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zéno bianu

  • LIRE LA MUSIQUE 20

    Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dans Le Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.

     

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    SACRÉS SOMMETS

     

    Dans une lettre à Raymond Christoflour du 24 février 1940, René Daumal évoquait le chantier qu’il avait ouvert quelques mois plus tôt. « Après avoir décrit un monde chaotique, larvaire, illusoire, je me suis engagé à parler maintenant de l’existence d’un autre monde, plus réel, plus cohérent, où existent du bien, du beau, du vrai. » Ce bien, ce beau, ce vrai, René Daumal les conjugua dans ce qu’il avait nommé un « roman d’aventures ». Le Mont Analogue, publié en 1952, est « la montagne symbolique qui est la voie unissant le Ciel à la Terre. » Roman inachevé mais rigoureusement planifié : on n’aborde pas le sommet du sacré en suivant un chemin de hasard. Pour René Daumal, en effet, il s’agissait de rendre à la montagne sa puissance magique. Elle est la pente qui mène au réel. Elle est l’expérience qui rend vivifiant l’invisible.

     

    « Et vous, que cherchez-vous ? » Cette question était le titre du dernier chapitre que René Daumal ne put écrire. Le Mont Analogue est le récit d’une expédition qui cherche. Non pas des réponses mais le sens ultime au trajet éphémère de nos pas dans la neige. Nous passons et René Daumal s’interroge. Il existe probablement une porte quelque part. Il serait faux de croire que nous n’allons nulle part. D’où l’aventure du Mont Analogue qui est une ascension complexe et partagée. Beaucoup ont cherché, à partir de ce livre, avec les yeux ou avec les oreilles. Pour les yeux, Luc Moullet (exceptionnel réalisateur d’Anatomie d’un rapport) tenta, en vain, de mettre en images le roman d’aventures. Alejandro Jodorowsky en fit son chef-d’œuvre filmique et cela donna La Montagne Sacrée. Pour nos oreilles, le compositeur John Zorn vient d’atteindre le meilleur de son art. Son Mount Analogue est une translation sonore de haut vol. Un parcours palpitant. Une traversée de la vie vers plus de réel. L’émotion vient d’emblée et, comment le dire autrement, elle tombe du ciel. Avec les notes de Cyro Baptista, de Shanir Ezra Blumenkranz, de Tim Keiper, de Brian Marsella et de Kenny Wollesen, voix de haute altitude, instrumentistes ayant rejoint Daumal sur la cime où le Ciel est une Terre. John Zorn qui ne possède pas que le bon sens mais tous les sens susceptibles de faire advenir la magie s’est entouré des plus fins arpenteurs pour escalader l’œuvre ultime de René Daumal. L’invisible, croyez-moi, devient visible.

     

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    John Zorn abolit l’inquiétude. Jimi Hendrix ouvre l’espace à des couleurs qui appartiennent à d’impossibles palettes. Ces couleurs, Franck Médioni les a minutieusement regardées. Il nous les place devant les yeux. Sa biographie du guitariste de l’expérience fondamentale (expression chère à René Daumal) élucide bien des points. Elle jette ses feux sur le mystère de l’électricité. Elle auréole d’évidences l’attrait de cet esprit vibrant pour les lumières lointaines. Elle explique le goût du feu et la danse des flammes. Franck Médioni qui connaît la musique et ses profondeurs célestes montre avec bien des preuves que la montée progressive de Jimi Hendrix vers le jazz était l’escalade nécessaire vers l’apogée où rien ne ment. Un grand livre.

     

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    La musique atteint des sommets que nos jambes de laine ne toucheront jamais. Nous essayons, mais ce n’est pas une affaire de sport. John Coltrane s’y consacra et Zéno Bianu le sait. Il le sait avec tout son corps qui n’est pas fait que de cinq sens. Et c’est cette connaissance suprême, mais oui, qui nous fait gagner en hauteur A Love Supreme et son auteur dédié à « l’invisible sur le fil du rasoir ».  Dans sa préface, Yves Buin est clair. Coltrane fut « l’irrigateur transcendantal des sensibilités contemporaines ». Jazz et poésie vont ensemble comme deux corps célestes amoureux. À la vie, à la mort Zéno Bianu élève John Coltrane au sommet des grandes questions. Essentiel. Guy Darol

     

    MOUNT ANALOGUE, John Zorn, Tzadik/Orkhêstra International.

    JIMI HENDRIX, Franck Médioni, Éditions Gallimard, Collection Folio/Biographies, 390 p., 8,40 €

    JOHN COLTRANE (MÉDITATION), Zéno Bianu, Éditions Le Castor Astral, 120 p., 12 €

     

     

     

     

  • LIRE LA MUSIQUE 8

    Entre 2009 et 2012, Lire la musique, ma chronique (transverse) fut publiée dansLe Magazine des Livres aujourd'hui disparu. En voici le feuilleton complet.


