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  • MICHEL CHAMPENDAL ❘ A GUY DAROL EN SOUVENIR DU FUTUR

     

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    Il faut des cures de Grand Wazoo (Ryko, 1972) pour amadouer, dans la liesse, les instants de karma que furent ma vie avec Michel Duprey (1953-1982) et Michel Champendal (1954-2009), deux aminches chers, deux camaros trop vite happés par la faulx. Pas un jour sans le manque.

    Pour adoucir le manque, The Grand Wazoo est le meilleur véhicule, un transport qui m'emmène au temps des écoutes ludico-savantes, sapiento-déconnantes, temps sacré qui se perd désormais dans le grand rétroviseur.

    En 1995, Michel Champendal publiait ses Mémoires, ses étranges Mémoires intitulés A Guy Darol, en souvenir du futur. C'est dire quel lien spatio-temporel nous unissait. Dans ce petit livre à le couverture bleu ciel, l'aminche des dérives diurnes-nocturnes exposait ses facettes, ses tours d'écriture, ses goûts pour Louis Lecoin, Emma Goldman, Gaston Criel, Alphonse Boudard, Erik Satie, Julien Blanc, Georges Brassens, Frank Zappa, Gustave Flaubert, Sébastien Morlighem, Jacques Aboucaya, Epictète, Albert Paraz, Guy Darol (mais oui !), Lucien Suel. Tout était dit des élans et de l'épanchement vital qui caractérisaient ce revuiste-poète-épistolier-flâneur-bibliothécaire-éditeur-pacifico-libertaire. Tout était semencé et de l'herbe a poussé, des oisillons sont devenus fleurs, les brins sont à présent grandets. Seulement, le manque est le manque et Champendal n'est pas fumée, tout comme Michel Duprey. Leurs battements de cœur se confondent aux miens.

    Je ne sais si le livre existe toujours mais il fut publié naguère par Lucien Suel à l'enseigne Station Underground d'Emerveillement Littéraire. Programme que nous ne cessons de revendiquer.

    CONTACTER

    LUCIEN SUEL'S DESK

    A GUY DAROL, EN SOUVENIR DU FUTUR

    Michel Champendal

    EDITIONS S.U.E.L.

    102 rue de Guarbecque

    62330 Berguette

     

    ISBN 2-909834-16-6


     

     

  • MICHEL CHAMPENDAL EST, A ETE, SERA

     

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    « Michel Champendal est né le 5 juillet 1954 à Paris. Poète Epistolier et Prosateur Piétonnier, ce Promeneur âgé de trente-cinq ans cultive l’amour de la vie et l’amitié sous toutes leurs formes.

    " Je n’ai rien d’autre à faire qu’aujourd’hui " est sa devise. Son ambition ? Mourir à cent six ans, après avoir lu beaucoup de livres, en avoir écrit quelques-uns, reçu et distribué le plus de bonheur possible. Pour Michel Champendal, la littérature doit se nourrir de la quotidienneté et non l’inverse. Jusqu’à ce jour, ses activités de professionnel du livre, successivement typographe, puis animateur de deux revues, bibliothécaire, journaliste, libraire-éditeur, correcteur et maintenant écrivain, tendent à faire partager le plaisir de la lecture et de la découverte, celle de soi et des autres, à travers l’élaboration d’une littérature populaire de qualité. »

     

    Ainsi se présentait, en 1989, le frelor, un mot que nous avions inventé pour nous désigner l’un l’autre. Frelor : contraction de frelot (frère en argomuche) et d’or du temps.

    Michel était le Champami des rendez-vous hebdomadaires, ceux que nous posions, généralement le mercredi, jour de l’enfance oisive, pour explorer ensemble Paris et sa banlieue.

    Excellents dériveurs (selon une tradition qui va de Léon-Paul Fargue à Internationale Situationniste), nous arpentions souplement bitume et vestiges de sentiers champêtres. Souvent le hasard qui, comme tout le monde sait, n’est jamais hasardeux, nous menait sur les buttes montreuilloises jalonnées de chemins tortueux et versicolores à l’exemple du ruban jaune que déroule The Wizard of Oz, ce mode d’emploi cinématographique du Merveilleux.

    Ce que nous cherchions : l’intangible rencontre, celle d’une image collant un mot, celle d’un mot qu’une image fait jaillir. Le monde, nous le regardions équipés des jumelles qu’Alfred Jarry, Alphonse Allais, Raymond Queneau, Lewis Carroll ont manufacturé. Nous déambulions sans but, aussi sans connaître la fatigue ou l’ennui. Fécondes, nos dérives étaient des livres faciles à écrire pour peu que l’on consente à la station assise.

    Nocturnes flâneries autour du Châtelet ou de la Bastille, Paris, nous le chantions sur des arias composés par Zappa. Le frelor connaissait sur le bout des doigts et des lèvres certaines des chansons du pamphlétaire californien. Une nuit, sur le Parvis de Notre-Dame, nous fendîmes la cloche de silence d’un « Billy The Mountain » plus haut et plus pointu que la version Flo & Eddie donnée sur l’album Just Another Band From L.A. Paris n’en fut pas réveillé mais des portes s’ouvrirent et avec elles des gueules de gargouilles hargneuses.

    L’humour, la joie étaient nos transporteurs. Lorsque le sommeil alpaguait, nous nous quittions contents car rassasiés de jeux. Le lendemain, on se retrouvait à travers le papier. Glisser le stylo sur les feuillets d’hypnos occupait l’autre partie du temps.

    Les épîtres que l’on s’échangeait (chaque jour ou à peu près) planifiaient des bonheurs : livres à lire, films à voir, musiques à écouter, promenades à effectuer en suivant les lois du hasard.

    Je connus le frelor aux temps anciens de la Presse Underground. Il éditait Poésie Ininterrompue puis L’Arbre Bleu, je chroniquais dans les colonnes du quotidien Libération, le quotidien pluriel de l’invention permanente. On s’estimait sans s’être jamais serré la pince. Puis vint la Librairie Michel Champendal, sise rue du Faubourg-Poissonnière, lieu foisonnant de contacts magiques (et de Mail Art dont il était un propagandiste et collectionneur majeur) où je fus invité à signer Le Couloir, mon premier roman. Adoubement avec beaux témoins : Hubert Haddad, Georges-Olivier Châteaureynaud, Jean-Luc Moreau, Meyer Sarfati, Eric Holder, Orlando de Rudder, Jean-Yves Reuzeau, Serge Safran, Guy Prévan, Elie Delamare-Deboutteville, le regretté Claude Herviant, tant d’autres. Au centre de cette coalition d’amitié, Michel ne trônait pas. Il allait et venait d’un battement de cœur à un autre. Il était le lien. Il était le passeur.

    Passeur, il fut. S’agissant de littérature, il importait pour lui qu’un lecteur démuni puisse s’enrichir d’une œuvre imprimée comme on acquiert chaussures à sa taille. Lorsque les pieds sont munis d’ailes alors l’agréable s’aggrave.

    Avec le frelor, littérature devenait posologie, une méthode pour aller léger, sans surpoids pouacre, sans cailloux pesant sur l’estomac. Il n’avait d’autre souci que d’éliminer la surcharge.

    Aller léger avec Henry Miller, avec Lawrence Durrell, avec Joseph Delteil. C’est ainsi que nous voyagions, le rire suspendu aux yeux, lueurs aux lèvres.

    C’est ainsi que j’imagine à présent le voyage qui se poursuit au-delà des choses visibles. Michel Champendal a replié son parapluie mais nul ne peut dire qu’il n’est plus. Le frelor est. Le frelor a pris l’autre route et peut-être cela a-t-il à voir avec le ruban jaune ou Lost Horizon, un film de Frank Capra que nous admirions. Il n’y a pas de fin au ruban jaune, sinon peut-être la cité d’Emeraude maçonnée avec l’or du temps.

    Dans Lost Horizon, Shangri-La figure le lieu où rien ne s’achève.

    Avec le frelor nous partagions quelques convictions (un inaltérable engouement pour Henri Calet, Georges Perros, Gaston Criel, André Hardellet, Julien Blanc, Armand Robin) et aussi cette idée (ou plutôt cette tautologie) que la mort n’existe pas. Nous le répétions souvent. Comme une insulte à la bêtise, une saine provocation. L’être permane après que le corps a lâché les amarres.

    Le frelor est, a été, sera. Il chemine au-delà de toute apparence, dans cet espace plus loin qui ne figure sur aucune carte. Il va. Il va léger.

     

  • FRANCK DIT BART

    Franck Dit Bart est un écrivain jouasse qui ne pratique ni le style émacié ni le propos de marbre. Il vient de faire paraître un premier roman aux éditions Michel Champendal. Carl et les vies parallèles est une histoire où tout est mis à nu. L'auteur qui porte un alias "à coucher sous un chapiteau de cirque" (sic) en connaît un rayon. Sur le poil et la dépoilade, il n'est jamais bredouille. Munificente voire sardanapelesque, son écriture renvoie (sans un haut-le-coeur) à Raymond Queneau et à Octave Mirbeau, à Boris Vian et à Henri Avelot (dont on finira bien par Goncouriser avec un siècle et demi de retard son Homme verdâtre et sa Comtesse tatouée). Le livre est grave mais désopilant. S'il ne tenait qu'à moi, je le sanctionnerais sans le moindre procès d'un Prix de l'Humour Encore Plus Noir. A cette copie dépourvue de ratures, de péguysme et de tralala, je mets 20 sur 20. Et encore, en notant vache. Merci Michel Audiard. Merci Robert Dalban. Et à présent, suivons le Bart.

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    Guy Darol : « Le corps se désharnache et voilà le Misissipi. » Comme Joseph Delteil, tu es un prosélyte de la vie nue. Est-ce ainsi que l’on ment le moins ?

    Franck Dit Bart : Si ne pas mentir c’est se mettre à nu, aux nues, alors dans ce cas : « Sans être asservis par l’ignorance comme le sauvage, nous devenons physiquement libres comme lui, en nous plongeant dans l’eau ; nos membres n’ont plus à subir le contact des odieux vêtements et, avec les habits, nos laissons aussi sur le rivage une partie de nos préjugés de profession ou de métier ». Je pense qu’Elisée Reclus dans son Histoire d’un ruisseau paru en  1869 est toujours d’une vibrante actualité. Son ouvrage avait des visées pédagogiques. C’est le géographe qui nous relate les dérivés à choix multiple du ruisseau qui grandit sous les galoches de l’écrivain sur le terrain. Cette démarche, je la rapprocherais du Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suéde de Selma Lagerlöf (1906). On croit rêver ! Un ministère de l’Education qui prêterait main forte au fait littéraire pour offrir à partager aux enfants d’un vaste pays, ce voyage dans les airs. Henri Poulaille ne s’y est pas trompé quand il nous décrit l’importance de cet ouvrage pour des générations présentes et avenir : « Avec quel amour l’ancienne petite maîtresse d’école écrivit ce joli roman et quelle charmante moraliste qui  a toujours de la peine à punir ou blâmer les coupables ! Ce petit Nils, mauvais garnement, est ensorcelé, car il avait taquiné un tomte. Devenu tomte lui-même, il fera en compagnie d’une tribu d’oies sauvages, une magnifique randonnée à travers la Suède. (…) Quel gosse ne désirerait pas être transformé en tomte ?» (quatrième de couverture de l’édition Presse Pocket).

    Etre et se vivre naturiste c’est aussi être capable selon moi de jouir cette osmose sensorielle au naturel, le corps et l’esprit allégés des matières organiques qui nous niquent la couenne. Seulement devenus adultes, nos « habitus » gouvernent la danse, nous rattrapent toujours et rappellent comme un écho à leurs bons souvenirs. Et pour ne pas gâcher la touche finale du tableau, quoi qu’en dise le discours naturiste lénifiant, un ouvrier nu et un cadre nu se différencient aussi par l’élément moteur de leur acharnement à respecter les rouages du travail salarial. La force de travail (quel vilain mot belliqueux !) a usé celui qui s’échine avec la machine, alors que le scrutateur des œuvres, lui, a usé ses fonds de frocs à la chaise de son bureau. Celle ou celui qui écrit disperse ses neurones mais ne ressent pas les courbatures d’une tâche effectuée et répercutée huit heures durant. Alors, à savoir comment la fatigue se délite la géographie physique, tout est question de soudure et d’arthrite métrique.

    Et puis finalement, le corps nu ne ment  pas, il est tel qu’en lui-même sujet à l’érosion, à l’érotisation naturelle du temps qui nous câline la peau et nous susurre ses mots doux. C’est une sensation agréable à tous les stades de l’existence de se sentir seulement vêtu du souffle du vent, des embruns, de l’humus et toutti corpus.

