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GUY DAROL [rien ne te soit inconnu] - Page 57

  • JOHNNY CASH

    CASH - L'AUTOBIOGRAPHIE

    Avec Patrick Carr

    Le Castor Astral

    357 pages – 24 €

    La sortie de Walk The Line, le film de James Mangold retraçant la vie de Johnny Cash parviendra difficilement à restituer la totalité de l’expérience de l’homme en noir, puisque celle-ci est tout entière contenue dans l’autobiographie rédigée peu avant son décès. Et non seulement tout est dit mais cette narration émouvante vaut par une écriture serrant toujours le simple détail, éclairant ainsi les aspects boiteux du parcours, ce que le roi de la country aurait pu facilement écarter. Mieux qu’une odyssée à la gloire de, l’épais ouvrage raconte comment un enfant qui travaille dès l’âge de cinq ans dans un champ de coton se fait passer pour un chanteur de gospel auprès de Sam Phillips (qui fut le premier à signer Elvis Presley), tâtonne en chantant le répertoire de la Carter Family et décroche le gros lot avec « Hey Porter – Cry, Cry, Cry ». Ce premier single vendu à plus de 100 000 exemplaires aurait pu ouvrir la voie du bonheur. L’itinéraire de Cash est surtout marqué par la peine. Ce livre qui est le récit d’un homme amical est aussi un poignant témoignage sur les illusions nuageuses de la drogue. Guy Darol

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    LE CASTOR ASTRAL

     

     

  • ANNIE LE BRUN ❘ L'ENERGIE DU DESESPOIR


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    Depuis plusieurs décennies, la poésie partage en clans adverses ceux qui s’en préoccupent. On est résolument pour ou farouchement contre. L’amour et la haine sont les sentiments qu’elle suscite comme s’il n’y avait pas de sortie au mot de Pierre Reverdy : « cette émotion appelée poésie ». Le combat livré en sous-sol, hors de vue et d’oreilles, ne paraît plus concerner grand monde puisque la plupart des lecteurs ne vont plus à elle. La poésie ne se vend pas. Pire, elle ne se vole plus. Une rumeur court sur son décompte : c’est imbittable, ça prend le chou. Et voici justement le débat relancé, pamphlet au poing. Annie Le Brun qui connaît les vertus hygiéniques du libelle jette le problème comme un cri : « Signes de ce temps, la haine de l’utopie et la haine de la poésie se retrouvent dans la même compulsion à vénérer dans chaque instant le temps de la mort, c’est-à-dire à nous empêcher de prendre dans le temps qui s’en va le temps qu’il nous faut. » Autrement dit, poésie égale subversion. D’où l’assimilation du surréalisme au marché et sa dessication dare-dare. Trop désinvolte dès lors qu’elle se prétend « le sillon du vrai » (Saint-Pol-Roux), la poésie menace en effet le monde dans son ordre établi. Annie Le Brun lui prête de redoutables qualités. « Principe de trouble », elle génère le rapprochement de « réalités distantes » (Pierre Reverdy), elle est « peut-être la seule force humaine à se mesurer à la mort ».


    On comprend mieux l’intérêt des puissances d’argent à vouloir maîtriser cette débordante énergie, toute tendue vers la vie, soit contre le négatif sur quoi est basée la dominante idéologie du molleton. Gare aux « éléments de désordres » (Gaston Leroux), les « ruffians du commerce » (John Cowper Powys) entendent faire tourner la machine. Il faut que le pognon circule, que les camelots trafiquent en paix. Dans ce but, les médias cracheurs de crapauds et de laves se chargent de la peur, pour garder les frileux au chaud, loin des tentations brindezingues de la créativité qui rase les tables.


    Annie Le Brun balaie quelques impostures, celles qui justifient la rareté ou l’inanité poétique. Elle invective ceux qui jurent par le style et le talent, arguments des professionnels de la plume qui avertissent de cette manière l’amateur foulant leurs brisées. Pour elle, l’art s’oppose au business et le véritable artiste ne peut faire valoir ni grade ni titre sinon celui de « rêveur définitif ». enfin, elle ne manque pas de viser les mauvais fusils qui, comme Kundera, confondent poésie avec « une dérisoire volonté de beau fixe » ou, la déclarant cache-horreur, exaltent « la subversion lyrique », seule capable d’un réel sursaut de l’esprit.


