir vers la potentialité », est très peu reprise dans la suite de l'œuvre publiée. Et la notion d'« éternel retour », ou plus justement de « revenir perpétuel », n'est même pas mentionnée dans l'œuvre publiée du vivant de Nietzsche. Aujourd'hui, j'en arrive à penser que le terme d'« éternel retour » a été introduit dans le livre Ecce homo par la sœur de Nietzsche, Elisabeth Förster. En effet, ce livre n'a été publié qu'en 1908, après le décès de Nietzsche ; et, alors qu'il était prêt à la publication en 1888, dans l'entretemps il a été fortement élagué, mutilé, manipulé, falsifié par Elisabeth Förster-Nietzsche et par Peter Gast, l'ancien ami de Nietzsche qu'elle a mis à contribution et qui en a retiré des passages. Du fait que la falsification national-socialiste d'Elisabeth Förster et de Martin Heidegger porte sur le langage et donc sur la pensée, une retraduction du langage de Nietzsche et une redécouverte de sa pensée sont nécessaires pour avoir accès à son œuvre. Cette retraduction du langage et cette redécouverte de la pensée sont des conditions sine qua non de lecture, avant toute analyse, tout commentaire et toute interprétation. Tant que nous n'aurons pas une traduction non national-socialiste, toute analyse de l'œuvre de Nietzsche sera faussée d'avance.

     

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    Romain Sarnel et Naema Bellart, Comprendre Nietzsche, Max Milo, décembre 2013, 127 pages, 12 €

     


     

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    Editions Max Milo

     

     

     

  • PACOME THIELLEMENT ❘ TOUS LES CHEVALIERS SAUVAGES

     

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    Pacôme Thiellement ❘ Photographie Dom Garcia



    Suivant la mécanique d’une pensée empruntant à Alfred Jarry et à René Guénon, mécanique dont on peut dire qu’elle aurait fait tousser Philippe Muray, Pacôme Thiellement fait l’éloge du rire seppuku tel que l’incarne selon lui l’équipage d’Hara-Kiri puis de Charlie (version princeps) dans leurs déversements de lave brûlante. L’humour relève selon lui de « l’éthique samouraï », autrement dit d’une lutte sans merci contre les idoles. En extrême-orientalisant son propos, Pacôme Thiellement entend montrer que le rire, à l’Occident du monde, a cessé d’être grinçant dès lors qu’il s’est arrangé avec les puissants. Célébrant le seul humour qui vaille (celui des Choron, Reiser, Willem, Vuillemin mais aussi Chaval, Bosc, Maurice Henry, également Copi, Zouc Monthy Python), dans la mesure où il est digne de Mishima ou de la déesse Kâlî, il établit un rapprochement entre le rire et la guerre, boutant hors de cette dialectique les amuseurs sans danger que représentent les leaders de « la véritable contre-révolution du comique, l’avant-garde de la provocation officielle », à savoir Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Christian Clavier, ce trio de pseudos Pieds Nickelés responsable de la mort de l’esprit Hara-Kiri. Inutile de préciser qu’il s’attaque à mains cloutées aux tenanciers de l’actuel Charlie qui n’ont plus rien de bête et méchant. Il en appelle, chaudement, à se retremper dans le bain de l’humour noir et de ses Princes-sans-rire qu’André Breton mit en exergue. On est drôle différemment quand on s’en prend, avec Jonathan Swift, Lacenaire, Jean-Pierre Duprey ou encore Jacques Vaché, à la « sentimentalité sur fond bleu ». Poussant jusqu’au bout sa théorie contre la rhétorique du pouvoir (et l’humour selon lui est bien une catapulte), il invite à lorgner vers deux figures, celle d’Andy Kaufman et de Toyama Koichi, ce dernier préfigurant la nouvelle ère du rire, « agressivement drôle ». Pour conclure sa philippique, Pacôme Thiellement prévient : « Nous devons être plus forts que la drôlerie et plus drôles que la violence ». La dérision n’a aucune place dans ce livre totalement décapant. Guy Darol

     

    TOUS LES CHEVALIERS SAUVAGES, TOMBEAU DE L’HUMOUR ET DE LA GUERRE, Pacôme Thiellement, Éditions Philippe Rey, 192 p., 17 €


     

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    LES EDITIONS PHILIPPE REY