    Nu, le cul à l’air tout se joue dans le regard à autrui, puisque les artifices colifichets des frusques se défrisent la patine coton et synthétique jetée aux oubliettes. L’autre perçu tel qu’en lui-même, il n’y a que ce qui se balloche le swing dans les caboches qui n’est pas perceptible et tout est affaire d’interprétation, d’où aussi les malentendus, les conflits sous-jacents et la fraternisation du réconfort avec l’effort de communication sans les atours et les sous-entendus des sans dessous dessus.

    Les corps fusionnels dans la nature murmurent à l’étamine cette mine réjouie.

    GD : De la vie nue au naturisme, il y a un saut que le héros de ton roman n’hésite pas à franchir. Mais ce n’est pas sans obstacles ni périls. Pourquoi as-tu choisi ce thème plutôt que celui du déguisement ?

    medium_DSC00487.3.jpegFDB : Ah ! Parce qu’il y a une différence tangible entre la vie nue et le naturisme ? Tu as sans doute raison. A ma connaissance les personnes qui se respectent un tant soit peu beaucoup et à la folie ont une certaine tendance à se laver nu sous leur douche, sauf impondérable du jetable à la rue qui lui se lave dans le caniveau aux grandes eaux des pluies et aux alluvions du déni de sa réalité. Car, c’est toujours dans les marques du corps nu altéré que les régimes totalitaires gravent leurs empreintes à la soumission au régime. Je pense aux premiers camps de concentration en France ouverts aux réfugiés anarchistes et républicains espagnols, en signe de bienvenue au fait d’arme du front populaire infirme au-delà de ses frontières étriquées et son hexagone à phone.

    Je pense aussi aux nazis avec leur humour très particulier qui désignaient l’univers concentrationnaire sous l’appellation de l’anus du monde. Ces lieux abjects où le travail forcé devait rendre libre et cette mise à nu du corps des prisonniers. Comme pour leur rappeler que la légèreté de l’être s’arrêtait à la porte des douches gazées que l’individu concerné avait perdu toute son allure de dignité au propre comme au figuré de sa fêlure.

    Alors, si à présent le nu dans l’intimité déborde de no sphères pudibondes familiales, mais que fait la peau lisse savonnée du cerveau sous le képi rutilant des consciences assoupies ?

    Mon héros qui parle, que nous appellerons Carl, par commodité et pour le rappeler au titre du bouquin  Carl et les vies parallèles, a franchi le pas et il y a péril en la demeure. Madame flanquée de ses lardons et la croix en sautoir n’est pas du tout de cet avis et encore moins de son vit à lui. Elle est engoncée pour ne pas dire engrossée dans sa panoplie (ça ne fait pas un pli, rires) des préceptes de la bienséance en jactances et autres actes rances qui inhibent ses facultés sensuelles à s’assumer en tant que femme épanouie.

    Le héros s’est affranchi de ce carcan qui lui collait à la peau et vaque durant trois semaines à la rencontre fraternelle des culs nus dans la nature sur une plage, (une nouvelle page en quelque sorte pour lui, puisqu’il est auteur précaire) et, son imagination dérivative va lui faire franchir des obstacles insondables au ras du cartable.

    Il rencontre celle qu’il va nommer Catharina,  l’antithèse de sa moitié à la ville et tout bascule dans sa tête et c’est plutôt pas vraiment moche ses premières impressions. Il réalise enfin le rêve éveillé de chaque auteur(e), c'est-à-dire rencontrer en chair et os l’un de ses personnages avec tous les risques inévitables que cela supporte pour son équilibre mental.

    A propos du déguisement, je pense que tu veux parler de cette scène du habillé / déshabillé où je tourne à peine en dérision certains préceptes naturistes en journée qui se transforment à la nuit tombée. Je marque le trait et retourne les armes de la libération du corps par le nu, puisque soit disant le nu doit se vêtir au crépuscule sous peine d’atteinte à la pudeur majesté selon certains dogmes naturistes en vigueur. Catharina, femme libre au sens de la révolution espagnole, le déplore et rue dans les brancards à son corps suprême contre les censeurs qui s’en prennent directement à la liberté du mouvement dans sa danse, que l’on veut annihiler, sous prétexte qu’avec ce corps à corps rapproché aucune image empreintée à la sexualité ne doit être palpable en public.

    Mais, je n’ai pas envie de déflorer plus avant le sujet. Je laisse une part de mystère et j’accorde à la sagacité et à la curiosité des lectrices et lecteurs le soin de formuler leur propre opinion, avec j’espère au moins le sourire syndical pour ne pas dire plus, les éclats de rire qui dérident le chacal sous la lune pale.

    Il y aussi le jeu des masques dans notre théâtre quotidien de l’absurde. Carl décide : bas les masques, les poils cramoisis en éventail.

    GD : Carl et les vies parallèles manie une langue que les lecteurs de Raymond Queneau apprécieront. Peux-tu nous faire visiter ton vestiaire afin de mieux connaître tes modèles ?

    medium_DSC00524.3.jpegFDB : Merci pour Raymond Queneau, ce mathématicien des mots, ce joueur invétéré. Cette oulipotiste, ouvroir de mille pistes d’écritures avec toute sa bande, ce chercheur invétéré, cet inventeur à qui nous devons quelques perles rares de la littérature. Il s’avait s’entourer de pointures à la bonne augure où les humeurs vagabondes avaient valeur de travail fraternel et fructueux. Les papous dans la tête sur France Culture ont gardé cet esprit qui permet à la contrainte littéraire de se jouer des situations et offrir un point de non-retour à la page blanche collective.

    Je n’ai pas de modèles à proprement parler même si je reconnais que mes zones d’influences se sont forgées au fil de mes lectures et s’articulent principalement autour du tandem Jacques Prévert et Boris Vian, ces touches à tout, d’en avant la zizique, aux paroles de chansons, scénarios, textes en vers en prose…

    Cette fraternité festive régnait autour d’eux et surtout ce qui a le plus d’importance à mes yeux, c’est leur indépendance d’esprit à toujours se garder d’appartenir à un mouvement et de pointer à un parti ou à un syndicat et leur anticonformisme militant qu’ils vivaient au quotidien. Ils existaient ce qu’ils étaient vrai ment, tels qu’en eux-mêmes en se gardant au maximum de s’appesantir à des compromis. Cette liberté d’existence, au gré de leurs invitations aux voyages créatifs et leurs rencontres, cette générosité partagée, cet état d’esprit permanent habite leurs œuvres dans la richesse de leurs variétés. Et je pense que ce n’est pas un hasard si à un moment de leur existence ils partagèrent la grande terrasse de leurs appartements et que la fête commence et sus aux curetons et aux milos !

    GD : Tu cites Ramon Pipin comme une référence d’écriture et tu sembles prêt à dresser une stèle à Daniel Zimmermann. Mais qu’ont-ils en commun ?

    medium_DSC00687_20copie.jpegFDB : C’est vrai à la haute sphère des paradoxes, je ne suis pas à un échange prout prout de mammouth près. Je touche à la mouche emblème de Ramon lors de son épopée musicale chez les Odeurs, un groupe jamais égalé par sa richesse musicale et ses textes qui faisaient mouche à la manière d’un Boris Vian qui tirait la tronche au néant et, Le dixième cercle. L’anus du monde  de Daniel Zimmermann, ce roman qui lui déchira les tripes et qu’il dédia aux trente sept membres de sa famille qui furent réduit à que dalle à de la cendre !

    Daniel je l’ai connu durant ses deux dernières années où il enseignait à la fac de Vincennes à Saint-Denis en 1989 et 1990. Ses unités de valeur, son gueuloir où chaque étudiant en fin de semestre devait lire une partie de ses écrits ou autres recherches devant ses pairs et était dévolu à la critique bienveillante. Il nous narrait durant la première partie de son cours ses déboires avec la gent de l’édition et puis nous laissait écrire ensuite à notre guise.

    Ce qui me passionnait chez lui c’était son ambition de conter Les banlieusards ou les chronique légendaires de gens sans importance, un hymne en quelque sorte à la narration des cités-dortoirs et des villes nouvelles à la sauce popu qui jette son dévolu sur ces gens-là qui peuplent notre voisinage et nous défrisent une autre part de notre histoire.

    J’aimais sa gouaille, son stakhanovisme et sa rigidité dans sa vie monacale d’écrivain au service de sa plume et de ses lecteurs, avec sa façon à lui de nous narrer entre les lignes : « Vous savez que vous me faites chier, j’étais à ma table de travail et il a fallu que je me rende à la fac ce mercredi matin ».

    Ramon, c’est une autre histoire qui fleure bon les Au Bonheur des Dames, cette façon qu’avait et qu’a toujours dixit leur dernier opus Métal Moumoute et leur dernier concert à Paname en octobre de cette année, ces musicos créateurs en passe de swinguer en avant la zizique, le rock on the padoque qui tire une bouille d’embrouille au sérieux qui tue dans la mue. Ces types extraordinaires, pour solde de tout compte, à peine soixante printemps et des poussières en moins et toujours les nerfs à gueuler toujours plus fort et sus au confort musical de nos années stomacales moches, cache-sexe à nœud-nœud qui soufflent dans les pneus. C’est le poumon ! J’adore toujours autant « Le roque’n Roll » décadent. Je dois à Ramon et à ses compères mes meilleurs souvenirs / souvenirs quand je me faisais jeter illico presto de toutes les boums lors de l’arborescence de mon adolescence, quand j’avais l’outrecuidance, je dirais même plus l’indécence de proposer à danser sur un « Parkinson » des familles. Je suis infiniment reconnaissant à Ramon de m’avoir fourni un ressort inusable à toujours vouloir affirmer ma singularité étriquée et ne jamais avoir marché avec les moutons au pas cas dansé.

    Ramon c’est toujours le tempo inusable de l’humour on the rocks et Daniel c’est l’apprentissage du dur labeur d’auteur et la remise en question de son travail et la remise à plat sur son établi des sons fournis par les mots qui doivent se guincher des histoires avec un accord parfait, sinon à la poubelle les feuillets et tout est toujours à recommencer.

    En fête, j’aime les oppositions et les contraires qui s’accordent sur une mesure d’enfer à ne jamais trinquer avec le conformisme de mise en orbite ambiant.

    GD : Ensemble nous avons souvent évoqué Frank Zappa, Robert Wyatt et ton roman fonctionne comme une bande son. Est-ce à dire que la littérature du 21e siècle est indissociable de la pop culture ?

    medium_DSC00683.jpegFDB : La pop culture, je retiendrai le Pop club de José à la cour du roi Arthur ou « T’es rock coco » de Léo Ferré. Les petits jeunes qui gratouillent leurs grattes et pleurnichent leur chtouille et leurs couilles en grelots me donnent la gerbe. C’est souvent très pauvre comme musique, pas de ligne mélodique, aucun thème, encore moins de tempo et des voix de radio cancan. Comme critique partiale on ne fait pas mieux, de poils aux yeux. C’est le vieux de la vieille qui se réveille à l’heure du rock en cloque. Tu l’auras compris, en fête, franchement, je ne suis pas à même d’affirmer si la littérature du 21e siècle est ou sera indissociable de la pop culture. Le rock que je supporte de toutes mes forces, « Tape dans tes mains / C’est pas difficile / Tape dans tes mains / Ca fait du bien / Tape dans tes mains / Même si t’es un peu débile / Tu peux toujours taper dans tes mains (bis) (« Tape dans tes mains » / Ramon Pipin in l’opus Métal Moumoute), c’est les Au Bonheur des Dames, les compositions les textes et les chorus de ce cher Ramon ainsi que les premiers rocks pour déconner du trio infernal : Boris Vian / Henri Salvador et Michel Legrand. Tu remarqueras qu’au moins deux des concepteurs marinaient dans le jazz. Etonnant non ? J’ai relu dernièrement une interview de Daevid Allen le Gong man, qui disait que ses racines musicales c’était le jazz, même si ce génie a touché à toute sorte de ziziques. Il suffit d’écouter sa version chantée de « So what » de Miles Davis pour en être convaincu. Pour moi la pop et le rock n’ont jamais existé. Ce sont des musiques hybrides qui se sont nourries des autres musiques au préalable venues à leurs esgourdes. Idem pour le jazz. La musique dite classique qui peut se prévaloir d’être aussi très moderne avec des compositeurs comme l’ami Satie et ainsi de suite. La grande roue de ce cher Frank Zappa tourne. L’innovation qui m’est chère dans l’écriture littéraire les rythmes musicaux, c’est un savant métissage de différents courants éclectiques, ce sont des bombes à retardement qui ne demandent qu’à être amorcées.