    Aujourd’hui que « le temps semble sombrer dans l’immédiateté », il est du ressort de la poésie de nous ouvrir à l’impossible. Urgence selon Annie Le Brun qui tempête fort contre « la culture réduite à l’état de chiffon qui sert à éponger les incontinentes manifestations de la plus indigente esthétique du quotidien. » Dommage qu’elle tienne, et fermement, la barre du surréalisme à quoi elle est restée accrochée comme aux basques d’un good old daddy. Coincée dans l’âge d’or, ses semonces font parfois violon. Arthur Rimbaud l’avait bien dit :  « La poésie sera en avant. » Comment peut-on évaluer, en effet, les possibilités de nouveauté contenues dans ce présent apparemment atone quand la poésie se camoufle, quand elle s’embusque dans le maquis ? Guy Darol

    Appel d’air

    Annie Le Brun

    Plon, 165 pages

    Septembre 1988

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    Article publié dans Quoi Lire # 7, février 1989


    Oeuvres d'Annie Le Brun

    Sur le champ, Éditions surréalistes, 1967

    Les Pâles et fiévreux après-midi des villes, Éditions Maintenant, 1972

    Tout près, les nomades, Editions Maintenant, 1972

    La Traversée des Alpes, Éditions Maintenant, 1972

    Les Écureuils de l’orage, Éditions Maintenant, 1974

    Annulaire de lune, Éditions Maintenant, 1977

    Lâchez tout t;>, Le Sagittaire, 1977

    Les Châteaux de la subversion, Jean-Jacques Pauvert aux Éditions Garnier Frères, 1982, et Gallimard, Folio essais, 1986

    A distance, Jean-Jacques Pauvert aux éditions Carrère, 1984

    Soudain un bloc d’abîme, Sade, Jean-Jacques Pauvert chez Pauvert, 1985 et Gallimard, Folio essais, 1993

    Appel d’air, Plon , 1988

    Sade, aller et détours, Plon, 1989

    Vagit-prop, Lâchez tout et autres textes, Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, 1990

    Qui Vive (considérations actuelles sur l’inactualité du surréalisme), Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, 1991

    Perspective dépravée, La lettre Volée, 1991

    Les Assassins et leurs miroirs (réflexion à propos de la catastrophe yougoslave), Jean Jacques Pauvert au Terrain Vague, 1993

    Pour Aimé Césaire, Jean-Michel Place, 1994

    De L'inanité de la littérature, Jean-Jacques Pauvert aux Belles Lettres, 1994

    Vingt Mille lieues sous les mots, Raymond Roussel, Jean-Jacques Pauvert chez Pauvert, 1994

    Statue Cou Coupé, Jean-Michel Place, 1996

    De l’éperdu, Stock, 2000

    Du Trop de réalité, Stock, 2000, Gallimard, Folio essais, 2004

    Pour ne pas en finir avec la représentation, Stelec, 2003

    Ombre Pour Ombre, Gallimard, 2004



     

