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GUY DAROL [rien ne te soit inconnu] - Page 11

  • YVES MARTIN

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    Photographie Eric Dussert

    Lorsque je rencontrais Yves Martin, c’était souvent par hasard. La coïncidence opérait  généralement au sortir d’une salle de cinéma. Je me souviens d’une rencontre à la croisée d’un film que nous venions de voir, nos yeux en étaient tout encore injectés, et d’une manifestation estudiantine avec ses concetti et ses haros. Nous étions plongés dans l’hiver mais des fumées, des lueurs nous parlaient d’un 14 juillet. Une autre fois, ce fut rue Caulaincourt et nous prolongeâmes le hasard dans un estanco bien tranquille. Il était imposant Yves Martin dans sa gabardine cirrus. Ses rouflaquettes du siècle balzacien, sa voix pailletée d’ironie, sa retenue, même sous un flot de bière, me plaisaient comme un séjour en littérature. La Leffe m’aidait (elle m’aide toujours) à débloquer les empilements, à déverrouiller mes serrures. Je fis ce jour-là d’une bière deux coups. D’abord, je lui proposai de rejoindre la revue Roman – qui se souvient de la revue Roman à part peut-être François Coupry, Jean-Luc Moreau, Georges-Olivier Châteaureynaud, Chantal Chawaf ? Erik Orsenna, pas sûr, pas sûr du tout. Quant à Jean-Pierre Enard, Rafael Pividal, ils sont calenches et ma peine n’a toujours pas trouvé de remède. Oui, je proposai à Yves Martin de glisser dans le comité de rédaction comme une petite souris. Comme une petite souris, il s’insinua dans les bureaux des Presses de la Renaissance, rue du Four, Paris sixième arrondissement. Je me souviens de la table, plus ou moins ovale, garnie de cendriers. Et de la brume. Et du soleil. Une grande clarté saupoudrée envahissait la salle de nos réunions fréquentes. Yves Martin n’avait pas quitté sa gabardine cirrus. Il n’avait pas quitté son détachement d’enfant, ses habitudes de solitaire qui parle aux chats plutôt qu’aux chiens et probablement plus aux chiens qu’aux bipèdes. Il s’était tu. Il n’avait rien émis qu’une suite de sourires brefs, aimables, oniromanciens. Je dis oniromancien car on pouvait lire au-dessus de sa bonne humeur qu’il n’était pas fait pour les comités. Ou les raouts à plus de deux. Une dernière Leffe m’avait jeté dans un autre délire. Pas si délire que ça. Avec Bernard Loyal, nous préparions une série de films brefs. Portraits de poètes disant eux-mêmes leurs œuvres. Je désignais les victimes, esquissais le topo, la topographie, choisissais les pages idéales et l’affaire était mise en boîte. Il y eut Dominique Fourcade, Jean-Michel Maulpoix, Jean L’Anselme, Lorand Gaspar, Franck Venaille, Pierre Dhainaut. Tous furent filmés et Yves Martin se prêta au jeu, métro Saint-Paul. Cette série datant de 1987 et intitulée L’œil du poème est disponible à la Maison de la poésie et à Beaubourg. Il y a quand même une Leffe que je regrette de ne pas avoir bue, celle qui m’aurait permis d’interroger Yves Martin au sujet de Jean-Pierre Martinet. Vous connaissez Jean-Pierre Martinet ? Il en sera question ici, un de ces quatre prochains. Et je vous parlerai de nouveau d’Yves Martin. Mais d’ici là, s’il vous plaît, lisez ou relisez ceci :

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  • JEAN DUBUFFET ❘ EXPERIENCES MUSICALES

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    Jean Dubuffet, Expériences musicales


    Premier numéro de la collection des Cahiers de la Fondation Dubuffet - collection consacrée aux archives de la Fondation, riche en documents inédits - cet ouvrage retrace les "expériences musicales" de Jean Dubuffet. Le corps principal de l'ouvrage, Une anthologie en trois temps (175 pages) - trois chapitres abondamment illustrés - est un choix de textes, lettres, documents, présentés par Sophie Duplaix (commissaire de l'exposition présentée parallèlement à la Fondation) permettant de saisir le contexte et les enjeux des créations musicales de Jean Dubuffet. Un disque compact audio est offert avec l'ouvrage - sept enregistrements inédits de Jean Dubuffet - choix commenté par le musicologue allemand, Andreas Wagner, dans le chapitre "Un choix d'inédits". L'ouvrage est complété par un répertoire complet des bandes originales conservées à la Fondation Dubuffet, une discographie, une bibliographie sélective et une courte biographie de l'artiste. Incontournable !

    livre, 232 pages + CD
    35 euros
    Metamkine


  • LOUIS NUCERA EST L'AMI

     

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    Louis Nucera est l’ami. Celui qui accompagne l’homme de la rue mais aussi le trimardeur des chemins d’errance. Il peut échanger,  sans changer d’apparence, avec Alphonse Boudard et avec Cioran. Il ne fait pas de distinction entre le passant ordinaire et une figure de l’espèce notoire. Il est pareil à ceux qui nient l’arrogance du grade, l’insondable néant des podiums. Louis Nucera n’est plus. Un automobiliste hâtif a pris pour cible le flâneur bicycliste. C’était le mercredi 9août 2000.

    medium_Numeriser0039.jpgJ’eus le bonheur de le rencontrer sur le sentier qui va à André Hardellet. Son témoignage m’était précieux. Il avait connu l’auteur de Lady Long Solo et je préparais, pour la revue Jungle, un numéro d’hommage. J’étais ému de converser avec l’éditeur de Julien Blanc et d’Albert Paraz, le journaliste qui signait des articles effusifs dans le Magazine Littéraire et Le Monde. Je n’avais pas lu le romancier, une négligence réparée depuis notre première rencontre datant de 1986. Je possède désormais l’œuvre complète d’un écrivain qui occupe dans mon cœur la place où se côtoient Henri Calet, Antoine Blondin, Jean-Pierre Énard, Clément Lépidis, fragiles et fraternels.

