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transports

  • LE 96 ❘ GARE MONTPARNASSE ➔ PORTE DES LILAS

     

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    C’est depuis ce bus à plate-forme que je voyais Paris. Un Paris en noir et blanc. À l’arrière du 96, je humais le parfum de tous les échappements, des odeurs de charbon et d’huile de moteur. Nous avions embarqué au croisement hésitant qui distingue la rue de Ménilmontant et la rue Oberkampf. Probablement avec quelques sacs. Peut-être la grosse valise marron toujours sanglée. Et nous regardions défiler les rues, les enseignes. Je ne savais pas que l’heure avait sonné de fuir. Nous quittions la rue du Pressoir que les boules de fonte ne tarderaient pas à attaquer.

    medium_rue_de_Turenne_Vue_aerienne.jpgJe découvrais des façades inconnues et des trottoirs étrangement vides. Il fallut descendre. L’arrêt indiquait Place des Vosges.

    J’ai regardé à gauche, à droite et nous l’avons suivi, son allure plus vive qu’à l’habitude. Rue du Foin, il nous signala un bâtiment crème, imposant, couché entre les rues des Minimes et Roger-Verlomme.

    - C’est là qu’on habite maintenant.

    Sur le trottoir d’en face, pour mieux contempler sa splendeur, nous nous étions serrés. Et mon cœur avait pris un tempo rapide. C’était là. Si propre. Trop beau.

    - Régina viendra vivre avec nous ?

    - Non, Petounet. Mais Maurice n’est pas loin. Son atelier est rue des Tournelles, tout à côté. On ira le saluer un de ces quatre.

    Régina, Maurice, lueurs de la petite enfance. Leurs bras étaient toujours ouverts. Régina me fit découvrir la télévision. C’était le seul meuble qu’elle possédait avec son lit, très vaste. Très doux. On assistait aux aventures d’Ivanhoe couchés dessus. Maurice, son petit ami flou, m’offrait ses nouvelles créations : des casquettes pour petites têtes.

    La porte du 7 pouvait atteindre trois mètres de haut. Un drapeau tricolore flottait à son sommet. Lorsqu’on entra, le battant grinça majestueusement. On s’essuya les pieds sur un immense tapis. Deux marches blanches accédaient à un hall de marbre. Papa tourna une clé dans une porte vitrée. On pénétra une pièce vide qui sentait le bois neuf et la peinture fraîche. L’appartement donnait sur la rue, au rez-de-chaussée. C’est là, entre l’étroit et l’infini, que ma jeunesse se débobinerait en un bref clin d’œil.

    Je me retourne vite pour en apercevoir quelques images. Il n’en restera plus bientôt qu’un petit tas de poussières poussé par un balai.

    Longtemps nous n’avions que le 96 pour aller d’un point à l’autre de Paris. Comme en cabriolet, cheveux au vent, les années où l’on pouvait se tenir à l’arrière, debout, même affreusement serrés. L’air de la ville, le long de la décennie soixante, dégageait un parfum d’amitié.

    Le 96 menait à Montparnasse où l’on pouvait embarquer vers les rivages de l’Atlantique. Ou bien il agrippait Ménilmontant, offrant à perte de vue le paysage le plus aimable qui soit.

    Le 96, je l’attrapais pour aller rejoindre papa qui travaillait place de l’Hôtel de Ville, plus exactement, avenue Victoria. Nous allions ensuite explorer les sous-sols du BHV.

    Le 96, c’était le bus dominical qui ralliait la Porte des Lilas. Car mon père finit par acheter une Dauphine et il loua un box (aux Lilas !) comme un étui de velours où camoufler son jouet. La voiture tournait chaque fin de semaine après avoir été lavée, aspirée, mignotée. Quelquefois, elle servait à nous conduire au pays de la Brie, dans un verger à la ressemblance de nos courtis bretons. En août, à partir du 15 et jusqu’au 15 septembre, la Dauphine noire mettait sept heures pour atteindre La Ville Jéhan, Ménéac, Morbihan.

    Le dimanche, le 96 était un paquebot. Il allait plus lentement qu’en semaine. À bord, nous devenions touristes. Et moi je chantais. C’en était même pénible. Je chantais. Je chantais toujours et souvent juché sur les banquettes de moleskine. Mais quoi ? Les succès d’Eddie Constantine ou de Petula Clark.

    Dans mon souvenir, le 96 dessert des embarcadères, des cinémas, des passerelles pour voyager dans le temps sans contraintes.

    Mais que vous évoque-t-il ?

    Je suis certain que vous en avez franchi la marche.

    Et qu’une de ses stations vous parle.

    D’un instant, d’un parcours, d’un visage qu’il me plairait de connaître. Car nous nous sommes croisés.

    Et vous le savez bien. Guy Darol

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