En ces temps régressifs où l'Homme est invité à se diluer dans la valeur Travail, La Soeur de l'Ange, revue dirigée par Didier Bazy, se demande : "A quoi bon résister ?" Les réponses à cette question cruciale proviennent de différents sursauts face "à tout ce qui pue la mort". L'éditorial agite bien justement "l'impératif catégorique de notre époque conditionnée par les contrôles puissants et insensibles de l'instrumentalisation généralisée où l'argent comme réponse à tous les problèmes tient une part de moins en moins négligeable." Selon Didier Bazy, l'état d'urgence coïncide avec la nécessité de "devenir un vivant sauvage." Sauvage, c'est-à-dire en résistance armée de mots, en dépit du risque, de l'incertitude, de l'aléatoire.
Entretiens, épîtres, études, philippiques et même une fiction de Jean-Luc Moreau plus qu'éclairante composent un élan de front et une véritable mise en garde contre les menaces de néant voire d'apocalypse si l'on en croit Jean-Louis Cloët dont le propos très vigoureux annonce le meilleur du pire. Des figures considérables sont appelées à définir le besoin de résistance sinon la fin de partie : Antonio Negri, Samuel Beckett, Antonin Artaud, Paolo Virno, William Shakespeare, Henry David Thoreau, Friedrich Nietzsche, Georges Henein ...
Par ailleurs, cette livraison pose la question des pouvoirs de la poésie dans un monde en crise (et l'on songe à l'interpellation d'Hölderlin : "Wozu dichter in durftiger zeit/Pourquoi des poètes dans un temps de manque ?") à travers l'oeuvre de René Depestre.
La Soeur de l'Ange poursuit ici son exploration du Grand Jeu (Roger-Gilbert Lecomte, René Daumal, Roger Vailland, Pierre Minet, Josef Sima, Artür Harfaux, Maurice Henry, Hendrik Cramer, André Rolland de Renéville, Pierre Audard, André Delons, Monny de Boully, Zdenko Reich, Roger Caillois) avec des contributions de Claude Fournet et d'Alain Jugnon. Signalons que Le Grand Souffle éditeur de cette revue a eu l'excellente idée de publier récemment deux livres inévitables d'André Rolland de Renéville (Rimbaud le Voyant et L'expérience poétique ou le feu secret du langage) et l'essai de Michel Random, Le Grand Jeu, les enfants de Rimbaud le Voyant.
Pour finir, ce remarquable volume de réflexions intempestives livre un texte du compositeur et guitariste Richard Pinhas (extrait des Larmes de Nietzsche, Deleuze et la musique, Flammarion, 2001) faisant l'apologie du plan de vie et du plan de composition ainsi qu'une lettre d'Armand Robin parue dans Le Libertaire du 29 novembre 1946 au sujet du Comité d'Epuration pour les Lettres. Comme on peut l'espérer de l'auteur de Le temps qu'il fait (l'une des plus belles fictions de tous les temps), il prend à la gorge les "poétereaux bourgeois" :
" Ils m'ont banni de leur compagnie, que je fuyais ; ils m'ont exclu du monde de la vanité et des intérêts, ce que justement je cherchais ; ils m'ont désigné au mépris et aux railleries de ceux qui se mettent du côté des puissants, ce que justement je désirais. Ils ont eu raison : venant des travailleurs et m'obstinant malgré les réactionnaires "communistes" à vivre parmi les travailleurs, refusant de faire le beau dans les salons, les cafés littéraires, les antichambres où il est de bon ton qu'un écrivain soit lâche, j'ai osé, scandale des scandales, être poète ! "
Saluons galure bas ce numéro très chaud et Jean-Luc Moreau (merci docteur Zeugme !) pour les lumières qu'il apporte sur Charles Nodier (un pionnier de la Nouvelle Fiction !) dans sa préface à La Fée aux miettes, ouvrage sur lequel je reviendrai prochainement.
La Soeur de l'Ange n°5
Dossier A quoi bon résister ?
Editions Le Grand Souffle
www.legrandsouffle.com
http://revuelasoeurdelange.hautetfort.com/
La Fée aux miettes
Charles Nodier
Avant-propos, postface et notes de Jean-Luc Moreau
Editions Michel de Maule
41, rue de Richelieu
75001 Paris