    Si j’évoque aujourd’hui Louis Nucera, c’est qu’une histoire d’amitié m’en donne l’occasion. Lorsqu’il me reçut rue Caulaincourt, dans son belvédère qui contemple Paris, l’auteur de Mes ports d’attache énuméra les noms qui comptaient pour lui. Il citait Jef (Joseph Kessel), Henry Miller, Jean Cocteau, Michel Ohl mais ses yeux s’éclairaient différemment quand il prononçait celui d’André Asséo.

    André Asséo fut le producteur de l’émission Cinéfilms diffusée sur France Inter. Il créa le festival du cinéma italien à Nice et publia des ouvrages sur Jean-Louis Trintignant, Claude Chabrol et Joseph Kessel. Avec Louis Nucera, il écrivit la matière du film Jeanne, Marie et les autres. Tous deux se fréquentaient depuis que l’auteur de Chemin de la Lanterne (prix Interallié, 1981) pigeait bénévolement au Patriote, le quotidien communiste de Nice. C’était en 1956.

    Avec Louis Nucera, l’homme-passion, André Asséo compose un hymne à l’amitié. La couverture indique le mot biographie. Mais il s’agit plutôt d’une évocation sentimentale. L’approche ne rassemble pas tous les détails d’une vie qu’un volume de 167 pages ne saurait réunir. Tout Nucera s’y trouve mais assemblé comme les éclats d’un prisme cordial, quintessencié en quelque sorte et finalement illuminé par les lueurs de l’empathie. Le parcours est retracé avec les balises au bord de la route : Joseph Kessel, Raymond Moretti, Arthur Koestler, Vladimir Nabokov , Alphonse Boudard et Suzanne, la femme-fée. La passion du vélo (René Vietto, Fausto Coppi) est généreusement abordée. André Asséo montre surtout les constantes interactions entre la vie et l’œuvre.

    En 2001 paraissait aux éditions Le Castor Astral, Louis Nucera, achevé d’imprimer, un ouvrage mêmement enthousiaste. Bernard Morlino, biographe d’Emmanuel Berl et de Philippe Soupault, célébrait le « pessimiste hilare ». Le livre venait après le brusque choc et il en résultait un ton de fièvre (colère et amour mêlés). Ce sont deux volumes à découvrir car ils nous renseignent sur la principale vocation de Louis Nucera. Celle de l’attachement.

    Je suis heureux que ces livres existent perpétuant à leurs manières la vie d’un écrivain bien rare. Il était accessible. Il répondait présent. Guy Darol

    Ø LOUIS NUCERA, L’HOMME-PASSION

    Ø André Asséo

    Ø Éditions du Rocher, septembre 2006

    Ø 167 pages, 18 €

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    > LOUIS NUCERA, ACHEVÉ D’IMPRIMER

    > Bernard Morlino

    > Le Castor Astral éditeur, mars 2001

    > 247 pages, 14, 48 €

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  • LAUREN NEWTON

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    Lauren Newton

    Bien que revendiquant l’héritage d’Ella Fitzgerald et de Cathy Berberian (répertoire Berio), Lauren Newton qui fut récemment complice de Joëlle Léandre et l’invitée d’Anthony Braxton sur Composition 192, le volet Ghost Trance Music du foisonnant compositeur, me semble ressortir plus exactement à la ligne Dada. Soundsongs, avec 16 pièces chantées à voix nue, en est la preuve formelle. Par ailleurs, cet album fourmillant de glossolalies aurait atteint au cœur Antonin Artaud. Mais ce recueil de performance vocale est surtout une action dadaïste maîtrisée qui rejoint les poèmes phonétiques de Raoul Hausmann ou les « chants nègres » de Richard Huelsenbeck et de Hugo Ball. Jamais les cordes vocales n’ont été à ce point vibrées, tendues jusqu’à la limite et jamais une voix n’a produit autant de cris stridents, de monèmes hachés, de sons expulsés, crachés, slammés. Et jamais une voix si extraordinairement perçante, éclatante comme la charge impétueuse d’une horde déterminée à mort, n’a su si magistralement passé de la plainte à la susurration du plaisir zazen. Enfin, cet album n’est  pas qu’un exercice incroyable de plasticité vocale, il est, au-delà de toute virtuosité, le monument qu’il convient de visiter pour évaluer ce qu’est véritablement une chanteuse habitée. Guy Darol

    SOUNDSONGS LEO RECORDS/ORKHÊSTRA

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  • GERARD OBERLE

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    Il ne suffit pas d'être hydrophobe et capricieusement bachique pour tirer le meilleur de cette ribouldingue soulographe. Gérard Oberlé n'est pas qu'un pointu amateur d'alcools, il est simultanément grand vivant, bibliomane averti et il a le sens des amitiés qui indiquent les chemins de la fête.

    medium_06.jpgLatiniste jusqu'au bout des ongles, Oberlé pousse à l'eudémonisme par les mots. Sans doute est-il préférable de fréquenter Ovide et Remy de Gourmont (particulièrement son Latin mystique) pour le suivre sans trop tanguer mais c'est là ce qui vaut le détour. L'auteur du Retour à Zornhof (Grasset, 2001) cite, comme on fait sauter les bouchons, Alfred Jarry, Petrus Borel, Marcel Thiry, Hervey de Saint-Denys, Alphonse Rabbe, Norge, Richard Brautigan. Surtout, il a des amitiés étourdissantesqu'il fait partager dans le contexte : Jim Harrison, James Crumley, Jean-Claude Pirotte, Sylvain Goudemare, Daniel Sickles.

    Cet écrivain bien gouleyant (les lecteurs de Joseph Delteil me comprendront) tourne résolument le dos aux scribes en vêture de deuil. Toute cette littérature éreintante nombreuse, tristement cuisinée qui ne connaît que les délices des vies sans joies. Gérard Oberlé distille son parcours avec ébriété et, par surcroît, il nous instruit. Il nous dit qu'il est bon de goûter aux vins sveltes, aux rhums roboratifs et aux livres qui font danser. Bref, voici un écrivain utile, précieux en ces temps où l'illusion a pris le relais du vrai.

