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EVERYTHING IS POLITICAL - Page 3

  • EVERYTHING IS POLITICAL ❘ 3. LA VOIE

     

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    C’est un parcours que nous portions en nous. Tracé par de malsaines lectures. Celles qui permettent de tenir face à l’institution scolaire. Face aux œuvres imposées qu’il est impossible d’aborder de plain-pied. Racine, Corneille nous étaient jetés en pâture à l’âge de 14 ou 15 ans. On y aurait ajouté Malherbe, on était sûr de nous détourner à jamais de l’espace littéraire. Au fond, c’est cela que nous recherchions en soulevant les jupes des libraires, en grivelant à l’étal des Prisus. On espérait l’aigre des mots, des phrases à torgnoler les maîtres, des textes vengeurs et sales. Semblables à nos boules puantes.

    On finissait par trouver.  Comme la fenêtre que l’on pousse pour passer de la classe à la cour. Issue de secours. Rampe d’escalier à chevaucher vite. Comme de sécher, fuguer, voler. On cherchait le sel. Plus de textes pralinés, ponctués proustien. On finissait par magiquement trouver : Lautréamont, Mallarmé, Albert-Birot, Tzara, Breton, Reverdy. Nous savions le chemin à suivre, la voie de passage.

    L’école suggérait une ligne sagittale, droite. Nous trouvions la spirale, le déplacement courbe. Un paysage toujours changeant. Guy Darol

     

  • EVERYTHING IS POLITICAL ❘ 2. LE PLAN

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    Nous suivions distraitement les objurgations des meneurs. Si l’on participait à des esclandres, à des émeutes, c’était presque toujours en arrière ou de côté. Ceux que j’entends aujourd’hui revendiquer des fracas de vitrines n’étaient pas mes alliés. La violence m’a toujours été antinomique. Et pourtant, il en est qui mériterait de succomber noyés sous des flots de crachats.

    Je préférais la lutte des mots. Pas ceux qui signifient, telle une déclaration de guerre, qu’il faut suivre une meute. La lutte des mots, c’était plutôt le désir d’embrouiller. L’envie d’énoncer des formules qui ne mènent à rien. Impossible donc à emboîter. Qui ne finiraient jamais dans la boîte à idées d’un filou publicitaire. Qu’on ne transformerait pas en marchandise de salon.

    Le plan consistait à faire tomber les règles de préséance. Par exemple, nous décidions que la poésie était un libelle, qu’une image photographique valait un concept. La pensée était libre du chemin qu’elle prenait, jouant ainsi un tour aux spécialistes, aux gardiens des catégories, aux représentants des genres établis. Le roman n’existait plus. La poésie moins encore. Denis Roche l’avait assez dit : "La poésie est inadmissible. D’ailleurs elle n’existe pas."

    La guérilla n’était plus armée de boulons mais de mots effervescents et qui roulaient de Guy Debord à Ezra Pound, niant la supériorité d’un domaine sur un autre. Les penseurs significatifs (Barthes, Baudrillard, Foucault) justifiaient nos méfiances. Tout pouvoir est savoir. Il fallait ainsi miner les rhétoriques dominantes, lacérer le smoking des langues, effrayer les mandarins en produisant l’élan qui franchit les barrières.

    Cela donnerait des revues, périodiques incertains, vendus à la criée comme les brûlots des Communeux. En 1974, nous apprenions la mort de Salvador Puig Antich, militant du Mouvement Ibérique de Libération, garrotté dans une prison de Barcelone. Toute une soirée, à la croisée des rues Saint-Séverin et de la Harpe, nous avons hurlé l’horreur jusqu’à briser nos voix. Quelques-uns se pressaient la gorge en gueulant. Nous portions des masques blancs pour signifier notre place aux côtés des victimes de la mort programmée. Viva la muerte était le haro crié par Milan Astray, général franquiste. Cette sentence, on l’aboyait à l’envers. A l’endroit, on jurait la joie insurgée de vivre avec le s mots de Jean-Pierre Duprey, d’Antonin Artaud. La publication que nous laissions contre 3 francs s’appelait Crispur et était sous-titrée Notices pour une insurrection de l’écriture.

    Il n’y avait selon nous* qu’une seule voie (de passage, traversière) pour nuire aux paroles établies. Grossièrement, elle se nommait poésie. À la condition toutefois qu’elle vienne de poètes prônant le désordre ainsi que le concevait André Laude**. Guy Darol


    * Nous, c’est-à-dire Christian Gattinoni, Henri Martraix, Bernard Raquin , Mouse et Anymaousse

    ** André Laude, Joyeuse Apocalypse, 1974 ; Liberté couleur d’homme, essai d’autobiographie fantasmée sur la terre et au ciel avec Figures et Masques, 1980. On lira avec profit, Les compagnons du Verre à soif, François Vignes, 2002.

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  • EVERYTHING IS POLITICAL ❘ 1. LA CONTRE-CULTURE, ENCORE

     

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    Les années 1970 furent, pour beaucoup d’entre nous, le temps de la rébellion et de l’écart. Nous envisagions des dérives pour briser les entraves, rompre les chaînes sémiotiques. Il s’agissait alors de vivre en marge, c’est-à-dire à côté de ce monde que l’on regardait comme perdu. Nous étions ailleurs. Et l’on était sauvés.

    Des bandes se constituaient, animées de désirs obliques. L’époque étant passée d’abattre le jeu adverse, ces bandes bricolaient des énoncés pour oiseaux rares. Il importait de confondre les langages et d’annuler les exclusions.

    Tout cela se produisait sans bruit, en dehors des curiosités habituelles qui allaient au prix du brut, au suicide d’Allende, à l’affaire du Watergate et, finalement, à la mort du vieux monde. Nous réalisions de petites choses – fanzines, plaquettes ... – dans ce climat d’indifférence si caractéristique des jours sans lendemain.

    Puisque nous avions gravement répondu à l’appel de Sartre visant à différencier l’homme du brin d’herbe ("L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur" *) et que cela n’avait rien donné, nous voulions engager nos vies autrement. L’action ne serait plus dans le déploiement du verbe assertif. L’homme de la rue cesserait de craindre nos colères qui cassent tout.

    Nous avions un nouveau programme : détruire les cloisons épaisses qui séparent savoirs et pratiques. C’est de ce dépiècement qu’allait jaillir le monde neuf. Un monde sans portes verrouillées, mirifique château d’air où se comprennent le physicien et le poète, l’artiste et le philosophe, le nomade et le sédentaire.

    Il faut bien admettre, tout à fait globalement, que ce programme a échoué. Certes, Berlin a vu tombé son mur. Philosophie et poésie n’ont point disparu. Et si les signes se mêlent entre eux c’est souvent à l’intention de tribus, filles des bandes d’autrefois.

    Alors fallait-il mener une guerre sans fin contre le Capitalisme ? Fallait-il que les mains restent armées afin d’annihiler jusqu’au dernier les tycoons de la finance ? L’histoire parlera. À moins que l’humanité toute entière ne s’évapore dans les nuages de feu du profit. Car c’est bien cela qui domine. Les machines à créer du manque l’ont emporté sur celles à produire du désir. La vie de beaucoup d’entre nous – et nous hésitons à écrire la survie – tient sur des balances d’irréel où l’êtreté n’a plus cours dès lors que le Capital a la cote. C’est lui, comme dans les souvenirs de ceux qui se rappellent le vieux monde, qui hiérarchise l’important et fait passer les hommes bien après la charrue. Ce qui retournerait Sartre dans son étui mortuaire, lui qui fonda l’existentialisme sur l’évidence que "l’homme a une plus grande dignité que la pierre".

