La somme de biographies et d’évocations d’Antonin Artaud est aujourd’hui considérable. Après avoir lu les œuvres disponibles du poète, j’ai commencé à m’intéresser aux approches puis aux explorations chronologiques. Cela débuta avec la monographie de Georges Charbonnier (1). Vinrent ensuite le Portrait d’Antonin Artaud que traça Otto Hahn(2) pour le compte des éditions Le Soleil Noir du regretté François Di Dio, la première biographie d’importance de Jean-Louis Brau (3) et l’essai envoûtant de Susan Sontag (4). Enfin il y eut Alain et Odette Virmaux qui ravirent la trajectoire durant de longues années, collectant les témoignages, assemblant des images, déduisant l’itinéraire en véritables archéologues. Longtemps nous nous contentâmes de leurs travaux (5). Il semblait qu’ils avaient jeté un filet sur l’homme et son œuvre. Sans doute la découverte du Journal de Jacques Prevel (6) avait-elle orienté différemment l’approche car l’on pouvait dès lors observer que la présentation du parcours terrestre d’Artaud s’accompagnait d’une réflexion de plus en plus approfondie portant sur les écrits. Ce dont témoignent l’excellente biographie de Thomas Maeder (7) et l’étude inégalée de Monique Borie (8). Evidemment, je lus Paule Thévenin (9)dont nul n’ignore la tâche accomplie au service d’Artaud mais c’est à Florence de Mèredieu que je veux rendre un hommage particulier.
Florence de Mèredieu avait fait paraître, en 1984, le premier ouvrage signalant l’incroyable portée des dessins d’Artaud (10). Gallimard publia deux ans plus tard l’impressionnant volume des Dessins et portraits (11) flanqués des textes élucidants de Paule Thévenin et Jacques Derrida. Cette chercheuse aussi discrète qu’opiniâtre sortait en octobre 1992 deux essais passés inaperçus (12) mais qui exposaient au passage une intention, celle de rendre visible les plusieurs facettes du poète. On ne se doutait guère alors que Florence de Mèredieu travaillait à une somme sans équivalent.

Sa biographie (13) de 1087 pages va au-delà de tous les comptes rendus de la vie d’Artaud. D’abord parce qu’elle a examiné la trajectoire jour après jour, décrivant ainsi la mise en mouvement d’une figure dont il nous fut livré que quelques états parmi les plus chavirés. Enfin parce qu’elle nourrit la minutieuse chronologie de références extrêmement précieuses à la connaissance de l’œuvre. Comme ce retour sur Les Névroses de Maurice Rollinat, recueil paru en 1883 et qui consista en un formidable catalyseur d’écriture chez Artaud. Comme le rôle des lectures d'enfance : les Voyages illustrés, le Journal des Voyages, deux magazines dédiés à l'aventure ordinaire et fantastique. De même, les lumières qu’elle jette sur des auteurs tels que Pierre Mac Orlan ou encore Marcel Schwob pour l'influence qu'ils exercèrent. Tout cela est très bien montré en même temps, par exemple, que le nunisme de Pierre Albert-Birot en tant que creuset de l’alchimie du verbe. Il n’est donc à ce jour aucune biographie plus complète que cette vaste étude, précise, érudite et (le mot serait même un peu faible) passionnante. Guy Darol