Il y a des jours où les fameuses coïncidences significatives repérées par Carl-Gustav Jung se précipitent en cascatelle. Ce dimanche-là, j'emmenai ma fille (âgée de 7 ans) voir Le Ballon Rouge d'Albert Lamorisse au cinéma. Elle verrait ainsi les hauts de Ménilmontant tels que je les connus à l'âge de 7 ans. Et elle vit : la façade de l'école où je fis mon apprentissage de lecteur, le 96 et sa plate-forme qui accueillait les contemplatifs, les terrains vagues et passages étroits qui composaient, à la fin des années 1950, le décor sinueux de ma Babel. Elle vit aussi Renaud qui deviendrait le chanteur que l'on sait, drôle et séditieux puis ...
Le soir était tombé. Vint ce temps mort (d'après le repas) où l'on hésite entre lire et s'affaler devant l'écran de télévision. Je m'affalai devant Dernier Domicile Connu, le film de José Giovanni datant de 1970. Je l'avais vu à sa sortie mais avais oublié qu'il était en partie une dérive parisienne guidée par Lino Ventura alias Marceau. Un moment, je me retrouvai au bas de la rue des Couronnes. Marceau avait franchi le 18, un portail qui donnait sur les décombres de la rue du Pressoir que les boules de fonte venaient tout juste de pulvériser.
La rue du Pressoir est cette artère légèrement flexueuse qui relie la rue des Couronnes à la rue des Maronites. Dans la courbe, au 25, se trouvait l'entrée de l'immeuble où je vécus jusqu'à mes 7 ans.
Je finis par me coucher, habité d'images de gravats et de sucre (l'onctueuse et aigrelette nostalgie) et saisis le livre à mon chevet. Celui que j'allais terminer s'intitulait Les Parisiens. Cette étude de Louis Chevalier, professeur au Collège de France et auteur de L'Assassinat de Paris, subversif ouvrage, finissait sur ces mots :
"Un dimanche après-midi d'automne. Le hasard fait que j'achève du côté de Belleville ce livre commencé il y a sept ou huit ans. Une foule va et vient, qui ne ressemble pas à celle d'alors, toute une Méditerranée exubérante et joyeuse qui submerge la tristesse kabyle. Le café de la rue du Pressoir n'est plus là, où, dans la tabagie des fins de journée, nous prêtions l'oreille aux propos et aux bruits du faubourg : s'il en reste quelque chose, c'est peut-être ce caillou de belle et bonne pierre qu'un gamin pousse du pied au bas de cet édifice de béton."