  • RAOUL PETITE

    LA GRANDE HISTOIRE DE RAOUL PETITE

    SUPERSONIC/DISCOGRAPH

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    Les Raoul Petite ont 25 ans d’âge. Ce sont les pionniers de la scène alternative. Ils ont parcouru un million de kilomètres, livré plus de mille shows et leur histoire est celle du Rock éternel qui surplombe les facéties louf-louf des Wampas, des Garçons-Bouchers et de Ludwig Von 88. Sans ce photophore, les Bérus auraient-ils gagné le sprint de la zique brindezingue tous genres confondus ? Pas sûr. Il faudra rendre hommage un jour aux éclaireurs : Ramon Pipin, Shitty Télaouine, Rita Brantalou. En attendant, célébrons Raoul Petite et sa figure de proue, l’immarcescible Carton à la voix de rogomme. Combo anarcho-punk tendance Zappa, Raoul Petite a intensifié le rock en ajoutant à la furie sonore une folie visuelle. Dans cette catégorie nouveau cirque (dont ils sont indiscutablement les petits cailloux), nos Raoul fort rêveurs ont créé un univers souvent imité, jamais égalé. Transversale réussite moulinant funk, reggae, rap, électropop, grindcore aimable, les neuf de Raoul Petite balancent un barock’n’roll qui n’a son pareil que dans le souvenir de ceux qu’ont éclaboussé les giclées sonores des Mothers Of Invention au Garrick Theater de New York. Voici les images montrant ce dont la horde est capable. Deux heures de clips, de lives et de backstages traçant un parcours apparu en 1981. Toute une vie dont on regrettera qu’elle ne fût pas filmée par Claude Lelouch. Guy Darol

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    Dévédé
    * Tous les clips (de 84 à 2005)
    * Lives (de 81 à 2005)
    * Les Raouls sur la route (Garanti jamais vu)
    * Les Raouls en Studio (Ohhhhhh!!)
    * Tout et n'importe quoi (Que du bonus 100% portnawak)
    Cédé bestofe
    1. C'est pas normal
    2. Dans ton kulte
    3. Molosse
    4. Les poules
    5. Voisine
    6. Mamouth
    7. Mimi Chachuka
    8. Mr Z
    9. Le poulet
    10. Buldozer
    11. Tet de kran
    12. Le muet
    13. Der Kleine Raoul
    14. Niourk Niourk
    15. Les pâtes noires
    16. Paris Tokyo
    17. Des panneaux des travaux
    18. Sable fin cocotiers
    19. Fouidom (acoustique)

     

  • JARBOE

    THE MEN ALBUM

    ATAVISTIC/ORKHÊSTRA

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    Égérie du groupe Swans (emblème du New York noise avec Sonic Youth et Live Skull), Jarboe est une voix exceptionnelle. Cette diva de l’art-rock aux allures pharaoniques est par ailleurs une performeuse inoubliable. En dépit de ses nombreux talents, Jarboe ne rencontre pas le succès qu’elle mérite. Si l’on prononce les noms de PJ Harvey, de Patti Smith et de Kate Bush, on comprendra que cette héroïne de l’underground satanique n’est pas à sa place dans les cryptes morticoles de la Batcave. The Men Album, immédiatement sorti après The Conduit, est une compilation des œuvres de la singer-songwriter permettant de revenir sur neuf de ses albums. Le livret qui accompagne ce double CD parle mieux qu’une longue exégèse. Il présente un éblouissant featuring. Alan Sparthawk (Low), Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten), Steve Von Till (Neurosis), Chris Connelly (Ministry), David J (Bauhaus), Edward Kaspel (Legendary Pink Dots), David Torn (David Sylvian) ne signalent qu’un échantillon du line-up. Lilith ayant  étudié le kick boxing et le bouddhisme, l’artiste sait autant cadrer des ambiances lourdes (servies par la basse ténébreuse de Paz Lenchantin) que des impressions pastorales (le guitariste Nic Le Ban excelle en légèreté). La voix, souvent passée aux filtres de l’électronique, oscille entre la couleur punk et une aquatinte folk. Tout cela fait un mélange unique qu’il convient de sortir de l’ombre. Guy Darol

  • JOHN ZORN

    FILMWORKS ANTHOLOGY (1986-2005)

