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  • LE MAGAZINE DES LIVRES ♯ 22

     

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    SOMMAIRE

    MAGAZINE
    Dossier
    Les affreux méchants lettrés, par Claire Julliard et Alain Sanders

    RENCONTRES
    Une vie d’écrivain
    Anna Gavalda : « Le style, ce sont les personnages », par Thierry Richard


    Entretiens

    Claire Castillon. L’écoute intérieure, par Joseph Vebret
    Eduardo Manet. Un octogénaire à Paris, par Gwen Garnier-Duguy et Matthieu Baumier
    Anouk Grinberg. « Tout le monde cherche son livre de vie », par Christophe Henning
    Joël Schmidt. Ode à la femme rêvée, puisse-t-elle ne pas exister…, par Stéphanie des Horts
    Richard Morgiève : « Je suis un débarrasseur de caves », par Joseph Vebret
    Norman Manea. Le témoin exilé, par Matthieu Baumier et Gwen Garnier-Duguy


    LIRE & RELIRE
    Classique
    Marguerite Duras. Écrire, forcément écrire, par Marc Alpozzo, Christian Cottet-Emard et Valère-Marie Marchand
    Aparté

    Conseils aux écrivains trop gentils, par Christian Cottet-Emard


    LE CAHIER DES LIVRES
    Focus
    Entretiens avec Michel Crépu et Etienne de Montety, par Matthieu Baumier et Gwen Garnier-Duguy
    Critiques
    En vrac, par Stéphanie des Hors
    Bonnes feuilles
    La sélection d’Annick Geille
    Jacques Chessex, Le dernier crâne de M. de Sade
    Dominique Bona, Clara Malraux
    Renaud Camus, Une chance pour le temps
    Bernard Frank, Les Rats
    Patrick Grainville, Le baiser de la pieuvre
    Philippe Sollers, Discours parfait
    Frédéric Vitoux, Grand Hôtel Nelson
    Christian Gailly, Lily et Braine
    Quelques très bons auteurs de janvier par Annick Geille

    CHRONIQUES
    Digressions
    Sérendipité, par Joseph Vebret
    Lire la musique
    Gainsbourg élevé par une bibliothèque, par Guy Darol
    Chemin faisant
    À perdre Lenore, par Pierre Ducrozet
    Économie du livre
    Des poches plein les livres, par Christophe Rioux
    Les livres que vous n’avez pas lus
    Sur les traces de Traven, par Bertrand du Chambon
    Relecture
    Toute passion abolie de Vita Sackville-West, par Stéphanie Hochet
    Les mains dans les poches
    Declerck l’obscur, par Anthony Dufraisse
    Musique & littératures
    Michel Jonasz en cure psychanalytique, par Jean-Daniel Belfond
    Cinéma & littératures
    Vision esthétique du chaos par Anne-Sophie Demonchy
    Il était une fois l’Auteur…
    L’Auteur participe à un salon (premier jour) par Emmanuelle Allibert
    Visages d’écrivains
    Patrick Modiano, par Louis Monier

    Avec : Katrin Alexandre, Emmanuelle Allibert, Marc Alpozzo, Bartleby, 
    Matthieu Baumier, Stéphane Beau, Jean-Daniel Belfond, Brigit Bontour, 
    Adeline Bronner, Christian Cottet-Emard, Guy Darol, 
    Anne-Sophie Demonchy, Stéphanie des Horts, Bertrand du Chambon, 
    Pierre Ducrozet, Anthony Dufraisse, Eli Flory, Gwen Garnier-Duguy, 
    Annick Geille, Pierre Gillieth, Christophe Henning, Stéphanie Hochet, 
    Claire Julliard, Clara Mainardi-Baignis, Valère-Marie Marchand, 
    Christophe Mory, Frédéric Ploton, Thierry Richard, Christophe Rioux, 
    Frédéric Saenen, Alain Sanders, Pascale Truck, Marc Villemain, 
    Carole Zalberg.


    Photos : Louis Monier.

    Illustrations : Miège et Innocent.

    Coordination : Delphine Gay.

    CONSULTER

    LE SITE DU MAGAZINE DES LIVRES

     

  • PARIS APACHE ❘ CASQUE D'OR & EUGENE CORSY

     

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    En un même volume, présenté et annoté par Quentin Deluermoz, Chroniques du Paris apache (1902-1905) rassemble les Mémoires de Casque d'Or alias Amélie Elie et La Médaille de mort d'Eugène Corsy, deux témoignages photographiant, sur le vif, le vingtième arrondissement de Paris, celui de Manda de la Courtille et de Leca de Charonne.

