Henri Calet (1904 – 1956) pratiquait l’évocation à contresens. Son œuvre regarde la vie qui s’enfuit. « La vie, un petit mot d’une syllabe, presque un soupir », note-t-il dans Le Tout sur le tout, le livre par lequel je l’ai découvert. C’était à Montpellier, l’été 1980. Une commotion. Dès lors, je devais tout lire. Sans doute est-il avec André Hardellet, Joseph Delteil, Luc Dietrich et François Augiéras, l’auteur que j’ai le plus relu. Selon les circonstances de mon existence brinquebalée (souvent bancale), j’ai soigné mes déceptions et mes tristesses au contact de ses mots lucides. Par exemple, Monsieur Paul me fut bien utile, lorsque ma fille âgée d’un an me fut soustraite. Sa mère s’en étant allée avec jouets et bagages, je fus seul, longtemps, attaché à mes livres comme le naufragé à sa planche. Le récit de rupture que raconte Calet m’aida à supporter l’arrachement. Monsieur Paul cautérisa et m’encouragea à lutter. Je ne voulais pas connaître le sort de ce père que l’époque (très probablement) oblige à baisser les bras. C’est bien paradoxal mais la déréliction de Calet agit sur moi comme un tube de vitamines. Elle me fortifie. Sans quoi, ses expéditions à rebours, voyages presque toujours mélancoliques, laissent peu d’espoir au lecteur qui viendrait y chercher le frais. Et puis, il y a Paris dont il est l’un des porte-voix. Un étendard presque aussi vaste que Léon-Paul Fargue. La plupart de ses récits sont des hymnes à Pantruche. « Je connais cette ville à fond ; je pourrais la démonter pierre à pierre et la rebâtir ailleurs. C’est ce que j’ai fait lorsque j’ai dû m’éloigner d’elle. » Je peux dire que j’applique cette méthode à la lettre. Depuis que j’ai quitté Paris, en 1999, pour mes chemins creux de Bretagne, je m’y promène chaque jour, explorant ce fond de poche que mon père m’a cousu lorsque j’étais enfant. Avec lui, j’ai visité toutes ses rues et embrassé toutes ses façades.
« Par précaution, j’emportais toujours avec moi Paris dans une bouteille, pour ma soif. » Henri Calet devait souvent ouvrir ce flacon lorsqu’il s’embarqua vers la rive Amérique. Il y eut dans sa vie, une mystérieuse béance, un drôle d’écart qui le conduisit à Montevideo et dans cette petite bourgade-frontière du Brésil et de l’Uruguay, à Jaguaraõ. Il évoque ce déplacement, loin de Paris, dans Un grand voyage. L’homme de la rue (grand admirateur du Lion de Belfort) devenant uruguayen et entrepreneur, cela ressemble à une double vie ou une suspecte éclipse.
Dans Montevideo, Henri Calet et moi, Christophe Fourvel se penche sur ce passé pour le moins mystérieux. Mieux, il arpente des rues, côtoie des personnages. Bref, il enquête dans l’hémisphère sud. Son livre, imagé par des photographies couleur de Lin Delpierre, ne compose pas vraiment un récit d’investigation. C’est tout d’abord un beau texte, finement écrit, dépourvu de toute espèce d’effets ou de grandiloquence. Sec un peu mais humain, à la manière de l’observé. Ce qu’il nous dit est intéressant. Il dévoile une amitié effusive, singulière, durable. Et l’on découvre à la fin de ce grand ouvrage (bien que mince, sans couenne excessive) les lettres adressées de Paris et de Vence à Luis Eduardo Pombo, frère (ou autre chose) d’Amérique. On lit la dernière lettre rédigée à celui qu’il embrasse, les derniers mots affranchis par la Poste, ultime bouteille à la mer lancée deux jours avant le voyage sans billet de retour. « La vie, en définitive, c’est vite fait et c’est bientôt dit ». Guy Darol
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Montevideo, Henri Calet et moi
Christophe Fourvel
La Dragonne, 75 pages, 15 €
3, rue Chanzy
54 000 Nancy
Diffusion Les Belles Lettres
www.bldd.fr
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Bibliographie
La Belle Lurette, Gallimard, 1935 ; collection L’Imaginaire, 1979.
Le Mérinos, Gallimard, 1937 ; Le Dilettante, 1996.
Fièvre des Polders, Gallimard, 1939 ; Le Passeur, 1997.
Les murs de Fresnes, éditions des Quatre Vents, 1945 ; Viviane Hamy, 1993.
Le Bouquet, Gallimard, 1945 ; collection Folio, 1983 ; Collection L’Imaginaire, 2001.
America, éditions de Minuit, 1947.
Trente à quarante, éditions de Minuit, 1947 ; Mercure de France, 1964 et 1991.
Rêver à la Suisse, éditions de Flore, 1948 ; Pierre Horay, 1984.
Le Tout sur le tout, Gallimard, 1948 ; collection L’Imaginaire, 1980.
Monsieur Paul, Gallimard, 1950 ; collection L’Imaginaire, 1996.
L’Italie à la paresseuse, Gallimard, 1950 ; Le Dilettante, 1990 (épuisé).
Les grandes largeurs, Gallimard, 1951 ; collection L’Imaginaire, 1984.
Un grand voyage, Gallimard, 1952 ; Le Dilettante, 1994.
Les Deux bouts, collection L’Air du Temps, Gallimard, 1954.
Le Croquant indiscret, Grasset, 1956 ; collection Les Cahiers Rouges, 1992.
Contre l’oubli, Grasset, 1956 ; collection Les Cahiers Rouges, 1992.
Peau d’ours, Gallimard, 1958 ; collection L’Imaginaire, 1985.
Acteur et témoin, Mercure de France, 1959.
Lettres, 1935-1956, correspondance avec Georges Henein, Grandes Largeurs, n° 2-3, 1981.
Cinq sorties de Paris, Le Tout sur le Tout, 1989.
Une stèle pour la céramique, Les Autodidactes, 1996.
De ma lucarne, collection Les inédits de Doucet, Gallimard, 2000.
Jeunesses, Le Dilettante, 2003.
Correspondance Henri Calet – Raymond Guérin, Le Dilettante, 2005
Sur Henri Calet
Revue Europe (n°883-884, novembre-décembre 2002).
Le Matricule des Anges (n°65, juillet-août 2005).
On lira avec profit
31, allées Damour, Raymond Guérin 1905-1955, Jean-Paul Kauffmann. Berg International/La Table Ronde, 2004.