    Trempez-vous dedans fissa, vous en ressortirez tout chaud.

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    Itinéraire spiritueux par Gérard Oberlé
    Editions Grasset, 2006
    272 pages, 17 euros
  • MAURICE BLANCHARD

     

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    À propos de Maurice Blanchard (1890-1960), il est convenu de dire que le poète des Barricades mystérieuses fut lu de son vivant par moins de cent lecteurs. Lesquels, tout de même, se nommaient Paul Eluard, André Breton, Benjamin Péret, René Char, Joë Bousquet, Julien Gracq, Gaston Bachelard, Edmond Jabès, André Pieyre de Mandiargues, Hubert Juin, Henri Parisot, Marcel Béalu… Mais combien d’écrivains pourraient se vanter d’avoir touché autant de plumes fameuses ?

    Maurice Blanchard avait été apprenti serrurier, maréchal-ferrant avant de devenir ingénieur-mécanicien spécialiste en résistance des matériaux puis de dévaler la pente d’une poésie qui brûle les doigts. Car il y eut les hydravions Blanchard comme il existe une écriture de résistance, à contresens des combats de rue, toute blottie dans le poing des mots.

    La rage est synonyme de ce nom méconnu que l’on peut ranger, sans attiger, entre Rimbaud et Lautréamont.

    « Vivre : c’est la guerre ! »

    Le ton est donné.
    Maurice Blanchard composa de 1929 à 1955 une poésie de constat amer. D’un lyrisme où souffle le sable, les ajoncs et quelques hallebardes. Avec un titre comme C’est la fête et vous n’en savez rien (GLM, 1939) on s’attend à des éclats d’ébriété, ce sont brisants qui écorchent les yeux, vagues bien effilées de mots coupants à tous les coups.

    Et quel style ! Celui du porphyre qui vibre.

    medium_Numeriser0001.6.jpgPour en toucher la pulpe, lisez Les Barricades m ystérieuses (Poésie/Gallimard, 1994) et La Hauteur des murs que les éditions Le Dilettante viennent de mettre en vente avec une excellente préface de Vincent Guillier.

    La Hauteur des murs avait paru en 1947 chez Guy Lévis Mano (GLM) et, en 1979, les éditions Plasma placèrent le recueil à la suite de C’est la fête et vous n’en savez rien.

    On peut affirmer qu’il s’agit là du meilleur de Maurice Blanchard. Textes puissamment contenus, ramassés, concis comme des traits qui vont exactement au but.

    En fin de volume, Vincent Guillier propose deux inédits.

    MAURICE BLANCHARD

    LA HAUTEUR DES MURS

    LE DILETTANTE

    123 pages, 15 €

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    LE DILETTANTE

    BIO-BIBLIO DE MAURICE BLANCHARD

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    RECHERCHER

    Hommage à Maurice Blanchard

    Revue Le Grand Hors-Jeu, mai 1992

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    Maurice Blanchard par Pierre Peuchmaurd

    Seghers, Collection Poètes d’aujourd’hui, mai 1988

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  • COLETTE THOMAS

     

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    Colette Thomas dont la figure est à jamais associée aux derniers jours d'Antonin Artaud a refermé son ombrelle. Son nom (celle d'une fille de coeur) vient se graver auprès de Genica Athanasiou, Anie Besnard, Cécile Schrammer, Jany de Ruy, Paule Thévenin, Marthe Robert. Anges de "la chasteté qui conserve l'âme".

    Sans doute Colette Thomas nous a le plus ému qui glissa lentement au gouffre. Elle connaissait les trajectoires intérieures par où le poète descendait. Colette Thomas s'éloigna du monde à partir de la mort d'Artaud, tout en laissant Le Testament de la fille morte (Gallimard, 1954) et le souvenir d'une lumière blonde qui voulait se fondre dans le coeur de l'exception.

    Le Testament de la fille morte paru le 10 mars 1954 est un livre à redécouvrir. L'ouvrage inscrit au catalogue Gallimard n'est plus disponible. Qui fera le travail d'exhumation ?

    Deux portraits de Colette Thomas par Antonin Artaud

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  • JOSEPH BIALOT

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    Les rues de Paris (je devrais dire, comme Jacques Réda, les ruines de Paris) ont leurs observateurs plus ou moins touchants. Il y en a d’éminents, à commencer par Léon-Paul Fargue qui met de la poésie sur tout ce qu’il touche. D’autres, et en quelque sorte à la suite, ont fait parler le trottoir avec la voix de l’enfance. Ceux-là me sont très chers (Henri Calet, André Hardellet, Yves Martin…) et je cherche dans la littérature d’aujourd’hui, si difficile à débusquer, le murmure obstiné contre l’impérialisme de la maturité.

    On sait qu’il n’y a pas d’âge pour donner la parole au petit primitif. Je constate cependant que c’est bien souvent sur le tard, à la lisière du crépuscule, que l’enfant s’exprime le mieux. Comme s’il fallait passer par le labyrinthe du temps, le déroulement des décennies, pour atteindre le but qui est de retrouver les impressions premières, cette vertigineuse sensation de la vie sans fin.

    La littérature que l’on vend (promotion en batterie fanfare du toujours même chapelet de noms) met l’accent, faussement tonique, sur la jeunesse à belle gueule latex taillée dans la glace des magazines. Il faut être beau et jeune (le mythe du Rimbaud warrior) pour mériter publication. Comme tout le reste, la littérature a vu s’imposer les mains du marketing, la règle du consommé-jetable. Elle est devenue un secteur où la concurrence joue (si l’on peut dire) à plein régime. Je l’ai connue au temps de la zone et de ses malandrins.

    medium_Numeriser0013.3.jpgJoseph Bialot (comme Maurice Fourré, vous connaissez ?) a débuté en littérature après cinquante ans. Dès lors, il avait tout à dire et je crois qu’il a eu raison de se retenir pendant plus d’un demi siècle. Sa bibliographie compte une vingtaine de livres. À vrai dire, je ne l’aurais sans doute jamais lu sans le conseil mirobolifique de Christophe Daniel, mon libraire. Il vit et travaille à Morlaix (Finistère) et nous avons beaucoup à échanger sur Paris, vingtième arrondissement. Comme moi, il y a ses racines.