    En revanche, je compatis avec ton expression de la bande son de mon roman et je rajouterai de tous mes écrits littéraires. Quand j’écris, j’écoute beaucoup de zizique, c’est un besoin, c’est comme une drogue douce. C’était une période (rires) où j’étais en manque d’Odeurs. Je ressortais mes vieux vinyles qui cracrataient à force d’avoir usé leurs sillons aux diamanteries des grand argentiers et puis, j’ai écouté en boucle le 1980 No Sex ! J’ai flashé sur la voix de Stella Vander dans son duo avec Liza Deluxe où elles interprètent (chez Odeurs, les musiciens des voix et des instruments étaient aussi acteurs de leur partition, pour te dire la qualité) deux bourgeoises jumelées dans « Quitte ou double ». La magnifique Stella « phantasme en cinérama » hors du lit de son « mari-robot » bourgeois coincé aux entournures et abonné à la baise à la papa. Liza dialogue avec son double Stella qui jette l’éponge et veut demeurer dans son confort intérieur alors que l’autre au contraire veut se faire sauter la soupape à tous les sens du terme. Ces deux nanas chantaient avec leurs tripes soutenues par une musique bien balancée, ça m’avait rudement secoué. Stella ne m’était pas inconnue avec son gorille de mari, le bateleur tape dur des grosses caisses et qui cymbalisait une nouvelle langue qui ressemblait à de l’allemand et dansait sur un volcan avec ses musicos. Quand j’étais ado, ce groupe me fichait la pétoche. J’étais embué dans mon Krautrock (tiens encore du rock, on y revient, il est partout ce con !) et je n’en démentais pas. Vingt ans après Alexandre Dumas de père en fils sur les bras et des poussières d’étoile, je me prends à écouter les albums récents du Magma et je retrouve la voix de Stella et ses envolées lyriques. Je me suis dit : c’est dans la boîte coco, elle sera présente dans mon bouquin. Idem dans le roman qui a succédé à Carl : Sarah Soledad, le crabe des apparats). J’avais assisté à un concert de Kent qui était revenu à ses premières amours : le rock quoiqu’un peu assagi. (Putain de rock, encore lui !). Je peux te dire et ce n’est pas un scoop, le dernier concert des Au Bonheur des Dames sera présent dans l’ouvrage que j’écris en ce moment. Tu m’es stone !

    Seulement écrire, décrire un concert, tu peux raconter l’ambiance, la prestation des musicos, mais à part ça, rien que de plus banal qu’un concert ! (A part les Odeurs, où il y avait des costumes, une mise en scène, l’éventail, et pas pour du vent, de leurs palettes musicales !!!!!!!!). Alors, il faut chercher dans l’intrigue l’élément déclencheur entre les personnages et, ce qui présuppose leur présence à ce concert. C’est pas fastoche fastoche surtout pour un mec allergique aux notes et aux partoches.

    C’est finalement du boulot d’écrire des histoires !

    Petits clins d’œils à Frank Zappa en l’honneur d’un fin connaisseur, sais-tu une fois comme on dit en Belgique, que dans mon roman « L’homme qui a vu l’homme », le héros résout  l’équation de son existence en 47 secondes : « When irish eyes are smiling ».

    Dans « Danse avec Léa » à la première page, l’écoute de « Titties and Beer » déclenche chez Léa l’expression de sa joie de vivre.

    Comme quoi, quand mon cerveau lent ne carbure pas au ralenti, Zappa peut me donner l’envie de conclure un bouquin ou au contraire lui donner la pulsation du départ.

    GD : Qu’est-ce qui tourne sur tes platines ces jours-ci ?

    medium_Zappa_2_vu_par_Gil_Gueu.jpgFDB : Oh ! C’est très varié. Attention j’ai pas dit variété. Le dernier album de Kent, Bienvenue au club, me botte. J’aime écouter les gens qui me surprennent. Kent comme Charlélie se remettent en question à chaque album et aiment prendre des risques. J’apprécie leur démarche de ne jamais tourner les turbines de la routine. C’est un peu comme Daevid Allen qui plaquait tous les groupes qui commençaient à avoir du succès (Soft Machine, le Gong). Ce ne sont pas des musiciens fonction de nerf. Frank Zappa, j’en ai déjà parlé, avec une préférence pour ses albums live où l’on ressent une grande liberté chez ses musiciens dans la complicité et les éclats de rires partagés, après qu’il leur ait pressé le zeste de citron. Il y a bien entendu l’incontournable Métal Moumoute, dernier opus des Au Bonheur des Dames. Tous les morceaux me décoiffent la raie au milieu des fesses. Il n’y pas un seul cheveu à couper en quatre et pourtant je suis difficile. Suite à la lecture de ton site, j’ai découvert dernièrement Le monde électronique de François de Roubaix et j’ai bien aimé.

    Ah ! Oui, j’aime aussi toute l’œuvre tendre et tentaculaire des « Elles », j’adore Pascaline Herveet, cette femme orchestre et son univers chtarbé et cracra. Je ne me lasse pas du concert du 8 septembre 1974 de Robert Wyatt. C’est un chef d’œuvre et il est entouré de potos que j’apprécie tels que les Fred Frith et Hugh Hopper. Des morceaux de son album Rock Bottom sur scène prennent une toute autre teneur, c’est à tomber par terre, à la bonne heure ! Il y aussi le disque vinyle de Jean-Louis Mahjun et son happy french band en 1977 qui fumait bon le clacos extra fin 45 % de matière grasse. Outre l’originalité de la composition du groupe, Jean-Louis au violon, une basse une guitare un saxo et une batterie, les titres et leur contenu coulaient de source la gouaille contre la franchouillardise de bon aloi et quoi qu’on en dise, « Le sec beurre cornichon » et leur « Glandos » (8 minutes et quarante cinq secondes), un savant delirium rock jazz trou normand la la itou me chavirent toujours comme au premier jour. Il y a aussi monsieur Bernard Lubat et j’en oublie. Pour être bref, j’adore les personnes qui ne se cantonnent dans aucun art musical précis et que l’on ne peut pas qualifier appartenant à telle ou telle mouvance musicale, à part celle des innovateurs, des chercheurs perpétuels.

    Je voudrais aussi citer ces musiciens qui dressent des passerelles entre l’angle / lich pop rock et donne du sens au frenchi chanté et traduit avec une touche d’humour majeur. Je pense au concept de l’album particulièrement réussi Ready Steady, Go ! de Ramon Pipin et Yves Hirschfeld qui date à peine de 1992 et qui n’a pas perdu une seule rayure à son amure. Tout le monde y reconnaîtra des morceaux qui ont martelé nos esgourdes outre Atlantique et outre Manche et pas seulement le dimanche. Pas plus tard qu’hier, j’ai empreinté à ma médiathèque préférée, un album du groupe Demon Fuzz intitulé Afreaka ! C’est le titre qui m’a compulsé. Il y avait freak, sans le out et j’entendais Afrika ! Autrement dit un monstre venu d’Afrique. J’ai tout de suite était séduit par le métissage de cette musique psychédélique afro soul jazz rock blues ! Il y a avait aussi le souffle de Fela et l’orgue Hammond sur des rythmiques guitarisées et le comble de la joie pour un amoureux des voix, un chanteur chaleureux. Cette musique chaude et sensuelle ne pouvait pas dater de l’ère du crustacé amphibie chiraco trotsko. 1970, année de toutes les inventivités…

    GD : À peine viens-tu de publier ton premier roman que ton éditeur annonce déjà la sortie d’un recueil de nouvelles. Ne me dis pas qu’elles feront l’éloge du naturisme

    medium_M4110048_new.2.jpegFDB : C’est peut-être aller vite à la besogne ! Je proclame  l’éloge de la lenteur. Certes, le tapuscrit d’un recueil de nouvelles naturistes transpire sur mon établi dix historiettes en chantier miné. Même si j’y ai accolé le mot fin, tout est toujours à recommencer. « Toujours se remettre à l’ouvrage », j’ai bien suivi ton conseil mon cher Daniel Zimmermann et il y a encore du boulot sur la planche. Patience donc. J’ai aussi d’autres tapuscrits de romans cette fois. Et encore une fois, pas de panique, élagage des branches pourries, ne pas lâcher la lectrice, le lecteur d’un paragraphe, les tenir en haleine, sentir la buée de leur respiration qui transpire dans mon dos. AU BOULOT !

    C’est une relation de respect que j’entretiens avec mon éditeur et mes liseuses et liseurs. Rien n’est acquis, tout est toujours à recommencer. Etre auteur, ce n’est pas une situation de tout confort. Tu vis sur un fil éjectable, un peu comme le motard funambule qui doit jongler avec les glissandos de la route pour ne pas se fiche par terre le moral ras molo. Il faut s’accrocher, avanti et AU BOULOT !

    Certes, il est encore question de situations naturistes dans mes nouvelles et mes romans, mais je ne veux surtout pas m’enfermer dans un genre et qu’on me colle une quelconque étiquette. Comme dans mes goûts musicaux et littéraires, j’aime l’éclectisme et le mélange des genres, de préférence le mauvais genre (rires). La littérature aseptisée au nombril de l’auteur ne m’intéresse pas.

    GD : Scripteur intense, es-tu un lecteur compulsif ? Quels sont les livres qui ne dorment jamais sur ta table de chevet ?

    FDB : Le problème lorsque j’écris, c’est que ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour lire. Aussi, je lis souvent par nécessité. Tel ou tel dossier, tel ou tel ouvrage pour me documenter sur le sujet du bouquin que je suis en train d’écrire (gare du livre, bienvenue, tout le monde descend). Il y a toujours Jacques Prévert qui traîne dans le coin mais aussi Boris Vian multi instrumentiste des maux des mots. J’essaie de trouver dans ce qui se publie actuellement quelques livres qui sortent de l’ordinaire des computers débonnaires à produire des produits manufacturés, dans le droit fil du moule à fric.

    medium_lafolle.jpgDan Franck en Bohèmes et le Nu couché et son compère Jean Vautrin ne sont jamais loin. Les textes poèmes et chansons de Léo Ferré également. Je pense que les écrits d’ Octave Mirbeau le magnifique n’ont pas pris une ride. Puisque les affaires sont les affaires. La grève des électeurs  qui date de 1888 (éditions du snif feu Ludd / 1995 / 27 pages), nous transporte dans un monde connaissant une sévère crise sociale (misère, précarité, chômage, scandales des ministres politiciens et députés) et le troupeau sera bien gardé. J’ai le bouquin sur moi. Je cite Octave page 13 : « Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit ».

    Toujours dans le registre animalier chez le même excellent éditeur, Oskar Panizza : Journal d’un chien. Comme quoi nous avons toujours à apprendre des animaux qui nous entourent et je pense que pour une fois la Singette ne me démentira pas. La Singette pour celles et ceux qui ne la connaissent pas encore, c’est l’infecte bestiole de marionnette singe incontrôlable qui rode dans tous mes écrits littéraires, comme le personnage incontournable qui cimente les intrigues aux simagrées de sa bouille simiesque de bête humaine incarnée. Même qu’elle tient son blog et dégomme son auteur qu’elle surnomme le Franckos dit Bartos !

    J’ai découvert dernièrement et je t’en ai parlé : l’écrivaine Fred Romano. Le dernier amour de Coluche relate sa relation chaotique dans Le film pornographique le moins cher du monde. Ses nouvelles  (Contaminations) dressent le portrait d’une époque formidable que n’aurait pas renié le regretté Reiser (la vache folle / l’amiante / les rivières de mercure…). Son dernier roman publié, Basque Tanger , c’est l’histoire d’un amour fou et presque impossible ou comment Mirem, une femme atteinte d’un cancer incurable fait reculer les murs de la prison de son amant quelque part entre Tanger, le pays basque espagnol et Formentera.

    Et comme de bien entendu, le dernier éditeur en date de Fred la renvoie à la case départ : va voir là-bas si j’y suis et ne reviens que lorsque tes livres me rapporteront la tune escomptée. Fred Romano ne s’intéresse qu’aux personnes vivant leur vie en insoumis, en marginaux, et ce n’est pas vendeur. Je crois que ma fidèle secrétaire, la Singette, publiera un de ces jours, sur son blog, ses impressions concernant l’œuvre de Fred Romano si je m’abuse.