    Le mot apache n'avait pas cours parmi les bandes qui sévissaient à l'eustache du côté de Belleville-Ménilmontant. Amélie Elie (la Simone Signoret du film de Jacques Becker, 1952) le jure. Entre eux, il n'y avait que le mot copain.

    Cette cartographie de Paris qu'il est utile de déchiffrer en compagnie de Jacques Hillairet (Evocation du Vieux Paris, Editions de Minuit, 1954), désigne des rues, des façades d'immeubles défigurées ou disparues. Amélie Elie nous fait ainsi découvrir la rue Dénoyez, ce point de départ de la « descente de la Courtille », qui doit son nom à une fameuse taverne installée au 8, de la rue de Belleville. Avec elle, nous humons et buvons de petites môminettes.

    Casque d'Or n'a pas d'autre ambition que de raconter « l'histoire d'une petite dinde ». Elle le fait si bien. Comme elle sait narrer ses amours, les sincères et les factices. Comme elle sait, avec les yeux du cœur, nous promener dans la rue Ramponeau et peindre à traits de sang les figures des grands « Apaches » : Erbs, Ferraille, le Dénicheur, Son-Pied, Leca, Manda.

    Eugène Corsy pratique une « littérature de gardien de la paix » qui épingle des faits, rien que des faits. Ils sont tragiques. Cela commence rue des Amandiers et se termine rue des Partants. Entre ces deux pôles tombent des hommes, victimes du devoir méchamment surinées par les sauvageons du Paris 1900, un Paris somme toute plus sévère que l'actuel.

    CHRONIQUES DU PARIS APACHE

    (1902-1905)

    MERCURE DE FRANCE

    Collection "Le Temps Retrouvé"

    245 pages, 17, 50 €

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  • LES TRICHEURS ❘ MARCEL CARNE ❘ 1958

     

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    Beaucoup d'entre-nous se souviennent du film Les Tricheurs de Marcel Carné ; film qui marqua les esprits de toute une génération, faisant dégoupiller les grenades au repos dans les malles de la bourgeoisie française. Dans son film, Marcel Carné peint une jeunesse agitée, désordonnée, avide de plaisirs, de rythmes obsédant qui veut l'argent sans le travail, le luxe sans effort. Et le vieux thème du diable a été adapté à la vie du Paris quotidien, dans l'ambiance explosive de Saint-Germain-des-Prés où les adolescents découvrent la tentation et succombent aux plus funestes mirages.

    Jacques Charrier, pour son premier film et premier rôle obtint la victoire du meilleur acteur de l'année 1958, ce qui lui valut la célébrité et le lancement de sa carrière. Bienvenu Merino

    FICHE TECHNIQUE

    Scénario : Jaques Sigurd, d'après une idée de Charles Spaak et Marcel Carné. 
    Adaptation et dialogues : Jacques Sigurd. 
    Images : Claude Renoir, assisté d'Andréas Winding. 
    Décors : Paul Bertrand. 
    Costumes : Antoine Mayo. 
    Robes : Christian Dior, Jacques Heim, Virginie. 
    Montage : Albert Jurgenson. 
    Son : Antoine Archimbaud. 
    Musique : jazz enregistré par Maxime Saury, Ray Brown, Roy Eldridge, Herb Ellis, Stan Getz, 
    Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins, Buddy Rich, Gus Johnson, Oscar Peterson, Fats Domino, 
    Sonny Stitt, Norman Granz. 
    Assistants réalisateurs : Serge Friedman, Paul Seban. 
    Directeur de production : Louis Wipf.
    Interprètes : Pascale Petit (Mic), Andréa Parisy (Clo), Jacques Charrier (Bob), Laurent Terzieff (Alain), Jean-Paul Belmondo (Lou), Dany Saval (Nicole), Jacques Portet (Guy), Pierre Brice (Bernard), 
    Alfonso Mathis (Peter), Roland Armontel (le chirurgien), Jacques Marin (M. Félix), Roland Lesaffre (Roger), Denise Vernac (la mère de Mic), Claude Giraud, Dominique Page, Gabrielle Fontan, Jean-François Poron, Gérard Darrieu, Jacques Perrin, Sergio Gobbi, Alain Saury, Alan Scott. 
    Production : Silves Films (Robert Dorfmann), Cinétel/Paris et Zebra Film/Rome. 
    Tournage : 24 mars au 12 juillet 1958. 
    Sortie : 10 octobre 1958 au Marignan et au Marivaux (Paris). 
    Titre envisagé : Les Mains vides. 
    Durée : 125 minutes.
    Distinctions : Victoires du meilleur film français, de la meilleure actrice (P. Petit), 
    du meilleur acteur (Jacques Charrier) ; Grand Prix du Cinéma français (1958) ; 
    Prix du meilleur film français (Bruxelles, 1958).
    Note : Ce film est le plus grand succès de la saison 1958-1959 en France.
    SYNOPSIS