    TZADIK/ORKHÊSTRA

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    Le cinéma et ses soundtracks ont fortement influencé l’œuvre gargantuesque du saxophoniste John Zorn (bandleader de Masada et Naked City) dont le sens de la composition répond assez exactement à cette remarque du satiriste Karl Kraus : « Ce qui entre difficilement dans l’oreille en sort difficilement ». Cinéphile intense, John Zorn créa de nombreuses ambiances pour des documentaires et des films plutôt underground. Cette anthologie de 28 titres (accompagnée de deux livrets très instructifs) retrace l’univers, strictement voué aux images (et à l’admiration de Mancini, Goldsmith, Bernstein, Morricone, Rota, Hermann), du plus cool des musiciens expérimentaux new-yorkais. Ces petites merveilles acoustiques couchées sur des paysages peints par Jean-Luc Godard, Raul Ruiz ou encore Kubo Kiriko révèlent un engagement particulier. Selon le percussionniste Cyro Baptista présent sur la plupart des enregistrements, « John Zorn n’a jamais été si enthousiaste qu’au cours de ces séances cinématiques ». Ayant dit cela, il convient d’ajouter que cette excitante réunion de sons (plus caressants que rêches) doit énormément aux contributions de Marc Ribot, Bill Frisell, Arto Lindsay, Anthony Coleman, Trevor Dunn, Joey Baron, Wayne Horvitz… Terrible casting ! Guy Darol

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  • ALBERT MARCOEUR

     

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    La nostalgie est toujours ce qu’elle était, merveilleusement affilée. Lisez Marc Villard, ses récits à la lampe de poche éclairent nos corridors tel un Proust actuel. La nostalgie, on voit bien qu’elle est restée intacte avec ses mots de passe et son trousseau de clés. Certains mots ouvrent des portes trop longtemps fermées. Des portes qui donnent sur de petits paysages verts où l’on voit pousser le blé, où l’on entend le son sec d’une cueillette des noix. Dans le ciel, la trace laineuse d’un avion qui passe. Au loin, la tachycardie du marteau. Une micheline flâne en faisant chanter les rails. « La terre retient son souffle », disait superbement André Hardellet. Et l’on a soif de jus d’abricot. C’est généreux, c’est très bon.
    L’univers d’Albert Marcœur est ainsi fait. Sensations minutieusement décrites, verbe de haute voltige entre délicatesse et dérision. La langue s’y souvient de Raymond Queneau, de Jean Tardieu, peut-être de Bobby Lapointe. Car le grand Albert a ses secrets. Secrets de fabrication jusque dans l’assemblage des sons. Et c’est tout cela qui le rend inimitable. Et c’est pourquoi un concert d’Albert Marcœur sera toujours un événement, un moment exceptionnel dans la vie d’un amoureux des sons. Autant dire que la sortie de L’, son dernier album malicieusement engagé, est guetté de tous ceux qui connaissent la musique. Ils savent qu’une alchimie existe de nos jours, étrangère à la transmutation des métaux mais néanmoins familière d’une certaine cosmogonie sonore où sont importants les noms de Fred Frith, Henry Dixon Cowell, Gary Lucas, Frank Zappa et Godspeed You Black Emperor !
    Je me souviens de la découverte du premier album d’Albert Marcoeur en 1974. L’écoute systématique, chez mon camaro de bahut, Michel Duprey. Dans sa chambre aux persiennes toujours closes, on se taisait d’admiration. Parler sur l’opus  aurait froissé Albert. On se taisait comme si l’on assistait à un concert de musique de chambre. C’était un peu le cas, en somme. Assis sur le lit de mon aminche érudit, j’écoutais en auscultant des yeux la pochette due au claviériste François Bréant (crayons, plumes, couleurs) et qui me parlait de Robert Crumb, de Gilbert Shelton, de Marcel Gotlib.
    Je me souviens de mon premier concert. C’était au Palais des Arts, en février 1978. La scène était le décor d’une nouvelle de Maupassant. La batterie de Claude Marcœur (l’aventure est aussi une histoire de famille, n’oublions pas Gérard aux percussions et au pipeau !), enclose dans la boiserie des fûts qui conservent le cidre. Ou le vin ? Et puis il y eut la Maison des Arts de Créteil, le Palais des Glaces (en mai 1981, une date !) et Gevrey Chambertin, une sortie au théâtre, le Théâtre de l’Est Parisien s’il vous plaît. Spectacle d’Alain Gautré. Mise en scène de Pierre Pradinas. Avec Albert Marcœur, bien sûr, mais aussi Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot à leurs beaux débuts. Une merveille ! Des concerts ont suivi, des albums. Un remarquable (et remarqué) retour sur scène au Café de la Danse, à l’automne 2004. On dirait qu’Albert Marcœur rejoint enfin le Temple des grands vivants. Il occasionne dorénavant des commentaires, des exégèses. Attention lecteur, ce qui va suivre n’est pas jus de têtes molles, séduisantes calembredaines conformes à l’exercice du marché, déclarations narcissiques assaisonnées de mots creux, voici un peu de sérieux et de matière à réfléchir. Il n’est pas courant qu’un artiste ait quelque chose à ajouter. Guy Darol