    Doit-on, pour respirer un peu, demander le retour de Clément Duval et de la RAF (Rote Armee Fraktion qu’il ne faut pas confondre avec la Royal Air Force, comme aimait à le dire en riant Félix Guattari) ? On s’interroge en se palpant la région de l’occiput. Sommes-nous des assassins ? Il n’est jamais résulté de ma haine du Capitalisme une pétition pour l’incendie des palais et des banques. Je n’ai pas écrit un seul mot qui convoque des rassemblements destinés à une mise à mort. Mon cœur a trop battu aux pulsations pacifistes de Louis Lecoin et de Mouna pour que mes nerfs brusquement craquent. Qui a célébré Joseph Delteil ignore le maniement du nunchaku de combat et de la grenade à fragmentation.

    Somme toute, je maintiens que nous avions raison de choisir l’écart. Attaquer le World Trade Center ne coïncide pas avec le plan. Les dévastations moléculaires qui viendront à bout du système n’ont rien à envier aux stratégies de guerilleros. Il n’y aura pas une goutte de sang. Pas de luxation. Pas d’entorse. Guy Darol


    * Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, 1970.

     

  • GERALD BLONCOURT PHOTOGRAPHE FRANC-TIREUR

     

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    Gérald Bloncourt sur grand écran à la mairie du 11e arrondissement
    par Bienvenu Merino

    Né le 4 novembre 1926, à Haïti, Gérald Bloncourt est à 20 ans, artiste et leader des journées révolutionnaires qui secouent Haïti, début 1946. Il doit s’exiler en France pour échapper à une condamnation à mort par la junte militaire qui a pris le pouvoir. Devenu photographe, membre du P.C.F. et responsable photo du service politique du journal l’Humanité, il décide de faire de son objectif une arme au service de son combat humaniste.

    « JE NE SUIS PAS UN MARCHAND DE PHOTOGRAPHIE, JE SUIS UN FRANC-TIREUR DE L’IMAGE ».

    Ici, dans les salons de la Mairie, 50 ans de photographies résumés en moins de cent  images époustouflantes de vérité, de sensibilité, témoignages d’un monde tourmenté, de tueries dans le cher Haïti de son enfance, d’émigrés venus du monde entier s’entassant dans les bidonvilles de la région parisienne, dans les années 1960, de travailleurs hors du temps, de mineurs du nord de la France aux visage de saints terrorisés par le destin,  de femmes, d'enfants et d'hommes anonymes acculés par la souffrance et la lutte quotidienne. Bienvenu Merino

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    Belleville par Gérald Bloncourt

    EXPOSITION DU 23 AU 31 JANVIER

    Film/entretien sur grand écran avec Gérald Bloncourt

    Salle des fêtes de la mairie du 11e arrondissement deParis

    Place Léon Blum Paris 75011

    Métro Voltaire

     

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    Photo: Gérald Bloncourt.
    Angela Grimau, femme de Julian Grimau, au moment de l'annonce de l'exécution de son mari, militant communiste espagnol. cela se passe à la Bourse du travail à Paris, au cours de la manifestation réclamant  l'arrêt de la sentence. On lui apprend avec des fleurs que son mari vient d'être fusillé. Son regard montre l'immense douleur qui l'envahit.

     

     

    Poème de Gérald Bloncourt

     

    Paris quelque part

    Le ciel blafard et l’ombre muette

    jettent leur valise au regard du monde

    la faim gèle sa cadence

    au pluvieux nuage que mord l’étain

     

    Le vent céleste et la molle cerise

    appellent la tendresse et le rire bruyant

    Je vois mourir l’ombre des grands toits

    Et se tordre le gris des ardoises tristes

     

    Je vois miauler

    la couche d’asphalte

    j’entends grincer pleurer la radio

    et la joie.

     

    Et je dis au courant qui gratte

    l’espace

    voici venir l’ombre vaste

    des cyclones hargneux.

     

    Je boucle ma valise pour un port

    plus doux

    et je nage dans l’équilibre de la sueur

    moite.

     

     

    LE BLOG DE GERALD BLONCOURT

     

  • GUY DAROL REPOND A BIENVENU MERINO

    Au moment où paraît son dernier livre

    FRANK ZAPPA/ONE SIZE FITS ALL COSMOGONIE DU SOFA

    aux Éditions Le Mot et le Reste

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    Guy Darol, enfance à Paris et en Bretagne.

    Dès ses six ans, passionné de lecture, comment en arrive-t-il à l’écriture ?

    Ses livres, dont son récit Héros de papier (Le Castor Astral éditeur), ses premières années vécues rue du Pressoir dans le 20earrondissement de Paris puis, rue des Minimes, à deux pas de la place des Vosges, enfin en banlieue, à Vincennes, sur les traces d'André Hardellet (d’où résultera son magnifique essai André Hardellet, Une halte dans la durée, Le Castor Astral éditeur).

    Le retour en Bretagne, près de Morlaix.

    BM : Bonjour Guy, comment va l’Indien d’Armorique ? Je suis content de savoir que tu te sentes « Indien ». Te reste-t-il, toi qui est très parigo, un peu d’accent de cette langue bretonne qui doit t’être très chère et qui est celle de ta mère qui monta à Paris avant de retourner au pays. Elle conserve toujours cette couleur chantonnée du terroir, je crois. Parles-tu breton?

    GD : L'indien d'Armorique affûte ses flèches. Il voit le ciel bleu, la mer calme. Du soleil d'octobre chaud caresse son front tanné. Mais son cœur entend le verdict des cœurs. Il sait qu'il est urgent d'amplifier le combat. Ami, je ne parle pas le breton, du moins celui que l'université enseigne, surnommé KLT, une combinaison des mille langues qui bruissaient autrefois. Mes parents, natifs du Cambout (Côtes-du-Nord) et de Ménéac (Morbihan) parlaient quelque chose que d'un commun accord, sans barguigner ni se mordre les lèvres, on appelait le patois. Ils patoisaient comme je déballe le jars. Joseph et Agnès patoisaient un parler mélangeant roman, breton et mots orfèvrés par l'instinct poète qui est aussi celui de la survie. Ils découvrirent, avec un étonnement que je partageai avec eux, qu'ils parlaient le gallo. Sans le savoir, ils maniaient un patois qu'à présent l'Université ratifie. Ce gallo (qui de fait est une langue de coursier ; mon grand-père Jean-Baptiste posséda plusieurs juments ; l'une se nommait Voltige) me manque. Et ce que j'en lis, ce que j'en entends est bien éloigné des métaphores filées par Génie, Mathurin, Augustine, Béderi, Victor, Léontine ou Constance. Ceux et celles de mon village, un village aujourd'hui asséché et qui, il y a 35 ans, ruisselait de mille accents, joies, coquecigrues plus ou moins aigues. Car chaque jour était une fête autour de l'abreuvoir, de la bolée, du feu de cheminée. Joseph, mon père et maître regretté, a replié ses gaules, il y a trois ans, emportant avec lui une bonne humeur (inégalée), des chemins secrets dans la broussaille, des images et des formules que j'entretiens (pieusement) comme le bon feu qui un jour s'éteindra. Si le soir fait chanter les rainettes (mais les nitrates, les phosphates, l'agriculture et ses poudres à canon les ont presque toutes dégommées) alors je me souviens de Baptiste, sur le seuil de sa carrée, revissant sa viscope et portant sur l'horizon ce jugement dernier : « Les ernettes chantent é saille i va faire bao demain. » Signe qu'après la nuit, le beau temps régnerait. Quant à ma mère, pauvre petite mère qui vécut son enfance à l'abri des talus, dans le nid des fossés, dehors était sa chambre, à la cloche des champs, ma petite mère n'a plus d'accent. Car étouffé par les mouchoirs du dégoût qu'elle appuya elle-même sur ses lèvres, sur son coeur, partout où transpiraient ses origines de va-nu-pieds. Ce qu'elle fut. Ce qu'elle n'est plus. Mais il lui reste la sauvagerie dont mes flèches sont amidonnées. Ma petite mère entame sa huitième décennie à Josselin.