  • LUCIEN SUEL PORTRAITISTE DE MAURICETTE BEAUSSART

     

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    Lucien Suel


    Avec Mort d’un jardinier (Éditions La Table Ronde, 2008), Lucien Suel haussait le roman d’un ton, il augmentait le genre des déversements poétiques hérités d’Arthur Rimbaud et de Gary Snyder, il ébouillantait les canons de la syntaxe et formait une coulée verbale sur laquelle le lecteur se laissait glisser, sans heurts, sans éprouver le moindre malaise. Il suffisait d’acquiescer au flot, de consentir à la vision d’un homme qui, au seuil de mourir, englobe toute sa vie dans une vision d’Éden, mais d’Éden ici-bas. Lucien Suel sait happer. Il parle depuis son propre corps. Sa vie d’écrivain animiste, qui adhère au brin d’herbe et à l’humain élevé au rang d’une cathédrale, coïncide avec la mauvaise humeur du temps, le temps des marchandises standardisées, le temps imbécile qui préfère au culte de la vie, l’amour des objets. Lucien Suel appartient à la lignée des célébrateurs qui de Henry David Thoreau à Joseph Delteil, de Charles Ferdinand Ramuz à Henry Miller, honorent l’amor fati. D’où résulte La patience de Mauricette, portrait kaléidoscopique d’une femme cassée. Entretressés d’écrits rédigés par Mauricette Beaussart, ce portrait dessine un parcours hanté par une série de drames qui mène de la psychose à l’hospitalisation en secteur psychiatrique. Le récit de cette bascule est à lui seul poignant mais la figure de Mauricette, institutrice issue d’un monde voué à la survie, est enrichie d’aspects qui ont à voir avec le goût de la poésie et de la musique. Et c’est par ce chemin que l’on est transporté. C’est en faisant coïncider la dérive d’une femme avec les noms de la littérature inscrits au domaine des abîmes que Lucien Suel fait œuvre. Il sait montrer méthodiquement toutes les minutes d’un être doublement enfermé et dans sa maladie, et dans les murs d’un Établissement psychiatrique. Il sait aussi (voici l’art d’aimer, voici l’art d’écrire) rallier son personnage à l’espace tourmenté des mots libérateurs. Ami du poète Claude Pélieu (1944-2002), artisan de The Starscrewer, revue qui fit tant pour révéler les volées passionnelles de la Beat Generation, Lucien Suel perfectionne son portrait en le tramant de littérature. Sans le farcir néanmoins, en l’exhaussant toutefois, il nous emmène du côté de l’asile en nous rappelant les noms d’Antonin Artaud, de Germain Nouveau, de Carl Solomon, en indiquant les passerelles qui vont de la poésie à la folie.

    L’auteur de Mort d’un jardinier et de La patience de Mauricette poursuit avec Blanche étincelle (La Table Ronde, 2012) le récit des aventures de Mauricette Beaussart, ce double prismatique dans lequel se révèle, roman après roman, tous les visages d’un écrivain durablement attaché aux Lumières de la contre-culture. Une fresque littéraire dont les couleurs éclatent sur une palette rock. Guy Darol

     

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    LUCIEN SUEL'S DESK

    SILO

    LUCIEN SUEL AUX EDITIONS DE LA TABLE RONDE

    A PROPOS DE MAURICETTE BEAUSSART


  • LA SOEUR DE L'ANGE ❘ A QUOI BON TANT DE MONDE ?

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    La Soeur de l'Ange publiée aux éditions Hermann sous la direction de Michel Host et Jean-Luc Moreau vient de faire paraître sa dixième livraison sous le titre (ou plutôt le questionnement) A quoi bon tant de monde ?