    GD : Votre premier album sort en 1974. Vingt ans plus tard, un 9ème opus paraît. Seriez-vous plutôt oisif, réfléchi ou méticuleux ?


    AM : Les trois à la fois. J’ai l’impression parfois quand je réfléchis que je ne fous rien et lorsque je me vautre dans l’oisiveté, il me vient de temps en temps une idée que je note. Je retombe ainsi dans une période réfléchie qui aboutira ou non à un moment de nonchalance. Méticuleux, je ne sais pas, appliqué et patient, peut-être plus. Un album est l’aboutissement d’un travail d’écriture, de réflexion, de corrections, de répétitions et d’enregistrement, il ne sera jamais une échéance obligatoire pour ne pas rester trop longtemps absent du paysage. Fabriquer des disques coûte que coûte pour ne pas tomber dans l’oubli, voilà un dessein bien attristant !


    L’, c’est un drôle de nom pour un album. Cependant, ça sonne comme un manifeste. Alors, qu’est qu’Elle apostrophe au juste ?


    L’ n’est pas un manifeste, encore moins un concept. C’est un concours de circonstances. Je classe mes notes dans des chemises de couleur et j’en ai une grise anthracite où sont réunis tous mes commentaires et reportages sur des métiers ou des personnages divers et variés. Certains tableaux sont ainsi affublés d’un titre commençant par « Le… », d’autres par « La… », d’autres par « L’… ». Le choix de « L’ » m’a épargné des heures de gamberge quant au titre qu’il aurait fallu trouver si certains portraits avaient commencé par Le  ou par La. On est ainsi passé à côté de « Portraits en cascade », de « Portraits d’un trait » ou autres « Portraits sans cadres » !
    « L » apostrophe nos contradictions, nos mensonges, nos Arlésiennes. « L » apostrophe aussi bien le misérable esclavage dans lequel on patauge que le petit volume de liberté que l’on peut encore imaginer. Et puis l’apostrophe est un signe graphique intéressant, comme une virgule, une petite baffe, comme une piqûre de moustique au révéil.


    Pour mieux informer les fans vous fournissez une liste de « liens qui au demeurant demeurent ». On n’est pas étonné d’y trouver Frank Zappa. On s’attend moins à croiser Aphex Twin, Cypress Hill.


    Même si j’avais le culot de renier mes influences zappaldières, je ne pourrais en rien contester son empreinte sur les évolutions apportées aux musiques nouvelles et à la musique d’une façon générale ces trente dernières années. Cypress Hill, c’est le côté « racines/simplicité/gimmick/efficacité », Aphex Twin, parce que c’est le premier groupe qui m’a fait réfléchir sur l’utilisation intelligente des matériaux électroniques. Que ça ne pouvait pas être uniquement des séquences d’usine et des sons désuets pré-préparés qu’on entendait à l’époque aux quatre coins de nos allées et venues. Grâce à eux, j’ai découvert Venetian Snares. Ce sont eux, avec Stéphane Salerno, qui nous ont convaincus de la nécessité et des avantages de s’informatiser.


    « Velouté d’asperges » sur Celui où y’a Joseph est une pièce instrumentale pour laquelle vous avez « un faible plutôt fort ». Je le comprends car ce titre me donne le frisson. Pensez-vous que l’une des raisons d’être de la musique c’est de partager le frisson ?