    BM : Qu’évoque pour toi Hôtel-Dieu ?

    GD : L'Hôtel-Dieu est mon lieu insulaire de naissance, un berceau au milieu de l'eau, mes commencements de marin terrestre. Là je suis né et chaque fois que le piéton (mon père m'exerça à cette fonction en lui ajoutant le côté flâneur) m'en rapproche, mon coeur s'humidifie, mes yeux s'humectent. Je sens une odeur de muguet et le parfum de révolution. Cela eut lieu un premier mai. D'où le nez et l'esprit de rebiffe. Subversif un jour, subversif toujours.

    BM : La Bretagne, Paris, rue du Pressoir, retour au pays breton. Court itinéraire, mais vie bien remplie, n’est-ce pas, Guy ? Quels sont les souvenirs que tu conserves de cette rue du 20e arrondissement, presque légendaire aujourd’hui, où tu vécus cinq ans.  Ne plane-t-il pas, là, au-dessus de cet îlot, le képi du général De Gaulle et la maltraitance d’un gouvernement (De Gaulle, Pompidou, Malraux) à l’égard d’une classe travailleuse et laborieuse, bien que les habitants, installés aujourd’hui dans une rue du Pressoir nouvelle, ne semblent pas du tout s'en plaindre. Veux-tu nous en parler ?

    GD : Ami, ces années-là sont celles du bonheur. Rue du Pressoir, dans un étroit deux pièces privé de ce que nous nommons aujourd'hui le confort, je vécus sans savoir, sans même deviner, que le meilleur avait une fin. Là tout se déroulait à l'infini, sans obstacles, sans heurts. Ça roulait. Et j'étais loin d'imaginer que mes pieds reposaient sur un sol menacé par les machines à pelles et à boules de fonte. Un jour, ma main serrée dans  celle de mon père, je compris. Nos yeux assistaient à l'éboulement de nos fiestas : cendres, fumée retombant sur un tas de gravats. Je venais de constater ce qu'était la fin des rêves et il s'en suivit, logiquement, un malaise tantôt fait d'anxiété, tantôt fait de révolte. Rue du Pressoir est un film qui se déroule chaque jour dans ma tête. Le film d'un immeuble gris, écaillé, au tournant d'une rue au pavé luisant.

    BM : Tu dis : « Je viens du peuple combattu, humilié, mais ne conçois aucune solution dans le sang. » Guy, parfois nous n’avons pas le choix, disons-le clairement, il faut faire ce choix, prendre les armes, malheureusement, si l’ennemi est là, à notre porte, si l’agresseur occupe notre territoire. Non, qu’en penses-tu ? Pendant la dernière grande guerre, hommes et femmes ont pris les armes et s’en sont servis. Il fallait mettre hors de France nos agresseurs ! Tu peux nous parler de tes réflexions à ce propos ?

    GD : J'admets qu'il faille aller au feu sous la menace – et sans doute devons-nous la vie à ceux qui ont donné la leur – mais je ne peux acquiescer au credo qui voudrait que l'émancipation résulterait d'un combat armé. Je ne crois pas en ces meilleurs jours que promettent les révolutions. Cette tentation au contraire m'inspire le dégoût. Elle est la faiblesse des idéalistes. J'appartiens quant à moi à l'espèce des rêveurs. J'ai foi, même si le temps semble long, dans le dialogue des contraires. Je crois en la dialectique qui annule les conflits. Pacifiste obstinément, tout en moi rejette l'idée d'une salvation par le sang. Toute guerre est un drame. Toute destruction est atteinte à mon amour de la vie.

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    BM : Guy, dans l'un de  tes livres bouleversants, Héros de papier, tu dis : « Je fus élevé dans une tanière de luxe, empêché de voir au dehors, obligé de contempler dedans. » La liberté te manquait-elle ? Des privations t’étaient-elles imposées et étaient-elles vécues comme un enfermement qui te mettaient en position de séquestré ou d’animal traqué, interdit.  Tu écris : « Mon esprit passait les murailles ». Te sentais-tu prisonnier ? Et prisonnier de qui ? de quoi ?

    GD. : Unique enfant né de parents venus à Paris pour échapper à la vie dure, je fus entouré de tant de soins que la liberté me manqua. Placé en pension chez les soeurs des écoles chrétiennes à l'âge de quatre ans, je connus la haute solitude des murs que l'on ne peut franchir. Lorsque Joseph et Agnès, mes parents, purent enfin me garder près d'eux, d'abord rue du Pressoir, ensuite rue des Minimes, je n'avais ni le droit de sortir ni celui d'accueillir mes camarades de jeu. Sauf à sentir ma main tenue par des adultes craintifs. On redoutait que la rue me soit un danger. Je fus ainsi enfermé dans de petits appartements qu'aéraient la lecture, la musique et la conversation de mes parents ou des membres de la famille. Il me fallut souvent ruser et même fuguer pour aller vers le dehors et découvrir que le danger ne s'y trouvait pas. La plupart de mes livres racontent cet influx de vie et les circonstances qui me permirent d'échapper à l'emprise de parents qui n'étaient pas calculateurs de tyrannie. Je ressens souvent cette mise à l'écart forcée comme un manque, une carence, puisque mes dix-neuf premières années, à quelques exceptions près, se résument à l'environnement familier. Je constate chez moi une variété d'émotions qui ne doit rien à la diversité des événements. L'école était pour moi le lieu où l'on respire. J'eus des maîtres talentueux et des compagnons de classe vertueux. Ils m'ouvraient la porte du monde.

    BM : Si tu avais pu quitter ce terroir breton et partir loin, dans des  contrées où tu aurais ignoré la langue, la géographie, le paysage, peut-être alors l’aventure t’aurait donné la clé, pour échapper aux griffes qui te retenaient, non ?  Probablement que la compagnie des livres t’a aidé à créer ton propre univers mais peut-être te sentirais-tu plus libre. Tu écris : « On m’a donné le livre pour m’occuper l’esprit. Combattre l’ennui, tuer le temps (...) échapper à la solitude désœuvrée que je peuple d’apparitions ».

    GD. : Des échappées s'ouvraient à moi lorsqu'aux vacances nous revenions en Bretagne. Car alors l'étreinte se relâchait et je pouvais m'imprégner d'images, de sensations. Ma solitude s'en peuplait à délices. Adolescent, mais au prétexte de meilleures performances scolaires, je fus autorisé à franchir les frontières. J'étais envoyé en Angleterre puis en Allemagne. Là, je connus d'autres émois et cette liberté dense qui forge une personnalité. Le goût de la lecture, plus tard l'amour de la littérature, ont toujours volé à mon secours lorsque le manque se faisait trop cruel. Un tel équipement vous permet, sinon de franchir les obstacles, du moins de tenir tête à la détresse. J'eus cette chance : que de bons livres viennent à ma rencontre, qu'ils épaulent ma solitude, qu'ils prennent en main l'enfant désemparé. Mes grands amis se trouvent sur les rayons des bibliothèques. Ils se nomment Charles Dickens, Jean-Jacques Rousseau, Léon-Paul Fargue, Jorge-Luis Borges. Une foule qu'il serait fastidieux d'énumérer. Un écrivain se tient toujours à mes côtés selon le lieu où vont mes pas. Il est certain que je serais autre, ou différemment complété, si j'avais envisagé de partir. Mais je n'y ai jamais songé. Le livre est plus vaste que le monde. Le livre est ma demeure, une demeure au milieu des arbres.