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    Le blog de la Singette

    CARL ET LES VIES PARALLELES

    FRANCK DIT BART

    EDITIONS MICHEL CHAMPENDAL

    Visiter le Blog des Editions Michel Champendal

    Editions Michel Champendal

    16, rue Lentonnet

    75009 Paris

    Tel : 01 74 30 19 50

    mchampendal@noos.fr





     

  • JEAN GOURMELIN

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    JEAN GOURMELIN : L'UN DES

    DESSINATEURS LES PLUS IMPORTANTS DU XXe SIÈCLE

    REVIENT SUR LE DEVANT

    DE L’ACTUALITÉ

    À L’OCCASION

    DE LA PARUTION PRÉVUE

    D’UN ALBUM

    COMMÉMORATIF DE SON ŒUVRE

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    85 ans dont 75 au service du dessin et de l’illustration

    Né en 1920, Jean Gourmelin, âgé en 2006 de 86 ans, s’avère l’un des principaux dessinateurs du XXe siècle. Son œuvre dessinée est rentrée désormais dans l’Histoire de l’Art, notamment dans celle des aquarellistes et des dessinateurs de presse et d’humour. Neuf albums édités de 1968 à nos jours, des catalogues d’expositions, des années de collaboration à quelques grands titres de la presse kiosque, notamment Le Point (pendant 13 ans), en témoignent.

    Les éditions Michel Champendal ont programmé un album à paraître intitulé « Jean Gourmelin, une Vie, une Œuvre » car elles estiment qu’il est temps de rendre un hommage ante-mortem à celui qui fut l’un des grands professionnels de son époque.

    Jean Gourmelin dessine avec passion depuis l’âge de cinq ans.

    Un rapide survol biographique nous permettra de mieux approcher l’œuvre, qui intéresse directement nos contemporains.

    Jean Gourmelin naît à Paris le 23 novembre 1920 dans une famille modeste. Unique enfant, il commence à dessiner avec passion dès l’âge de cinq ans et il rencontre, à l’école, un professeur de dessin qui lui donnera confiance en lui. Il vivra les quinze premières années de sa vie à Paris.

    1935 : ses parents quittent Paris pour Vendôme où son père s’établit en tant que grainetier. Deux ans plus tard (Jean Gourmelin est alors âgé de 17 ans), le peintre Charles Portel l’initie à la technique du papier peint, de la gravure sur bois et du pochon. D’abord exécutant, il devient rapidement concepteur pour la maison Nobilis.

    1938 : première participation, à 18 ans, à une exposition collective intitulée « Balzac », au Musée de Vendôme.

    1940 : à vingt ans  il retrouve Paris et s’inscrit aux « Arts Décoratifs » à l’Atelier jandin : il se destine sans succès au professorat de dessin.

    1945 : il entre - pour vingt-trois ans de collaboration - dans l’atelier du célèbre verrier Max Ingrand (il y a travaillera notamment avec Michel Serre, qui  deviendra lui aussi un dessinateur d’humour célèbre). On peut reconnaître, sur les vitraux de la cathédrale de Rouen son style inimitable. C’est donc le « Directeur du Bureau des Dessins  des Ateliers Max Ingrand, passage Tenaille à Paris » qui est à l’œuvre, notamment et également dans les chapelles des châteaux d’Amboise et de Blois.

    1951 : il a trente et un ans et Maximilien Vox lui confie des « reportages dessinés » pour quelques revues dont il a la direction artistique : le dessinateur de presse Jean Gourmelin débute sa carrière internationale.

    1961 : il a quarante et un ans et il rencontre son grand ami l’écrivain Jacques Sternberg, ce qui le destine à consacrer son dessin « non à l’esthétisme mais à l’idée ». Ce qui marque le début de son œuvre historique.

    1962 : son premier dessin paraît dans la revue « Bizarre », une revue qui fut créée par l’éditeur Eric Losfeld puis reprise par son collègue Jean-Jacques Pauvert. Il s’agit du numéro vingt-trois.

    1963 : remarqué par son fondateur Louis Pauwels, dont il deviendra ami, il débute une collaboration qui sera longue et fructueuse avec la revue et les éditions « Planète » (dès le numéro dix).

    1966 : il a quarante-six ans et dessine les décors et les costumes de « Le Golem », un film de J. Kerchbron et Louis Pauwels.

    1967 : première exposition personnelle à la parisienne galerie « Le Tournesol » : très grand succès. Il est remarqué par le Tout-Paris, les éditeurs et les confrères dessinateurs, ce qui l’encourage à l’indépendance professionnelle.

    1968 : il abandonne le vitrail, vit (et vivra) désormais du dessin, en compagnie de son épouse femme au foyer, de sa fille et de son fils. Cette année-là, il illustre, dans France-Soir, alors un quotidien encore très important, les « Chroniques » de son ami Jacques Sternberg.

    1969 : il a quarante-neuf ans et sort le premier de ses neuf albums de dessins intitulé « Gourmelin », aux éditions Planète, avec une magnifique préface de Louis Pauwels pleine d’intelligence, de finesse et de tact. Le voilà lancé dans son domaine de prédilection. Il reçoit le Grand Prix de l’Humour Noir, bénéficie d’une exposition à la galerie Christiane Colin et rencontre Julien Green.

    1970 : à cinquante ans, il crée les décors et les costumes du film « L’Homme qui Rit » de J. Kerchbron, d’après l’œuvre théâtrale de Victor Hugo.

    1971 : 51 ans. Exposition « L’Humour à travers les âges » à la Bibliothèque nationale alors rue de Richelieu.

    1972 : il expose une fois encore à la galerie Christiane Colin et publie aux éditions André Balland un nouvel album de dessins intitulé « Pour Tuer le Temps ».

    1973 : il collabore désormais régulièrement avec la presse (il restera treize ans au sommaire du magazine « Le Point » et travaillera également au « Figaro ») et réalise décors et costumes pour le film « Président Faust » de J. Kerchbron et Louis Pauwels. Il publie une collection d’assiettes peintes, de nos jours fort recherchée.

    1975 : il a 55 ans. Une exposition à la galerie « La Galère » et la publication d’un nouveau recueil de dessins intitulé « Le Hasard » aux éditions André Balland adviennent. Il réalise les décors et les costumes du film « La Grande Trouille » de Pierre Grunstein.

    1976 : l’émission télévisuelle « Fenêtre sur », réalisée par M. Honorin sur la chaîne A2, lui est consacrée.

    1977 : il réalise des affiches pour les spectacles de Robert Hossein ainsi que les décors de « Néfertiti », une pièce d’Andrée Chedid.

    Les années qui suivent, il continue de dessiner pour la presse kiosque, de réaliser des albums de dessins et d’exposer, notamment à Créteil, à Genève et à Bruxelles (en 1882 ce sera à Taiwan).

    Il participe à de nombreux évènements culturels de la fin du siècle passé, notamment à l’émission télévisuelle « Tac au Tac » qui réunit régulièrement sur un plateau et en direct des dessinateurs d’envergures nationale et internationale qui improvisent collectivement. Cette émission obtiendra un très vif succès.

    En l’an 2000, âgé de quatre-vingt ans, Jean Gourmelin, du fait d’une vue chancelante, cessera de dessiner et de peindre. Ce qui ne l’empêchera pas d’exposer. Il est actuellement l’ami des plus grands dessinateurs de France, et parmi eux son supporter de toujours : Bernhard Willem Holtrop dit Willem.

    En conclusion, nous pouvons affirmer, sans crainte de nous tromper, que l’œuvre de Jean Gourmelin fait désormais partie intégrante du panorama culturel historique de la France. Cet artiste est non seulement un maître dans ses domaines (l’Insolite et le Fantastique), mais il a influencé et influence nombre de ses confrères plus jeunes que lui. Pas un Français de plus de cinquante ans qui ne connaisse donc reconnaisse ses dessins du premier coup d’œil, pas un contemporain de moins de cinquante ans qui ne soit intrigué par cette œuvre forte. Il est vrai que tout l’imaginaire des lecteurs et amateurs d’art occidental est baigné de l’œuvre de Jean Gourmelin : ses dessins sont parus dans la plupart des anthologies de la revue « Planète » (il y a même illustré « les Chefs-d’œuvre de l’Epouvante »), dans Zoom, Le Point, Hara-kiri, Plexus, Charlie Mensuel, Pilote, Elle, Les Lettres Françaises, Caractère, France Soir, Le Monde, Le Figaro et Le Matin de Paris, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus renommés. Par ailleurs, que ce soit dans les réseaux de la bibliophilie à petits tirages ou de ceux, à très gros tirages ceux-là, des Clubs du Livre, Jean Gourmelin a illustré les œuvres d’Arthur Rimbaud, de Gaston Leroux, de Pierre Benoît, de Daniel de Foe (son « Robinson Crusoë »), de Guy de Maupassant (« Bel Ami »), de Julien Green, de Claude Klotz (« Les Innommables »), de Lovecraft et de Jacques Sternberg. Jean Gourmelin a également dessiné de nombreuses couvertures de livres, notamment de livres de poche. Louis Pauwels, Robert Sabatier, Jacques Sternberg, Philippe Soupault, Pierre Cabanne, François Cavanna (un de ses amis), Frédéric Vitoux, Julien Green et Yvan Audouard du « Canard Enchaîné », liste non exhaustive, ont écrit sur lui et sur son œuvre prolifique (Jean Gourmelin fut très productif).

    Michel Champendal, éditeur, le lundi 25 septembre 2006

  • JEAN LUPU ET LES VALISES DE LA MORT

     

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    Après avoir publié La Bague, les éditions Michel Champendal s’apprêtent à faire paraître Les Valises de la mort, du même Jean Lupu.

    Quand un grain de sable enraye la mécanique bien huilée de votre existence, vous pouvez devenir, malgré vous, un violeur d’une créature de rêve, un assassin, un kidnappeur, un fugitif, et rencontrer l’amour et la mort.

    En quelques mots, voici le schéma de ce nouveau roman qui s’annonce noir, très noir.

    Les Valises de la mort

    Jean Lupu

    à paraître aux éditions Michel Champendal

    http://mchampendal.blogspot.com/

    Lire ici l’entretien avec Michel Champendal

  • MICHEL CHAMPENDAL ❘ UN NOUVEL EDITEUR RACONTE

    Successivement revuiste, libraire, critique, mail artiste, auteur d’une biographie de Gaston Criel et animateur de l’atelier d’écriture Le Temps d’écrire, Michel Champendal fut éditeur intermittent avant de bâtir au printemps de l’année 2006 sa propre maison d’édition. Il nous livre de précieuses clartés sur les situations de la littérature et de la librairie et nous informe, généreusement, de ses visées. Plus qu’un entretien promo, cette conversation constitue une véritable loupe sur l’actualité (vécue) du livre, également sur les obstacles que rencontrent aujourd’hui ceux qui croient aux ors d’une littérature digne de ce nom.

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    Guy Darol : Votre parcours d’éditeur est déjà ancien et vous avez participé à la rédaction du magazine Contreciel. A l’enseigne des éditions Michel Champendal, vous venez de faire paraître deux romans et un recueil de nouvelles. Qu’est-ce qui motive une telle initiative dans un univers où le livre s’est mis en concurrence avec le superflu ?