    Chacun a son degré de frissonnement propre mais il est à noter que lorsque tous les ingrédients sont réunis, le son, l’harmonie, le rythme et la manière, les chances de hérissements de poils augmentent. Quant à partager le frisson, je ne sais pas… Il y a dans « partage » des relents cathos qui me bloquent un peu. Je dirais que ce qui est important avant tout, c’est de subir ce frisson. De toutes façons, quand ça se produit, le problème ne se pose pas, c’est automatiquement partagé.


    Vos textes participent d’ailleurs de cette même émotion. Evocation de petits riens, jeux de mots apparemment anodins, fascination équivoque pour l’enfance, constat que la plupart des choses se transforment quand même en « misérables merdes d’hommes ».


    Mes sentiments se nourrissent de tous les changements et évolutions de notre société, de nos sociétés, du temps qui passe, des informations qui défilent, des souvenirs, des regrets, des baffes comme des succès mais aussi de tout ce que l’on projette, de ce que l’on mange, de ce que l’on boit, de tout ce que l’on donne, de tout ce qu’on reçoit. Ma culture s’est nourrie dans un demi-siècle de progrès techniques et d’aberrations sociales et économiques. Elle continue à s’alimenter de l’hypocrisie des deux tiers monde et de la crédulité du tiers restant. Ma culture, c’est le rock, c’est le tendre, c’est les musiques contemporaines, les musiques traditionnelles, c’est la ville, la campagne, c’est le « oui » à l’Europe, le « non » à l’Union européenne, c’est le « non » à la Constitution européenne et le « oui » à une Europe enfin constituée.


    Je l’ai souvent observé autour de moi, votre voix suscite l’adhésion ou le rejet.


    Je considère ma voix comme un matériau sonore que j’introduis dans mon paysage instrumental en recherchant d’abord le timbre approprié, le grain adéquat et en me laissant guider par les fluctuations de l’arrangement. Je fredonne, je percussionne, j’enjambe, je suscite, je sous-entend, je gueule, je murmure. Je ne chante pas, je joue de la voix. Et je comprends tout à fait les personnes qui n’adhèrent pas. Elles n’y décèlent aucun des critères habituels généralement requis dans ce genre de situation et ça dérange, ça peut même donner la nausée, on me l’a déjà dit ! Non, j’rigole… Cela me satisfait assez de savoir qu’on aime ou qu’on déteste. Vous imaginez si c’était l’engouement général, on viendrait me chercher dans ma retraite en retrait et on me pousserait hors de ma marge !


    > L’, Label Frères
    Julien Baillod, Eric Thomas, Victor de Bros, Farid Khenfouf, Stéphane Salerno, François Ovide, Hubert Osterwalder, Michel Salomon, Léo Devaux, Claude Marcœur, Albert Marcœur. Conception graphique Crapule !

    www.marcœur.com

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    Chapô et entretien publiés dans

    Muziq n°2, mars-avril 2005

     

  • PIXIES

     

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    Emmanuel Dazin
    Le Castor Astral
    190 pages – 9 €

    Animateur de la revue Minimum Rock’n’Roll, Emmanuel Dazin vient de consacrer une balèze biographie aux Pixies, groupe-phare du rock alternatif américain dont l’album Surfer Rosa consiste, pour les critiques musicales herméneutes à fond la cuve, en une œuvre à tiroirs. Sérieusement marqué par les glossolalies du culte pentecôtiste, aussi par des visions d’OVNI et une croyance dure comme fer dans la réalité de Mu et de ses extra-terrestres, Charles Thompson (alias Black Francis puis Frank Black) n’en est pas moins un inventeur de style ayant secoué le rock exsangue des années 1980 avec des calibres tels que Jello Biafra et Ian MacKaye. Attendri par Donovan mais aussi (surtout) Hüsker Dü et le cinéma de David Lynch, le quatuor bostonien no pose est présenté dans toutes ses étapes (y compris dérives). Le livre est très documenté et mené par une plume andante. Guy Darol

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  • LOKA

    FIRE SHEPHERDS

    (Ninja Tune/PIAS)