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    PASSIONS HENDRIXIENNES

     

    Il avait un visage de seize ans, du poil follet au menton, un duvet dru en guise de rouflaquettes, le cheveu long et la taille petite. Ses yeux étaient rouges de larmes ce vendredi 18 septembre 1970. On n’a pas le temps de se cacher quand la mort plonge à côté de vous. Dans le couloir couleur poussière qui nous menait au cours, on pensait à ce qu’il y a de plus grave. On se disait que le camaro avait au moins perdu son père. Les murs du lycée Voltaire s’étaient fanés. La disparition de Jimi Hendrix avait agi comme un dripping de peinture rouille, une accélération de l’automne. Il pleurait la mort de James Marshall annoncée sur les ondes et c’était la pire des mauvaises nouvelles qu’il venait d’encaisser, une ombre irrémédiable sur sa ligne de vie. Rien ne serait plus pareil. Le blues, il venait de comprendre que ce n’était pas qu’un style musical apparu dans le Delta du Mississipi.

     

    Je ne me souviens plus de son prénom. Je me souviens de la mort de Jimi Hendrix et de l’effet qu’elle produisit autour de moi, un mouvement de deuil, un recueillement impressionnant dans cette salle de classe à gradins où l’enseignement de la physique-chimie se confrontait habituellement à la ruée des plaisanteries. Tout était calme. On venait de se prendre du chagrin, la première salve, et ce n’était qu’un début. Jimi Hendrix, il faut bien dire, jouait de la musique comme on appelle vers soi les dieux, les dieux païens bien entendu. Il mettait en flamme sa guitare, offrait à la transcendance l’objet qui parle le mieux du grand temps, celui qui connaît l’explosion primitive, le premier jour et cette suite de jours où tout est dans tout et réciproquement.

     

    On pouvait se dissoudre dans le grand temps. Il était possible de partir et de revenir, comme un voyage et l’on connaît la sensation de ne plus être un corps perdu dans le calendrier. On est au-delà du delà. L’éternité nous est acquise. C’est bien de cela qu’il s’agit, un voyage sans fin, une expérience. On ne peut en douter lorsqu’on lit Zéno Bianu qui fut pour moi une expérience lorsque je découvris, au hasard de l’errance, l’anthracite Manifeste Électrique Aux Paupières De Jupes (Le Soleil Noir, juin 1971) et ses mots trempés de Rimbaud et de Lou Reed. Zéno Bianu dit osmotiquement Hendrix. Il le dit à l’intérieur. Avec Jimi Hendrix (Aimantation), nous découvrons que la poésie est un chemin qui annule les contraires. Jimi Hendrix est mort. Non, il n’est pas mort, il lance des paroles de flammes à travers le verbe de Zéno Bianu qui vit Hendrix comme une passion. Il dit : « Mon nom est Orphée/Jimi Orphée/j’ai sacrifié ma guitare/au dieu de la musique ». Il dit que Jimi Hendrix, c’est la réunion de « Monteverdi et Muddy Waters/Fra Angelico et Basquiat/Héraclite et Oscar Wilde ». Il fait entendre que la musique est poésie, que poésie est l’autre nom de la pensée, que la pensée ignore les murs fanés, les cloisons couleur rouille. Zéno Bianu est Jimi Hendrix et inversement.

     

    Avec Stéphane Koechlin (qui porte en lui l’indéfectible amour de Philippe Koechlin, le père, inventeur du mensuel Rock & Folk), nous approfondissons le vertige du verbe. Nous comprenons que la vie est une source et cette source fait jaillir "Voodoo Child", un aveu lâché par Yazid Manou. Car Yazid Manou est la vigie qui surplombe toutes les secondes d’Hendrix. Yazid Manou est l’ultime et le premier recours lorsqu’on va vers Hendrix d’un pas tant soit peu décidé. Stéphane Koechlin a voulu attraper Hendrix par le bout de la connaissance suprême. Plutôt que compiler ce qu’on sait, suppute ou conjecture, l’auteur de La légende du Baron rouge (Fayard, 2009) et de Michael Jackson, la chute de l’ange (L’Archipel, 2009) a suivi la trajectoire de Yazid Manou, fin connaisseur né à Nantes en 1965, révélé à Hendrix par la télévision d’Albert Raisner. Un vrai accompagnement jusqu’au cœur. Hendrix palpite, Hendrix est immortel puisque Yazid est capable à tout moment de certifier un fait ou d’effondrer une hypothèse. Yazid Manou et Jimi Hendrix sont main dans la main.


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    Régis Canselier est l’administrateur du forum Jimi Hendrix, le site de référence dédié à l’œuvre du guitariste le plus top, si l’on consent à faire rivaliser en puissance Eric Clapton, Jeff Beck, Frank Zappa et Carlos Santana. Régis Canselier adore Hendrix. C’est un idolâtre, un herméneute incomparable. Il sait tout depuis "Hey Joe"  jusqu’à la dernière note. Il sait que "Purple Haze" n’est pas ce qu’on croit et que "The Wind Cries Mary" inspira Miles Davis. Il sait que Jimi Hendrix est une famille où s’étreignent John Coltrane, Roland Kirk, Ornette Coleman, Jean-Sébastien Bach, Eric Dolphy, Bob Dylan et Arthur Rimbaud. Guy Darol

     