    Michel Champendal : Ce qui motive une telle initiative, c’est que je connaissais trois écrivains qui ont du talent mais qui ne trouvaient pas d’éditeurs pour leurs livres. C’est aussi simple que cela : voici encore dix ou vingt ans, ces trois auteurs auraient trouvé des éditeurs, mais de nos jours ce leur fut impossible. Ils sont à la fois talentueux et méconnus. Sacha Guitry avait une formule qui faisait mouche : « pour être connus, soyez célèbres ! ». Cette phrase s’avère de nos jours d’une cruauté excessive. L’édition de livres se partage en France entre quatre catégories d’éditeurs : 1)- Les éditeurs à grande surface commerciale : les Gallimard, les Grasset, les Albin Michel, les Actes Sud, tous ceux dont rêvent les écrivains débutants de nos jours (alors que dans les années soixante-dix une moitié des écrivains y rêvait et l’autre se voyait acceptée par des éditeurs anti-conformistes qui de nos jours n’existent plus). Voici encore vingt ans les auteurs inconnus débutants pouvaient encore figurer à leurs catalogues. De nos jours c’est devenu impossible : ces sociétés (à l’exception de Gallimard, maison encore indépendante financièrement) appartiennent à des grands groupes financiers qui ont placé des gestionnaires et plus des éditeurs à leurs têtes : la rentabilité immédiate est devenue un impératif encore plus impétueux que du temps des Trente Glorieuses finissantes, tout simplement parce que les frais de distribution du livre se sont alourdis et que les frais généraux des éditeurs se sont aggravés : il n’existe plus de place pour les petits tirages. Ces grands éditeurs ne prennent plus le risque d’accepter et de promouvoir des inconnus et n’acceptent dans leurs catalogues que des notoriétés. 2)- Les éditeurs à moyenne surface commerciale : ceux-là ont à faire face aux mêmes frais fixes de fonctionnement et de diffusion des livres que les mastodontes bien que leurs personnels soient plus réduits en taille. Comme eux ils sont assujettis à une rentabilité immédiate sous peine de disparaître ou d’être rachetés par les grands éditeurs. Alors là aussi s'annule la place des talents nouveaux pas encore rentables parce que les auteurs ne sont pas encore reconnus. Là encore les tirages sont tirés à la hausse pour amoindrir le prix de vente des livres de manière à pouvoir en écouler davantage. Les moyens éditeurs ne publient plus d’auteurs inconnus comme jadis et se polarisent sur les valeurs confirmées, en privilégiant une rapide rotation des stocks. 3)- Les éditeurs à petite surface commerciale : ce sont eux les véritables promoteurs des talents nouveaux : ils sont soit salariés dans leurs petites structures, soit salariés à l’extérieur de leur enseigne et prennent des risques en éditant des inconnus débutants tout en rééditant des livres devenus introuvables. Ils constituent résolument le vivier des futurs écrivains, car ils leur mettent le pied à l’étrier. Leurs tirages sont réduits, leurs compétences souvent très grandes, leur nombre très élevé par rapport aux éditeurs de grande et de moyenne envergures commerciales. Leurs catalogues sont lorgnés par les grands et moyens confrères qui débauchent leurs auteurs dès que ceux-ci ont conquis un lectorat digne d’être investi. Ils sont les poissons-pilote de l’édition : les bancs d’essai. Les découvreurs de talents naissants. 4)- La micro-édition : ce sont les futurs petits éditeurs de demain : leur capacités de recherche de nouveaux talents pointus sont aussi fortes que celles de leurs confrères précités. Leurs tirages (numérisés) sont encore plus réduits. Leur diffusion encore plus artisanale. Comme les petits éditeurs, les micro-éditeurs ont de plus en plus recours à la vente par correspondance dont la vente par l’internet, ne pouvant compter sur des distributeurs diffuseurs aptes à vendre et à acheminer leurs livres dans les librairies. Je me suis retrouvé dans la position de l’éditeur de taille micro qui tend à devenir un éditeur de taille commerciale petite : j’ai édité à deux cents exemplaires trois livres qui sans moi auraient eu bien du mal à être édités, parce que les auteurs ne connaissaient pas le circuit de l’édition pour deux d’entre eux, parce que leur talent était important et hors normes si l’on se réfère à ce que les éditeurs déterminent comme rentable. Je décris ces livres pour exemplifier mon propos : medium_Numeriser0069.2.jpg

    La Machine, roman vrai, de Gérard Sendrey, auteur qui file vers ses quatre-vingt ans. C’est la confession d’un enfant du siècle dernier qui nous plonge dans la France de Doisneau. L’auteur est trop âgé pour les éditeurs qui misent sur de jeunes auteurs. Son propos est trop autobiographique pour intéresser les éditeurs de fiction.

    La Bague et autres nouvelles, de Jean Lupu. A l’instar de Gérard Sendrey, Jean Lupu file également vers ses quatre-vingt ans : trop vieux donc pour figurer medium_Numeriser0005.4.jpgdans un catalogue. De plus, les nouvelles sont à tort réputées invendables alors que les éditeurs ne misent tout simplement pas dessus et jettent l’anathème sur ce genre littéraire majeur : dans le monde anglo-saxon les nouvelles sont très prisées. En France, il existe une prévalence totalitaire du roman, considéré comme le genre noble par excellence : si un écrivain n’a pas édité de romans, il est considéré comme un second couteau.

    Carl et les Vies Parallèles, un roman de Franck dit Bart. Franck dit Bart est un instituteur d’une quarantaine d’années. Un romancier qui possède à son actif sept tapuscrits (un medium_Numeriser0006.3.jpgtapuscrit est un manuscrit tapé à la machine). Franck a fait le tour des grands, des moyens et des petits éditeurs : partout il a fait chou blanc et envisageait d’arrêter d’écrire avant que de me rencontrer. Pourquoi était-il refusé ? Parce qu’au physique, il ressemble à un Grand Duduche baba cool gauchiste et que cette allure est très très mal perçue de nos jours. Parce qu’il est anticonformiste : ses idées sont libertaires sans qu’il fasse partie du moindre groupe anarchiste et il s'agit  de plus un naturiste militant. Enfin son écriture est très populaire au bon sens du mot : sens de la narration événementielle, appétence à la mise en place de l’action fictionnelle et détermination de personnages hauts en couleur : à l’opposé du conformisme littéraire énéréfien Français qui veut, à l’instar de ce que professent faussement les nababs de l’édition, le sinistre Angelo Rinaldi en tête, via des assertions définitives, que l’écriture doit être compassée, désincarnée, psychologisante : bourgeoise en un mot. Franck sentait trop son prolo pour être accepté par les éditeurs en place. Il a été viré de partout. Alors qu’il me semble détenteur d’un talent des plus prometteurs : son œuvre est encore verte au sens de pas encore mûrie mais, si nul éditeur ne lui fait confiance, ses tiroirs se rempliront de tapuscrits dans lesquels ne serait pas à l’œuvre une évolution littéraire. Car le rôle de l’éditeur est aussi celui de stimuler les écrivains : c’est lui qui doit leur faire confiance et les aider à progresser dans leur écriture. Carl et les Vies Parallèles, raconte dans une langue familière très travaillée, les vicissitudes d’un écrivain naturiste et libertaire en proie à l’opposition d’une épouse bourgeoise avec qui il lui est impossible de s’entendre sur l’éducation de leurs deux enfants. Voici pour l’argument. En racontant son histoire, Franck dit Bart (c’est un pseudonyme) nous fait à un moment basculer dans la dimension imaginaire de la narration, comme a pu le faire dans le passé Lewis Carroll : ce type d’écriture, qui fait penser dans les meilleurs moments à du Frédéric Dard et du John Kennedy Toole, ne plaît absolument pas aux éditeurs, pour la majorité partisans d’une écriture dite blanche : une écriture qui ne fait pas d’éclats. Comme vous le voyez, j’ai fait face à trois urgences en éditant ces trois livres constitutifs du début de catalogue de ma maison d’édition : trois urgences qui me situent à l’opposé du superflu : j’ai fait plaisir et redonné confiance aux auteurs, j’ai contenté des lecteurs, j’ai illustré trois genres considérés comme des sous-genres par l’intelligentsia parisianiste : l’autobiographie romancée, la nouvelle et le roman populaire. Quand j’ai débuté l’édition, en 1979, j’ai édité sept numéros mensuels d’une revue de Poésie qui s’intitulait Poésie Ininterrompue, en hommage à un recueil de Paul Eluard et à France Culture, qui diffusait à l’époque une émission de Poésie portant ce titre. J’habitais Rouen à l’époque et vendais dans les treize librairies de cette ville entre trois cents et cinq cents exemplaires chaque mois (2 F pièce). Il existait encore dans ce temps-là une représentation sociale importante de la Littérature : l’émission Apostrophes de Bernard Pivot rivait le vendredi soir à leurs chaises ou fauteuils devant leurs postes de télévision des millions de Français. La France ne doutait pas encore trop d’elle-même comme c’est résolument hélas le cas de nos jours et les Français étaient encore fiers de la Littérature. C’était avant que la mercantilisation de l’édition n’ait cours et que la Littérature ne soit devenue une niche éditoriale de micros marchés : elle tenait encore le haut du pavé. En 1982, je me suis intensivement intéressé au Mail Art et à l’Art Postal et j’ai édité dans la foulée douze numéros mensuels de l’Arbre Bleu, courrier mensuel collectif international, qui croisait les champs littéraire et du Mail Art. Là encore gros succès en librairies et par correspondance (de nombreux abonnements en témoignaient) et je suis certain que, si je recommençais ces deux expériences de nos jours, le succès serait bien moindre : là encore l’époque était favorable à la Littérature et à l’Art. Ma contribution au magazine Contreciel que vous mentionnez prend place en 1985. Deux opportunistes, en grande partie illettrés, se sont lancés dans la réalisation de treize numéros mensuels de ce magazine qui avait pour ambition de détrôner Le Magazine Littéraire que dirigeait alors Jean-Jacques Brochier en compagnie de Jean-Louis Hue. Ces deux arrivistes se sont plantés car ils étaient trop avides d’argent et de gloire : ils ont opérés des choix financiers catastrophiques. Toutefois le tirage de vingt mille exemplaires et une bonne diffusion dans les kiosques via les NMPP avait permis au fil des mois de fidéliser dix mille lecteurs, ce qui n’est pas rien. J’étais le rédacteur en chef et un des chroniqueurs. J’ai assisté en direct à la fin de ce que je nommerais « les temps de la Littérature internationale nationalement reconnue » dans la mesure où quand Contreciel s’est cassé la figure, il en fut de même pour l’incomparable Le Fou Parle de Jacques Vallet q ui se débattait lui dans un manque de plus en plus criant de lecteurs, ce qui aurait été probablement le cas de Contreciel si l’expérience avait duré plus longtemps : la presse culturelle littéraire commençait largement, voici donc un peu plus de vingt ans, à souffrir, parce que l’époque n’était plus à la seule Littérature mais aux arts associés, notamment cinématographiques, vidéastes et musicaux. Une époque finissait qui s’ouvrait sur notre monde contemporain, celui de l’émiettement des arts. En 1985, le livre cessa d’être rituellique pour entrer dans les rayons des supermarchés de la culture industrielle et post-industrielle : il se désacralisa pour devenir un produit de consommation ordinaire. Banal. L’aura de la Littérature en a pâti amplement. De nos jours elle est devenue marginale et c’est la raison pour laquelle ma maison d’édition s’est créée : il y avait urgence à maintenir la tradition de l’édition de bons livres. Surtout que le public, s’il est plus désorienté et enclavé que jadis, existe encore, certainement.

    Guy Darol: Si vous vous attachez à publier des auteurs d’aujourd’hui qui ne bénéficient pas de l’éclat médiatique, il semble que vous envisagiez de sortir au jour des écrivains méconnus voire oubliés. Comment orientez-vous vos choix ?

    size: medium;">Michel Champendal : Passé le premier temps de reconnaissance des trois auteurs précités enfin édités, vient le temps de la recherche de pérennisation de la maison d’édition : je ne peux pas continuer d’éditer si j’édite uniquement des auteurs inconnus débutants. Je dois faire progresser ma maison d’édition, c'est-à-dire lui donner plus de surface reconnue. Je me dois, vis-à-vis des auteurs déjà édités, de leur favoriser le plus grand lectorat possible. Je me dois également d’asseoir ma maison sur quelques locomotives éditoriales motrices, c’est le cas de l’écrire. Car une maison d’édition ne peut survivre qu’à cette condition : elle doit délimiter une, deux ou trois collections qui puissent accueillir des livres différents les uns des autres selon un axe précis issu d’un choix éditorial. Et ce choix éditorial doit refléter à la fois une qualité certaine des livres mais également une possibilité de les vendre. Il ne servirait à rien d’éditer à cinquante exemplaires les Isidore Ducasse, comtes de Lautréamont contemporains et de les faire lire à cinquante fidèles. Ce serait de l’underground et je n’ai plus l’âge ni l’ambition d’être seulement underground : il faut des livres qui se vendent et qui ne soient pas de la daube réchauffée. Il faut plaire à un public car les livres qui ont du succès stimulent dans un catalogue ceux qui en ont moins. Actuellement il existe la collection « Ecrivains d’Hier et d’Aujourd’hui » avec trois auteurs contemporains : si j’y réédite par exemple « Salammbô », un roman magnifique de Gustave Flaubert, ou les « Soirées de Médan », recueil de nouvelles de notamment Emile Zola et Guy de Maupassant, je réédite de bons livres littéraires, j’augmente les ventes et je dynamise la collection. C’est ce que je vais m’employer à faire. Les grands anciens auteurs reconnus doivent aider les nouveaux surgissant. Cela va contribuer à leurs renommées passées, dégager de la trésorerie et aider à éditer de jeunes auteurs en vendant donc des livres d’auteurs moins connus. Parallèlement à cette collection, je lance, avec l’aide de mon ami Jean-Michel Matelot, la collection « Le Grand Insolite » qui, comme son nom l’indique, se spécialise dans ce registre. Il s’agit là d’éditer des auteurs contemporains mais surtout de rééditer de grands anciens méconnus voire oubliés. Prenons un exemple : « Livres à Lire et Livres à Proscrire » de l’abbé Bethléem. Cet abbé fut au début du XXe siècle un terrible censeur des lectures des jeunes et moins jeunes catholiques dont il s’était institué le directeur de conscience. Fin lettré et subtil littéraire, il connaissait très bien la production littéraire de son temps. Il encensait les auteurs vertueux et moraux : tous ont disparu de nos bibliothèques. Il condamnait les auteurs qu’il jugeait immoraux, tous célèbres de nos jours, ainsi de Gustave Flaubert, par exemple, pour citer un auteur déjà évoqué ici. Terribles anathèmes qui sont admirables littérairement parlant parce que ces critiques sont toutes très bien troussées et révélatrices de l’admiration rentrée qu’il éprouvait pour ces auteurs qu’en tant qu’abbé il devait réprouver mais qu’en tant que littéraire il goûtait : le hongreur s’était pris à son propre jeu ! De même des manuels d’alchimie peuvent trouver matière à réédition, et tous ouvrages relevant du merveilleux (une littérature que je prise particulièrement), du fantastique, de l’horreur, de la folie, des arts divinatoires, du curiosa (l’érotisme), de l’imprécation, de l’humour, du loufoque, de la magie, des voyages et des découvertes et de l’ésotérisme. Le genre de livres qui constituait naguèrele fond de commerce  des Eric Losfeld, des Jean-Jacques Pauvert, des Michel Girodias, des Pic et autres francs-tireurs de l’édition. Sauf que de nos jours ces domaines jadis condamnés ne le sont plus et que les poursuites judiciaires ont cessé contre les éditeurs qui se risquent à éditer de tels livres. Ce programme n’est pas le fruit d’un désir de racoler et de créer avant tout de la trésorerie, mais celui d’un esprit de curiosité et du désir de faire connaître des livres méconnus à un public le plus large possible. Quelques noms d’auteurs possibles : Oscar Panizza, Lise Deharme, Pierre Mac Orlan, Rachilde, Raoul Vaneigem, Richard Khaitzine, Eugène Mouton, Eugène Chavette, Cami, Gaston Criel, Flaubert, Maupassant, et la liste est encore longue (j’ai référencié une centaine d’auteurs) pour des livres qui peuvent prendre place dans l’une ou l’autre collection exposée. Il s’agit tout à la fois, toujours, de faire découvrir des auteurs et de stimuler la lecture en éditant de bons textes.