    Un choeur de réflexions placé sous le signe du Marquis de Sade ("Quand il n'y aurait pas un seul homme sur la terre") propose des contributions de Marc Kober ("Les îles anthropophages, Malthus, Darwin et le devenir de l'espèce humaine"), François Cornée-Villatte ("Du scintillement de l'origine à la morale du troupeau"), Matthieu Baumier ("Ce monde d'images brûlera"), Alexandre Dorna ("Le populisme : les symptômes d'une métamorphose"), Alain Jugnon ("Démocrate, encore un effort pour devenir nietzschéen !"), Christian Gattinoni ("La grisaille des foules contre le camouflage coloré du réel"), Yannis Constantinidès  ("La foule sentimentale")... Dossier ponctué de pages empruntées à Adolphe Thiers, Léon Bloy, Charles Baudelaire, Edgar Allan Poe et Georges Henein. Notez que Michel Host propose quelques extraits de sa traduction de "Stances pour la mort de son père" (Jorque Manrique). Un substantiel Cahier Benjamin Fondane occupe une place importante dans ce numéro. Jean-Dominique Rey compose une silhouette de Kostas Papaionnou tandis que je présente la trajectoire du producteur et songwriter Joe Meek. Ceci n'est qu'un aperçu de ce que révèle ce volumineux numéro auquel succèdera, dans les semaines à venir, un dossier sur le thème A quoi bon l'animal ?


    La Soeur de l'Ange n°10

    (Pensées iniques)

    Editions Hermann

    250 p., 20 €


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  • LA SOEUR DE L'ANGE A L'HOTEL LUTETIA

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    A l'occasion de la parution aux éditions Hermann du dernier numéro de La Soeur de l'Ange, l'association Les mots parleurs, en partenariat avec le Théâtre de l'Odéon, propose une rencontre à l'Hôtel Lutétia, le samedi 10 décembre, à 18 h.

    Deux comédiennes, Valérie Delbore et Carole Bergen, liront des extraits de la revue. Une occasion pour découvrir La Soeur de l'Ange (Jean-Luc Moreau en est le rédacteur en chef) qui vient de faire paraître une nouvelle livraison sur le thème A quoi bon tant de monde ? complétée d'un cahier Benjamin Fondane.

     

    HOTEL LUTETIA, 45 BOULEVARD RASPAIL 75006 PARIS

     

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    LES MOTS PARLEURS

  • SYLVAIN COURTOUX ❘ STILL NOX

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    Le plus grand livre de cette ventrée hexagonale où domine désormais l'esthétique monochrome, celui de la rédaction sans ratures, désaventurée au possible, pourvu que le lecteur n'éprouve jamais la moindre secousse, le moindre choc - qu'il soit convié comme sur un transat à se laisser aller à la seule détente. 

     

    Autobiographie diffractée d'une sévère addiction, Still Nox est le livre d'un poète expérimental qui narre sa vie "parmi les morts" façon puzzle. Qu'on n'espère pas une narration à flux tendu, l'exposé d'un assujettissement au nox (médicament soumis à prescription médicale) sur le mode témoignage. Sylvain Courtoux est écrivain à cent pour cent, immergé dans la tradition du risque, celui dont résultent Antonin Artaud, Jacques Prevel, Francis Giauque, Stanislas Rodanski. Liste abrégée mais qui désigne tout engagement dans la pratique non séparée du maniement des mots. Nulle pose, nul effet, pas de vibration forcée de langue, aucune tension visant à l'adhésion compassionnelle. Nous sommes en littérature, ce pays où persistent des Robinsons se faisant île contre le commerce des vents et marées. Une écriture, c'est-à-dire plusieurs langues. Un style, c'est-à-dire mille. Un talent, oui si l'on glisse dans ce tiroir les noms de Pierre Guyotat (Ashby, Tombeau pour cinq cent mille soldats, Eden, Eden, Eden) et de William S. Burroughs (Le Festin nu, principalement) et si l'on consent à l'idée qu'écrire c'est brûler et se nuire. Nous sommes là, on le voit, dans une catégorie qui n'appartient guère à l'époque où Littérature (vocable de moins en moins revendiqué) renvoie à roman, lequel roman s'est tellement assagi qu'on peut le tenir à la fois sans danger et sans vitamines - au sens où Henry Miller fut de l'hypervitaminose.

