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djellali kamel

  • EVERYTHING IS POLITICAL ❘ 5. LA RUPTURE, L'ECART

     

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    La révolution, nous n’avions pas abandonné ce mot, on la plaçait, comme un espoir, dans ce que Jean-Pierre Faye et son collectif appelaient alors l’archipel du change. Nous progressions, par conséquent, vers un plus grand changement ayant pour objet la langue, objet automultiplicatif.

    C’en était fini du dépiècement, de la mise en lambeaux de la langue jusqu’à cette aporie du non-sens même pas drôle, nous voulions plus de significations, plus de possibles, plus de troubles. En rajouter.

    La revue Dérive* voit le jour en 1975. Pour mise en place, ceci : "Dérive est donc le montre (inévitable monstre), la démonstration que la machine s’épuise". Espérance folle dans la force du dit qui patiemment et à l’usure ferait sauter l’interdit, cette publication souterraine double le change. Il s’agit pour une part de rompre le corset des langues ; pour une autre, la parole multipliée qui empruntera toutes les formes  sera la voix des empêchés de dire,  des exclus du plaisir, des réformés de la vie. Dérive est  l’organe du corps sans organes, un espace sans barrières où le culte de l’auteur est out comme autrefois le temple des genres.

    Des écrits se suivent qui ne se ressemblent pas donnant forme étrange, allure d’épouvante. Le titre se lit mal. L’argument auquel la couverture prétend (le corps malade le corps mutilé) génère des éléments de réponse déplacés. On y attend la vindicte éclairée au fait divers – le croustillant, l’ébouriffant -, il n’arrive que des célébrations de corps en lutte. Par exemple, l’annonce de la candidature d’un travailleur immigré aux élections présidentielles de 1974.  Il représente 4 millions d’immigrés mais son statut l’empêche d’accéder à la représentation nationale. Qui se souvient de Djellali Kamel ? Djellali, du prénom d’un enfant de 16 ans tué d’une balle dans la nuque, rue de la Goutte d’Or. Kamel, du nom d’un ouvrier arabe expulsé de France pour activisme.

    La riposte tient à quoi ? Serions-nous enragés et heureux ? Notre condition est celle des enfants du peuple. La colère est une molécule d’ADN. Elle se souvient des tourments, des peines. Ma mère traitée comme une sous-femme parce qu’elle entretient à la javel les couloirs en marbre des caciques. Mon père, domestique chez les pontes, lave les carreaux d’innombrables fenêtres qui donnent sur la Seine. Également la vaisselle des raouts et les parquets pollués par des semelles luxueuses. Il ne dit rien contre cela. C’est moi qui endosse les cicatrices sans le pansement. J’objecte en langue basse et biaise, sale  et parfois abstruse, faussement distinguée. "Je n’ai qu’une seule langue et ce n’est pas la mienne", écrit Jacques Derrida.

    En somme, nous désirions traverser l’écriture – vêtements, colifichets, chair – mais à la condition d’alerter au passage les militants d’un côté, les doctrinaires du texte et de la littérature littérale de l’autre. Souvenons-nous qu’à l’époque, deux courants trendy secouent l’espace littéraire. Le premier emmené par Philippe Sollers et Tel Quel, le deuxième par Change et Jean-Pierre Faye. L’écriture textuelle innervée d’histoire réelle face à la créativité qui transforme les règles. Guy Darol


    * Collectif d’intervention : Guy Darol, Christian Gattinoni, Philippe Lahaye