    Bob (Jacques Charrier) vient de la banlieue parisienne(signifie les quartiers huppés). Il tombe par hasard sur Alain (Laurent Terzieff), un jeune étudiant existentialiste avec qui il sympathise aussitôt. Ce dernier l'invite à venir à la superboum organisé par Clo (Andrea Parisy), fille de diplomate. Après une brève liaison avec cette dernière, Bob tombe amoureux de Mic (Pascale Petit), une autre fille de la bande d'Alain. Seulement, l'époque veut qu'on ne peut pas se dire ces choses là. Il faut rester libre quitte à fermer ses sentiments à double tour. Le résultat n'en sera que plus tragique...

    REVUE DE PRESSE

    LIBÉRATION,14/10/1958 (Simone Dubreuilh) 
    Marcel Carné est ce très grand metteur en scène français auquel les producteurs ont coutume de demander des comptes comme à une femme de ménage. C'est une chose bien étrange en effet que l'auteur du plus grand, du plus significatif des films français Les Enfants du Paradis soit justement celui duquel, après chaque film, on exige un « examen de passage », celui dont les devis sont épluchés, les moindres réclamations considérées comme outrecuidantes (..)Pour faire les Tricheurs, Marcel Carné a dû se battre comme au premier film. Et voici que ces Tricheurs éclatent comme une bombe, apportant le témoignage sur la jeunesse qui manquait au cinéma français. Pas un témoignage grivois, ou rose, cochon ou frivole. Non, un témoignage grave, désespéré, lyrique... Le traitement cinématographique est d'une ampleur, d'une richesse comparables à l'ampleur et à la richesse de celui du jour se lève mais, pour la « surboum » finale et la poursuite en voiture, on songera aux dernières images des Enfants du paradis... C'est du grand cinéma, fait d'observation, de vérité, de poésie non pas improvisée mais classique...
    LES LETTRES FRANÇAISES, 16/10/1958 (G. Sadoul) 
    ... L'homme importe plus encore qu'une forme parfaite. Je retiens surtout du film la chaleur dont Carné entoure ses personnages. Ces tricheurs sont décrits avec une compréhension et une tendresse fort loin de la froide indifférence d'un entomologiste ou de la supériorité assurée d'un moraliste...Au temps de l'équipe Carné-Prévert on avait pu reprocher à leurs films leur manichéisme, leur univers composé de bons et de méchants. Rien de cela ici.
    LE MONDE, 14/10/1958 (Jean de Baroncelli)
    Au-delà des apparences et de cette peinture souvent contestable d'une certaine jeunesse, on retrouve dans les Tricheurs le thème cher à Carné (ce fut celui de presque tous les films, de Quai des brumes à Juliette) des amoureux que leur amour même voue à la haine du destin. Le destin ici prend le visage d'une sorte d'anarchiste (remarquablement joué par Laurent Terzieff)... c'est à sa présence que le film doit cet accent tragique qui, par moments, fait sa grandeur.
    CINÉMA 58, décembre 1958, n° 32 (René Gilson)
    All is true, écrivait Balzac à la troisième page du Père Goriot, et il avait tout inventé. « Je n'ai rien inventé », dit Marcel Carné et d'aucuns s'écrient : « Tout est faux!» Récusons tous ces témoignages contradictoires d'anciens ou actuels « tricheurs » et de ceux-qui-les  connaissent-bien... ces personnages, dont Carné rappelle avec tant d'insistance qu'il les a pris tout vifs dans la réalité, sont aussi devenus des personnages de l'éternel Carné repris par son obsession de la tragédie, d'un Marcel Carné qui réalise avec le personnage d'Alain la plus réussie et la moins consciente de ses incarnations du destin... en dépit de ses imperfections... c'est l'un des deux films français les plus importants et les plus courageux de l'année.

