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PARIS ❘ RUE DU PRESSOIR ❘ VINGTIEME ARRONDISSEMENT

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23-25, rue du Pressoir

Là que je vécus dans les années 1950. L’immeuble qui se situait au 23-25, dans l’unique courbure, lorsqu’on vient de la rue des Couronnes serait qualifié aujourd’hui de lépreux.

Il s’élevait sur quatre étages et sa façade grise, écaillée, me semblait somptueuse. Mes parents occupaient un deux pièces aux fenêtres bleu azur qui donnaient sur un quadrilatère barré à l’est par la rue Julien Lacroix. Appuyé sur une rambarde, je pouvais observer une cour pavée où picoraient des poules. Et je pouvais entendre le grognement de cochons parqués dans une cahute bancale. Au pied de l’immeuble, un garage, ouvert sur la rue, offrait un espace de bitume craquelé que j’allais quelquefois rejoindre pour y pousser mes billes ou, dans le caniveau, quelque frêle esquif de papier.

Le bâtiment a été rasé en 1967 et tout ce quartier, hétérochrome, mixte, a depuis été recouvert par de blêmes volumes aux angles aigus. Là, je fus éduqué par le peuple du monde. Maurice, le chapelier, me faisait essayer des casquettes enfantines et Régina qui possédait un téléviseur m’invitait, ma tête enfouie contre son cœur qu’elle avait gros, à regarder les aventures d’Ivanhoé. Leurs portes étaient toujours ouvertes.

Tout devait disparaître selon les projets d’embellissement et de blanchoiement voulus par de Gaulle que conseillait André Malraux. Cependant que ce dernier avait démontré dans son œuvre qu’il n’avait rien à dire sur Paris. Une phrase de ses Antimémoires atteste seulement sa connaissance des « moineaux qui attendaient les chevaux des omnibus au Palais-Royal ». Contre toute attente, c’est bien lui qui ordonne la tabula rasa. Il est le déclencheur des boules de fonte qui aplatissent, le 27 février 1969, les Halles enchantées par Guy Debord, Julien Duvivier, André Hardellet, Hubert Juin, Claude Seignolle et la chanteuse Damia.

J’ai cherché, dans les livres d’Henri Calet, Clément Lépidis, Georges Perec (citoyens de mon périmètre), un souvenir de la rue du Pressoir. Fiasco. Et sachez que mes rayons amassent, année après année, centaines de volumes sur la Ville Lumière. Un jour, je proposerai ici, une bibliographie flâneuse.

Aujourd’hui, je ressens (tristesse des regards dans le rétroviseur) le besoin d’évoquer ma rue au tracé demeuré exact mais à l’environnement saccagé. Ivan Chtcheglov, grand inspirateur de la dérive continue, en butte contre « la passion de l’oubli », avait décrit dans Formulaire pour un urbanisme nouveau (in Ecrits retrouvés, éditions Allia), l’autre pays, celui de mes rives d’enfance. Pour ne pas oublier, jamais, je recommande L’Assassinat de Paris, ouvrage qui mit en danger son auteur parce qu’il y dénonçait fermement l’attentat porté, en 1958, par le général de Gaulle contre le Pantruche ouvrier. Livre savant, précis, mélancolique (Louis Chevalier, camarade de khâgne de Georges Pompidou fut professeur au Collège de France), L’Assassinat de Paris narre l’histoire d’une démolition et la fin des quartiers bruissants de vies simples.

Enfin, page 242, il parle des « exilés de Belleville », déplacés par contrainte vers les banlieues neuves (bâties de tours aujourd’hui pilonnées) et qui regrettent « l’inconfort de la rue du Pressoir ».