    BM : Guy, quel genre d’enfant, étais-tu ? Si je comprends bien, tu n’étais pas hors-la-loi, ni intrépide, tête brûlée, casse cou, mais, tu l'écris : « Voleur à l’escapade, peut-être, et très habile ». « Jamais une effraction, pas une branche brisée. J’allais à pas de loup, par sentes et buissons ». A te lire, tu étais un gosse bon, gentil, cependant, prudemment, ne faisais-tu pas les coups en douce ? Devenu adulte, et aidé de l’écriture, prends-tu une revanche avec les mots ? Devant la page blanche, tu t’exécutes, tu exécutes librement, avec des mots, carnavalesques ou francs, très francs, comme si tu foutais une patate en pleine gueule à un mec qui t’emmerde. En fait, t’étais un môme bien, et c’est par la lecture et l’écriture que tu t’en sors ! Tu peux donner des coups sans faire trop mal. Tout compte fait, le petit Guy Darol était un enfant sage. Tu étais moins enclin à la bricole explosive, comme l’était l'un de tes potes, toi, tu « mijotais lentement, imbibé de phrases onctueuses, doucement mariné de vocables...» Tu es passé par des envies de nuire, de révolutions, mais jamais d’armes à la main, sauf en plastique. Tu dis bien cela ? Un poète calme mais cependant en ébullition ?

    GD : Joyeux, cher Bienvenu. L'enfant était joyeux, une joie sans rides. En dépit du mauvais temps que le capitalisme en crise (ce qui est le propre du capitalisme) offre à notre décor. Calme par la force des choses, agité au fond, voire agitateur. Ce qui me valut, en 1968, pour avoir professé l'oisiveté, une certaine turbulence (jamais la mise à sac de mon quartier), de connaître l'âpreté d'un conseil de discipline qui décida de mon renvoi du lycée Charlemagne. J'évoquai tout à l'heure mes fugues. Elles étaient nocturnes. Et mon père découvrit alors que son fils savait passer à travers les murs. Une technique souvent employée pour aller humer l'air des rues parisiennes. Je fus une fois pincé, rue Soufflot, et je sus ce qu'était la maison Poulaga et ses volières grillagées. Joseph vint m'en sortir et je crus qu'il me ferait connaître le cuir de ses mains paysannes. Après avoir mené la charrue et les chevaux de la ferme, il fut forgeron puis marin dans la Marchande. L'homme était robuste et leste de ses bras musclés. Je connais le sens exact du mot torlogne. Cette fois, éberlué par l'audace qu'il ne soupçonnait pas, il fut incroyablement paisible. Ce qui m'invita à renouer avec l'aventure. Anguille, agile, il est peu facile de me maintenir longtemps en état d'apnée. Je m'échappe à la manière de ces Hercules de foire qui faisaient autrefois démonstration de leur don, place de la Bastille. J'admirais le spectacle de leurs évasions. Plusieurs fois enchaînés, harnachés de cadenas inviolables, ils parvenaient toujours à retrouver la liberté. Ainsi je vécus, innocent enfant mis aux fers, habile à esquiver toute tentative de me tenir en laisse, soumis et silencieux. Ami, nos chemins se sont croisés car nous possédons l'art de la fugue. Qui pourrait nous soustraire au désir de grand air ?

    BM : Guy, tu as connu, par le plus grand des hasards, dis-tu, les poètes du feu, ceux que la société méprise et que l’école de l’ignorance ne peut évidemment connaître. Quel est ce hasard ? Et que t'ont apporté ces poètes ? En fait, te sentais-tu proche d'eux, de leur rébellion ? Je pense cela à force de t'entendr e dire, enfant : « Si tu ne veux pas apprendre tu garderas les vaches » ou alors certains mômes et  professeurs, au lycée : «  D’où tu viens il te faudra faire tes preuves. » Tu as dû te battre contre cet acharnement, n’est-ce pas ?

    GD : La poésie est le seul guide mais j'ajouterais la philosophie, celle d'un certain Diogène ou du grand Nietzsche. Il me faut ici honorer les noms de Serge Koster et de Roland Brunet, deux Maîtres du service public, qui m'enseignèrent l'exercice de la pensée au temps que j'étais l'élève du lycée Voltaire. D'autres suivirent mais ces deux sémaphores chançardement placés sur mon chemin adolescent, ont été déterminants. Ils me firent découvrir Antonin Artaud, Georges Bataille, Karl Marx, Proudhon et Max Stirner. Inimaginable de nos jours ! Ces lueurs de la pensée en liberté éclairèrent ma jeunesse. Elles me furent données au début des années 1970. Si l'on observe la déliquescence programmée de l'enseignement des Lettres et de la Philosophie, il est utile de souligner que les potaches actuels, et ceux qui les suivront, sont dépourvus de tout espoir quant à la possibilité de penser par soi-même. Pour être complet, il me faut rendre hommage à mon père sévère, mon Joseph (décédé en 2004 et je ne m'en remets pas), attentif à mes professeurs, les vénérant sans l'ombre d'un cillement, et qui fit de moi, d'une façon discutable sur le fond, un lecteur et un lecteur intense. Il ne possédait pas le certificat d'études (se souvient-on de ce brevet indispensable au début des années 1940 ?) mais il avait deviné que les livres étaient un passeport. Je ne connus Noël, fêtes et anniversaires, qu'habillés de cadeaux qui étaient le Livre. Dès que j'eus 14 ans, je lui soumettais chaque semaine une liste d'ouvrages qu'il honorait sans rechigner. Je dois beaucoup à ces professeurs et à ce père qui m'initièrent à la lecture articulée sur le réel. Très tôt, je lus Antonin Artaud, Benjamin Péret et les auteurs publiés par Jean-Jacques Pauvert et Eric Losfeld. J'eus la chance d'avoir pour ami, au lycée Charlemagne, Romain Sarnel, l'un des meilleurs exégètes actuels de Nietzsche, qui m'incita à lire Baudelaire et Rimbaud. Le hasard a toujours posé sur mon épaule une main amie. Je ne l'avais pas cherché. Il se présenta, comme un luxe, à mes soifs qui restent encore à étancher.

    BM : A propos d’un de nos grands poètes, tu écris : « Je pense à Antonin Artaud, pour qui la réalité, souillée de mensonges, n’était qu’une abomination. Il déployait le Merveilleux contre les forces d’envoûtements et lançait des dés de magie. Etendre l’être à une dimension cosmique, s’élargir, exige une énergie constante. C’est une bataille continue. Faut-il se satisfaire des limites tracées du corps dans lequel on jette un voile en damier ? Car aujourd’hui l’homme s’insurge, ce n’est pas qu’il réclame plus d’être, mais l’amélioration de son confort dans une réalité d’images. Et non pour celles qu’il se fabrique, analogies, correspondances, enjambées dans l’imaginaire, mais le catalogue des clichés où il est invité sans cesse à se fournir, à se doper, pour s’élever au-dessus de la boue ». Artaud a souffert, lui qui a traversé les flammes et le feu, mais Guy, actuellement, nous sommes dans une situation critique, tout bouge, ça tangue, l’économie mondiale chute, les « petits », je parle des classes défavorisées souffrent. On veut fermer la gueule aux poètes, aux  écrivains. On vire des gens bien qui se trouvaient, il y a peu, à certains poste clés de la culture. Es-tu inquiet, toi, journaliste et écrivain ?  Je viens de lire, en première page d’un hebdomadaire, Siné Hebdo, ce titre signé Jules Lafargue. Je cite : « Qu’on les pende par les couilles en or ! » Il va plus loin : « Fusiller les riches de but en blanc serait de la folie : Il faut d’abord les mettre en prison et les affamer jusqu’à ce qu’ils aient fait revenir de l’étranger l’argent qu’ils ont caché(…) C’est seulement quand ils n’auront plus rien que nous les fusillerons ». Réponse de journaliste en colère ? Un éclat de mots dans la presse, à la gueule d’une certaine société ? Qu'en dis-tu ?