     

    Récit inventant sans cesse sa forme (tantôt explosante-fixe tantôt documentaire pharmaceutique) pour dire une vie en zig zag menée contre les forces structurelles (corrélativement sociétales) dans un monde apeuré (pour ne pas dire politiquement correct) où l'expression d'un jaillissement est devenue un combat. Ce combat, Sylvain Coutoux le mène depuis 2008 (si l'on considère Nihil. Inc, Al Dante, 2008, comme une première insurrection), à l'encontre des formatages imposés par l'industrie du Livre. Libre de ses chemins qui se souviennent de Henri Michaux, Marcelin Pleynet (l'inouï Stanze, Seuil, 1973), Danielle Collobert, cet écrivain né en 1976 inscrit son nom dans le pavage des soleils noirs où brillent (et ne seront jamais ternis) Hölderlin, Gérard de Nerval, Xavier Forneret, Jean-Pierre Duprey, ces astres qui nous rappellent que le geste d'écrire est une chasse aux abîmes. Guy Darol

     

    STILL NOX

    SYLVAIN COURTOUX

    AL DANTE, 298 p., 17 €

     

    Septembre 2011 

     

     

     

  • GUY BRETON ❘ LES NUITS SECRETES DE PARIS

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    Guy Breton

     

    Bien avant le New Age des Enfants du Verseau, longtemps après les Barbélognostiques, les Omphalopsiques ou adorateurs du nombril faisaient sensation à Paris, au temps que  l’Esprit s’élevait au moyen d’un Grand Huit. C’était en 1963. Guy Breton, compagnon de farces de Francis Blanche, assidu aux réunions de l’Akademia Dunkan présidées par Raymond Duncan, frère d’Isadora, explorait la Ville Lumière sur les trottoirs de l’occulte. Au gré du bouche à oreilles, ce journaliste de Noir et Blanc, l’exact rival de Paris Match, filait les plus étranges attroupements. Il en fit un livre aujourd’hui réédité dans lequel s’expriment des croyances aujourd’hui disparues. Il est peu probable, en effet, que s’assemblent de nos jours, dans une arrière-salle de café, des adorateurs de l’oignon ou de l’œuf, les Rayonnants, les Témoins d’Artémis, les Croisés de Meiningen. À vérifier cependant. Dans son ouvrage sérieux mais où l’humour n’est jamais blême, Guy Breton (1919–2008), auteur des Histoires d’amour de l’histoire de France en dix volumes, joue à l’invité surprise, compose un personnage de ravi de la crèche, interroge les fondements de théories vouées à sauver le monde en recourant à la tendresse ou à la démolition des idoles. Les Néo-Médiévaux lui apprennent comment on devient fée, les Éthérés enseignent la fuite vers une autre planète en cas de catastrophe cosmique. Les rites décrits par Guy Breton sont bien moins sophistiqués que ceux de la Dianétique. On se dit que la Scientologie est une secte qui a réussi. Surtout on rit. Parfois on s’attendrit. Quelquefois on se sent concerné par quelques regroupements comme ceux du Club des Égaux qui prêche la fin du travail avec pour emblème le tambour et la pâquerette. On voudrait même retrouver, avenue de Ségur, l’adresse des Apets du Contremi, ces émules de Péon-Faul Largue (pardon, Léon-Paul Fargue)  et de Rabelais, qui professent l’art de vivre dans un monde où tout devient merveilleux dès lors que l’on déjeune au carrefon de l’Odéour avant que d’aller admirer la Minus de Vélo orné de la Roseur de la Légion d’Honnête. Certes oui, nous ne suspectons pas cette secte d’abrutissement. Ils nous vont comme un gant ces contrepétistes qui désignent Arcel Machard, Ediath Pif et Gaul Puth comme les maîtres du monde. Guy Darol

     

     

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    LES NUITS SECRÈTES DE PARIS, Guy Breton, préface d’Arnaud Gonzague, Éditions Cartouche, 190 p., 17 €

  • JEAN-PIERRE BRISSET

     