    Je ne l’aurais jamais lu Joseph Bialot parce qu’il évolue dans une zone où je ne traîne jamais, celle du roman noir, du thriller, de la littérature dite policière. Ces estampilles ne m’ont jamais intéressé et c’est à tort, probablement. Je devine qu’il se trouve dans ces tiroirs étiquetés de très grands écrivains. Et je pense, en particulier, à Marc Villard que je lis avec intensité, surtout depuis qu’il s’est dépris d’un genre, dont il est, paraît-il, le plus beau porte-plume.

    medium_Numeriser0014.3.jpgLe livre s’intitule Belleville Blues et ceux qui suivent ici mes dérives parisiennes ont compris que ce titre va à mes préférences. Joseph Bialot se souvient de son arrivée, presque triomphale, boulevard de Belleville, après un voyage de deux nuits et un jour dans l’express Varsovie-Paris. Voici donc un récit d’immigré. Qui évoque un quartier disparu, des falaises d’immeubles aujourd’hui effondrées. Nous sommes en 1930. Il rappelle, par exemple, qu’au sommet de la rue Oberkampf, là où s’arrête le 96, il attendait le bus au front duquel paradait la lettre Q. Joseph Bialot se remémore la plaisanterie qui courait alors. Le jeu « consistait à demander à un passant choisi au hasard : « Pardon, m’sieur, savez-vous où se trouve l’arrêt du « Q » ? » C’est ainsi que l’on riait au temps que la musique retentissait au Boléro, à la Java, et que sortir au cinéma (le Templia, le Cocorico, le Floréal, le Phénix, l’Impérator) durait toute une après-midi.

    Joseph Bialot ressuscite La Vielleuse, la maison des Saints-Simoniens, la Halle aux Chapeaux, bois et charbons, bistros innombrables (La Chope, La Lumière de Belleville, Le Métro), rues envolées : l’allée des Faucheurs (au nom prédestiné), la rue Vincent, le passage Kuzner. Et c’est une ville qui se réveille, le peuple et le cœur d’une ville. Milliers de visages effacés que la littérature (tel est son art) anime, sans concurrence possible. Seuls les mots, quand ils sont magiquement mariés, peuvent tromper la mort. Qu’il vive longtemps Joseph Bialot !

    >Belleville Blues, Joseph Bialot. Autrement, 2005. 99 pages, 10 €.

    >www.autrement.com

    >BIBLIOGRAPHIE AUX ÉDITIONS GALLIMARD

    BABEL-VILLE [1979] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1745), Gallimard -rom. ISBN 2070487458.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 270) (2002), Gallimard -rom. ISBN 2070425282.

    LES BAGAGES D'ICARE [1991] , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2259), Gallimard -rom. ISBN 2070492591.

    LE MANTEAU DE SAINT MARTIN [1985] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1994), Gallimard -rom. ISBN 2070489949.


    LA NUIT DU SOUVENIR [1990] , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2215), Gallimard -rom. ISBN 207049215X.


    ROUTE STORY [1998] , 256 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 2503), Gallimard -rom. ISBN 2070496996.

    LE ROYAL-BOUGNAT [1990] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2239), Gallimard -rom. ISBN 2070492397.

    RUE DU CHAT CREVÉ [1983] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 1903), Gallimard -rom. ISBN 2070489035.


    LE SALON DU PRÊT-À-SAIGNER [1978] , 256 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Super Noire (No 110), Gallimard -rom. ISBN 2070461106.
    Le même ouvrage , 256 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Carré Noir (No 548) (1985), Gallimard -rom. ISBN 2070435482.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio (No 2204) (1990), Gallimard -rom. ISBN 207038294X.
    Le même ouvrage , 224 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 1749) (1996), Gallimard -rom. ISBN 2070496139.
    Le même ouvrage , 224 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 114) (2000), Gallimard -rom. ISBN 2070410307.

    UN VIOLON POUR MOZART [1989] , 192 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Série Noire (No 2184), Gallimard -rom. ISBN 2070491846.

    VOUS PRENDREZ BIEN UNE BIÈRE ? [1997] , 224 pages, 117 x 180 mm. Collection Série Noire (No 2443), Gallimard -rom. ISBN 2070496600.

  • AVEC JEAN-MARIE FRIN ❘ DES HOMMES ET DES DIEUX ❘ EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE 2010

     

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    DES HOMMES ET DES DIEUX

     

    GRAND PRIX DU JURY

    DU

    FESTIVAL DE CANNES  2010

     

    EN SALLE LE 8 SEPTEMBRE

     

     

    ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE FRIN, ACTEUR DU FILM

     

     

    « Les moines appelaient l’armée les frères de la plaine et les terroristes les frères de la montagne, sans naïveté, conscients d’avancer sur un étroit chemin de crête entre ces deux camps aux positions ambiguës ».

     

     

    Bienvenu Merino : Jean-Marie, fin 1996, dans l’Atlas Algérien, une prise d’otage de sept moines français du monastère de Tibhirine puis leur exécution  choque les consciences des français ainsi qu’ailleurs dans le monde. L’événement survient alors que le pays s’enfonce dans le chaos. D’un côté, les groupes terroristes islamiques. De l’autre, les militaires, bras armés d’un régime corrompu, au milieu la population qui compte les morts. Ces moines jusqu’alors vivaient en harmonie avec leurs voisins musulmans et vont voir leur vocation bouleversée par le terrorisme. Jean-Marie, est-ce que la présence des moines dans le pays était-il remis  en cause après les multiples exactions commises par les intégristes musulmans ? Et comment toi, en tant qu’homme, as-tu ressenti cette tragédie, et comment l’as-tu vécu, en tant qu’acteur du film ?