    GD : Fidèle à Antonin Artaud, j'expédie au néant ceux dont les mots ne sont pas un brise-lames. Fidèle à Antonin Artaud (comme je le suis à Stanislas Rodanski, Jean-Pierre Duprey, Jean-Daniel Fabre, André Laude), je biffe d'un grand trait houilleux toute écriture qui ne jaillit pas des abîmes. Je pourrais ainsi citer d'autres figures qui nous seraient des vigies essentielles, mais le temps agit contre les voyants. Le temps accélère une descente vers des gouffres sans fond ni nerfs. Antonin Artaud fut l'écho de mes vertiges nullement esthétiques. Je ne viens pas de la jeunesse dorée ni d'une histoire acquise à la victoire. J'appartiens au peuple des petits et des faibles. Je suis un petit et un faible et n'ai jamais cherché à rejoindre le courant ascendant. L'ascension, selon moi, est de croître à l'intérieur de notre propre histoire, d'assumer les pentes et d'en revendiquer les splendeurs. Je viens des serfs et des artisans de la Commune. Je suis voisin des anarchistes espagnols et me revendique libertaire. Libertaire et pacifiste. Furieusement libertaire et bravement pacifiste. Ceci dans une époque trouble qui porte en elle les germinations d'un retour au fascisme. Notre époque est fasciste et je ne manque jamais une occasion de le souligner. Peut-être est-il déjà trop tard ? L'école laïque, publique et obligatoire vacille sur ses assises républicaines. L'enseignement de la philosophie est réduit à une silhouette. Les maîtres des écoles primaires (j'insiste sur la formule) sont soumis à l'obligation d'indiquer certains auteurs, suivant une liste définie. L'exercice de la pensée, qui ne peut agir sans une connaissance exacte de notre histoire mondiale, est menacé. Le capitalisme s'effondre, entraînant dans sa déconfiture (prévisible de longue date) un système voué à l'échec, car inégalitaire. Toutes ces indications, désormais parfaitement lisibles, augurent d'une catastrophe qui nous reconduit aux temps féodaux. Nous marchons à l'envers et il y aura des morts. Je le dis en toute conscience. Le baromètre ambiant ne démentira pas. Le citoyen lambda que je suis est avisé et il avise au sein des structures qui lui sont fournies. Je passe le message là où il m'est (encore !) permis de le passer. Sur le front des luttes je me tiens, là où le combat est possible. Quant à l'écrivain : indignation totale. Que me viennent les noms de Benjamin Péret, d'André Laude ou de Guy Debord (d'autres me sont présents mais trop obscurs à nos lecteurs car ils appartiennent à mon rang) et la colère me montent aux joues. Qu'est-ce que la littérature aujourd'hui ? Serait-ce un bizness ? Rien ne me fait signe qu'il en soit autrement. Une réverbération des tares de notre temps : individualisme, égo, carrière perso. Rien qui ne colle aux étriers de mon enfance. La littérature était alors un combat, une mise en péril des puissants et des convenances. J'y suis venu avec le souci d'alerter. Ne possède pas la surface pour donner de l'ampleur à ma révolte. Jamais ne la posséderait. Je fais partie des zigues à plume et à clavier sans surface publique. Hormis la parole que tu me donnes, occasion de saisir le taureau par les cornes, nul ne se soucie de ce que j'en pense. Faible intérêt pour les insurgés du verbe. Tel est le temps, notre temps. Une époque sans souvenir. J'osais dire, avant hier, que le meilleur est à venir mais un bémol s'impose. Peu enclin à la prise d'armes, je souhaiterais lire et entendre plus de colères. Et c'est ainsi que je lis Siné Hebdo et Le Nouvel Attila avec une ferveur impossible à dissimuler.

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    A l'occasion de la publication de Frank Zappa/One Size Fits All/Cosmogonie du Sofa (Le Mot et le Reste, septembre 2008), Guy Darol rencontrera ses lecteurs à la Librairie Dialogues de Brest, le vendredi 31 octobre à 18h.

    LIBRAIRIE DIALOGUES

    Forum Roull

    Rue de Siam

    Brest 29

    GUY DAROL A LA LIBRAIRIE DIALOGUES

    www.librairiedialogues.fr

     

     

     

     

  • GUY DAROL REPOND A BIENVENU MERINO ❘ DERNIER CHAPITRE

     

    1975. Guy Darol crée la revue Dérive

    La revue et son collectif

    Pour une écriture de l’arrogance

    L’intelligentsia

    Danton a dit

    5 questions/ 5 réponses

     

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    B. M : Guy, dans les années 1975, à 22 ans, tu crées la revue Dérive, ayant pour contributeurs, entre autres, Christian Gattinoni, Gérard de Cortanze, Christian Prigent, Jean Baudrillard, Abdellatif Laâbi, Jean-Noël Vuarnet, Edmond Jabès, et j’en passe. Beaucoup de lecteurs passionnés, je pense, devaient s’armer de patience pour déchiffrer le langage utilisé dans ta revue, non ?

    G.D : Dérive est une publication qui s'inscrit dans l'espace d'une réflexion sur l'écriture dont les protagonistes se nomment Pierre Guyotat et Jean-Pierre Faye, Denis Roche et Geneviève Clancy. Au sein du collectif qui anime cette revue, une pensée s'agite qui est de transformer le langage pour changer la vie. Certains d'entre nous sont convaincus d'un effet réel des retournements du langage sur l'immobilité ambiante. Nous pensons donc que les formes, et cela dans l'accompagnement du Mouvement du change des formes (avec Jean-Pierre Faye, Jean-Claude Montel, Didier Pemerle, Philippe Boyer ...) sont un enjeu de vie à la suite des tentatives de Danielle Collobert, Stanislas Rodanski, Jean-Pierre Duprey ou Bernard Réquichot. Syntaxe retournée, ponctuation au souffle modifié, lexique réinventé, concepts modelés dans l’acier des torpilles, tout est déviance, dérive, écart dans les marges de la norme. Dérive fait suite à Crispur, publication vendue à la criée au Quartier Latin dans les conditions du happening. Cher Bienvenu, nous parlons d’une époque où la littérature est un contre-pouvoir. Elle est l’alliée des petits et des faibles. La littérature nous est alors une arme et nous nous en servons avec un  savoir-faire boutefeu. Chacun d’entre nous a lu Antonin Artaud et Benjamin Péret. Et nous considérons leur exemple comme un chemin à suivre.

    B.M : Dans le numéro 4 qui a pour thème Violences/ Contradictions/ Interdit (e) à la page 82, dans un de tes textes intitulé POUR UNE ECRITURE DE L’ARROGANCE,  tu écris mp;nbsp;: « À l'endroit des braderies théoriques, le dernier cri de la marchandise universitaire est produite des régressions les plus stimulées par la mécanique du pouvoir. La théorie-fiction appelle la feinte, en imitant les gestes d'une perversion, elle instancie l'économie d'une violence, dans l'intérêt de toute fiction, laquelle n'est qu'une réalisation mentale d'une avancée. » Guy, ton écriture aujourd’hui est bien plus fluide, plus compréhensible, plus explicite, plus claire et romancée, le lecteur n’a pas à se torturer,  même si certains y prenaient du plaisir. Elle n’a plus trop à  voir avec  l’écriture de cette revue des années 75. C’est une sorte de « transmutation », n’est-ce pas ?

