Au début des années 1980, je chroniquais l'underground pour les pages Livres de Libération. Des militants de la prose très rare trempaient leur chemise pour faire paraître des revues faites main. Le home studio de l'imprimé était né. J'avais reçu Solution H, fanzine rouennais voué à améliorer nos connaissances sur Jean-Pierre Duprey et Jacques Rigaut, deux surréalistes de l'extrême. Derrière ce journal agrafé, il y avait Sylvain Goudemare, aujourd'hui spécialiste patenté de Marcel Schwob. On se vit. Nous marchâmes, buvâmes et achetâmes plein de disques. Il me fit connaître le magasin New Rose, rue Pierre Sarrasin, Paris 6ème, qui devint ma centrale d'achat. C'est là, patient lecteur, que je me procurai My Life In The Bush Of Ghosts de Brian Eno - David Byrne. A ne pas confondre (mais comment oseriez-vous !) avec My Life In A Hole In The Ground d'African Head Charge. La galette tourne toujours sur ma platine, 28 ans après sa sortie chez Warner. Nul n'avait entendu cela ou peut-être ceux qui étaient tombés, en 1968, sur Canaxis, l'album collagiste d'Holger Czukay. Il y a là, comme dans Movies du même bassiste, les prémisses de ce que d'aucuns appellent l'ethno-funk. C'est vraiment un album incroyable car toute l'electronica des loops et bleeps est contenu sur ces dix pièces. DJ Spooky, génie des samples cultivés, doit énormément à cet équipage qui rassemble une dizaine de musiciens dont Bill Laswell et Robert Fripp. L'album échantillonne des voix de fanatiques politiciens et religieux, celle d'un muezzin inoubliable, les chants de Dunya Yusin et Samira Tewfik. David Toop, exégète infaillible de l'ambient, risquera dans Ocean Of Sound ces mots prudents : « My Life In The Bush Of Ghosts était un disque intéressant, quoique ses improvisations décousues, souvent basées sur un seul accord et clairement influencées par Fela Kuti, n'aient pas vieilli aussi bien avec le temps, que les œuvres ambient de Brian ». C'était oublier, malgré tout le respect que l'on porte au fin penseur qu'est David Toop, que David Byrne est de la partie. Et avec, lui la voix des Talking Heads. Autrement dit, Fear Of Music (1979), diamant noir où brille « I Zimbra » et le génie de l'afro-dadaïste Hugo Ball. Guy Darol
BRIAN ENO - DAVID BYRNE
My Life In The Bush Of Ghosts
Warner
CONSULTER