     

     

    Interview de Marcel Carné parue dans l'édition Balland du livre-film Les Enfants du Paradis, 1974





    Comment sont nés les Enfants du Paradis ?


    - J'avais signé avec André Paulvé un contrat pour trois films. Le premier, les Visiteurs du soir, avait été très bien accueilli par la presse et par le public. Nous étions donc, Jacques et moi, à la recherche d'un sujet. Nous devions, en principe, faire Nana d'après Zola, mais nous nous sommes heurtés à un problème de droits. Nous avons pensé à un Milord l'Arsouille, avec Pierre Brasseur dans le rôle principal; maisMilord l'Arsouille, c'est l'apologie du luxe, de l'argent et nous trouvions ça un peu indécent en pleine guerre. Nous y avons donc renoncé. Prévert vivait à ce moment-là dans le Midi à Tourette-sur-Loup et nous nous y retrouvions souvent. Un jour, nous nous promenions tous deux sur la Promenade des Anglais à Nice lorsque nous rencontrons Jean-Louis Barrault qui, intarrissable comme toujours, se met à raconter un tas d'histoires, en vient à parler du célèbre mime Jean-Gaspard Debureau et nous fait le récit suivant : 
    « A l'apogée de sa gloire, Debureau se promène sur le Boulevard du Crime en compagnie de sa maîtresse lorsqu'ils sont interpellés par un ivrogne qui les insulte. Debureau le repousse, mais celui-ci revient de plus belle à la charge et injurie la femme. Ivre de fureur, Debureau lève sa canne et trappe l'homme, le laissant mort sur le trottoir. S'ensuit, bien sûr, un procès auquel on voit se presser tout Paris, afin de connaître enfin la voix du célèbre Debureau ». Très excités, avec Prévert, nous décidons de faire de cette histoire le sujet de notre prochain film. Mais, nous nous sommes vite rendus compte qu'il s'agissait d'une fausse bonne histoire pour le cinéma. En effet, si Jean-Louis Barrault interprétait comme prévu Debureau, l'intérêt de la « chute » était nul car tout le monde connaissait sa voix, mais nous risquions de rencontrer l'indifférence générale si le personnage central du film était joué par un inconnu. Prévert était partisan de renoncer, mais j'aimais énormément cette époque, son atmosphère, le Boulevard du Crime, ses héros, etc. Je suis donc revenu à Paris et me suis mis à la recherche de documents. Pendant trois semaines environ, j'ai travaillé au musée Carnavalet, dans le cabinet des Estampes où j'ai fait faire à peu près deux cents photographies. J'ai également épuisé toutes les librairies théâtrales de Paris où j'ai recherché tous les ouvrages sur le théâtre et les théâtres de l'époque, sur les comédiens, etc... puis ramené le tout à Prévert et lui ai dit : « Jacques, voilà le film ». Dans cette masse de documents, il y avait un nom, un personnage qui fascinait particulièrement Jacques, c'était Lacenaire, et je peux presque affirmer qu'il n'a écrit le scénario des Enfants du Paradis que parce qu'il y avait LacenaireAndré Paulvé a accepté notre projet et nous avons commencé à travailler à l'écriture du scénario. Très vite, nous nous sommes aperçus que le film allait être très long. André Paulvé a suggéré que nous fassions un film en deux épisodes; ce que j'ai accepté à la condition que le film ne passe qu'en une seule fois lors de l'exclusivité.

    Dans quelle mesure, le film respecte-t-il la réalité historique ?

    - Le comte de Montray est un personnage inventé, celui de Garance aussi : elle est en quelque sorte le révélateur des différentes formes possibles de l'amour. Frédérick Lemaître a toujours eu des aventures de toutes sortes. Ce n'était donc guère trahir que de lui en inventer quelques-unes supplémentaires. En ce qui concerne Debureau, nous avons été très fidèles à la réalité et nous avons respecté les principaux épisodes de sa vie. Les détails sont tous, ou presque, authentiques, ainsi l'article de Théophile Gautier sur « Chand d'habits » ou l'expression « le Paradis » que j'ai trouvée chez Jules Janin. Le « paradis » qui est aujourd'hui « le poulailler », d'où le titre du film. Les enfants du « paradis » sont les spectateurs du poulailler mais aussi les acteurs. 

    Comment s'est déroulé le tournage ?