    G.D : Je t’accorde que j’ai huilé la mécanique et que mes ambitions théoriques se sont un peu relâchées. Les temps ne sont plus au collectif, à la communauté des idées soufflées par la littérature. La littérature ou ce que l’on nomme ainsi désigne un marché et non cet espace du risque dans lequel l’esprit, la force de l’esprit est un relais pour le lecteur. Le marché de la littérature qui s’apparente désormais au rock industriel, à l’industrie des images et du son ne peut en aucun cas permettre à qui que ce soit de se retrouver dans une modalité de respiration et de combat, dans un influx contre les puissants. La littérature en tant que marché est une scène où défilent successivement et parfois simultanément des personnages supposés vendre et se vendre sans que jamais ne soit prononcée une insulte aux caciques ni craché le moindre glaviot. Or la littérature au sens où nous l’entendions dans les années 1970 (et je n’ai point varié) se situait dessous, underground, se préservant toujours des récupérations possibles et des dangereux malentendus. Etre écrivain n’était pas précisément une carte de visite qui ouvre les portes des palais. Faire une revue était comme allumer un brasier. Nous voyons aujourd’hui l’espace qui nous sépare d’une époque où les noms de René Daumal et d’Antonin Artaud résonnaient comme des tambours annonçant la bataille.

    Mon écriture demeure toujours aussi inquiétante dans ses correspondances avec la mémoire, le temps, l’imaginaire, trois mots que l’on cherche aujourd’hui à pousser du côté de l’obsolescence. Car il est bien évident que se souvenir comme penser le temps à l’image d’une hélice n’est pas très en vogue. Tout étant désormais futurible, sagittal, dirigé comme la fusée vers des lendemains maigres. Surtout que l’on soit désencombré du passé, de notre histoire et si possible de l’Histoire et de sa grande H.

    Sans doute dois-je ajouter que le métier rentre et qu’à force d’écrire – bientôt quarante ans d’écriture –, il me devient plus facile de construire une phrase et de rendre limpide les états de ma pensée. Du moins je m’efforce, sans renier un penchant sapide pour les formes et les vocables retors aux codifications de l’époque.

    B.M: Avec le collectif Dérive vous avez fait un travail sur le langage que certains lecteurs appelaient l’écriture torture-méninges. Au sens large, le langage désigne tout système de communication vocal, graphique ou encore gestuel. Il constitue un thème de prédilection pour le philosophe qui s’interroge par exemple sur son rapport aux choses, ses conditions ou sa structure et l’ordre logique dans lequel il doit se déployer pour émettre des propositions valides. Bien que l’on attribue parfois abusivement un langage aux animaux, il faut, en toute rigueur, réserver cette faculté aux hommes ou tout au moins préciser sa spécificité. Traditionnellement, en effet, le langage est lié à la pensée comme le montre le double sens du mot logos, désignant à la fois la « raison » et le « discours ». Aristote opposait ainsi le terme phonè, c’est-à-dire la « voix » ou le « cri » qui permet de manifester plaisir et souffrance, au langage proprement humain dont l’usage détermine le caractère politique de notre espèce. Par lui, nous posons des valeurs et nous délibérons.

    Le langage comme faculté d’exprimer et de mettre en forme ses pensées se déploie à la fois dans le cadre de la langue et de la parole. La langue est l’ordre des signes propres à un groupe linguistique, (par exemple, la langue française ou anglaise), la parole est l’appropriation individuelle qui permet son évolution. C’est ce qui explique qu’une langue qui n’est plus parlée soit morte. Mais, tandis que la langue ne saurait être une histoire sans parole, la parole ne peut être une parole sans histoire, c'est-à-dire un discours sans système linguistique de références. Guy, toi qui as des origines bretonnes, cela doit te parler. Es-tu d’accord avec cette explication de texte ? Je pense qu’il est  possible d’aller encore plus loin (j’allais dire dans le travail que vous avez fait avec le collectif Dérive) dans la destruction de l’écriture classique, dans un chaos quasi complet de l’écriture, tout en la rendant tout de même lisible et à la fois cohérente et compréhensible ?

    G.D : J’adhère pleinement à ta démonstration. Nous détruisions la langue des élites. Il s’agit aujourd’hui d’user du langage commun afin de dénoncer ce qui n’est pas commun, à savoir l’imposture. Il est temps que la littérature revienne, et sans doute empruntera-t-elle de nouvelles formes, afin de mettre fin à l’illusion du marché, cet opium concurrentiel du religieux. Je pense vraiment qu’une rupture aura lieu, au devant de laquelle des écrivains sans notoriété articuleront les mots de l’harmonie retrouvée. Ainsi s’effondrera, après des décennies de nuées et de tours de passe-passe sans portée mirobolifique, le spectacle dérisoire du mensonge, le flux tendu du commerce des images. Celui qui parle tient la littérature pour un outil de connaissance, une voie énergisante, un courant contraire à l’uniformité qui est la couleur actuelle. Quelque chose entre gris muraille et noir cauchemar.

    B.M : Guy, en fait, tu es très intello ? Ce n’est pas un reproche. Tu ne viens pas des bas-fonds de la culture, des rase-mottes de l’intelligentsia. Tu t’es hissé haut, en crapahutant bien sûr, mais tu domines la vallée des paumés, des pauvres sans culture et aussi de certains riches de la classe bourgeoise, avec une culture au raz des pâquerettes, surtout ceux qui n’ont rien et naissent proches, si je puis dire, du berceau-cercueil qui va les emporter sans aucun espoir de survie, au-delà de la vie, dans la mort, sans avoir pu approcher la culture, je dirais au mieux, la connaissance, et cela malgré leur intelligence, non ?

    G.D : Intello n'est donc plus une insulte. Et assurément je le suis, ayant foi dans les idées et défendant la littérature comme outil de connaissance. Cela ne va pas chez moi sans la tentation du rêve, la pente flâneuse, le goût des analogies et le recours à l'intuition, tout ce qui consent à l'épanchement du songe dans la vie réelle. J'appartiens au peuple des lecteurs qui cherchent l'enchantement et les lignes de fuite dans un monde à barrières. Et je conseille vivement de découvrir l'œuvre d'Edmond Jabès pour qui le Livre est une demeure habitable. Peut-être est il encore temps de se soustraire à trop de réalité dans un élan de vie qui redonnerait au verbe poétique, à la puissance des images, la force nécessaire dont nous privent aujourd'hui les partisans du réalisme inflexible. Une autre lucidité doit à présent jaillir sans commune mesure avec la démesure des enjeux d'argent. Un autre regard doit être porté sur la vérité de nos trajectoires humaines. L'homme est plus grand qu'une cathédrale, disait à peu près Joseph Delteil. Les rationalismes de toutes sortes, et d'abord économiques, sont de nouveau à dépasser. Sans quoi la merveille y perdra et nous n'aurons plus du monde qu'une vision anguleuse, faite de perspectives sans beaux lendemains. Seule la littérature est susceptible de travailler, dans sa propre matière qui est l'imaginaire, à la réévaluation du monde. Le monde est le prolongement de l'être imaginant et nous aurions tort de suivre les rêveurs actuels qui ne représentent qu'une seule réalité, la réalité des flux monétaires et du Monopoly. La culture est en danger mais c'est parce que la culture est dangereuse. Elle peut tourner les faibles contre les forts. Elle est l'énergie qui pourrait démonter tous les diagnostics et principalement la farce économique de toute pièce inventée par les intellectuels de la finance. Dans une époque qui émet la possibilité de limiter les actes de commémoration, il est urgent, plus que jamais, de réhabiliter la mémoire, de stimuler le souvenir afin que l'on constate, jour après jour, que les luttes sociales,  menées par nos pères et grand-pères, mères et grand-mères étaient des gestes pour l'avenir. Nul futur sans mémoire. Chaque jour que fait l'actuelle gouvernance est un pas en arrière qui efface les combats de sueur et de sang. Chaque jour est un recul pour les gens à mémoire, ceux qui retiennent encore le bruit des batailles anciennes, le bruit des clameurs et des barricades, les joutes périlleuses contre l'oppresseur, contre les gouvernements à poigne et à rigueur, hostiles sans vergogne aux arguments de dignité. Revienne une littérature de fenêtres ouvertes sur un ciel meilleur. Revienne la foi dans le livre comme un support à des secousses, à des éveils. À moins que la nuit ne soit déjà tombée, je gage que l'imaginaire et ses prolongements dans la pensée auront raison du cauchemar. Car nous voyons se tordre l'espoir dans les convulsions du renoncement. Assez de mauvais rêves. Assez de mensonges.