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    Il existe une histoire septentrionale de l’electrojazz. Légende froide. Celle-ci retient les noms de Nils Peter Molvaer, de Wibutee, de Bugge Wesseltoft. De cette source jaillit la rencontre des rythmiques latines et du jazz expérimental. On y entend les ostinatos électroniques mêlés aux vents (évidemment froids) de trompettes soufflées à la manière de Miles Davis. Cette légende nordique n’est pas étrangère à la survenue de Loka, duo liverpudlien qui se fit connaître sur Xen Cuts, une compilation Ninja Tune, il y a tout juste six ans. Depuis, un single est né. Puis un album de forte densité qui évoque successivement l’esthétique jazz-rock de Soft Machine, le groovy funk de Homelife, le nouveau jazz d’Erik Truffaz. Douceur apparemment passée de mode en ces temps où l’excitation est de mise. Y compris un certain rock’n’roll des prétendues origines. Loka ne se soucie guère des tonalités énervées du moment et propose un alliage de nuances entre electronica groovy et swing fidèle aux instruments de la vieille école. Cela donne sept titres inoubliables. Splendeur exigeante dont on ne peut plus se passer. Ça c’est énervant. Guy Darol

     

  • JACQUES ABOUCAYA

    DERNIÈRES NOUVELLES DU JAZZ

    Jacques Aboucaya

    L’Age d’Homme

    107 pages – 14 €

    Cet expert en jazz, professeur de lettres classiques et spécialiste de l’œuvre du grand Albert Paraz, l’ami indéfectible de Louis-Ferdinand Céline, sait construire des phrases selon les règles de l’art. De plus, il est doué pour varier des histoires autour d’un même thème. Les douze nouvelles de ce recueil montrent l’influence du jazz sur nos vies. Prenons « Rabbit », surnom donné au saxophoniste Johnny Hodges. Le voici attribué à un mainate acheté quai de la Mégisserie pour remplacer une fille. Dorothée déteste le jazz et pour cette raison elle quitte son compagnon qui se voit contraint de domestiquer un oiseau susceptible d’apprécier Sonny Stitt, Ornette Coleman ou Eric Dolphy. Il rédige une thèse sur « L’idiosyncrasie créatrice du saxophone alto de Joe  « Doc » Poston à Steve Coleman ». C’est drôle, cultivé et significatif de l’amour que la musique nous porte quand plus personne ne nous supporte. Guy Darol


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  • BAUCHKLANG

    Many People

    (Klein Records/Nocturne)

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    La tradition du human beat box est à chercher loin, du côté de l’incompréhensible et de son phrasé-grenouille préconisé par Jean-Pierre Brisset. Il faut se familiariser avec Valère Novarina pour saisir les portées de la voix, les possibilités du verbe cru, a capella. Bien sûr, dans le domaine du chant pastichant l’instrumentarium, il y eut Bobby Mc Ferrin (« Don’t worry be happy ») et les vocalises chatoyantes de Pow Wow. Puis vint Bauchklang (« son du ventre » en allemand) et cela mit un frein à l’amusement. Les six viennois mettaient la voix en couronne. Ils la plaçaient au-dessus de tout. Des virtuosités guitaristiques, du drumming le plus époustouflant. À petits coups de luettes et de replis musculo-membraneux, ils parvenaient à acculer les plus nobles prouesses instrumentales du côté de l’insignifiant. Bauchklang inventa la voix dépassant la chose. Avec Jamzero (2001), ils accomplissaient un exploit remarqué, celui de concurrencer les prestations électroniques. On croyait cet effort sans lendemain. On pensa que Bauchklang avait jeté toute sa science vocale dans ce seul artefact. C’était méconnaître l’opiniâtreté du vocal group project. Nos autrichiens ont plus de cordes à leur arc que toute une armada de compositeurs numériques. Ils savent faire à voix nue ce que l’ordinateur peine à bruire. Au-delà d’une expérimentation vocale plus que sidérante, ils effectuent avec Many People un voyage en 17 stations à travers dub, drum’n’bass, ragga et hip-hop. Nasarde à la technologie, Bauchklang témoigne une fois de plus des avancées de la chair sur l’outil. Guy Darol

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