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    Dans sa fouriériste collection L’Écart absolu, Michel Giroud publie une formidable étude de Marc Décimo consacrée à Jean-Pierre Brisset (1837-1919) dont il est l’éminent spécialiste. On lui doit, notamment, l’édition des Œuvres Complètes (Les Presses du réel, 2001) et plusieurs ouvrages sur Marcel Duchamp lequel ne serait pas devenu le Marchand du sel qu’on connaît s’il n’avait lu Brisset. Pourquoi s’intéresser au foutraque auteur du Mystère de Dieu est accompli et des Origines humaines ? Parce qu’ainsi soit dit par Marc Décimo, « Brisset est un prince sans rire », « une méthode d’évasion », « un post-symboliste qui, sans le savoir et par anticipation, ajoute au mot une esthétique cubiste-dynamique et dada », « un inventeur, un grammairien, un prophète, le 7e Ange de l’Apocalypse et le Rénovateur de la pensée biologique », « le sauveur de la langue française », « un pataphysicien inconscient ». Tout est dit ou presque de cet écrivain, élu Prince des penseurs par Jules Romains, et ayant soutenu l’hypothèse d’une nouvelle linguistique (reprise par Jacques Lacan) fondant l’origine de la langue sur le signifiant phonique (allitérations, assonances, calembours). Pour Brisset, en effet, notre grammaire résulte des coassements de la grenouille. La grenouille est le grand ancêtre. De ses coas l’homme descend. On peut en rester coi ! Consanguines du Dictionnaire des onomatopées de Charles Nodier, les reconstructions étymologiques de Brisset font éclater toute la science du langage avec cette conséquence qu’elles n’obtiendront aucun crédit, à l’exception de celui accordé par André Blavier, le compilateur de fous littéraires, et de l’attention qu’André Breton portera à l’inouïe doctrine dans son Anthologie de l’humour noir. Marc Décimo nous rappelle que Jean-Pierre Brisset est à lire dans le voisinage d’Alfred Jarry et de Raymond Roussel. Il nous invite à le mieux découvrir dans une monographie qui convoque Kurt Schwitters et Michel Foucault, Maurice Saillet et James Joyce, Victor Fournié et Marcel Réja. Savant et savoureux, ce livre apporte la preuve que littérature est mère de l’invention.  Guy Darol

    L’ESPRIT DE LA MODERNITÉ RÉVÉLÉ PAR QUELQUES TRAITS PATAPHYSIQUES – OU LE BRISSET FACILE, Marc Décimo, Éditions Les Presses du réel, 175 p., 9 €

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    Jean-Pierre Brisset


     

  • LA QUEUE ❙ PAUL ACHARD

     

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    D'excellents documents furent publiés sur la France occupée. Les références sont nombreuses qui de Henri Amouroux à Henry Rousso documentent les années noires. Mais chaque fois que l'on interroge la littérature, la réponse qui nous est donnée s'accommode de quelques noms : Marcel Aymé, Jean-Louis Bory ou encore Jean Dutourd. Ce sont les plus cités. Sont-ce les plus évidents ? On oublie que Jacques Yonnet témoigna dans Rue des Maléfices (Denoël, 1954) du Paris trouble et ceci dans un style qui laisse le lecteur dans un état d'étrange assuétude. Car voici un bien grand livre et un auteur sur lequel il manque encore aujourd'hui de précieuses données.

    Eric Dussert est de ces historiens de la littérature pour qui le nom de Jacques Yonnet voisine avec ceux de Robert Giraud et de Jean-Paul Clébert, ces piétons qui ont su pousser la curiosité au-delà des apparences. Il vient, une fois de plus, de nous offrir une découverte. Paul Achard est un écrivain que l'on associera à tort au petit Marcel de l'Académie Française, l'auteur de Patate, de Machin-Chouette et de Gugusse. On peut en vouloir à ce dernier, né Marcel Augustin Ferréol d'avoir emprunté le nom d'Achard obombrant du même coup par sa gloire l'oeuvre de Paul, né à Alger le 22 mars 1887.

    Oeuvre, en effet, composée d'une trentaine de titres (sans compter une conséquence filmographie) placée sous le signe de l'humour mais pas que. Ainsi de La Queue, Ce qui s'y disait, Ce qu'on y pensait, récit édité en 1945 aux Editions de la Belle Fontaine. Un regard serrant de près la réalité de la survie au temps que le "café vrai" valait 1 000 francs le kilo. 

    Protestations de la queue, rosseries, bassesses sont ici enregistrées comme si Paul Achard avait été muni d'une caméra de poche et d'un micro espion. Le Tout Paris des quêtes interminables en vue de dégoter quelques cubes de rosbif ou un morceau de savon est ici palpable dans ses dialogues et ses soupirs. Le journaliste (Comoedia, Vu, Gringoire) et dramaturge possédait il faut bien dire toutes les qualités requises pour capter l'essentiel et faire qu'une conversation de rue devienne, sous sa plume, un moment de vérité agrafé aux pages de l'Histoire.