    JIMI HENDRIX (AIMANTATION), Zéno Bianu, Éditions Le Castor Astral, 112 p., 12 €

    BLUES POUR JIMI HENDRIX, Stéphane Koechlin, Éditions Le Castor Astral, 200 p., 12 €

    JIMI HENDRIX, LE RÊVE INACHEVÉ, Régis Canselier, Éditions Le Mot et le Reste, 460 p., 25 €

     


  • LE MAGAZINE DES LIVRES ♯ 25

     

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    SOMMAIRE

    Digressions] Guest stars par Joseph Vebret

    DOSSIER
    Sexe et littérature par Olivier Bessard-Banquy
    Genèse et métamorphoses de la littérature érotique
    par Tang Loaec
    Question de genre
    par Anne Bert
    La nudité, la femme et l’art
    par Orlando de Rudder
    Extension du domaine de la littérature érotique
    par Tang Loaec
    Contre l’érotisme
    par Orlando de Rudder

    RENCONTRES
    Marcelin Pleynet : « La solitude a un lien indissociable avec la création » par Joseph Vebret
    Michel Le Bris : « Donner aux lecteurs une part des trésors accumulés pendant une vie »
    par Bertrand du Chambon
    UNE VIE D’ÉCRIVAIN
    Sandro Veronesi : « Donner une deuxième chance à la réalité » par Thierry Richard
    ENTRETIENS
    Patrick Cauvin : « Peut-on encore mener une carrière de "raconteur" ? » par Olivier Quelier
    Émile Brami : « Pour qui aime la littérature, il y a des écrivains indispensables »
    par Joseph Vebret
    Sébastien Doubinsky. La confession de Billy the Kid
    par Éric Bonnargent
    Dominique Inchauspé : « L’influence du journaliste est supérieure à celle de l’écrivain »
    par Joseph Vebret
    Juan Asensio : « Judas ou le refus d’être aimé, le refus de l’Amour »
    par Éric Bonnargent
    Antoni Casas Ros. L’écriture anonyme
    par Éric Bonnargent et Marc Villemain
    APARTÉ
    Annie Lemoine. Nouvelle vie : l’écriture par Laure Rebois

    CLASSIQUE
    Vladimir Nabokov. Portrait d’un auteur en illusionniste par Frédéric Saenen
    PERDU DE VUE
    Stig Dagerman. Le jeu avec la mort par Michel Loetscher

    LE CAHIER DES LIVRES
    Focus, Romans, Polars, SF, Théâtre, Documents, Musique, Revues, Beaux livres, BD, En vrac

    Les livres que vous n’avez pas lus]
    Des météorites signées José Bergamín par Bertrand du Chambon
    Chemin faisant] Déroutes par Pierre Ducrozet
    Les mains dans les poches] Le goût estival du morbide par Anthony Dufraisse
    Musique & littératures] Brassens, poète chapardeur par Jean-Daniel Belfond
    Relecture] Le crime de Lord Arthur Savile, Oscar Wilde par Stéphanie Hochet
    Poésies] Host figure l’amante en remontant ses sources par Gwen Garnier-Duguy
    Cinéma & littératures] Une douce odeur de violette par Anne-Sophie Demonchy
    Lire la musique] Passions hendrixiennes par Guy Darol
    Économie du livre] La FNAC, l’agitateur agité ? par Christophe Rioux

    BONNES FEUILLES
    La sélection d’Annick Geille : Promesses tenues
    Fruits & légumes, Anthony Palou
    Nos cœurs vaillants, Jean-Baptiste Harang
    Le Sel, Jean-Baptiste Del Amo
    Écrivains, Antoine Volodine
    Le jour où le ciel s’en va, Jean-Philippe Domecq
    La Montagne de minuit, Jean-Marie Blas de Roblès
    Les meilleurs livres de la période
    par Annick Geille

    Feuilleton] Conseils aux écrivains qui ont la migraine par Christian Cottet-Emard
    Feuilleton] Voyage dans une bibliothèque par Raphaël Juldé
    Feuilleton] L’Auteur et Internet par Emmanuelle Allibert
    Visages d’écrivains] Julien Gracq par Louis Monier

    Avec : Emmanuelle Allibert, Stéphane Beau, Jean-Daniel Belfond, Anne Bert, Olivier Bessard-Banquy, Éric Bonnargent, Brigit Bontour, Arnaud Bordes, Christian Cottet-Emard, Guy Darol, Hubert de Champris, Anne-Sophie Demonchy, Orlando de Rudder, Stéphanie des Horts, Bertrand du Chambon, Pierre Ducrozet, Anthony Dufraisse, Eli Flory, Gwen Garnier-Duguy, Annick Geille, Stéphanie Hochet, Stéphanie Joly, Raphael Juldé, Tang Loaec, Michel Loetscher, Clara Mainardi-Begnis, Valère-Marie Marchand, Ludovic Maubreuil, Christophe Mory, Olivier Philipponnat, Olivier Quelier, Laure Rebois, Thierry Richard, Christophe Rioux, Frédéric Saenen, Marc Villemain, Carole Zalberg. Photos : Louis Monier. Illustrations : Miège et Innocent. 
    Coordination : Delphine Gay.