    Jean-Marie Frin : Il faut tout d’abord préciser que le film ne cherche à développer aucune thèse ni à mener aucune investigation d’ordre politique concernant le drame qu’ont vécu  ces moines. Ce qui a surtout intéressé Xavier Beauvois et son scénariste Etienne Comar, c’est de savoir qui étaient ces hommes, leurs questionnements intimes, quelle était leur vie au quotidien dans cet endroit perdu de l’Atlas algérien, la nature des liens qu’ils entretenaient avec la population environnante, les causes de leur engagement. Il est vrai que leur présence était remise en question. Face au chaos régnant dans le pays ils essayaient de garder un équilibre précaire, une neutralité difficile entre les deux forces en présence, le GIA (groupe islamiste armé) d’un côté, l’armée de l’autre. Certains extrémistes islamistes cherchaient, en effet, l’élimination physique des religieux chrétiens implantés en Algérie, pour des raisons de l’ordre du fanatisme, bien sûr, (ils avaient déjà assassinés des prêtres et des religieuses à plusieurs reprises). Mais d’un autre côté le pouvoir algérien ne voyait non plus d’un bon œil la présence de ces moines en Algérie. Ces derniers entretenaient en effet des relations (trop ?) harmonieuses avec les musulmans(qu’ils ne cherchaient pas à convertir)et, entre autres, n’hésitaient pas non plus à soigner les blessés du GIA qui se présentaient, surtout la nuit, au monastère, tout en se gardant bien d’une quelconque collaboration avec eux. Ils étaient d’autre part, a-t-on dit, en relation avec des groupes de réflexion comprenant des gens venus de tous horizons (musulmans, chrétiens, laïques, etc.) qui cherchaient à trouver une alternative démocratique pour ce pays abîmé et malmené. Tout cela n’était pas du goût des autorités algériennes qui cherchaient donc par tous les moyens à les faire partir. Ils subirent de la part de ces autorités de multiples pressions et ce n’est qu’au terme de longues discussions entre eux et avec leurs amis musulmans du village voisin qu’ils n’envisagèrent d’autre solution que de rester. Ce ne fut pas un choix de résistance, mais plutôt un abandon, je crois, comme l’a dit un jour très justement Michael Lonsdale.

     A titre personnel, j’ai ressenti cette tragédie comme un écho amplifié à la question qui se pose toujours à tout homme à un moment de sa vie par rapport à des choix personnels : rester ? partir ? Tout homme a vécu ces questionnements à des degrés plus ou moins forts. C’est toujours très douloureux. La grande différence est que pour ces Frères, la mort était au bout sans qu’ils aient jamais cherché le martyr pour autant (ils le disaient eux-mêmes). C’est en cela que cette aventure m’a profondément ému. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour envisager ce à quoi peut mener un engagement définitif et en évaluer les conséquences. La force qui se dégage ce cette attitude d’abandon est pour moi exemplaire, même si certains pourraient trouver cela inutile ou même ridicule.

    B.M. : Dans Des hommes et des Dieux, tu tiens le rôle de l’un des sept moines, Frère Paul. Ces moines sont des personnalités fortes. Lambert Wilson, qui a un rôle de moine également dans le film, les comparaît à des fleurs de champs, banales en soi, mais formant un beau bouquet. Cependant, je crois, certains de ces moines ont un problème à régler avec l’Algérie? Est-ce là une  des origines de la tragédie qui va s’en suivre, à savoir la décapitation  des moines ? 

     J.-M. F. : Il est vrai que tous ces hommes avaient une histoire et un rapport personnel très fort avec l’Algérie. Certains y étaient nés, comme Frère Amédée et Frère Jean-Pierre, et avaient choisi la nationalité algérienne au moment de l’indépendance. Frère Luc, le médecin interprété par Michael Lonsdale, avait ouvert le dispensaire au monastère et  avait été enlevé durant la guerre par le F.L.N. et failli être zigouillé, d’autres très âgés n’avaient plus que de maigres contacts avec la France, l’Algérie était devenu leur pays, d’autres enfin avaient fait en tant qu’appelés leur service militaire pendant la guerre d’indépendance. Ils y avaient vécu des événements très forts et très douloureux qu’ils ne pouvaient oublier. Avaient-ils une dette envers ce pays et ces habitants ? Je ne sais si l’ont peut formuler la chose de cette manière, mais ce qu’ils avaient vécu là les avait emmenés vers un attachement extrêmement profond à ce pays. Ils aimaient vraiment l’Algérie et les Algériens. C’est tout. Cet attachement n’est pas la cause de leur assassinat car les choses sont beaucoup plus compliquées d’un point de vue politique (il faudrait prendre connaissance des documents classés secrets défense qui ont été récemment mis à jour) mais il en est la conséquence. Pour être clair, les Frères n’ont pas été assassinés par des islamistes pour je ne sais quelles exactions qu’ils auraient commises durant la guerre d’Algérie. Si d’aucuns avançaient ce genre d’hypothèse, elle n’aurait aucun fondement.

     B.M.: Frère Paul, dont tu interprètes le rôle, est né en 1939. Avant de rentrer à la Trappe, à l’Abbaye cistercienne de Tamié, à l’âge de 45 ans il a été lieutenant de parachutistes, artisan plombier, conseiller municipal de sa région en Alsace. Puis en Algérie, au prieuré de Tibhirine, il est un peu l’homme qui sait tout faire tel un homme de peine. Sais-tu les raisons pour lesquelles Frère Paul rentre dans les ordres et surtout comment il se retrouve en Algérie ?

    J.M.F : En ce qui concerne l’engagement personnel de Frère Paul, j’en ignore totalement les raisons. Il avait lui aussi, en effet, fait la guerre d’Algérie, mais cela n’est pas une raison suffisante. C’était aussi un chrétien profondément sincère et  convaincu, très pieux depuis toujours, qui est allé jusqu’au bout de ses convictions en devenant moine trappiste (un des ordres religieux les plus austères qui soient). Cet engagement tardif, à 45 ans, ne le rend que plus admirable car c’est vraiment le choix d’un homme adulte. Pour le reste, Paul reste pour moi un mystère, comme tout être humain. C’est ce qui m’a énormément touché. On ne sait jamais vraiment qui est l’autre à côté de soi. Quel secret portait-il en lui? Quel tourment invisible ?  Quel apaisement est-il allé chercher là ?  Je crois savoir que sa famille elle-même fut surprise de son choix. Pour le peu que j’en sais d’après les quelques photos que j’ai vu de lui et quelques correspondances qui ont été publiées, ce devait être un homme extrêmement bon, doux, paisible, discret, timide même (il n’aimait guère être pris en photo parait-il !) et doué d’une bonne dose d’humour (noir même, par moment).

