Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

EVERYTHING IS POLITICAL ❘ 11. LE DESIR

21f790c0e02b9a411c0b31625f2b330a.gif
Henri Lefebvre


Le règne de la marchandise, la mécanique à faire du manque trouvent en 1957 un bon début d’explication avec un livre de Vance Packard* qui montre l’ensemble des ruses destinées à nourrir le besoin d’achat, l’irrépressible manie de consommer. Le consumérisme comme soumission aux codes de l’industrie et de la finance passe pour le mauvais objet auprès d’une jeunesse éprise de liberté sans bornes et qui veut jouir à l’infini.

Formé à la critique radicale par Henri Lefebvre, un irrégulier de la pensée marxiste, Guy Debord (avec Mohamed Dahou, Giuseppe Pinot-Gallizio et Maurice Wyckaert) publie, en juin 1958, la première livraison du bulletin central des sections de l’internationale situationniste. La vie quotidienne** y est associée au décor inhibant qui essouffle les révoltes. Les acteurs de l’intégration aux normes de la vie courante sont tenus pour responsables de la mise au pas des colères. Françoise Sagan-Drouet, Robbe-Grillet, Vadim, l’affreux Buffet illustrent, à la manière des images d’Epinal, les forces de la résignation.

L’énergie que déploient ceux-ci va dans le sens de l’adhésion aux normes de la VQ. Les situationnistes proposent de rompre la fixité dans ce principe en introduisant deux ruptures : le jeu et la dérive continue.

Henri Lefebvre qui fut stricto sensu le maître de Guy Debord et de Raoul Vaneigem, époque Strasbourg, est un philosophe de l’agitation. Ses théories sont ameutantes et émeutières. Elles appellent à l’anéantissement de ce qu’elles décrivent. Henri Lefebvre annonce la société bureaucratique de consommation dirigée, devenue société de consommation et, en tant que tel, sujet d’étude notamment et de belle façon par Jean Baudrillard.

L’opposition à la vie courante telle qu’elle impose ses restrictions est proclamée par l’internationale situationniste en même temps que le désir, notion qui ne fut encore jamais extraite de la carte du corps. Cette notion neuve désormais accouplée, comme le revers ou l’avers d’une même médaille, à l’idée de jeu supérieur rejoint un plan inattendu. Le plan ne consiste pas à régler le problème de l’ennui en injectant plus de divertissement et, par conséquent, plus de diversion. Il s’agit de soutenir les formes expérimentales d’un jeu révolutionnaire.

Il est bien clair ici que le désir n’entre pas en concurrence avec les satisfactions de la chair. Nul message pro-hippie. Rien qui n’indique la voie d’un flower power assumé ou d’une quelconque mystique de l’étreinte. Les situationnistes placent le désir sur une pente qui envisage la construction d’ambiances multiples mêlées à la vie. L’objectif à atteindre n’est pas d’incendier au lance-flammes les structures du vieux monde. Le bulletin de juin 1958 fixe l’enjeu du désir au sein d’un domaine clairement défini : Le principal domaine que nous allons remplacer et accomplir est la poésie. La poésie apparaît comme le moyen d’accomplissement réel de l’individu. Elle est cette tendance au jeu dont le monde a besoin dans la perspective d’un changement radical.

Articulé sur le mot poésie qui à lui seul désigne ou le ciel ou la terre, le désir pris comme jeu s’entend à la manière d’une invention constante : change de formes ininterrompu pour parler dans la bouche de Faye. Le désir, c’est du langage arraché à la convention : bonds au-dessus des genres et des spécialités. Fin des parcelles gardées, des champs de savoirs et de pratiques hautement surveillés. Guy Darol


* Vance Packard, La Persuasion clandestine, 1957.

** La vie quotidienne (ou VQ) renvoie à la trilogie de Henri Lefebvre publiée à partir de 1946 sous le nom de Critique de la vie quotidienne

 

Commentaires

  • Un plan machiavélique et très généreux, je trouve, et décrit au fil de ses ramifications avec une franche jubilation. On a du mal, en vous lisant, à ne pas se laisser gagner par une nostalgie négative, une nostalgie-regret, qui est je crois à cent lieues de ce que vous décrivez.

    La réalisation de l'art ou de la poésie, crever la vie courante au quotidien, c'était après-guerre une stratégie pacifiste redoutable, un plan illisible. Son impact montre indéniablement qu'il s'agissait de la bonne stratégie, de la seule à célébrer efficacement la vie, un temps au moins, et ravivée de tant de manières qu’on n’en percutait réellement les assauts qu’après coup, quand ses desseins étaient devenus inutiles, et le système en a indéniablement attrapé un certain tournis, pour intégrer ses expériences en poses expérimentales. Mais c'est chose faite. Et il s'agit désormais d'une stratégie de survie, sans qu'elle n'en devienne moins passionnante, d'ailleurs, ou qu'il faille pour autant étouffer le désir et s’oublier dans les compensations imposées, la liberté obligatoire des loisirs ou des avant-garde académiques! Mais indéniablement, la gueule de bois dure et a assez duré, car la fiesta n'est pas finie...

    Et votre feuilleton non plus, alors je referme ma parenthèse grincheuse.

    Stéphane Prat.

Les commentaires sont fermés.