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LIRE LA MUSIQUE 1

Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dans Le Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.


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MARC-EDOUARD NABE SANS ÉPINES


Rares sont les laudes aux livres réédités. Et quand il s’agit d’ouvrages de Marc-Édouard Nabe, motus, ostracisme tenace. L’auteur de Chacun mes goûts, on le sait, mâchecoule au lazaret des Lettres une amertume chronique dont il se sert parfois, plus ou moins drolatiquement, pour tailler des costumes aux veinards, pour écharper d’anciens voisins de palier. Comme dans Le Vingt-Septième Livre, préface à la réédition d’Au Régal des vermines (Le Dilettante, 2006), devenue volume à part entière, léger en pagination, lourd en lancer du poids taillé dans la fonte dont on fait les canons. Michel Houellebecq y est visé selon une technique d’approche qui consiste à tourner autour de son sujet avec des grimaces amies et du sucre d’orge avant de le jeter au sol et de le sacrifier sur l’autel d’une littérature confite au rock et au naturalisme nouveau. On ne dit pas que nous avons mal pour Houellebecq qui en verra bien d’autres. On est même tenté d’abaisser notre bada. Oui, chapeau pour l’exercice de style. Impressionnante descente en flammes finement slalomée. Pour Nabe, il ne fait aucun doute que Houellebecq a tiré son épingle du jeu en s’accointant avec le rock (une sorte d’escroc), tandis que lui, nourri de jazz et le défendant becs et ongles, aurait choisi le cheval fourbu, le canasson pour outsiders.

Ne distinguant pas, pointilleux dans l’effacement des barrières de style, entre les forces issues du rock et les puissances du jazz, nous disons que l’équation est branque. Branque puisqu’elle prétend démontrer que Nabe est pauvre et injustement méconnu tandis que Houellebecq est riche et injustement célèbre. Il y a de l’élève de petite section chez Nabe, quelque chose du gosselot mal aimé. Quelquefois, il en devient splendide. Ainsi ce qu’il dit des mères, page 21, compose en une poignée de mots une théorie de la littérature. Mais là où Nabe est toujours grand, immensurable, et jamais on ne le prend en défaut d’ombilication, c’est dans ses éruptions sur le jazz. Dans ce domaine, l’Etna, c’est lui.

La Marseillaise, par exemple (autre réédition), est l’hymne le plus volcanique jamais écrit sur Albert Ayler, une quintessence d’amour du jazz libre. L’art de Nabe n’est pas d’entrer dans la peau du personnage mais de s’injecter le personnage dans les veines, de sorte qu’il en éprouve tous les battements, tous les élans y compris les fatigues, y compris les folies. On entend Ayler. On le vit. On voit le « jazzman eschatologique chantant les horreurs d’un monde sans Dieu ». Presque, il jette sur nous le dernier coup d’œil, le dernier cri avant de disparaître dans les eaux de l’Hudson River.  « L’harmonie suprême est au bout de l’anarchie absolue », écrit Nabe pour définir la trajectoire du saxophoniste et ce « chaos joyeux » qui fait d’Albert Ayler le jazzman de l’apocalypse.

Avez-vous lu Nuage ? Publié en 1993, remis en vente pour les malchanceux. Je ne compte les fois où je l’ai ouvert. Jamais rassasié. Heureux de l’avoir à portée d’ouïes. Car ce livre sur Django est un chant qu’il convient de lire à haute voix. Profusion d’images sonores, crépitation de mots exacts, nuées de formules sans prétention herméneutique. Limpide comme le bleu du ciel, cette leçon de djangologie s’attache à nous montrer les nuages dans la tête du « plus grand jazzman non noir ».

Lorsqu’il ne souffre pas des épines de l’envie, Nabe est lyrique, delteillien, l’atrabilaire devient aimant et sa manière, héritée d’Albert Paraz, est le grand art qui manque au temps, le souffle jovial dont l’édition nous prive. Guy Darol

LE VINGT-SEPTIÈME LIVRE, Marc-Édouard Nabe, Le Dilettante, 93 p., 10 €

LA MARSEILLAISE, Marc-Édouard Nabe, Le Dilettante, 47 p., 9, 90 €

NUAGE, Marc-Édouard Nabe, Le Dilettante, 61 p., 9, 90 €

 

 

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