     B.M. : Xavier Beauvois, le metteur en scène,  fuit la reconstitution historico-politique et laisse dans l’ombre la réalité ou le mystère de l’Assassinat (GIA) groupe islamiste armée ou manipulation de l’armée ? Je crois que le contexte de l’époque imprègne le film mais Xavier Beauvois fixe plus son regard sur l’intimité et sur le secret de ce qui se passe  dans le monastère, n’est-ce pas ?

    J.M.F. : Cette question contient sa réponse. Il suffit de voir le film pour constater le choix et l’optique de Xavier Beauvois. Il est vrai aussi que dès que l’on commence à s’intéresser à l’histoire de ces moines, à lire des documents sur ce drame, on ne peut qu’être pris par une espèce d’empathie pour ces hommes. Xavier Beauvois dit souvent qu’il était tombé amoureux d’eux. Ce n’est pas une formule vaine,  c’est vrai (là, nous n’avions plus à faire à des personnages mais à des êtres humains, et d’ailleurs aucun de nous n’a cherché à restituer je ne sais quelle vérité psychologique qui les aurait caractérisés). C’est ce qui m’est arrivé à moi aussi. Plus j’en lisais sur eux, plus j’avais envie d’en connaître d’avantage, plus ils m’intriguaient et plus j’avais envie de les comprendre, de les aimer. Je ne me suis d’ailleurs pas vraiment plus intéressé à Paul qu’aux autres. Tous m’ont fasciné. Pendant le tournage, j’ai moins été dans la démarche d’un acteur qui joue un personnage, que dans celle d’un passeur qui témoigne d’une aventure  humaine. Je  me suis rendu compte de cela petit à petit. C’est très étrange et très émouvant pour un acteur de se retrouver dans cette attitude. 

    B.M. : Des hommes et des dieux, explore, entre autre, la question de l’engagement religieux. En tant qu’humains nous n’avons pas de raisons d’être fier, parce que né(e)s hommes ou femmes, nous ne l’avons pas choisi. Mais puisque nous le sommes, autant trouver et développer en nous ce qu’il y a de plus beau et de plus élevé. Penses-tu que c’était ce qu’essayaient de réaliser ces Frères dans leur engagement de l’état de fierté qui, s’il n’est pas établi une fois pour toutes, est une aspiration, un but, un combat permanent qu’ils ont tentés d’accomplir ?

    J.M.F : Oui bien sûr. C’est en cela que leur histoire est merveilleuse et exemplaire. Moi qui ne suis plus croyant depuis longtemps et n’ai plus besoin de la foi pour trouver mon rapport au monde et aux autres, je ne peux malgré tout qu’être fasciné par la force de cet engagement. Je pense que tout homme devrait être guidé par une force de cette sorte pour mener sa vie. Sinon à quoi bon vivre ? Et c’est encore plus vrai je crois lorsqu’on est artiste. Si on ne l’est pas jusqu’au fond de soi-même, viscéralement, dans le plus profond engagement et la plus profonde conviction, on reste un pâle histrion (il y en a hélas!). J’ai parfois très peur de le devenir, d’ailleurs. Alors je me bats toujours avec moi-même pour ne pas tomber dans le leurre. Sans entrer dans une théorie sur l’art de l’acteur, je dis que ceux qui disent que « jouer » c’est « mentir », c’est « faire semblant », se trompent lourdement. Rien n’est plus vrai au contraire que cet acte-là et c’est cette vérité qu’il nous faut toujours chercher, au théâtre comme au cinéma, sinon l’imposture nous guette. Serait-ce osé de ma part que de dire les Frères de Tibhirine sont aussi un exemple pour les acteurs ? Allez, je l’avance !

    B.M. : Jean-Marie, Dieu est le nom unique des religions monothéistes. Le concept de dieu prend des formes extrêmement variées  selon les religions. Leur  point commun : Dieu (ou un Dieu) est, soi disant, supérieur  à l’homme, plus puissant  et plus complet que lui.  Pour le paganisme ou plus généralement pour les religions polythéistes, un dieu est un être immortel, d’une nature supérieure aux êtres humains, aux esprits et aux génies. En fonction de leurs attributions particulières (de leurs spécialisations), les dieux agissent sur la nature et interviennent dans les affaires humaines. La notion de dieu, et ce qu’il représente (toute puissance, immortalité, créateur…)  trouve son origine dans le soleil, lumière céleste, source de vie sur terre puis s’est diversifié selon les différentes religions d’après de nombreux croyants. Les agnostiques pensent qu’ils n’est pas possible de prendre position quand à la l’existence de ou non de dieu. Les athées, eux, ne croient pas en dieu, considérant qu’il s’agit d’une invention humaine. Une fois pour toutes, quand les religions n’incitent pas les hommes à la barbarie, elles les infantilisent en les empêchant d’user de sens critique par rapport à l’enseignement dispensé. Ce sont les religions du Livre qui n’ont cessé de faire croire que par nature, l’homme a soif de divin. Pourtant, ceci est archi-faux  car il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour vivre en paix avec soi-même, avec sa famille et ses voisins, pour jouer un rôle gratifiant dans la société. Une question Jean-Marie, tu es comédien et acteur depuis plus de 35 ans mais lorsque tu étais tout jeune tu voulais être missionnaire. Je crois même que tu es entré au petit séminaire pour étudier. Avais-tu réfléchi avant d’y entrer, pour en fin de compte résister et choisir une autre voie, celle de comédien ? Aujourd’hui avec le recul, que penses-tu de la direction qu’allait prendre ta vie si tu avais obéi à ton désir d’aller jusqu’au bout à la rencontre de Dieu ? Une toute dernière question : dans le film de Xavier Beauvois, tu es un faux moine, mais  connaissant ton travail magnifique d’acteur, au cinéma, mais surtout de comédien au théâtre, tu as dû t’investir pour tourner dans Des hommes et des Dieux. Et si tu es un faux moine, peut-être tu n’es pas un faux croyant, c'est-à-dire que tu as des convictions fortes sur la croyance et que tu as dû te confronter à des questions que te posait ta conscience, non ?  D’où ta performance dans le film, Des hommes et des Dieux ?  