    - Le tournage a commencé aux studios de la Victorine à Nice avec les scènes se déroulant au « Grand Relais », l'auberge où habitent Frédérick et Baptiste; suivaient celles du « Rouge-Gorge », le coupe-gorge de la barrière de Ménilmontant. Jusque-là, tout s'était bien passé, nous devions aborder les scènes se déroulant sur le Boulevard du Crime qui avait été entièrement reconstruit dans le grand parc du studio lorsque sont survenus les événements d'Italie, le renversement de Mussolini et l'occupation de la zone Sud par les troupes allemandes. De Vichy, nous avons reçu l'ordre de rentrer immédiatement à Paris et de tout abandonner. Avec une dizaine de jours de tournage supplémentaire, je pouvais terminer les scènes de foule sur le Boulevard et ainsi sauver le film. J'ai essayé, en vain, d'obtenir ce délai de dix jours. Il nous a fallu rentrer à Paris. Puis, pour des raisons qui sont demeurées obscures, les Allemands ont interdit toute activité professionnelle à André Paulvé.
    Nous pensions donc que nous ne finirions jamais le film lorsque le Comité d'organisation de l'industrie cinématographique, qui deviendra plus tard le CNC (Centre national de la cinématographie), a contacté la société Pathé Cinéma pour qu'elle reprenne le tournage. Les tractations ont duré deux bons mois. Finalement, le film a pu être remis en chantier. A partir de ce moment-là, il n'y a pas eu, à vrai dire, beaucoup de difficultés, hormis celles que nous avons rencontrées de nouveau à Nice. En effet, pendant que nous tournions à Paris, un cyclone a à moitié détruit les décors du Boulevard du Crime. lI a fallu reconstituer le décor tel qu'il était initialement. Cela a coûté la bagatelle de 700 000 francs de l'époque. Pour vous donner une idée, on peut estimer que le film a coûté 55 millions. Aujourd'hui, il faudrait à peu près 2 milliards et demi pour le réaliser. De plus,lorsque nous sommes revenus tourner à Nice, la ville était occupée par les Allemands. Et, alors que les Italiens avaient accepté de nous laisser tourner la nuit sur le boulevard entièrement éclairé avec des projecteurs, les Allemands ont absolument refusé. C'est-à-dire que j'ai dû à nouveau revenir à Paris, reconstituer en studio des éléments de décor et tourner des plans de raccord alors qu'en réalité j'avais prévu de montrer tout le boulevard illuminé le soir de la première au Grand Théâtre et lorsque Debureau et Frédérick Lemaitre boivent le vin chaud à la sortie des Funambules.
    Il faut que j'ajoute une chose au sujet du tournage à Nice. Quand j'ai tourné le carnaval, les Niçois étaient privés depuis quatre ans de leur carnaval; ils s'en sont donné à coeur joie. Ils se sont amusés comme des enfants et c'est à cela sûrement que je dois en partie la réussite de la scène finale.

    N'y a t-il pas eu d'autres difficultés tenant à l'occupation ?

    - Nous étions obligés d'employer un pourcentage minimum de figurants affiliés à un syndicat contrôlé par les Allemands; peut-être parce que nous n'y mettions pas une très bonne volonté, peut-être parce que nous ne respections pas toujours exactement le pourcentage, nous avions fréquemment des descentes de policiers qui se présentaient au studio et qui contrôlaient toute la figuration. Ainsi le jour où nous tournions la scène finale, le carnaval. Un régisseur vient me trouver et me dit : « deux messieurs » demandent Untel (un des figurants). Sa femme vient d'avoir un accident, elle se trouve à l'hôpital et veut le voir. Un peu intrigué, je le charge de dire que ce figurant n'est pas là. Cinq minutes plus tard, le régisseur revient : « Les messieurs insistent. Ils se montrent très vivement émus, disent que cette femme a les deux jambes sectionnées, qu'elle n'a plus que quelques heures à vivre et qu'on ne peut lui refuser la joie de voir son mari. » J'ai malheureusement cru à cette histoire et j'ai fait appeler le « mari ». A peine était-il arrivé au bureau de la régie que les deux types l'ont emmené : c'était la Gestapo.
    Je peux vous citer l'épisode Le Vigan. II devait tenir le rôle de Jéricho, le marchand d'habits. Il en avait composé une silhouette assez extraordinaire. J'ai très exactement tourné un plan avec lui car, quand Le Vigan a réalisé que la guerre allait se terminer par la défaite de l'Allemagne, il a pris peur et s'est enfui à Sigmaringen. Il faut dire qu'il avait tenu des propos antisémites à la radio. Evidemment, il a fallu le remplacer, et ce, du jour au lendemain, ce qui n'était guère facile. J'ai d'abord pensé à Pierre Alcover dont j'avais beaucoup aimé la création dans Drôle de drame et j'ai fait un essai avec lui. Malheureusement, il était très malade. J'ai donc fait appel à Pierre Renoir.