    Guy Darol : Les éditions Michel Champendal s’inscrivent dans un réseau (internet et vente par correspondance) qui échappe au circuit de la librairie conventionnelle. S’agit-il d’une stratégie ou d’une nécessité ?

    Michel Champendal : Il s’agit d’abord d’une nécessité puis d’une stratégie. Je m’explique : il est devenu de plus en plus difficile en 2006 pour un éditeur naissant de diffuser ses livres en librairies. Pour deux raisons : d’abord les distributeurs et diffuseurs (le distributeur stocke les livres des éditeurs, le diffuseur les représente et vend aux libraires) se méfient des jeunes éditeurs et attendent que celui-ci ait de la laine sur le dos, c'est-à-dire un bon catalogue et donc de l’expérience, avant que de s’occuper de lui. Ils ont trop vu de maisons d’édition feux de paille qui disparaissaient au bout d’un livre ou deux : cela les a rendus prudents. Comme tous les commerçants, ils aiment la sécurité et la continuité. Ensuite et enfin les distributeurs diffuseurs (qui facturent aux éditeurs environ la moitié du prix facial TTC d’un exemplaire) sont devenus propriétés des grands groupes industriels, par ailleurs éditeurs ou actionnaires principaux des autres maisons d’édition. Ces officines vont privilégier leurs maîtres et se méfier des indépendants. C’est aussi simple que cela. Il faut aussi noter un fait nouveau dans la commercialisation des livres et qui est apparu avec l’internet : les librairies ne sont plus les seuls points de vente privilégiés des livres. Pour deux raisons majoritairement : 1)- Sur internet l’internaute peut trouver tous les livres disponibles ou presque. Témoin (et la publicité est gratuite) Price Minister qui vend à moitié prix du neuf des livres impeccables et quasiment tous les livres. Entrez dans n’importe quelle grande librairie, fusse la FNAC ou Virgin Mégastore, et vous ne trouverez que dix pour cent de ce que vous propose l’internet. Alors les lecteurs-clients contemporains achètent de plus en plus de livres sur internet, même s’ils vivent en milieu urbain. 2)- Les libraires conseils tendent à disparaître : il en existe encore, fort heureusement, mais ils ne sont plus majoritaires. La génération post-soixante-huitarde très motivée pendant toute sa carrière est en train de prendre sa retraite et est remplacée par de jeunes générations de libraires qui, du fait que le livre est devenu un produit comme un autre, ont beaucoup plus de difficulté à travailler donc à survivre que leurs collègues aînés. Il est rare, sauf exception, d’avoir de nos jours une conversation littéraire soutenue avec un libraire. Mais il est quotidien de pouvoir parler des livres qu’on aime avec des internautes sur des chats ou des forums littéraires. Or les internautes qui chattent ou forumisent s’échangent les bonnes adresses de libraires web. Et la boucle est bouclée. Le Syndicat national de l’édition, qui édite notamment le magazine professionnel Livres Hebdo, estime qu’un tiers des ventes au détail de livres s’effectuent via le net. Du fait des contraintes civilisationnelles de la vie moderne, il est plus facile, moins onéreux et plus gratifiant intellectuellement d’acheter un livre neuf sur internet que de le commander à son libraire : d’où l’essor de ce mode de diffusion. Donc, pour un micro-petit éditeur quant à sa surface commerciale comme moi, l’internet et la vente par correspondance (une lettre d’information et un catalogue, tous deux sur jeux papier ou bien électronique) constituent le nerf de la guerre pour démarrer et pour persévérer. Je pars du principe que le prospect ou le client, c'est-à-dire le futur lecteur ou celui qui est déjà effectif, que je contacte par le courriel ou le courrier, recevra de ma part plus d’informations que de la part du libraire qui est coincé par l’urgence de vendre les livres qu’il reçoit d’office des éditeurs. Et puis démarcher les librairies de but en blanc est impossible : sitôt que vous proposez votre livre vous êtes jeté : mieux vaut, comme pour l’amour, se faire désirer en envoyant aux libraires ses catalogues et en attendant que votre renommée les charme au point qu’il passeront commande eux-mêmes (je vends toujours en compte ferme, par respect pour les auteurs à qui je reverse des droits et pour les livres qui sont détériorés quand ils sont en dépôt, le libraire n’étant pas alors impliqué dans ses deniers par son choix). Or, quand un libraire vous contacte directement (ça commence à venir !), vous savez que vous pourrez le recontacter ! En résumé, un éditeur ne doit pas mettre tous ses œufs dans le même panier : il lui faut un site avec un bon de commande à paiement électronique, l’envoi d’une lettre d’information et de catalogues soit par courriel soit par courrier soit les deux à la fois, notamment à l’intention des libraires qui pourront, ensuite, devenir d’utiles revendeurs. La librairie n’est plus le seul lieu de vente des livres de nos jours.

    Guy Darol : Croyez-vous que la Littérature vogue vers de beaux jours ? Si tel est le cas, quels sont les signes de l’embellie ?

    Michel Champendal : Il me semble que la situation, c'est-à-dire la réputation de la Littérature, est liée directement à la place que lui réserve le Politique, et en premier lieu les tenants du Premier Pouvoir (les chefs d’Etat, les ministres et les autres membres du Gouvernement). Si les tenants du Premier Pouvoir, le seul qui compte y compris aux yeux de la majorité des Français et sur lequel se calquent tous les autres corps de la société : le peuple, les bourgeois, les industriels et les financiers, si les tenants du Premier Pouvoir, donc, qui modèlent le monde contemporain depuis toujours, sont des écrivains, alors la Littérature occupe une place centrale. Si, en revanche, les tenants de ce Premier Pouvoir se moquent de la Littérature, s’ils ne la pratiquent pas et ne la magnifient pas, et bien elle est alors reléguée dans l’ombre. J’appuie ma présente argumentation sur des exemples historiques : le dernier Président de la République écrivain que nous ayons connu dans notre pays fut François Mitterrand : bibliophile passionné, ami d’écrivains, auteur de plusieurs livres : il a porté la Littérature tout comme l’a fait avant lui Charles de Gaulle qui fut lui aussi un écrivain qui tenait la route. Entre ces deux personnages a existé à l’Elysée Valery Giscard d’Estaing, et l’on se souvient des efforts désespérés que fit cet homme, qui littérairement n’arrivait pas à la cheville des de Gaulle et Mitterand, pour faire connaître (sur le plateau d’Apostrophes) son amour de l’œuvre de Guy de Maupassant, de l’édition d’un roman sentimentalo-libertin réputé terne (son seul roman) et de sa récente élection à l’Académie Française. Avant ces chefs d’Etat évoqués, on se souvient de Georges Clemenceau, homme politique de premier plan qui a fondé un journal et écrit une œuvre forte. Même si ces personnages répugnent parfois l’honneur des citoyens que nous sommes, ils ont porté la Littérature. Souvenons-nous, sous l’ancien Régime de Fouquet, qui fut le mécène du génial Jean de La Fontaine qui, d’ailleurs, après la disgrâce de ce seigneur, lui resta fidèle tout en composant avec le roi. Que ce soit l’Ancien régime monarchique ou le Nouveau régime républicain, les Lettres et partant la Littérature étaient portées par les membres du Premier Pouvoir qui en donnait le « la », en entraînant derrière eux l’ensemble des Français. Je m’exprime à l’imparfait car, depuis l’arrivée de Jacques Chirac, qui est à demi illettré (cette remarque n’est pas méchante : elle est réaliste) et donc se contrefiche de la Littérature comme d’ailleurs de pas mal d’autres choses, cette dernière est tombée en déshérence. Les tenants du Premier Pouvoir, à l’instar de tous les autres politiques moins cotés socialement, sont le reflet de la société : celle-ci n’est plus favorable à la Littérature, jugée trop difficile car elle mobilise, disons-le nettement, un projet de vie. Soit pour l’écrire soit pour la lire et partant les deux. Je ne vois pas un Nicolas Sarkozy ou une Ségolène Royal écrivains : ils ne le sont pas et ne le deviendront jamais. La Littérature n’est plus pour eux un investissement référentiel. La marque d’une culture qui prévaut. Elle n’a plus le vent en poupe. Elle est désormais à la remorque. Avec le développement du mercantilisme donc de la course à la survie, avec celui du snobisme de masse, avec la montée en puissance de la démagogie, elle tombe aux oubliettes. La cause politique de sa désaffectation est facile à comprendre : elle est essentiellement subversive, même quand elle est pauvre : celle ou celui qui sait écrire sait s’exprimer et sait communiquer donc sait réfléchir et cette faculté de réfléchir constitue un danger pour les Politiques. Ils ne s’aperçoivent pas que leur attitude méprisante envers la Littérature représente également un danger pour la démocratie, mais cette dernière n’est plus en enjeu : juste un argument électoral pour rassurer l’électeur. Voilà pour les Politiques. Pour les fonctionnaires du ministère de la Culture, il s’agit de suivre le train des politiques et d’assurer le bon déroulement d’un académisme absolument pas créateur : les bibliothèques publiques sont les parents pauvres du ministère : elles ont du moins le mérite d’exister et sont très fréquentées. Venons-en maintenant au domaine privé : il existe en France, en 2006, entre cinquante et cent écrivains de livres qui vivent de leur plume, c'est-à-dire avec les seuls produits de leurs droits d’auteurs (en général dix pour cent du prix HT d’un livre) que leur versent les éditeurs. Ce nombre diminue de jour en jour. Pourquoi ? Parce que les livres littéraires se vendent de moins en moins à très grands tirages et parce qu’il est donc nettement moins dangereux pour un écrivain contemporain qui veut vivre de son art de s’orienter vers la scénarisation de films (pour le cinéma) ou de téléfilms (pour la télévision). J’ai été jadis copain avec feu l’écrivain Alphonse Boudard (disparu en juillet deux mille) et qui fut un écrivain professionnel en son temps. « L’avenir est à l’audio-visuel », me disait en 1999 ce vétéran qui avait connu Louis Ferdinand Céline, Marcel Aymé et tant d’autres. Il avait raison. Je crois que la Littérature, en tant que phénomène de société, disparaît. Mais ce constat n’est pas pessimiste : elle continue d’être très vivace dans l’esprit des gens : témoin le « Prix du livre Inter » qui draine énormément d’auditeurs de radio. Témoins les quelques mille éditeurs de livres en France dont un tiers s’occupe de Littérature, témoins également, les mille revues littéraires françaises. L’embellie est là : malgré l’écrasement civilisationnel de la Littérature, cette dernière continue d’exister avec vivacité, à l’instar d’un fleuve majestueux devenu simple cours d’eau clairet, c'est-à-dire plus beaucoup petit mais qui continue de couler.

