Walter Benjamin
Pour précipiter les coïncidences, pour recevoir les fruits du hasard, nous ne connaissons qu’une méthode, celle que mirent au point Guy Debord et André Breton, Hugo Von Hofmannsthal et André Hardellet, Robert Walser et John Cowper Powys, Montaigne et Walter Benjamin, Andrée Martignon et Jean-Jacques Rousseau, tous élèves d’Aristote, tous péripatéticiens. Cette méthode : la dérive.
« J’aime à marcher à mon aise et m’arrêter quand il me plaît », Jean-Jacques Rousseau
« Tout mouvement nous découvre », Montaigne
« Quoi qu’il m’arrive dans la vie, le seul fait d’être capable de regarder la mousse verte, les branches tombées, etc., suffit à justifier le fait d’être né sur cette planète », John Cowper Powys
« Une ivresse s’empare de celui qui a marché longtemps sans but dans les rues », Walter Benjamin
« La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres, mais en errant », Guy Debord
Le parfait flâneur est celui qui concilie l’errance avec la recherche du butin. Cette recherche, André Hardellet nous l’a souvent montrée, ne donne de résultats que si l’on s’applique à ralentir. Il faut s’abstraire pour voir. Il faut être sur une ligne parallèle aux lignes de course, itinéraires express, raccourcis supposés réduire le temps perdu.
Le parfait flâneur perd son temps et ce qu’il cherche est souvent contenu au fond de lui. Lueur qui refuse de s’éteindre. Scintillements dont la continuité dépend du dehors.
La rencontre avec le dehors fait battre le cœur du flâneur. Certaines images, certaines reliques, miettes, poussières, restants, objets retrouvés composent un hymne à l’enfance qui est le meilleur du butin.
Chacun s’essaie à un moment ou à un autre au jeu des retrouvailles. Le chemin est souvent mental. Pour qui le taquine en extérieur, il mène tantôt à l’éblouissement, tantôt à la lumière noire.
Le parfait flâneur peut imaginer que l’éblouissement surgira de la lumière noire. Il doit alors pratiquer son art au profond de la nuit. Lorsque tout somnole, seul le trésor remue.
Céline Brun-Picard et Grégory Haleux ont fait un (ou, si vous voulez, ni une ni deux) pour explorer les replis de la neuille. Tel le voyeur (lisez, relisez Hardellet !), ils ont choisi les interstices, petits trous dans les bords de rues.
De leurs flâneries menées sans hâte, entre juin 2004 et janvier 2005, ils ont conçu un dialogue singulier, celui de l’image et du texte, celui du mot qui fait perdre la tête au sens parce qu’il préfère à la ratio, le ricochet et la roue libre.
Étant donnés est une série de textes génératifs, buissonniers, fugitifs, échappés du troupeau de la langue domestique. On songe autant à Lautréamont (dans l’emploi du « comme ») qu’à Marcelin Pleynet (pour l’écriture de Comme).
En mettant en échec la rigidité des principes, les régularités sémantiques, Céline Brun-Picard et Grégory Haleux créent les conditions du livre en mouvement. Et particulièrement celle d’une poésie « course à ciel ouvert » (Denis Roche) qui secoue la littérature depuis trop longtemps assoupie. Étant donnés réalise l’union longtemps impensable de Matthieu Messagier et de Léon-Paul Fargue, de Maurice Roche et de Patrick Cloux. Une œuvre.
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Étant donnés
Céline Brun-Picard et Grégory Haleux
Éditions Cynthia 3000, 2006
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Cynthia 3000
43, avenue du Général Sarrail
51000 Châlons-en-Champagne
www.cynthia3000.info