    J.M.F. : J’ai eu une enfance et une éducation extrêmement religieuse. Je suis passé par toutes les étapes, là aussi avec beaucoup d’engagement et de conviction. J’ai en effet voulu être prêtre étant enfant, missionnaire en Afrique, plus précisément. Je suis entré au Petit Séminaire où j’ai effectué une partie de mes études secondaires, habité d’une foi profonde. A l’adolescence, je dois dire que la perspective d’une abstinence amoureuse pour la vie a contribué à me faire changer d’avis. S’en est suivi un long cheminement de pensée et de réflexion qui fut douloureux, parce que teinté de culpabilité, d’un sentiment de peur aussi, je dois bien l’avouer mais qui m’a conduit à devenir l’athée convaincu que je suis aujourd’hui. Je n’aime pas dire que je ne crois plus, ni que j’ai perdu la foi, car ce sont des formules négatives. Je n’ai rien perdu, au contraire, j’ai gagné un regard sur le monde qui me donne la force d’en être partie prenante. La question de l’existence de dieu n’est qu’une question de foi. Je donne au mot croire le sens que lui donnaient les anciens, grecs et romains : « croire » ce n’est pas « penser que dieu existe » comme on l’entend aujourd’hui, c’est donner son crédit, sa confiance à dieu. Il s’agit d’un rapport fiduciaire garantissant la réussite de nos entreprises humaines. Lorsque je vois le monde tel qu’il est, j’aurais plutôt tendance à n’accorder aucune confiance à dieu et à ses sbires, à dire comme Marguerite Duras : « Si dieu existait, ce serait un beau salaud » et à n’accorder mon crédit et ma confiance qu’aux hommes, mes « Frères ». En ce sens je suis résolument optimiste. Je n’ai pas besoin de l’idée de dieu pour essayer d’être un honnête homme !

    J’ajouterais pour répondre à la dernière question que j’ai été très troublé pendant le tournage par le parcours de Frère Christophe, moine à Tibhirine, interprété par Olivier Rabourdin. Nous avons le même âge et suivi exactement les mêmes étapes depuis l’âge de 8 ans jusqu’à l’adolescence, avec des crises identiques. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, lui est entré à la Trappe. Je me suis souvent dit que j’aurais pu être lui si la force du théâtre ne m’avait saisi ! 

    B.M. : Merci infiniment, Jean-Marie, de m’avoir invité à la projection privée du film et d’avoir répondu à mes questions avec autant d’honnêteté, de clarté et de talent, alors que beaucoup de médias te sollicitent avant la sortie du film le 8 septembre  Merci encore et bravo ! 

     

    Propos recueillis le 3 août 2010 par Bienvenu Merino

     

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    QUELQUES DATES IMPORTANTES SUR LES EVENEMENTS EN ALGERIE

     

    Le 26 décembre 1991 : le front islamistes du salut (FIS) emporte la majorité des sièges au cour

    du premier tour des élections législatives.

    Le 11 janvier 1992 : l’état d’urgence est déclaré.

    Le 14 janvier 1992 : assassinat du Président Mohamed Boudiaf.

    Le 30 octobre 1993 : ultimatum de Groupe islamiste armé (GIA) qui ordonne à tous les étrangers de quitter l’Algérie.

    Le 26 mars 1996 : un groupe armé enlève les sept moines de Tibhirine.

    Le 18 avril 1996 : le GIA revendique l’enlèvement.

    Les 21 et 23 mai 1996 : le GIA annonce l’assassinat des sept moines après des négociations infructueuses avec les gouvernements français et algériens.

    Le 30 mai 1996 : les têtes des sept moines mais par leur corps

     sont retrouvées sur une route près de Médéa.

    Le 22 septembre 1997 : le massacre des villageois de Bentalha relance les suspicions

    pesant sur la sécurité militaire dans certains enlèvements et assassinats en Algérie.

    A partir de 1998 : diminution des violences et de l’insécurité en Algérie. Début d’une politique de réconciliation nationale.

    Le 9 décembre 2003 : la justice française est saisie par la famille d’un des moines et par un abbé de l’ordre des cisterciens qui doutent de la véracité de la thèse officielle.

    Le 29 décembre 2005 : un référendum avalise la charte de « réconciliation nationale » voulue par le Président Bouteflika, qui amnistie sous certaines conditions les membres des groupes armés 1990 et interdit tout débat sur cette période de l’histoire algérienne.

    Le 20 novembre 2009 : levée du secret défense sur certains documents français quand l’ancien Attaché de défense français à Alger affirme que les sept religieux auraient été victime d’une bavure de l’armée algérienne.

     

    Liste artistique du film :

     

    Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Jean-Marie Frin, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Loïc Pichon, Xavier Maly, Abdelhafid Metalsi, Sabrina Ouazani, Abdallah Moundy, Olivier Perrier, Farid Larbi, Adel Bencherif

     

    Liste technique :

     

    Scénario : Etienne Comar

    Adaptation des dialogues : Xavier Beauvois et Etienne Comar

    Directrice de la photographie : Caroline Champetier

    Décors : Michel Barthélémy

    Son : Jean-Jacques Ferran, Eric Bonnard

    Montage : Marie-Julie Maille

    Premier assistant : Guillaume Bonnier

    Conseiller Monastique : Henry Quinson

    Scripte : Agathe Grau

    Costumes : Marielle Robaut

    Régie : Thibault Mattei, Khaled Haffad

    Production exécutive: Martine Cassinelli et Frantz Richard

     

     

     

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                                                 JEAN-MARIE FRIN  

     