    Guy Darol : Serait-il hasardeux de nous livrer quelques éléments d’avant programme ?

    Michel Champendal : Pas le moins du monde ! Après le roman de dit Bart, trois livres sont au menu pour la rentrée prochaine : 1)- La réédition de « La Machine, roman vrai » de Gérard Sendrey. L’édition princeps de deux cents exemplaires est épuisée et l’ouvrage, bien écrit, a connu le succès : je le réédite en l’état mais avec une nouvelle couverture, plus attirante. 2)- L’édition de « Les Valises de la Mort », un roman de Jean Lupu. J’avais fait éditer ce roman voici quelques années à l’enseigne de Gutenberg XXIe siècle, une officine parisienne aujourd’hui disparue. Livre excellent : un roman noir qui se lit d’une traite. Court, pas cher, il a toutes les chances de rencontrer ainsi son public. 3)- « L’Abécédaire de Lou », de Jacques Brenet. Jacques Brenet est un médecin généraliste à la retraite vivant à Sainte-Adresse, une banlieue de la ville du Havre. Jacques a dessiné et écrit cet abécédaire forcément illustré pour sa petite fille Lou. Il a fait la tournée des éditeurs et s’est fait jeter de partout : trop naïf quant aux dessins, textes trop oulipiens, tels furent les deux reproches principaux des éditeurs. J’ai trouvé le tapuscrit littéralement délicieux : des dessins qui font penser à Pierre Etaix et à Jean Effel (tout à fait le style haut en couleur des années cinquante, Jacques Brenet est également un vieux monsieur) et textes à la manière de Raymond Queneau, de Patrice Cotensin et de Jacques Jouet, c'est-à-dire issus de l’Oulipo. Cela ne m’étonne pas que ce tapuscrit ait été refusé car les éditeurs chassent en tirant dans le tas de la modernité et tout ce qui peut, à leurs yeux, ressortir d’une historicité artistique est à bannir. Parce que réputé pas assez rentable. Pourtant l’œuvre est remarquable. Je bénéficie pour cette édition princeps de l’aide d’un libraire havrais qui relaie la formule de souscription que j’ai éditée. Car je ne possède pas de fonds propres et je travaille uniquement par souscriptions. Si j’arrive à éditer ces trois livres pour l’année 2006, je serai bien content. Tous trois dans la collection « Ecrivains d’Hier et d’Aujourd’hui ». Mais n’oublions pas que je prévois également la collection « Le Grand Insolite » et là j’ai, comme pour la collection précédente, de la réserve ! Je vais m’employer à tenir un stand dans divers salons du livre. J’y présenterai un pré-programme et demanderai aux visiteurs intéressés de souscrire. Il faut cent-trente souscripteurs pour éditer un livre. Je passe par d’excellents maquettiste et imprimeur. Je vais également actionner les circuits de l’aide publique aux livres (via le CNL, le Centre national du Livre) et de l’aide privée (le mécénat d’entreprise). Par prudence, j’édite à deux cents exemplaires numérisés, ce qui me permet de réduire les stocks, l’ennemi numéro un des éditeurs, et de retirer les livres à la demande, à un très petit nombre d’exemplaires s’il le faut. C’est le bon côté de la micro édition. Comme de toute édition d'ailleurs. Pour le reste, j’attends les tapuscrits (certains me sont déjà arrivés, déplorables hélas). Des tapuscrits dans lesquels les auteurs ne font pas le tour de leur nombril ou ne plaquent pas de platitudes sur le papier mais dans lesquels ils savent développer une ou des histoires ou exposer faits, opinions et arguments dans des documentaires dignes de ce nom. J’ai calculé qu’il me restait, sauf maladie grave, vingt-cinq années d’activité professionnelle (j’ai eu cinquante-deux ans en juillet dernier) : si j’édite cinq livres par an, je peux donc constituer un catalogue de cent vingt-cinq livres. Soyons modestes et tablons sur quatre-vingt : cela parait énorme mais, en réalité, ce n’est pas beaucoup, quand on voit tous les bons livres qui peuvent être édités ou réédités. C’est la raison pour laquelle je pense que de nombreux éditeurs peuvent cohabiter sans se concurrencer : chaque livre est nouveau et unique : il vient s’inscrire tout simplement, élémentairement, dans les bibliothèques publiques et privées. En fait, il n’existe aucune concurrence entre les livres, sauf, bien entendu, si deux éditeurs sortent le même texte en même temps, et encore : il existera alors certainement des collectionneurs qui souhaiteront posséder un exemplaire de chacune des deux éditions. Quels auteurs verraient ensuite le jour dans mon catalogue ? Parmi ceux que je n’ai pas cités dans notre entretien notons Richard Lesclide, Louise Michel, la Comtesse de Ségur, Casanova, Erik Satie, Félix Fénéon, Morvan Lebesque, Albert Londres, Tristan Bernard, Séverine, Maryse Choisy, Grisélidis Réal, Cyrano de Bergerac, André Baillon, Gaston de Pawlowsky, André Frédérique, Lucien Meyronien, Michel Falempin, Gaston Leroux, Louis Lecoin, Albert Paraz, Jean Ray, Alexandre Dumas, Léo Campion et Julien Blanc.

    Entretien entre Guy Darol et Michel Champendal réalisé le dimanche 13 août 2006.


    > Editions Michel Champendal

    > 16 rue Lentonnet 75009 Paris


  • JEAN LUPU

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    Dans la préface qui ouvre La bague de Jean Lupu, Michel Champendal nous prévient de parentés possibles avec Jean Guenot et Jacques Sternberg, deux écrivains qui savent les liens subtils entre réalité et fantastique. Jean Lupu est antiquaire et son univers donne vie aux choses et à ses personnages. Fictionneur, il ranime l’humain, soufflant d’un style bien vigoureux sur les petites braises de l’être toujours menacé par l’emprise du temps qui gèle les cœurs. Les treize nouvelles de son recueil appartiennent pleinement à son auteur. Elles révèlent une écriture qui a travaillé à faire fondre toute graisse. « Le maître Pierre Roussel », à l’intitulé borgésien, condense la mécanique générale. Un coffre de grenier retrouve sa facture d’origine et son célèbre créateur au terme d’un voyage qui s’apparente à la quête des chevaliers arthuriens. L’anthropomorphisme de Jean Lupu nous met à la fois sur la piste de Francis Ponge et de Robert Louis Stevenson. Car les objets témoignent longtemps après que leurs propriétaires ont passé. Ils disent d’une voix sûre ce que les hommes ne parviennent qu’à bredouiller.

    La bague est le deuxième ouvrage édité par Michel Champendal. J’ai dit ici les mérites de La Machine, premier roman de Gérard Sendrey. Ces livres ont en commun d’exprimer l’humanité en l’homme et de célébrer les accointances joyeuses du réel et de l’imaginaire.

    La bague

    Jean Lupu

    Éditions Michel Champendal

    123 p., 12 €


  • GERARD SENDREY


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    Au moment où le Musée de la Poste, célèbre l’universel Gaston Chaissac, il est de toute première urgence de connaître Gérard Sendrey, artiste outsider (et c’est ici le plus haut compliment que je puisse envoyer), poète buissonnier et, depuis peu, romancier unique.


    Je serais presque tenté d’écrire romancier hunique (selon l’expression de Jean-Pierre Faye) au sujet d’un livre absolument exceptionnel qui prouve, par son caractère neuf, que la littérature n’est pas en voie de décomposition.


    La Machine est un roman comme il s’en écrit depuis Raymond Roussel. Son écriture en est savante (non savantasse !) et savoureuse. Gérard Sendrey n’aurait envisagé d’écrire pour faire comme. Ou pareil. Ou déjà. Il lui fallait une supplémentaire excitation. Un supplément de joie. Toute destinée au lecteur, évidemment.


    Mais de quoi s’agit-il ?


    La Machine est un lipogramme où les verbes être et avoir sont systématiquement écartés. On se souvient que Georges Perec initia dans La Disparition cette stratégie d’écriture. Mais l’on devine que la suppression de ces deux verbes (avec ce qu’ils comportent de physique, métaphysique, ontologique et économique) va plus loin que le jeu de cache-cache. Ces deux mots pèsent lourd dans la trajectoire de nos vies sursitaires. Ainsi, si Gérard Sendrey fait la chasse à ces deux vocables, c’est surtout pour nous parler de l’essentiel.


    L’exercice oulipien n’est pas la fin qui justifie son premier roman. Gérard Sendrey est né en 1928. Ce n’est pas un âge pour faire le con. Du moins pas totalement.


    Ce roman parle de l’intérieur de soi pour atteindre le lecteur. Touchant. Touché !


    Et je vois en cette machine une machination artiste, un moyen-magie pour faire reculer la mort en restaurant, une fois pour toute, le pouvoir de l’enfance.


    Assez d’enfantillages (mot d’ordre sociétal), soyez sérieux, mondialisez vos énergies, rendez vous utiles aux vainqueurs… autant d’impératifs catégoriques lancés par les puissants couillons. La Machine de Gérard Sendrey est un instrument de guerre, une arme sans linéaments, invisible/lisible qui pulvérise les illusions que ciblait Guy Debord. Avez-vous observé, au passage, la haine organisée contre ce nom depuis qu’il est notoire et vaste ? On aimait Debord du temps de sa clandestinité forcée. On le déteste à présent qu’il est sorti au jour (par les fossoyeurs !).


    Gérard Sendrey appartient au monde de la Création Franche, celui des formes d’art parallèle aux officiels standards. Ses œuvres plasticiennes foisonnent all over the world et particulièrement dans la Neuve Collection de l’Art Brut à Lausanne. C’est un fabuleux, un créateur de vie. Et un écrivain qui transforme toute tourbe en or pour les oreilles et pour les yeux.


    Car La Machine se lit comme un roman (à haute voix, c’est mieux !) au-delà du divertissement. Nous n’en livrerons pas l’intrigue. Sachez qu’elle est ancrée au port des songes de haut verbe où baignent Robert Louis Stevenson (pour qui le fond est dans la forme) et Louis Calaferte.


    Gérard Sendrey (du grec aisthétés : qui sent, qui perçoit par les sens) promet une suite à ce grand livre. L’Analyse paraîtra prochainement. Guy Darol


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    LA MACHINE

    Gérard Sendrey

    Editions Michel Champendal

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    Gérard Sendrey
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  • MICHEL CHAMPENDAL QUESTIONNE GUY DAROL

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    En mars 2005 paraissait dans un numéro hors-série du magazine Ecrire & Editer cet entretien emmené par Michel Champendal, camaro de très longue date. Libraire, revuiste, journaliste, animateur d’ateliers d’écriture et éditeur, Michel Champendal est l’auteur d’un bref ouvrage au titre bien évocateur : A Guy Darol, en souvenir du futur. Ce recueil de mélanges témoigne d’un vif enthousiasme  pour mes livres biocritiques.


    MC : Novembre 2003 – mars 2005 : un laps de temps de près d’un an et demi s’est passé depuis votre entretien avec Ecrire & Editer. Que s’est-il passé de marquant dans votre vie d’écrivain pendant tous ces mois évoqués ? Qu’avez-vous pratiqué ?

    GD : La parution, en 2003, de Frank Zappa ou l’Amérique en déshabillé (éditions Le Castor Astral) marque la fin d’un cycle. Mes relations avec le compositeur sont anciennes. J’ai raconté les commencements dans La Parade de l’Homme-Wazoo (Le Castor Astral, 1996). Je ne savais pas alors que Zappa serait un moteur déterminant dans ma réflexion sur la mixité des pratiques signifiantes. Zappa est en effet la clé qui ouvre toutes les portes. On ne peut véritablement entrer dans son œuvre si l’on isole l’espace musical de l’art, du littéraire, du philosophique et du politique. Ce troisième et dernier volume est celui de la combinaison de tous les savoirs, de toutes les intuitions. Il est aussi l’occasion de rappeler que l’œuvre monumentale du compositeur californien est une charge contre l’ignorance. Il me plaît au fond que cet homme dérange et qu’il suscite à la seule évocation de son nom la sympathie ou le dégoût. La sortie de ce livre coïncidait avec le souvenir de sa disparition dix ans plus tôt. Je fus alors souvent contacté pour tenir le crachoir. Et je ne me suis guère privé de l’occasion pour amplifier le point de vue de Zappa contre la militarisation du monde, le glissement des pratiques musicales vers les replis boursiers de l’industrie phonographique. En ces temps où le religieusement correct condamne à mort*, la voix de Zappa (dont fit écho celle de Salman Rushdie) est une assise. Le mardi 2 décembre 2003 au Carré Magique de Lannion, je lui rendais hommage en remuant l’auditoire au moyen d’une rhétorique qui insistait moins sur la virtuosité du guitariste que sur sa clairvoyance dans un domaine qui est celui du retour du Dieu guerrier.