    B.M : Danton a dit : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple. » Guy, beaucoup de vérité dans ce propos, n’est-ce pas ? Ça fait du bien d'entendre cette courte phrase d'un révolutionnaire. Aussi en parlant d'Agnès et Joseph, tes parents, tu écris : « Joseph m'arrogea de m'élever dans le culte du verbe acrobate et de l'arbre qui porte l'oiseau. Il m'étoffa d'un lexique champêtre, le modulant d'un peu d'argot et de langue gallèse. J'avais mon passeport en poche, fils d'Agnès et de Joseph, petit fils de Théo, mon grand père ». Quel bel hommage à tes parents, à ton grand-père!

    G.D : Toujours la célébration du verbe et du rêve, mots consanguins. Et cette évidence que nous résultons d'une lignée, d'un axe. Je me tiens dans le souvenir, et le souvenir cultivé, des sources. D'où je viens était la survie mais dans une espérance certaine. On riait dans la certitude que les nuages finiraient bien par s'écarter. Nous l'avons cru. Il est possible que la modeste condition de mes parents devienne enviable. Il n'est pas impossible que nos enfants aient à subir le joug des régressions. Ainsi se retrouveraient-ils dans la situation que ma mère a connu, celle de grande pauvreté. J'en appelle au souvenir du temps proche, à l'écoute des misères vaincues par la ténacité. Théo, mon grand-père, avait tiré les leçons en rejoignant, à Paris, le rang de ceux qui refusent les lois de l'oppression. Il tenait tête et ses paroles étaient aiguës. Il savait que son combat valait pour les générations à venir. Héros de papier rend hommage à la puissance des faibles, aux obscurs quêtant la lumière dans cet entrebâillement où les petits se rallient entre eux. Chaque jour qui passe est désormais un enjeu de vie avant que ne triomphe l'abdication, la soumission aux règles obscures du pragmatisme. Rêvons toujours aux possibles des joies, à l'harmonie des songes, pour que le monde soit comme le livre du bonheur. Car c'est assez de nous faire croire qu'il n'y a de fête que dans l'abrutissement, que dans la perte de conscience.

    L'Education et je veux corréler ce mot à ce que l'on nommait autrefois, très justement, l'Instruction publique ; l'Education pourrait bien devenir un dispositif régulé pour intégrer les rouages d'une économie désolidarisée des urgences sociales. Il se pourrait que l'Education ne consiste plus en un moyen pour l'élève d'accéder à la connaissance. La mise en place des EPEP (Etablissements Publics d'Enseignement Primaire), ces hyperécoles administrées par un conseil où les enseignants seront sous-représentés, préfigure la forme d'une école soumise à des impératifs strictement économiques. Les EPEP annoncent la fin de l'Ecole publique et laïque, telle qu'elle garantissait le dogme républicain : liberté, égalité, fraternité. Ces hyperécoles configurées par le souci d'efficacité et de rentabililité anticipent l'Ecole de demain, celle de la compétition et de son apprentissage. L'Education au sens où l'entend Danton est sans doute plus proche d'un dispositif destiné à affranchir l'élève de l'ignorance que l'Ecole que l'on nous prépare où l'élève sera assujetti aux règles du marché. L'Ecole qui se profile sera celle de l'ignorance, un système où il ne sera plus question pour l'élève d'apprendre à apprendre et de se découvrir autonome. Retour à un enseignement formaté et doctrinaire. Le rêve républicain d'un espace où l'enfant est l'égal de tous est un rêve mort. Nous voyons d'ores et déjà se dessiner les atteintes à la liberté grande. C'est bien l'économie qui décidera de la validité des programmes et non l'obsession de l'intelligence. Oui, je le crois vraiment, nous entrons dans une ère où l'ignorance domestiquée est l'alliée des puissants.

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    B.M : Guy, je t’ai donné un peu de travail pour ces deux entretiens. Merci  d’avoir répondu à mes questions avec autant de franchise, de vérité et d’émotion.

     

     

     

     

     

     

  • THE COMMITTEE ❘ PETER SYKES

    Le nom de Peter Sykes évoquera chez les plus pointus quelques épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir. Mais ce réalisateur australien est principalement l'auteur d'un film ébahissant réalisé en 1968 et qui s'apparente à un certain cinéma d'idées tel que l'incarne Joseph Losey dans Le Garçon aux cheveux verts (1948) ou encore The Servant (1963). Peter Sykes revendique d'autres influences parmi lesquelles Georges Franju et il est bien vrai qu'en visionnant le DVD du film, Les Yeux sans visage (1960) nous contemplent en fond d'écran. Histoire d'une décapitation/recapitation, cette oeuvre au noir et blanc impeccable est avant tout une thèse sur le pouvoir des comités. Selon Peter Sykes, la société dans son ensemble est dirigée par des comités, petits groupes sans choix ni liberté imprimant sur le reste du monde l'impossibilité de choisir et l'incapacité d'être libre. Inspiré par les théories de Ronald Laing, le film témoigne d'un style (esthétique, rythme) qui ne pourrait percer de nos jours.

    Il est à noter par ailleurs que la BO de The Committee signée Pink Floyd (un soundtrack inédit) et qu'Arthur Brown (dont on ne saurait nier le Crazy World) apparaît coiffé d'une couronne en flammes. Au cours d'une party dont les protagonistes signalent furieusement leur appartenance à la deuxième moitié des années 1960, Arthur Brown chante frénétiquement The Nightmare. Sa marque de fabrique.

    Un film qu'il convient de découvrir pour la densité (et l'actualité) du propos autant que pour l'effervescence sonore et le brio visuel.

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    THE COMMITTEE

    Peter Sykes

    CHALET POINTU, collection Martyrs Of Pop

    www.chaletpointu.com/editions

    www.martyrsofpop.com

    www.myspace.com/martyrsofpop

     

     

  • PRODUCTEURS ECONDUITS ❘ OURAGAN SUR LE JAZZ

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    Philippe Carles
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    Alain Gerber

    Rappel des faits : il y a deux semaines, et sans que rien ne l’ait laissé présager, Philippe Carles, Claude Carrière, Jean Delmas et Alain Gerber ont été avisés par lettre recommandée que leurs contrats à France Musique (et également France Culture pour Alain Gerber) ne seraient pas renouvelés à la rentrée. Motif évoqué par le nouveau directeur de France Musique, Marc-Olivier Dupin : la “limite d’âge de 65 ans”, qui ne figure pourtant ni dans leurs contrats ni dans les conventions des producteurs à Radio France. Cette décision reflète à l’évidence la politique de “rajeunissement” initiée par Jean-Paul Cluzel, le PDG de Radio-France, et touche tout aussi abruptement les producteurs d’autres chaînes dans la même tranche d’âge, notamment sur France Inter, Jean-Pierre Coffe, et aux dernières nouvelles Jean-Louis Foulquier.

    L’inquiétude ne vient donc pas seulement du fait que France Musique décide de licencier quatre personnalités qui depuis tant d’années se sont mobilisées pour la cause du jazz, mais d’une interrogation sur ce que sera la place de cette musique dans la nouvelle grille de France Musique, et également des autres chaînes - car pour le moment rien ne filtre sur les noms des nouveaux producteurs à même de prendre le relais de Carles, Carrière, Delmas et Gerber - on ne peut qu’espérer qu’ils auront autant de culture et de talent !