     

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    LA QUEUE ❘ CE QUI S'Y DISAIT, CE QU'ON Y PENSAIT

    PAUL ACHARD

    POSTFACE PAR ERIC DUSSERT

    EDITIONS MILLE ET UNE NUIT

    150 pages, 4,50 €

     

    LE SITE DES EDITIONS FAYARD

  • UN CHAPEAU DANS LA NEIGE ❙ CHRISTIAN DUFOURQUET

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    Un chapeau dans la neige, quatrième livre de Christian Dufourquet publié chez Maurice Nadeau, débute aux confins des tentatives et "tentations d'exister": "Comme Kafka et comme beaucoup, il savait que les voyages, le sexe et les livres sont des chemins qui ne mènent nulle part, mais qu'on ne peut que parcourir en espérant trouver quelque chose, n'importe quoi, un geste, un visage, une couleur nouvelle dans le ciel" (p.57). Nous sommes pris d'emblée dans un arrière plan d'usure, d'exténuation pour ne pas dire d'extinction, en plein dans la matière crépusculaire, mais un crépuscule sans grandiloquence symphonique, un crépuscule de sonates. Certes donc, sans fracas eschatologique, sans marche funèbre ni chant au mort, mais avec une lucidité de tendresse abyssale qui a cette application limpide de ne plus espérer être entendue, d'ailleurs impossible à entendre sans doute pour qui n'a pas franchi et avalé pour finir comme des baudruches risibles tous les paliers du désenchantement. 

    Car Christian Dufourquet ne joue pas de cette corde grave de l'écœurement, finalement aussi lassante que ces causes. Il y a dans l'effondrement central, quand il n'entraîne pas au suicide, un défoncement de tout se qui cloisonne, clive et enferme. L'effondrement, en même temps qu'il détruit, fait voler en éclat la charpente vermoulue du monde à souffrir. De là surgit, non ce pêle-mêle caractéristique de je ne sais quel ravissement extatique, mais cette traversée des morts où la frontière de la vie et de la mort est très authentiquement brouillée. L'auteur évoque dès le début du livre la mise en terre de ses parents, et cette station forte de l'égarement le plus douloureux devient le terrain meuble de dérives, de fugues où les sidérations remémorées viennent mordre sur tous les présents, ceux du passé, du présent et de l'avenir, ce "présent perpétuel" dans lequel l'auteur semble avoir souplement accès aux étages de la vie révélée par une banalité impitoyable dont la grandeur, qui n'a plus un ton reconnaissable, semble se regarder dans les yeux des vivants. C'est ainsi que le premier motif sans fond, de ces motifs concentrant un sens assourdissant sans limites discernables, est celui de la pluie sur les tombes, la pluie qui embroche dans la même scène pluvieuse morts et vivants. "Et se croire en vie, ainsi que le pensent tous ceux et celles qui font bloc, un jour ou l'autre, autour d'un cercueil, c'est rêver qu'on se réveille sous un soleil brûlant, alors même que la pluie tombe, qu'elle tombe éternellement sur les arbres, les étangs, les animaux" (p.43).Nous sommes à un point de tétanie visionnaire où chacun, les personnages de cette scène d'enterrement, le lecteur et l'auteur, convergent dans un même submergement, figés à l'unisson de cette pluie sur les stèles qui devient la trame oblique du texte. L'évocation culmine sans effort, la fosse tombale, surmontée au loin par un horizon de collines délavées, décante son signe infiniment interloquant et campe la ductilité d'univers qui caractérise tout le livre. Ce blanc d'os raclé par toutes les saloperies de la vie, tellement raclé, tellement poncé qu'il semble flotter dans le vide, le fixe comme on fixe une vague au loin" (p.60). Car à partir de cette frontière évaporée des morts aux vifs, scandée également par la cigarette et son geste latent de consomption totale, les "passages de lignes" ne se feront plus même sentir, ils deviendront la règle: "et puis flotter, l'instant d'après, à travers des êtres, un paysage, de la bourre d'images qui l'enveloppe, moins réelle qu'une ombre et en même temps plus lourde et terne qu'un morceau de plomb que son coeur martèle" (p.12), lignes imperceptiblement franchies d'une suite de sas imaginaires dont les passeurs auront pour nom: Alejandra Pizarnik, Supervielle, Roberto Bolaño, Robert Walser, Walter Benjamin, Kafka et Rilke, la liste n'est pas exhaustive mais un recensement complet dévoierait de toute façon la qualité de surgissement presque fortuite de ces fantômes, au fil du texte, qui paraissent davantage aller et venir d'un voisinage permanent de l'auteur. Nous sommes loin ici des invocations culturelles mais dans le plus affectueux des compagnonnages où nous assistons à l'extrémité des parcours humains. Ici toutefois, nulle déploration linéaire, mais une sorte d'acmé; une forme d'apothéose à la croisée des excellences déchues dont Christian Dufourquet trouve le sourire d'enterré vif, une forme d'apothéose rentrée des belles âmes à l'unisson délabré des corps littéralement rompus d'avanies illisibles: les mots à la craie de Alejandra Pizarnik tracés/effacés dans un même mouvement au tableau noir comme envoyés dans l'ardoise des morts; la hantise, à travers Robert Walser, d'une marche qui décolle de la rue ou du sentier en pulvérisant le marcheur dans la nuit, (et en écho à la promenade mortelle de l'écrivain suisse retrouvé mort dans la neige, et dont le cadavre au chapeau figure en couverture du livre). Extrémité des parcours dont ce dortoir, à la fin du livre, figure le lieu d'élection, de confluences saturées. Chaque situation pénètre le grand fracas d'un final vraiment final, l'état de non retour d'un homme ayant traversé à la vitesse de la chute tous les strates palliatives et sans cesse dans l'imminence du néant, dans ces interminables prémices. Des scènes, des sas, des médaillons relevant, plus que de la rêverie, de galeries subites cimentées par ce leitmotiv tacite d'une souffrance qui fait surgir les êtres comme pour de lointaines séances de désastres revisités.