    N'avez-vous pas rencontré d'autres difficultés en ce qui concerne la distribution ?


    - Non. Mais je voudrais vous raconter une curieuse histoire. Au moment où nous devions tourner, Jean-Louis Barrault assurait la mise en scène du Soulier de satin à la Comédie-Française. II n'était pas certain de pouvoir se libérer pour le film. Je cherchai donc une éventuelle solution de rechange et, un jour, je remarquai à l'ABC, célèbre music-hall de l'époque, un mime qui ressemblait de manière frappante à Debureau, grand, mince, le visage légèrement arrondi. Ce mime, c'était Jacques Tati.

    Vous avez mis très longtemps à terminer le film. Pourquoi ?

    - Je voulais que ce soit le premier film important qui sorte après la guerre. Le film est sorti le 22 avril et l'armistice a été signé le 8 mai. Le film terminé, nous avons organisé une projection à Joinville pour les gens de chez Gaumont puisque Gaumont devait l'exploiter dans ses salles. Ils ont manifesté le désir de passer le film en deux époques; la première passant au Colisée et la seconde au Madeleine. J'ai alors rappelé à Paulvé la promesse qu'il m'avait faite de le passer en une seule fois et j'ai ajouté : « Faites trois séances par jour dont une soirée à 9 h avec location. Les gens seront ravis. Contrairement à ce qui se passe habituellement au cinéma, le spectacle durera toute la soirée. Vous pouvez même, comme au théâtre, faire un entracte. » J'ai obtenu gain de cause. Le film est resté cinquante-quatre semaines en exclusivité dans les deux salles...

    Interview de Marcel Carné proposée aux visiteurs de Rien ne te soit inconnu par Bienvenu Merino

     

     

     

     

  • MARCHER, UNE PHILOSOPHIE ❘ FREDERIC GROS

     

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    Frédéric Gros pouvait s'attacher aux pas d'André Hardellet qui fut un promeneur calibré pour figurer dans son essai respirant le grand air. André Hardellet, l'auteur de La Promenade imaginaire, de Donnez-moi le temps insista suffisamment (mais d'une voix semble-t-il trop sourde) en faveur de la marche, plus particulièrement de la flânerie, pour qu'on le place en exergue d'un ouvrage qui médite sur les coordinations de la promenade et de la pensée. C'est qu'en effet, Hardellet allait et, allant, écrivait ce qu'il n'avait plus ensuite qu'à copier.

    C'est tout le coeur palpitant du livre de Frédéric Gros, passionnant, haletant (je l'ai lu puis aussitôt relu) qui met ensemble dans Marcher, une philosophie, tous les actes vraiment rafraîchissants qui résultent de la marche à pied par monts et vaux, par rues et routes plus ou moins rectlignes.

    Ainsi est-il question de Nietzsche, de Rimbaud, de Thoreau, de Nerval, de Kant, de Gandhi et toujours des bénéfices de la promenade sur l'exercice de la pensée. Ceci dans un style d'arpenteur qui préfère la pente à la plaine.

    "En marchant, on échappe à l'idée même d'identité, à la tentation d'être quelqu'un, d'avoir un nom et une histoire. Etre quelqu'un, c'est bon pour les soirées mondaines ou chacun se raconte, c'est bon pour les cabinets de psychologues", Frédéric Gros.

    MARCHER, UNE PHILOSOPHIE

    Frédéric Gros

    Editions Carnets Nord

    302 p., 17 €

    www.carnetsnord.fr

     

    Frédéric Gros

    Frédéric Gros

    Frédéric Gros est professeur de philosophie à l’université Paris-XII. Il a travaillé sur l’histoire de la psychiatrie (Création et folie, PUF), la philosophie de la peine (Et ce sera justice, Odile Jacob) et la pensée occidentale de la guerre (Etats de violence, Gallimard). Il a édité les derniers cours de Foucault au Collège de France.