    Le propos de la pétition jointe n’est malheureusement plus d’oeuvrer pour le retour de ces quatre producteurs. Pour ce qui les concerne, la décision est prise et semble irrémédiable. Mais plutôt d’organiser une mobilisation très rapide de la profession dans son ensemble, pour garantir la pérennité de la place du jazz sur France Musique, et faire savoir aux responsables de cette décision que le milieu dans son ensemble continuera de rester vigilant, et exigeant quant à la qualité des nouvelles émissions qui prendront le relais à la rentrée.

    Il faut aller très vite pour que la pétition jointe parvienne à ses destinataires au moment où certaines décisions sont encore en train de se prendre, soit au plus tard en début de semaine prochaine. Nous n’avons guère le temps de mettre en place une procédure classique de signature sur internet. Il serait donc extrêmement précieux de pouvoir nous appuyer sur quelques relais au sein des différents réseaux, qui peuvent en un minimum de temps recueillir le plus possible de signatures de leurs adhérents. Tous les regroupements de signatures nous faciliteront les choses :

    - pour les réseaux, les signatures de vos adhérents
    - pour les musiciens, les signatures des musiciens des orchestres sont vous faites partie
    - pour les enseignants, les signatures de vos élèves ou d’autres professeurs,
    - pour les agents, les signatures des musiciens que vous représentez, etc. Merci à tous ceux qui se proposent de servir de relais de m’en informer à l’adresse suivante :

    initiales@martinepalme.com

    Toutes les signatures isolées sont naturellement bienvenues - indiquez en sujet : “Pétition France Musique”, et confirmez OK je signe à l’adresse mail ci-dessus, en précisant nom, prénom, et profession.

    Merci d’avance, bien cordialement

    Martine Palmé


    PETITION

    A l’attention de :

    Monsieur Jean-Paul CLUZEL
    Président Directeur Général de Radio France

    Monsieur Marc-Olivier DUPIN
    Directeur de France Musique

    Monsieur Marc VOINCHET
    Directeur adjoint de France Musique chargé des programmes et de l’antenne

    Monsieur Olivier MOREL-MAROGER
    Directeur adjoint de France Musique chargé de la production et du développement

    Messieurs,

    Nous apprenons à regret que quatre personnalités majeures du jazz à France Musique, Philippe Carles, Claude Carrière, Jean Delmas et Alain Gerber, ayant atteint la “limite d’âge de 65 ans”, ne seront pas reconduites dans leurs fonctions à la rentrée prochaine.

    N’étaient les circonstances, le caractère paradoxal d’une telle décision, prise par un service public alors même que le discours officiel du gouvernement insiste sur le prolongement du temps de travail et l’urgence de maintenir en activité les “seniors” prêterait plutôt à sourire -surtout lorsqu’on connaît la “verdeur” des intéressés. On peut épiloguer longuement sur la pertinence d’une “limite d’âge” dans ce secteur, où tant d’exemples - à commencer par celui des musiciens eux-mêmes - attestent que les années passant ne font qu’enrichir le savoir, et aiguiser l’exigence des parcours de chacun. Et en particulier celui des producteurs concernés par cette décision, inséparable de l’impact de leurs émissions auprès de nombreux auditeurs, que nous avons eu maintes occasions de vérifier, notamment en termes de curiosité pour le spectacle vivant.

    Le monde du jazz a trop besoin d’hommes de culture pour ne pas s’inquiéter vivement de voir une chaîne comme France Musique se départir soudain d’une grande partie de ses meilleurs talents, qui se sont consacrés depuis tant d’années à rendre compte avec passion de la vivacité de cette musique, de son histoire et de son actualité.

    Nous imaginons bien que pareille décision n’a pas été prise sans qu’un véritable relais avec des producteurs à même de succéder aux intéressés, dans une égale exigence de qualité, n’ait été préalablement envisagé. Plus que jamais, il nous paraît en effet essentiel que la place que France Musique en particulier et Radio France en général réservent à ces esthétiques puisse être préservée - en considération notamment des nouveaux publics que cette musique ne cesse de toucher, comme en atteste la fréquentation croissante de nombreux concerts et festivals.

    Le service public n’est pas un vain mot. Et France Musique reste dans ce sens, tant pour les musiciens ou les professionnels que pour de nombreux auditeurs, bien au-delà des seules frontières de l’hexagone, un espace essentiel de culture et de découverte à même de participer avec ambition de cette évolution permanente.

    Nous espérons que les signatures ci-dessous vous pemettront de mesurer combien il importe aux différents acteurs du jazz qu’un tel espace puisse continuer d’exister, et vous remercions par avance de votre vigilance dans ce sens. Dans cette attente, veuillez agréer, Messieurs, nos salutations distinguées.

    PS : Beaucoup d’entre nous ayant eu l’occasion d’apprécier ces producteurs non seulement pour leurs compétences, mais aussi pour leurs qualités humaines, vous nous permettrez, accessoirement, de remarquer que le départ d’André Francis, à 72 ans, avait fait l’objet d’autres égards, et d’un beau concert réunissant musiciens et professionnels au studio 104.

    Après tant d’années de bons et loyaux services, celui de Philippe Carles, Claude Carrière, Jean Delmas et Alain Gerber semble étrangement s’orchestrer dans le plus grand silence, comme par la “petite porte”. Tout ce dont nous leur sommes redevables nous semblerait mériter un peu plus d’élégance - mais peut-être est-ce devenu une denrée trop luxueuse en cette période de restrictions généralisées ?

    (Par Martine Palmé)

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    27 juin 2008 - Lettre de la Société des Producteurs de France-Musique (APAC-FM), réunie en Assemblée Générale - le bureau : Françoise Degeorges, Stéphane Goldet, Marc Dumont

    M. Jean-Paul Cluzel,
    Président de Radio France
    Paris, le 27 juin 2008

    Monsieur le Président,

    A la mi-juin, par l’intermédiaire du directeur de notre chaîne, Radio-France a annoncé à la totalité des producteurs de France-Musique âgés de 65 ans et plus que leur contrat de grille s’achevant à la fin du mois de juin ne serait pas renouvelé, sans qu’il y ait eu la moindre préparation effectuée entre la DGRH et eux. Ils travaillaient tous à Radio-France depuis plus de trente ans, parfois à temps plein. Plusieurs d’entre eux sont titulaires de prix prestigieux au titre de leur œuvre.

    La modalité est tout à la fois d’une ampleur sans précédant sur France-Musique et d’une rare violence. C’est cette brutalité de mise en œuvre d’une décision unilatérale qui soulève l’indignation de tous — et ce bien au-delà de notre seule profession.

    Sans aucunement dénier le droit de l’entreprise à mettre fin à une collaboration avec ses cachetiers - sous réserve de leurs droits en telle hypothèse - nous nous étonnons toutefois d’une mesure liée au seul critère de l’âge (vous-même le 20 mars dernier, en nous présentant Marc-Olivier Dupin, déclariez ne pas retenir ce critère), alors que nous relevons de l’intermittence du spectacle : étant en outre précisé qu’ une telle mesure est susceptible de caractériser, selon les circonstances, une rupture équivalente à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

    La question même de la définition de nos fonctions à Radio-France se pose : Producteur-délégué ? Journaliste culturel, comme l’un des collaborateurs de France-Inter vient de se voir très récemment requalifié ? Il est temps que ces questions trouvent enfin une issue avec les partenaires responsables, dans le cadre d’une négociation d’Entreprise.

    Dans l’attente du rendez-vous que vous voudrez bien nous accorder, veuillez croire, Monsieur le Président, à l’assurance de nos sentiments distingués.

    Pour la Société des Producteurs de France-Musique (APAC-FM), réunie en Assemblée Générale, le bureau.

    Françoise Degeorges, Stéphane Goldet, Marc Dumont

    Copie :

    Marc-Olivier Dupin, Directeur de France Musique
    Dominique Gicquel, Directrice des Ressources Humaines
    Les représentations syndicales de Radio France
    Michel Boyon, président du CSA

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