    Avec l'entrée en scène de Roberto Bolaño, retenu par l'auteur comme le frère nocturne par excellence, tous deux adossés au comptoir d'un "bouge africain", ce ne sont pas des personnages du bout du monde qui prennent corps mais des états du bout de la vie. Non un délabrement obscène, sale et vautré dans sa jubilation perdue, mais un délabrement de peine calmée. "heureusement qu'il reste des tombes, même irréelles, même illusoires, et des chiens, réels ou imaginés, pour les veiller" (p.52). Les figures affleurant dans ce texte ne sont jamais profondément retirées dans la trame à l'image de Roberto Bolaño dans cette scène qui est certainement la clé de voûte de l'ouvrage, la scène la plus expurgée de toute vanité, celle d'un fond de cale de l'expérience humaine, où les personnages atteignent leur pleine consistance d'"êtres à répliques", fondés sur la tirade qui les fait quasiment apparaître, disponibles comme des frères tenus prêts dans une épaisseur d'ombre à surgir, personnages dont l'univers corollaire relève d'une espèce de théâtre du gouffre, de terre de nuit sans jour percée d'une seule guirlande de fête morte, celle de l'écriture dont l'incision scrupuleuse, maniée par Christian Dufourquet, déploie une dextérité expressive qui semble venir du massif le plus harassé de l'être, à qui l'on pourrait appliquer cet adage incrusté dans le texte: "la Forme, cet explosif en sommeil au creux de la matière"p.50 ou encore: "écrire ce n'est pas chanter.../...il n'y a là, ajoute-t-il d'une voix redevenue lointaine, que des mots issus de la crispation d'un viscère autour d'une petite grenade nausée" (p.62).

    Christian Dufourquet, étoilé dans le prisme de ces compagnies revenantes, a le sourire pierreux de mille morts fraternelles. De cette valeur criante de l'auteur, Un chapeau dans la neige semble faire l'autoportrait involontaire. "Il donnerait le peu qu'il a, à cette heure, pour étreindre un corps, n'importe lequel, rouler avec lui dans les flaques et les détritus qui l'entourent, le recouvrent, et s'enfoncer, bouche contre bouche, cœur contre cœur, continuer à s'enfoncer et se perdre dans un monde qui ne serait plus qu'un train d'atomes qui passe" (p.63). Nicolas Rozier

     

    Un chapeau dans la neige, Christian Dufourquet, Maurice Nadeau, 2010

     

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    Retrouvez Christian Dufourquet sur France Culture, dans l'émission Du jour au lendemain, mardi 15 février 2011 à 23 h 30.