Initialement publié en 1977 aux éditions Calmann-Lévy, réédité vingt ans plus tard chez Ivrea, ce livre est à découvrir de toute urgence. Et permettez-moi de remercier (ceci comme un blog à la mer) celles et ceux qui connurent (années 1950) ce quadrilatère pluriethnique, compris entre les rues des Maronites et des Couronnes, pour les commentaires qu’ils pourraient m’adresser, nourris de colères et de tendres souvenirs. Peut-être avons-nous, ensemble, humé l’air de la rue du Pressoir. Régina, Maurice, Joseph, je vous embrasse là où vous êtes. Guy Darol

VISITER NOTRE SITE DEDIE A LA RUE DU PRESSOIR

http://ruedupressoir.hautetfort.com/

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Commentaires

  • J'habitais rue des Couronnes, en 1960. A l'intersection Pali Kao rue du Pressoir. Tout est dit. Et merci pour les précisions sur Malraux.

  • Et Jacques Réda, n'aurait-il pas traîné ses semelles jusquà la rue du Pressoir ?

  • Et Jacques Réda, n'aurait-il pas traîné ses semelles jusquà la rue du Pressoir ?

  • Dans Courir les rues de Raymond Queneau, publié cette même année 1967, il y a un poème sur la destruction de ce quartier. Il est intitulé "Ilot insalubre", mentionne quelques rues mais malheureusement pas celle du Pressoir.
    "[...]
    Avis d'appel d'offres
    travaux de démolition
    îlot insalubre n°7
    (il n'y a que pendant les guerres que s'élucubre
    la démolition des îlots insalubres)
    l'atoll en question baigne dans la rue des Couronnes la rue Julien-Lacroix
    la rue d'Eupatoria la rue de la Mare et le passage Notre-Dame-de-Lacroix
    faut que j'aille voir avant que tout ça ne disparaisse
    [...]

  • On trouve d'autres "îlots insalubres" fameux, si je peux dire, dans Paris fut, d'Audiberti (Claire Paulhan éd.), un livre éblouissant. Chez Jacques Yonnet aussi évidemment, lequel Yonnet a donné également une plaquette de poèmes sous le titre d'ïlot insalubre (R. Debresse, 1942).
    Un vif remerciement à vous, Guy Darol, pour ce hautetfort. Je m'y régale.

  • Croyez qu'il m'est pareillement agréable de vous lire. Sachez que vous venez de m'apporter beaucoup. Vous êtes un phare sur la rue du Pressoir. Préfet maritime, chapeau bas !

  • Phare de la rue du Pressoir, ah ben ça alors, si je m'attendais ! C'est un titre glorieux, j'en suis touché. Une proposition : si vous me communiquez votre adresse par e-mail, je peux, si ça vous tente, vous envoyer une copie du recueil de Yonnet. Et puis ça me donnera l'occasion de vous adresser à l'automne quelques petites choses en cours de préparation.

  • Jacques Yonnet, naguère bouquiniste sur les rives de la Seine, je m'en suis délecté jusqu'à plus soif (encore que vous me redonniez la pépie) en lisant et lisant encore "Rue des Maléfices", l'un des plus beaux livres sur le Paris miragineux.
    Vous trouverez l'adresse électronique dans la colonne de gauche, rubrique A PROPOS.
    Sachez que je suis preneur de vos merveilles. Je vous souhaite un lundi plein d'éclats.

  • Je suis né 26 rue des couronnes, mon grand-père avait une petite entreprise de chaussures 31 rue du pressoir et mon père garait sa traction Citroën au garage de l'angle de la rue du pressoir (le mécanicien s'appelait René). Je suis allé à la maternelle chez les soeurs de l'autre coté du boulevard et à la communale rue Julien Lacroix. Le coiffeur de la rue du pressoir élevait des oiseaux dans son salon de coiffure, beaucoup d'oiseaux dans mon souvenir.

  • Effectivement Philippe, le coiffeur de la rue du Pressoir élevait des oiseaux, beaucoup d'oiseaux dans son salon c'est vrai, j'avais oublié ce souvenir pourtant marquant et peu courant chez un coiffeur. Il se prénommait Vincent. Par contre je ne me souviens pas de l'entreprise de chaussures, probablement sous le porche du 31. Vous parlez, je pense, du garage qui se trouvait juste à côté du 23/25, René, je ne me souvenais plus de son prénom, il me semble que son nom était Marchadier ou marcadier. Les souvenirs remontent à la surface.

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