    Est-ce que votre activité de journaliste dans des gazettes musicales constitue pour vous matière à construire une œuvre (les articles publiés) au même titre que vos romans, vos nouvelles, vos poèmes ou vos essais ?


    Le journalisme qui fut ma première école (celle de l’Agenc e France Presse où j’ai exercé dans les années 1970) est une passion. Ce fut, je crois, mon université avec celle de la rue et des chemins creux. J’y ai rencontré des personnalités qui frémissaient de mieux connaître la réalité : la réalité du terrain, celle que la Sorbonne était bien incapable de m’enseigner. J’ai ainsi rejoint le quotidien Libération avec un entrain rapidement modéré. L’esbroufe, l’appétit de régner étant incompatibles, selon moi, avec la condition de celui qui observe et témoigne. Il fallait alors se battre pour faire passer l’idée que l’important n’est pas dans le stuc mais dessous. J’ai toujours éprouvé de l’estime pour les seconds couteaux, les misfits et ce journal l’a très bien compris qui me fit jouer un rôle de figurant. Je fus longtemps préposé à l’underground ce qui finit par me coûter ma place lorsque Daniel Rondeau, prenant les rênes des pages Livres, décida que l’underground était over.  Après un long séjour au Magazine Littéraire qu’emmenait anarchistement (ceci sous mon calame est un compliment) l’illuminé buveur-fumeur-moqueur Jean-Jacques Brochier, j’ai décidé de dire stop à toute activité au sein de la Presse cannibale. Je renonçai aux colonnes (disons Vendôme) qui donnent la préférence au besoin d’exister plutôt qu’à l’urgence d’être. Déception car je croyais (mais sans doute avec la foi du Facteur Cheval) en l’absolue liberté d’écrire soudée, dans ma tête, à l’exemple d’Albert Camus. Je découvrais qu’il fallait d’abord étre-des-leurs avant de pouvoir, comme on dit, s’exprimer. Etre-des-leurs, c’est-à-dire dans le ton, dans le move. Trendy. Point de singularités. Dur pour un canard podagre. Etais-je grillé ? En partie, mais pas sur tout le corps.  Ceux qui se doutaient (ayant lu les ouvrages de Greil Marcus) que le journalisme peut être une situation où l’actualité croise le fer avec la culture, ceux-là ont observé ma manière, peu orthodoxe cela va sans dire. Et c’est ainsi que j’ai repris du service, menant bataille en faveur de l’alternatif, de l’inconsensuel, du no commercial potential dans des mensuels spécialisés (Recording, Muziq) que mes chroniques déspécialisent. Enfin, je fais de mon mieux… Parce que oui, dear Michel Champendal, le journalisme n’est pas séparé de la littérature. Il la fomente. Il la nourrit. Ceux qui comprennent Patrice Delbourg, Antoine Blondin, Henri Calet, René Fallet (courez dare-dare acheter ses Chroniques littéraires du Canard enchaîné éditées par Les Belles Lettres),  Alexandre Vialatte, apprécieront.


    Vous écrivez et publiez depuis une trentaine d’années : au début de votre activité d’écrivain, vous étiez un jeune homme, vous avez dirigé la revue Dérive, une revue de recherche littéraire. Est-ce la démarche que vous recommanderiez à une jeune ou un jeune écrivain aujourd’hui pour commencer à écrire ?

    Incontestablement. J’imagine cependant que la mise en œuvre de nos jours d’un projet papier (avec les problèmes de diffusion que cela implique) doit être un sévère casse-tête. La revue est un espace de confrontations. Un échangisme de la pensée où l’enthousiasme, l’indignation, la curiosité cherchent à atteindre le plus haut niveau. Il est important de se confronter, de frotter sa pratique aux exigences de l’autre. Comment avancer, sinon ? Seul ? Dans un vis-à-vis avec le miroir ? Soyons sérieux, les dynamiques de la pensée et de l’art ont toujours résulté de la méthode groupusculaire. Des Hydropathes aux Situationnistes, l’épopée subversive des pratiques signifiantes est marquée par la bande, la jam, le posse ou le crew. Que cela donne lieu à des fanzines, des webzines ou des blogs, l’aventure des formes est une affaire de camaraderie. Alors si tu te sens l’envie de déplacer une cloison, un mur, d’ébrécher une convention, de mettre en pièces un tabou, compose l’espace de ton insurrection. La toute dernière (et première) urgence est de mettre fin à l’isolement pour que la littérature puisse de nouveau donner du coude et frapper du poing.

    Les conditions de publication des œuvres pour un écrivain sont-elles plus difficiles ou plus faciles en 2005 que du temps de vos débuts, savoir le commencement des années 1970 ?


    Je suis de l’espèce qui, dans les années 1970, méprisait l’édition marchande. Il ne me venait pas à l’idée (sauf à capituler) d’adresser un texte au triptyque Gallimard-Grasset-Seuil. Je me serais déshonoré. Parce que je n’étais pas dupe du mic-mac, des combinaisons aristocratiques, des jeux de pouvoir comme l’on disait alors. Je ne suis pas sûr qu’en 2005 cette éthique soit compréhensible. De toute façon, la difficulté pour un jeune écrivain aujourd’hui c’est de faire connaître son travail. Jamais l’entre soi tyle="color: #000000;">, les petits arrangements, l’aide sous condition d’aide n’avaient atteint ce sommet mafieux. L’écrivain doit avant tout adopter le ton de l’époque, autrement dit la musique du jackpot. Pouah ! Aujourd’hui égale sincérité feinte, exposition du faux à forte odeur écologique, présentation de la surface au détriment du fond. Mais est-ce ta tasse de thé ?

    On a coutume de dire que les parcours des auteurs et des écrivains ressortissent de la vie d’artiste et que les débordements narcissiques y sont monnaie courante. Partagez-vous cette opinion ? Ou bien, au contraire, pensez-vous que l’on puisse être un bon écrivain sans plonger sa vie dans un romantisme échevelé qui puisse constituer un enfer pour les proches ?


    J’affirme que la littérature est une affaire de vision. On ne peut écrire sans poser sur le monde un regard qui le conteste. On ne peut employer la plupart de son temps sans être convaincu qu’il y a quelque chose à ajouter, une parade, un dernier mot. Il est inutile de s’engager sur cette voie si l’on ne possède la certitude de pouvoir briser une ligne droite. Cela ne signifie pas que l’on pulvérisera les burnes de son entourage, que l’on mettra à plat ses amitiés et ses amours, qu’il faudra tout détruire pourvu que l’on ait raison. La littérature n’est pas un saccage. On peut fonctionner en harmonie dans son univers affectif tout en grippant la machine qui jette sur le flanc la plupart d’entre nous. Se battre, c’est viser la cible.

    Vous venez hélas de perdre votre coéquipier dans la rédaction d’un dictionnaire commun sur  les vie et œuvre de Frank Zappa. Quelle est la différence notable entre écrire seul et écrire à deux ? A quoi engage le fait d’écrire à deux ? Quels sont les avantages et les inconvénients du travail en duo ?


    La mort de Dominique Jeunot au moment où nous envisagions d’améliorer notre Zappa de Z à A relève de l’immonde qui justifie l’insubordination. Dominique Jeunot était un savant foutraque et désordonné. Ce n’était pas tous les jours faciles de travailler en duo. Il fallait, en somme, répéter. Avec ce que le mot répétition implique en fécondité de réussite et d’échec. Nous ne cherchions pas, en concevant ce dictionnaire, à unifier le ton. Chacun s’y trouve et l’on retrouve, me semble-t-il, nos approches particulières de l’œuvre. Ce qui me reste à l’esprit, c’est le pléthorique enthousiasme. Ce livre nous l’avons écrit alors que Dominique habitait Paris et que je vivais en Bretagne. Imaginez : affluence de mails, de courriers terrestres, d’appels téléphoniques. La distance nous rapprochait. Elle a favorisé l’échange. C’est un paradoxe intéressant.

    Vous continuez d’habiter en Bretagne, près de Morlaix, en Finistère. Avant l’apparition du Net dans nos vies, c’est-à-dire au début des années 1990, il semblait patent qu’il n’était bon bec que de Paris pour un écrivain, qu’il valait mieux habiter la capitale française pour pouvoir figurer dans les catalogues d’éditeurs résidant si possible rive gauche. Cet état de fait est désormais périmé. En quoi l’internet a-t-il dopé vos rapports avec les éditeurs de livres set de revues, avec les collègues écrivains, avec les critiques et pensez-vous que l’on peut écrire et éditer efficacement si l’on réside en région ? Les éditeurs situés en région bénéficient-ils à vos yeux désormais d’une réputaion égale à celle de leurs confrères parisiens ?


    D’abord, il importe de dire que j’ai fui Paris au sens où Joseph Deteil a quitté ce monde « pour un monde meilleur ». J’ai tourné le dos à Parouart parce que me manquait l’odeur des chemins creux, celle de mon enfance parfumée d’ajoncs. Je n’en pouvais plus des factices attitudes, du semblant que l’amour de la littérature m’a appris à combattre. Et puis, lors de mes incursions (j’ai pratiqué l’effort) dans le beau monde on m’a tant fait humer que je sentais le fumier qu’il paraissait logique que je revienne à mes veaux, vaches, cochons. Peut-on dire pour autant que la Bretagne exhale cela ? Ce serait faire plaisir à une certaine nomenclature qui se pense d’élite. Ce serait lui faire croire qu’elle est le centre du monde nouveau. Elle n’est en fait que le nombril du business, celui des tractations qui n’intéressent pas vraiment le lecteur d’André Hardellet que je suis. Internet, en effet, autorise des rapprochements inattendus, des tutoiements, des alliances rapides. Il est désormais possible d’élever des barricades sans remplir de formulaire. Il n’est plus nécessaire d’itinérer par le cocktail avant de se proposer d’en découdre avec le mensonge. La vérité est immédiate. Elle parle au travers d’un mail. Le Net est une boîte à outils qui se rapproche de l’arsenal. Jusqu’où pourra-t-on s’y époumoner ? Quant à l’édition régionale, elle n’est mirifique que lorsqu’elle broute du terrain à Paris. Or, elle n’est souvent que régionale, autrement dit identitaire et subséquemment ethnoïde. Et ça, pour franchement parler, ça me broute.

    Comment voyez-vous pour vous puis pour les auteurs l’année 2005 qui se présente ? Les concentrations industrielles et financières de l’édition au sein de grands groupes dont le cœur du métier d’origine n’est pas l’édition constituent-elles des périls pour les auteurs et les petits éditeurs ? Ou bien existe-t-il de la place pour un artisanat talentueux dans l’édition  et la grosse cavalerie industrielle servirait-elle alors de locomotive stimulante ? Aurez-vous encore l’opportunité de publier vos textes comme avant ou bien y a-t-il péril en la demeure ?


    J’ai passé l’âge où l’on se soucie de faire vivre ses écrits. Si cela fut, ce n’est plus guère mon obsession. J’ai la chance qu’un éditeur, Le Castor Astral, se soit porté garant dès le début de mes exercices littéraires. Il m’est fidèle et cela mérite d’être signalé. Il est certain, par ailleurs, que la solidité de ma frêle entreprise repose entièrement sur l’existence de ce Castor sans cesse bâtissant. Je voudrais somme toute que Jean-Yves Reuzeau, Marc Torralba et Bénédicte Perot soient immortels. Il est facile de comprendre, en effet, que leur disparition ne sera pas remplacée. Car je dois vous dire, Michel Champendal, que la vie littéraire (ou ce qui la parodie) telle qu’elle s’ébroue aujourd’hui m’inquiète. Ces deux mots me semblent en effet artificiellement unis. Pire : ils sont vides de sens. Vie (mais quelle vie ?) et littéraire (où ça ?) me paraissent associés pour le pire. Mais ne soyons pas trop tristes. J’ai foi dans les logiques rebelles, la force de vie justement et l’amour de l’art. Je me dis que ça va chier, que le schproum est en marche, que la jeunesse va nous remettre tout ça d’aplomb. Qu’elle balaie l’imposteur, qu’elle fasse fuir les fainéants de l’exigence, qu’elle relève la littérature vers ces cimes où l’air est bon ! Ecrire c’est vivre, non ?


    (*) Pour avoir mis en scène une pièce (Behzti) évoquant un viol dans un temple Gurdwara, la dramaturge d’origine britannique Gurpreet Kaur Bhatti est condamnée à mort par des groupes extrémistes de la communauté sikhe. Mauvais souvenir, pas vrai ?