    Né en 1949, c’est à la Maison De La Culture de Caen dirigée par JO TRÉHARD (l’un des « pionniers » de la décentralisation théâtrale) qu’il découvre, dans les années soixante, tout ce que le théâtre offre alors de vivant et de novateur, du LIVING THEATRE aux premiers travaux d’ANTOINE VITEZ. Ses premières expériences théâtrales se feront dans le cadre de stages organisés par divers mouvements d’éducation populaire.                                                                                                                                                    

    En 1969, il est engagé à la COMÉDIE DE CAEN, Centre Dramatique National que vient de fonder JO TRÉHARD. Il n’a aucune formation. Celle-ci se fera donc sur le tas. Dès lors, il ne cessera plus de jouer, aussi bien au C.D.N. qu’avec diverses compagnies. En 1973, le metteur en scène YVES GRAFFEY crée, à Caen, le THÉÂTRE DU GROS CAILLOU  (Centre Dramatique National Pour l’Enfance et La Jeunesse) et l’y associe pour plusieurs saisons.                                                                                                                                                         

    En 1980, MICHEL DUBOIS, qui a succédé à JO TRÉHARD, lui propose d’intégrer l’équipe artistique de la COMÉDIE DE CAEN. Sous sa direction, celle de CLAUDE YERSIN et d’autres metteurs en scène, il participe à cette aventure jusqu’en 1991 et joue les auteurs classiques et contemporains les plus divers. C’est là qu’il crée notamment LE PETIT ALBERT (d’après JACK LONDON). Cet exercice d’acteur, initialement voué à l’éphémère, rencontre un vif succès et sera repris plus de sept cent fois à ce jour.                                                                                                                                            

    A partir de 1990, il entame un long compagnonnage avec JEAN-LOUIS BENOÎT. Une dizaine de créations s’ensuivent, d’abord au THÉÂTRE DE L’AQUARIUM puis au THÉÂTRE DE LA CRIÉE à Marseille, parmi lesquelles : LES VŒUX DU PRÉSIDENT, CONVERSATION EN SICILE, HENRY V, DE GAULLE EN MAI.                                                                                                                                                  

    D’autres rencontres seront pour lui déterminantes : JEAN-LUC LAGARCE, PETER ZADEK et surtout MATTHIAS LANGHOFF, pour LE PRINCE DE HOMBOURG (Kleist)  et TROIS SŒURS (Tchékhov), deux spectacles qui le marquent profondément.                                                                                                                                                                                                                                                                

    Une soixantaine de pièces lui auront permis d’interpréter les plus grands auteurs : SHAKESPEARE, MUSSET, LENZ, GIDE, GENET, DURAS, STRINBERG, KROETZ, LABICHE, BRECHT, O’NEILL, PIRANDELLO, RUZANTE, DOSTOÏEVSKI, SARTRE, GOLDONI, BUCHNER, MOLIERE, GRIBOÏÉDOV, BARKER, BORCHERT…                                                                                                                                                 

    Au cinéma et à la télévision, RENÉ ALLIO, BERTRAND VAN EFFENTERRE, JACQUES MALATERRE, LUC BÉRAUD, FABRICE CAZENEUVE, ALAIN CHABAT, SOPHIE MARCEAU, MABROUK EL MECHRI, BRIAN DE PALMA, ROMAIN GOUPIL et beaucoup d’autres réalisateurs lui confient  les rôles les plus variés.                                                                                              

    C’est ainsi qu’il vient de tourner, sous la direction de XAVIER BEAUVOIS, « DES HOMMES ET DES DIEUX » qui vient de remporter le Grand Prix au Festival de Cannes.                                                                                                                                                    

    Il reste cependant un « enfant de la décentralisation », un acteur de troupe, et ce sont des metteurs en scène comme DANIEL GIRARD, JEAN-PAUL WENZEL, CHRISTOPHE ROUXEL, GUY DELAMOTTE, HERVÉ LELARDOUX, GUILLAUME DUJARDIN ou encore GILBERT ROUVIÈRE, qui lui auront donné, jusqu’à présent, l’occasion de vivre ses plus beaux moments de théâtre.

     

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    Tapis rouge à Cannes pour le film Des hommes et des Dieux.GRAND PRIX DU JURY. Les acteurs du film et le réalisateur, Xavier Beauvois (mains croisées). Jean-Marie Frin est aux côtés de Sabrina Ouazani et de Michael Lonsdale.

     

     

     

     

     

     

     

  • AMBROSE BIERCE

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    On le surnommait Bitter Bierce, Bierce l’amer. Il fut un journaliste à la dent dure et un nouvelliste à l’humour très sombre. De son œuvre abondante, on a surtout retenu le Dictionnaire du Diable avec ses féroces aphorismes.

    Né en 1842 dans l’Ohio, Ambrose Bierce s’engagea du côté sudiste pendant la guerre de Sécession avant de livrer un combat sans pause en tant que rédacteur en chef du News Letter où il débuta en signant la rubrique de l’aboyeur public. Écoeuré par son pays, il disparaît en 1914, en laissant derrière lui cette suite de mots, « To be a Gringo in Mexico », formule qui laissera à penser que Bierce aurait suivi Pancho Villa au Mexique.

    Ses Fables Fantastiques, en partie publiées autrefois par Eric Losfeld, éclairent l’Amérique à la lumière de la raillerie ésopique qui fait tomber les masques. Sous les personnages anthropomorphes ou à gros traits humains, Bierce ridiculise (à mort) quelques figures familières : juges, prêtres et journalistes. L’auteur du Club des parenticides écrivait bref et toujours d’une pointe aiguisée.

    Aujourd’hui que l’on s’intéresse à Arthur Cravan (et vous voyez sûrement le roman auquel je fais allusion), allez voir dans les pages d’Ambrose Bierce si Philippe Dagen s'y trouve. Par exemple.

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    Le Dictionnaire du diable, éditions Voix d’Encre

    Fables fantastiques, éditions Rivages

    Contes noirs, éditions Rivages

    Le Club des parenticides, éditions Mille et Une Nuits

    Histoires impossibles, éditions Grasset

    Morts violentes, éditions Grasset

    The Ambrose Bierce Appreciation Society